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Textes complets > Ethnographie (1935-1938)
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AVANT-PROPOS
(par A.J. Smet)

1. LA NUMERATION DU MONDE CHEZ LES BALUBA-SHANKADI (1935-6)

2. LA REPRESENTATION DU MONDE CHEZ LES BALUBA-SHANKADI (1935-6)

3. NOS SEMINARISTES NOIRS FACE A LEUR FAMILLE (1936)

4. LES GESTES DE NUMERATION DES BASHILA (1936)

5. DEVINETTES AU MOYEN-KATANGA (1936)

6. CLASSEMENT DES DEVINETTES PAR THEMES

7. LES TONS DU LANGUAGE TAMBOURINE ET LES TONS DU LANGAGE PARLE

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1. AVANT PROPOS (PAR  A.J. Smet)

Le Père Tempels est arrivé à Dilolo, le 22 novembre 1933. Dès son arrivée , il a parcouru la brousse [1]. Dans la région du lac Moëro, il est à l'écoute du peuple: il enregistre des devinettes d'enfants, des proverbes et des chansons populaires, notamment à Luabo (en 1934-35), Lukonzolwa (1935-37) et Lumbu, au Diocèse de Kamina [2].

Dans une lettre du 15.9.34, avant d'avoir publié quelque chose, il parle de son désir de comprendre les gens. A partir de Lukonzolwa, où il était responsable de l'école catéchétique locale, il décrit les inconvénients d'être lié à une école: un premier désavantage sont les palabres interminables de jeunes gens qui se disputent;

"un autre inconvénient, si l'on veut, c'est que, quelqu'un qui est affecté à l'école, n'arrive que rarement ou jamais en brousse, s'occupe finalement unilatéralement de choses "intellectuelles", rencontre surtout des enfants avec conséquemment le danger de ne pas pénétrer dans toutes les particularités et secrets de la vie de la communauté nègre. Cela dépend naturellement de l'intérêt de chaque personne pour ces choses, mais l'inconvénient persiste même pour celui qui s'y intéresse" [3]

Dès 1935, il écrit 5 articles ethnographiques, qui nous montrent un homme qui voyage beaucoup et qui s'informe sur les conceptions de différentes régions. Sa documentation n'est pas limitée à une seule tribu ou une langue unique. Il parle des Baluba, des Bazela, des Bashila, des Babemba et des Andembo, tribus qui habitent à une distance de plus de 300 km. Il s'intéresse à leur vision de l'univers et du monde, aux gestes et signes de numération, aux devinettes d'enfants, et il écrit couramment plusieurs langues bantu. Un texte sur les séminaristes nous fait connaître un homme qui essaie de comprendre, avec sympathie, les aspirations et la vision du monde de ces gens.

Mais c'est bien le Tempels de la première période, dont il parle dans ses témoignages autobiographiques: le missionnaire qui garde des attitudes de Blanc, qui reste à distance, observe et juge ce qu'il voit et entend. Son jugement est parfois même assez sévère, là où il écrit que la raison de ces gens n'a pas encore éprouvé le besoin de savoir et qu'ils se laissent fort peu incommoder par les contradictions entre leurs interprétations de détails d'un seul phénomène.


On pourrait comparer ce texte à celui de H. Dieterlen:

"Le nègre se contente d'idées vagues et ne se laisse pas incommoder par les contradictions flagrantes qui s'y trouvent. Il ne précise pas, il ne raisonne pas, il n'a pas de logique: il n'y regarde pas de si près" [4)].

Il faut ajouter que la conviction de la plupart des colons de ce temps était sans aucun doute plus négative, comme en témoigne un passage de H.A. Junod, écrit en 1931:

"La grande majorité des colons qui vivent près des indigènes, qui prétendent les connaître, ne déclare t elle pas avec conviction que le Noir est un être inférieur, incapable de s'élever au niveau du Blanc, et qu'il doit rester dans la position qui lui convient, dans la position d'un subordonné?" [5].

Les premiers écrits ethnographiques:

1.



La numération de un à dix chez les Baluba-Shankadi,
Het tellen van 1 tot 10 bij de Baluba-Shankaji, in Kongo-Overzee 2 (1935-36) p.61-63, écrit à Luabo, Katanga; traduit par A.J. Smet, in Plaidoyer pour la philosophie bantu et quelques autres textes. Kinshasa, FTC., 1982, p.1-4.

2.


La représentation du monde chez les Baluba-Shankadi,
Hoe de Baluba-Shankadi zich de wereld voorstellen, in Kongo-Overzee 2 (1935-36) p.129-138, ill, écrit à Luabo, Lualaba, traduit par A.J. Smet; in Plaidoyer..., p.5-16.

3.


Nos séminaristes noirs face à leur famille,
Onze zwarte seminaristen tegenover hun familie, in De Stem van Sint-Antonius 23 (1936) n.6, p.176-181; traduit par Luc Divoy, inédit (arch. Smet).

4.


Les gestes de numération des Bashila,
De telgebaren der Bashila, in Kongo-Overzee 4 (1938), p.49-53, écrit à Lukonzolwa, Moëro; traduit par A.J. Smet, in Plaidoyer..., p.17-22.

5.


Devinettes au Moyen-Katanga,
Raadsels in Midden-Katanga, in Kongo-Overzee 4 (1938) p.203-209, écrit à Lukonzolwa, Moëro; traduit par A.J. Smet, in Plaidoyer..., p.23-32.

6.

Un classement des devinettes par thèmes. Cfr A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Placide Tempels, in Philosophie et libération, (RPA, 2). Kinshasa, FTC, 1978, p.334-337 [6].


Les deux premiers articles ont été écrits à Luabo, les au-tres de cette période à Lukonzolwa, près du lac Moëro. Ils présentent la numération de un à dix chez les Baluba-Shankadi, imitant, sans doute, un article de Maurice Delafosse [7]. Tempels donne les termes qui expriment les nombres et il dessine les gestes des mains désignant les nombres.

En février 1936, un deuxième article sur les Baluba Shankadi présente leur représentation du monde. L'univers décrit dans cet article comprend trois parties: un monde supérieur, situé au-dessus du firmament que nous voyons au-dessus de nous; notre monde sur lequel nous vivons; le monde inférieur, un endroit sous la terre. Ce monde inférieur est réparti en une partie supérieure, qui est le séjour des bakisi, et une partie inférieure ou l'enfer. Tempels donne ensuite une description détaillée de ces trois mondes et y ajoute chaque fois les termes utilisés par les Baluba Shankadi.

En passant, Tempels nous renseigne sur sa façon de rassembler son matériel. Il affirme d'abord que, pour beaucoup de points, la description donnée par les tribus différentes s'accorde, ce qui n'exclut pas qu'il existe des interprétations divergentes des détails d'un même phénomène naturel. Il continue en disant:

"Voici quelques variantes provenant des Andembo de la région de Luashi au sud ouest du Katanga. Ces données sont sans aucun doute incomplètes, parce que je n'ai pas eu l'occasion d'interroger plus amplement les Andembo. Mais on peut être sûr de l'authenticité de ces données" [8].

Cette même année, le P. Tempels écrit un article sur les séminaristes face à leur famille. Il y décrit les difficultés rencontrées par eux sur leur chemin vers le sacerdoce. C'est un texte anthropologique où "les conceptions propres" des liens familiales chez les Noirs sont décrites:

"Or, presque toutes les raisons de cette opposition des parents proviennent de certaines considérations morales et matérielles qui ont pour origine la conception propre que les Noirs ont de la communauté familiale" [9].

Déjà 'la puissance de la vie' commence à poindre:

"Quand une femme se rend compte du fait qu'elle est enceinte, le kilumbu ou devin doit être consulté pour savoir s'il y a un Vidye ou esprit ou un des ancêtres qui naîtra dans l'enfant. C'est en effet d'après la réponse du devin qu'un enfant, déjà dès sa naissance, reçoit le nom de ce Vidye, ou bien d'un défunt de la famille."

Cette puissance mystérieuse, ce prolongement invisible du défunt doit à partir de ce jour, en beaucoup de circonstances, être invoqué par les parents [10]

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1. Tempels (1935-6): La numération de un à dix chez les Baluba-Shankadi (1935-6) [14]

Les noms des nombres de un à dix chez les Baluba-Shankadi, sont:

1.

umo

2.

ibidi

3.

isatu

4.

ina 9 kitema

5.

itano

6.

isamba

7.

isamba ibidi

8.

mwanda

9.

dikumi

Quand les Baluba-Shankadi parlent et nomment un de ces nombres, ils le montrent d'ordinaire aussi par un geste de la main comme il est représenté par les dessins ci-joints.

Quand ils commencent à énumérer à partir de un: un, deux, trois, etc., certains nombres sont présentés différemment.

De un à cinq on compte sur la main gauche. De l'index droit on plie vers l'intérieur, un à un, les doigts de la main gauche (qu'on tourne la paume en haut), d'abord le petit doigt, ensuite l'annulaire, le médius et l'index. A cinq on ferme le poing, le pouce plié en-dessous des doigts.

Quand on nomme uniquement un seul nombre jusqu'à cinq inclus, on le représente de la main droite.

Les nombres de six à dix sont toujours indiqués de la même façon, soit en les énumérant, soit en citant un nombre séparément. Les nombres de six à dix sont donc indiqués du pouce de la main gauche sur la main droite.

Il arrive parfois, bien que rarement, qu'on indique le nombre un, nommé séparément, du petit doigt de la main droite ou gauche; du petit doigt et de l'annulaire: trois du petit doigt, de l'annulaire et du médius. Cette dernière façon n'est toutefois pas celle qui est reconnue "officiellement".

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2. La représentation du monde chez les Baluba-Shankadi (1935-6)

Pour beaucoup de phénomènes naturels, qui frappent les hommes, les Noirs aussi ont trouvé une explication; non pas une explication scientifique, qui satisfait la raison, mais plutôt une représentation fantaisiste, qui nourrit leur fantaisie. Cette représentation satisfait quand même nos Noirs totalement, parce que leur raison n'a pas encore éprouvé le besoin de connaître, au moins pas ces théories-là qui dépassent les hommes, qui n'ont rien à voir avec la vie terrestre.

C'est ainsi qu'un nègre, qui vous a exposé son histoire du soleil se querellant avec la lune, n'entrera pas dans une colère bleue contre un deuxième qui vient raconter, que le soleil n'est qu'une boule de fer sans vie, lancée par Dieu à travers l'espace. Qu'il y ait, par exemple, une contradiction entre leurs interprétations de deux détails d'un seul phénomène naturel, cela les incommode fort peu.

Quand on interrompt un Muluba au milieu de son exposé pour tirer de ses paroles une conclusion évidente, il vous regarde avec un sourire compatissant et pense: "comment pouvez-vous poser une question aussi puérile? Nous autres, Noirs, nous ne parlons même pas de cela. Pourquoi le ferait-on?"

L'univers comprend:

- le monde supérieur (ciel), situé au-dessus du firmament, que nous voyons au-dessus de nous;

- notre monde sur lequel nous vivons (terre);

- les enfers, un endroit sous la terre, qui comprend deux parties:

  1.  la terre inférieure, Kalunga Nyembo ou le séjour des bakisi [15] et des bons défunts;
  2.  le monde sousterrain, Kalunga ka musono ou l'enfer.


Le monde supérieur

Sur la voûte céleste se trouve une autre terre où habitent des hommes, des hommes avec une queue, mais pour le reste exactement pareils aux hommes de cette terre.

On ignore si ces hommes-là vivent dans des villages. On sait toutefois avec certitude, qu'il y a là une végétation, mais que les habitants du ciel ne font pas des champs; ils vivent de la chasse.

La lumière n'émane pas du soleil, comme ici; il n'y a là qu'une lumière pâle comme celle d'une journée sombre.

L'eau qui tombe comme de la pluie sur notre terre, vient de ce monde supérieur: il suinte par les nombreux trous de la voûte céleste. C'est par ces mêmes trous que parfois, quand

il pleut, des hommes tombent et arrivent sur notre terre. Ces hommes continuent à vivre sur notre terre avec ceux qui les ont vu les premiers; mais leur queue est d'abord coupée. On m'a montré plusieurs villages où vivent encore des enfants de femmes qui sont tombées autrefois du ciel.


Notre monde

Notre terre est très étendue, plate, mais circulaire; c'est un grand disque entouré de tous côtés de Kalunga lui: la mer [16].

Les hommes qui arrivent à la mer ne peuvent pas voir l'autre côté; devant eux, une montagne d'eau se dresse, qui doit certainement être la limité de notre monde.

"Les" habitants de la terre sont les Noirs. Dans chaque région, les gens sont persuadés d'habiter, "eux", à peu près au centre du monde. Il y a des années, quand les premiers Blancs sont arrivés "pour venir aussi habiter la terre", on a craint ici qu'ils étaient émergés de la mer. En effet, ils avaient des tissus et des habits qu'aucun Noir ne pouvait faire, et, quand ils avaient besoin de quelque chose, ils ne devaient qu'aller à la mer où ils pouvaient trouver tout ce qui leur plaisait.

Notre terre est couverte de la voûte en fer du firmament, dont les extrémités descendent sur les frontières du monde, c'est-à-dire sur la mer qui entoure la terre. Là, cette voûte repose sur de grands piliers. Les Noirs se soucient fort peu des fondements de ces piliers. C'est seulement suite à des questions réitérées que, par-ci par-là, un malin pouvait répondre que ces piliers trouvent leur fondement au fond de la mer.

Suivant certains, le soleil est un être vivant, qui grimpe chaque jour, comme une tortue, de l'orient vers l'occident, là ou habitent des pygmées avec des cheveux jaunes. Chaque soir, quand le soleil veut voler un peu de nourriture dans leurs champs de maïs, ils le chassent par leurs hurlements; suite à cela, le soleil regagne l'orient par un chemin souterrain, pour recommencer sa course le jour suivant.

Suivant d'autres, le soleil est un disque brillant de fer rouge. Chaque jour, dans sa forge située en orient, Dieu forge un nouveau disque du soleil; le matin, il le lance à travers l'espace, mais là, en occident, il tombe dans la mer et s'éteint dans l'eau.

La lune est un être vivant. Autrefois, elle donnait plus de lumière et de chaleur que le soleil. Celui-ci la jalousait tellement qu'il allait la combattre. Ainsi le soleil lançait de la boue sur la lune; on peut encore toujours voir les taches. Mais la lune à son tour jetait un balai sur le soleil, qui, actuellement, s'y trouve encore toujours, comme on peut d'ailleurs encore bien le remarquer (aux rayons).

La lune a deux femmes, une en occident et une en orient; la femme de l'occident s'appelle Kilonda, celle de l'orient est la Muntu wa bene ou la première femme. Ce sont deux étoiles très brillantes. Ces femmes accompagnent leur maître dans tous ses voyages. Quand la nouvelle lune monte en occident, on voit Kilonda en sa compagnie. Celle-ci suit la lune dans sa montée quotidienne, assez haut au firmament. Ensuite la lune voyage seule jusqu'à ce que sa Muntu wa bene vienne à sa rencontre de l'orient. Maintenant c'est elle qui accompagnera la lune en voyage jusqu'à ce qu'elle meure en orient.

Toutefois, la lune n'est pas soignée de la même façon par ses deux femmes. Elle se querelle avec Kilonda; celle-ci ne lui prépare pas de nourriture; ce n'est donc pas sans raison que la lune est si mince aussi longtemps qu'elle reste en occident. Cela change vite et la lune grossit visiblement une fois qu'elle peut se restaurer avec les plats exquis que Muntu wa bene lui sert.

Comment expliquer la montée, chaque jour, d'une nouvelle lune? Eh bien, disent les Baluba, quand la lune est allée mourir en orient, elle ressuscite de la mort après quelques jours et elle reçoit un nouveau nom.

Les étoiles sont une espèce de chauve souris, qui appartiennent au monde supérieur mais qui passent, la nuit, par des trous du ciel et s'attachent à la voûte de fer avec leurs pattes.

Ce que nous appelons une étoile filante ou errante, n'est en réalité pas une étoile, mais une femme qui va ensorceler quelqu'un.

En parlant de la pluie, on doit distinguer la pluie du ciel et la pluie des nuages. La première est produite, comme déjà dit, par l'eau qui provient quelque part du monde supérieur. Les pluies de la saison des pluies ne viennent pas des nuages, mais du ciel, parce qu'il y a des nuages qui restent toujours au ciel, sans jamais donner de pluie. Il y a toutefois des nuages de pluie; c'est de là que nous recevons sur la tête des orages qui ouvrent la saison des pluies ou qui peuvent aussi surgir en saison sèche.

Les nuages de pluie naissent de la fumée des feux de brousse, qui monte et s'amasse là-haut.

Il est sûrement connu que les sorciers et certaines autres personnes ont un pouvoir sur la pluie; ce n'est pas l'endroit de décrire ici les nombreux petits moyens pour arrêter la pluie ou au moins pour la faire tomber sur un autre endroit.

Suivant les Baluba-Shankadi, la foudre est un animal ressemblant à une chèvre noire avec une queue ardente. Pendant la pluie, cet animal saute parfois sur notre terre pour faire ses besoins. Mais une fois qu'il est ici-bas, il ne peut plus retourner en haut à moins de remonter par un arbre ou un endroit élevé. Ne voit-on pas assez souvent la trace de ses griffes dans l'écorce des arbres? A partir de là, la foudre peut prendre son élan, mais non pas avant qu'une autre foudre galope, venant de la voûte du ciel d'un coup de sabot fracassant pour appeler ainsi son copain.

La foudre ne tombera pas facilement sur le nkwebaci, un grand arbre avec de grandes épines aussi grosses qu'un pouce. Si elle tombe là, on la trouvera morte, totalement en pièces. C'est de cette viande de la foudre qu'on prépare le sortilège, avec lequel on fait tomber la foudre sur un ennemi.

A plusieurs endroits, mais le plus souvent dans la terre près d'un arbre qui a été frappé par la foudre, on trouve parfois un objet gris, aussi gros qu'un bras et dur comme le fer, de 20 à 30 cm. de longueur; ce sont les excréments de la foudre.

La foudre qui n'a pas pu remonter parce qu'aucune autre ne l'a appelée change en pumpa, une espèce de sanglier, et continue ainsi à vivre sur la terre.

Pendant un orage, les mères disent à leurs enfants qu'il est trop dangereux de courir vers l'eau de pluie qui coule sur la terre, parce qu'on pourrait rencontrer la chèvre (la foudre).

La foudre magique, jetée pour frapper les sorcières et voleurs, ne peut tomber qu'après avoir provoqué la tombée d'une averse. Cette foudre ne remonte pas, ne change pas en pumpa, mais cesse simplement d'exister après qu'elle est tombée.

Suivant nos Noirs le tonnerre ne provient pas toujours de la foudre, parce que, il y a un tonnerre de la foudre et un tonnerre de la pluie. Le premier, nous le connaissons déjà de ce que nous avons appris sur la foudre. Le second se manifeste comme suit. Nous avons dit plus haut que l'eau de pluie en saison des pluies vient du monde supérieur. Eh bien, quand cette eau a percé l'écorce terrestre du monde supérieur, elle atteint la voûte céleste et commence là à laver les parois de feu (de là le bruit du tonnerre), jusqu'à ce qu'elle ait trouvé les trous par lesquels elle tombe. Plus ces trous s'ouvrent, plus vite peut s'échapper l'eau.

L'arc-en-ciel est une vapeur tricolore, crachée dans le ciel par un certain serpent, vers la fin de la pluie. Quand quelqu'un est par hasard en brousse et voit l'arc-en-ciel monter devant lui, il fait bien de ne pas continuer, parce que, si cette vapeur entre dans ses narines, il en mourrait.

Suivant certains, le vent est produit par les bakisi ou esprits, qui se promènent: "les bakisi passent dans le vent". D'autres pensent que les vents sont envoyés par les bakisi.

Ainsi, les Baluba du nord-est du Lac Kisale peuvent nommer quatre vents, qui viennent précisément des régions où habitent les bakisi. On a ainsi:

1.

Les Museka, aussi nommés Bondo Museka, ou vent de l'est de la région Museka, où habitent quelque part les bakisi;

2.

Le Kamundilo [17] ou le vent du nord, de la région où jaillit la source chaude, résidence des bakisi;

3.

Le Dibanga ou vent du sud, nommé ainsi parce que les esprits Dibanga habitent dans la région de ce nom près du Lac Kisale;

4.

Le Kamukunku ou vent de l'ouest, qui vient de la direction du village Mbanongo, où les esprits habitent dans le voisinage.


Les enfers

L'écorce terrestre, qui de tous côtés est entourée de Kalunga Lui, semble être limitée, aussi par le bas, par la mer; c'est dans l'écorce terrestre que se situe les enfers.

Les défunts qui ont bien vécu ici sur la terre, ainsi que les esprits avec leur chef, Dieu, habitent dans la partie supérieure, le Kalunga Nyembo ou le Kalung(a) wa Nyembo. Dans le Kalunga Nyembo est extraordinairement fructueuse, une végétation luxuriante et exubérante qui y pousse et les légumes y atteignent une hauteur inconnue.

En enfer, par contre, ne règne, en plus du froid et de l'obscurité, que la misère, comme on peut le déduire d'ailleurs du non même; Kalunga ka musono signifie littéralement: le lieu de musono ou "le feu de froid", qui frappe parfois une plaie; mais dans l'esprit du Noir, ce nom signifie: le lieu de misère.

L'enfer est aussi encore nommé Kalunga kalala masika, le lieu du froid perçant [18].

Quand pour quelqu'un le temps de mourir est arrivé, le Conseil des Anciens envoie de Kalunga Nyembo un messager pour venir chercher cet homme.

Quand alors l'homme meurt, son corps périt, certes, mais l'âme continue à exister. L'âme et le messager partent alors ensemble en voyage; un passeur les aide à traverser un fleuve, que personne ne peut repasser, et ils arrivent ainsi dans le Kalunga Nyembo.

Là, tous les hommes sont jugés par "Le Vieillard". Si ce jugement est bon, cet homme peut aller habiter dans le village de Kalunga Nyembo; toutefois, il ne cohabitera plus, là-bas, avec sa femme ou ses femmes, mais il retournera dans le cercle de sa propre famille. De ce lieu, les défunts peuvent éventuellement retourner sur terre pour faire du bien ou du mal aux vivants.

Des sorcières et des voleurs sont envoyés, par "Le Vieillard" en enfer, d'où jamais personne ne revient, même pas pour un instant. Sont présents aux procès du sorcier, tous les hommes sur lesquels il a jeté un sort. Le Vieillard demande alors au sorcier pourquoi il a fait une telle chose, et si celui-ci ne peut pas justifier sa façon d'agir, il est enfermé en enfer.

S'il apparaît en réalité que le temps de mourir d'un homme appelé sous terre n'est pas encore arrivé, il peut retourner sur terre. Un tel "ressuscité" reçoit alors du Vieillard deux boules d'une espèce de terre blanche; il devra s'en nourrir pendant deux ou trois mois. Il doit toutefois être seul pour prendre cette nourriture. Plus tard, il peut reprendre sa pâte ordinaire de manioc. Cependant, un ressuscité est et reste faible; il ne peut rien ou ne sait rien de plus qu'un mortel ordinaire; mais c'est de sa bouche qu'on apprend l'existence de cette végétation gigantesque du monde inférieur.

* * *

Outre de nombreux points de ressemblance dans la description de l'univers, on trouvera parfois chez d'autres tribus une interprétation propre de l'un ou de l'autre phénomène naturel.

Voici quelques variantes provenant des Andembo de la région de Luashi au sud-ouest du Katanga. Ces données sont sans aucun doute incomplètes, parce que je n'ai pas eu l'occasion d'interroger plus amplement les Andembo. Mais on peut être sûr de l'authenticité de ces données. On y découvre une conception plus élevée.

Les Andembo affirment catégoriquement que la terre de là-haut présente exactement le même aspect que la nôtre. Les hommes y ont des champs, mangent et vivent exactement comme les habitants de la terre. Mais, pendant qu'il fait jour ici-bas, là-haut c'est la nuit; c'est grâce à cela que, la nuit, nous voyons les petits feux (les étoiles), auxquels les habitants du ciel se chauffent et sur lesquels ils préparent leur nourriture.

Suivant eux, le soleil habite dans un village en orient. Chaque jour il fait un voyage, et quand il atteint la limite de la terre, il retourne en orient par le côté sud de la terre.

De la lune on raconte ce qui suit. Autrefois, les hommes avaient un roi, et la lune en avait un également. Quand le premier mourut, les hommes pleurèrent et se lamentèrent; quand le roi de la lune mourut, elle ne se plaignit pas, elle se résigna à la volonté de Dieu. C'est ainsi, qu'après sa mort, la lune ressuscite chaque jour, alors que les hommes meurent et ne ressuscitent plus.

Il se peut qu'une étoile filante tombe sur la terre; là où elle tombe on voit l'herbe devenir roussâtre et se faner.

La foudre est décrite comme un bouc, un animal terriblement fort, qui brûle des maisons, casse des arbres et tue des hommes. Quand elle tombe sur un arbre, elle s'enfonce dans la terre, monte de nouveau ailleurs dans un autre arbre pour tenter de prendre de là son élan vers le ciel.

L'arc-en-ciel est un lézard gigantesque, qui habite une termitière, près d'une source. Quand tombent les dernières gouttes, l'arc en ciel sort de son trou; on voit alors un brouillard blanc qui sort de là. Une chose très dangereuse! Et l'on fait bien, dès qu'on voit ce brouillard, de battre des morceaux de bois afin de chasser l'animal, sinon, le brouillard peut entrer dans les narines et on en mourrait. Alors, quand pareil lézard-arc-en-ciel est sorti, il va se mettre la tête dans une source et la queue dans une autre source en élevant le tronc en l'air.

Suivant les Andembo, les esprits ainsi que Dieu passent dans le vent. Le vent est quelque chose de divin, qui ressemble, dans un certain sens, à Dieu, puisque, comme Dieu, il peut pénétrer partout. Nous ne pouvons pas prendre le vent, mais si les Blancs avaient pu le prendre, nous serions maintenant immortels.

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3. Nos Séminaristes noirs face à leur famille (1936)

A présent que les vacances approchent, il se révèle une fois de plus qu'un profond abîme sépare nos séminaristes de leur famille.

Notre Lino n'ose pas aller passer ses grandes vacances chez ses parents, dans la crainte des vexations quotidiennes, astucieuses et impitoyables, par lesquelles ils essayeraient de le détourner de sa vocation sacerdotale. D'après son propre témoignage, les membres de sa famille, face à son "entêtement", n'hésiteraient pas à recourir à la violence, à des enchaînements et à des mauvais traitements et peut-être même à aller plus loin pour n'être pas contraints de voir leur enfant retourner au séminaire.

Bartel n'ose pas tenter cela une nouvelle fois. On l'a mis au courant de mauvaises nouvelles concernant sa famille, naturellement avec l'intention de lui faire sentir une nouvelle fois qu'il ferait beaucoup mieux de rentrer dans sa famille pour aider ses parents. Son frère est mort et, à présent, Bartel doit absolument retourner à la maison pour prendre soin des enfants de son frère, sinon son père se pendrait.

Pendant les grandes vacances passées, ils ont déjà eu bien des difficultés, lui, Cyprien et Bertien, deux autres séminaristes de sa région. Des membres de la famille n'ont pas hésité alors, par des procédés des plus vulgaires, d'aider ces jeunes gens à se procurer une femme et ainsi à se détourner pour de bon du sacerdoce.

Ils ont dû cacher leurs livres dans un arbre creux et ils sont allés faire leurs devoirs de vacances dans la forêt. Ce n'est qu'en usant de ruses qu'à la fin des vacances ils sont parvenus à sortir de leur village. Une semaine avant la fin de leur congé, ils sont partis dans un village proche, soit disant pour rendre visite à une de leurs connaissances. Mais après cette visite, la famille n'a plus revu les séminaristes. C'est ainsi que dans la vie de presque tous nos séminaristes, il y a beaucoup d'exemples d'opposition brutale ou calculée de la part des parents.

Quelles pourraient en être les véritables raisons? C'est dans le désir de le savoir qu'il m'est arrivé d'interroger les jeunes à ce sujet.

Or, presque toutes les raisons de cette opposition des parents proviennent de certaines considérations morales et matérielles qui ont pour origine la conception propre que les Noirs ont de la communauté familiale.

Certes, il y a aussi chez les noirs une affection vraie et profonde pour leurs proches. Que de fois n'arrive-t-il pas au cours de l'année scolaire qu'un adolescent vienne me dire: "Père, mon coeur est tout triste!" Mon père ou ma mère est malade, mon frère ou ma soeur est décédé(e) et eux, séminaristes qui ont dit à peu près adieu à leur famille, ne sont pas en état de les aider, maintenant ni plus tard, car ils veulent devenir prêtre et consacrer leur vie au Seigneur. Mais cela les afflige et ils ont de la peine lorsqu'ils apprennent que quelqu'un de la famille est atteint par le malheur.

Cet amour se manifeste aussi dans la conduite d'une mère vis-à-vis de son petit enfant. Elle aussi est à même de cajoler ses petites frimousses et de les choyer avec la plus tendre des attentions. Et même à travers les cérémonies bruyantes, les larmes et tout ce qui entoure et accompagne un décès ou des funérailles, il n'est pas rare de voir percer la douleur sincère d'un père ou surtout d'une mère qui lutte à travers les larmes contre l'irréparable.

C'est cette affection naturelle pour leurs enfants qui détourne les parents de l'état de vie qui, comme le sacerdoce, éloigne les enfants de leurs parents.

"Si tu deviens prêtre, disent-ils, tu devras aller pour toujours dans une région étrangère, peut-être même en Europe. Nous ne t'aurons plus près de nous dans nos vieux jours ou quand nous viendrons à mourir". Et pourtant, tout Noir veut, avant de mourir, adresser encore un dernier mot à chacun de ses enfants.

Lufu lwa kikona mula: une mort en gémissant de désir (de voir son enfant), qui est l'expression d'un regret de n'avoir pas vu ses enfants une dernière fois. Mais un Noir peut mourir en paix, lorsqu'il voit tous ses enfants réunis autour de lui, avec la certitude qu'ils veilleront à ce que cet être cher soit enterré dignement.

Le coeur du Noir exprime ici le langage humain de l'amour de tout parent, qui n'est satisfait que s'il voit ses enfants les entourant de leur affection en chaque moment de la vie.

En plus de ces motifs humains qui éloignent les enfants du sacerdoce, se greffe la conception propre du Noir sur la famille. La famille, le groupe de la parenté comme communauté, est une réalité qui au Congo a une importance dont nous ne pouvons nous faire une idée.

Le P. Fortunat qui a appris à connaître les Baluba de notre mission depuis des années, a écrit une étude à ce sujet:

"Dans la communauté primitive des Noirs, l'individu ne compte pas. On ne connaît pas les personnes, on ne connaît que 'la famille'. Elle porte les conséquences des actes de ses membres; elle jouit des avantages qui en découlent ou souffre en commun les dommages causés. C'est la famille qui, par le mariage d'un de ses membres affermit son influence, et ainsi, le mariage, même d'une des filles, devient une affaire commune de toute la parenté".

Ce qui en Belgique est la marche ordinaire des affaires, on ne peut pas même l'imaginer au Congo: que les parents pendant des années, du matin au soir, ne connaissent aucun repos pour permettre à leurs enfants d'avoir plus tard une vie aussi bonne ou même meilleure que la leur, cela se voit en Belgique, mais pas au Congo.

Ici, se sont les enfants qui doivent aider leurs parents et les Bakulumpe, les aînés de la famille. Les enfants doivent rendre plus riche et plus puissante la famille. Et quiconque prend de sa propre autorité et pour son unique avantage un chemin qui le conduit hors de la famille, n'est aux yeux de toute la parenté qu'un enfant qui foule aux pieds ses tout premiers devoirs.

Ce jugement certainement immérité à leur propos, de la famille froissée, pèse souvent lourdement sur le coeur de nos séminaristes, car dans leur coeur parle parfois aussi clairement la conscience de leur premier devoir d'enfant: "je ne suis ici que pour soutenir ma famille".

"Tu dois te marier", disent les parents et les membres de la famille. "Si tu deviens prêtre, tu ne procréeras pas d'enfants. Notre famille disparaîtra et on ne nommera plus nos noms parmi les hommes". Et cela est très dur pour un Noir, car cela signifie en quelque sorte mourir d'une mort éternelle. Car de même que les parents pensent qu'il y a quelque chose de leur être propre qui est passé dans leurs enfants, de même le Noir pense qu'après la mort il y a quelque chose de lui, son âme matérielle(?), son ombre ou quoique ce soit qui restera en union intime avec certains de ses descendants.

Quand une femme se rend compte du fait qu'elle est enceinte, le kilumbu ou devin doit être consulté pour savoir s'il y a un Vidye ou esprit ou un des ancêtres qui naîtra dans l'enfant. C'est en effet d'après la réponse du devin qu'un enfant, déjà dès sa naissance, reçoit le nom de ce Vidye, ou bien d'un défunt de la famille.

Cette puissance mystérieuse, ce prolongement invisible du défunt doit à partir de ce jour, en beaucoup de circonstances, être invoqué par les parents. Et une fois que l'enfant sera né, on le traitera avec grand respect et on n'osera le froisser en rien.

"Tu as enfanté ton père" dira-t-on à une femme ou bien "ta mère est revenue parmi nous". Bien qu'il ne s'agisse pas d'un vrai "renaître", puisque plusieurs enfants peuvent porter en même temps dans une même famille le nom d'un seul défunt, cependant il y a ici plus qu'une simple transmission du nom, plus aussi qu'une sorte de protection qui émanerait de l'esprit du défunt; chaque homme reste toute sa vie en relation intime avec le défunt dont il porte le nom, il y a là quelque chose de l'ancêtre qui vit dans le descendant, l'esprit des ancêtres continue un peu à vivre dans la famille.

La disparition de la famille et par là de leur propre nom est ainsi le plus grand malheur que les Noirs redoutent surtout et cette crainte explique leur opposition insurmontable contre un jeune homme qui veut renoncer au mariage pour pouvoir devenir prêtre.

En même temps que ces considérations plutôt morales sur la puissance, l'importance et la survie de la famille, par une nombreuse postérité qui porterait le nom des ancêtres et perpétuerait leur influence dans le monde, il y a pour les Noirs encore tout un tas de motifs matériels et cupides pour garder un garçon dans et pour sa famille. Car si chaque enfant doit prendre soin d'étendre et de faire croître la communauté vivante qu'est la famille, il reste tout autant d'obligations de soutenir les membres de la famille et surtout les anciens et de leur venir en aide au point de vue matériel.

Beaucoup de parents ne demandent pas mieux aujourd'hui que de voir leurs enfants aller travailler chez des Blancs, pour pouvoir ainsi acheter pour eux beaucoup d'étoffes, de boissons et de meubles. Les enfants doivent enrichir leurs parents, les aider et prendre soin d'eux dans leurs vieux jours. Par la richesse qu'ils font ainsi entrer dans la maison, ils augmentent aussi la considération et l'influence de la famille.

Pour celui qui regarde les choses sous cet aspect - et le Noir le fait ainsi - le départ d'un jeune homme pour le séminaire est réellement une lourde perte pour la famille.

Cela d'autant plus que chez les Noirs un faible sera toujours impitoyablement défavorisé. Seule la solidarité de tous les membres d'une nombreuse famille peut protéger les parents contre les innombrables dangers qui entourent un Noir dans cette communauté si cupide.

Il ne faut donc ne pas s'étonner que nos séminaristes, certainement durant les premières années de leur séminaire, n'osent pas prendre sur eux la responsabilité de leur choix vis-à-vis de leurs proches. De plus d'un, je sais qu'il s'en est tiré par un mensonge: "Ce sont les Pères qui nous ont appelés". Mais ce prétexte apparent ne suffit pas à leur rendre leur en honneur auprès des parents ou de les préserver de tous tracas. En plus des peines que nos garçons rencontrent pour ce défaire du paganisme invétéré qui les entoure, cette opposition est encore un obstacle de plus sur le chemin du sacerdoce.

Puisse cette claire perception des lourdes difficultés que nos jeunes gens éprouvent, souvent avec de la peine dans le coeur, mais qu'ils maîtrisent avec une générosité admirable, amener le lecteur à adresser souvent pour eux une fervente prière à Dieu. Le faisant, il accomplirait un noble geste d'amour et de ce fait le but de mon article serait pleinement atteint.

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4. Les gestes de numération des Bashila (1938)

Comme chez les Baluba, il existe chez les Noirs du lac Moëro (proprement dit Mwelu), deux sortes de gestes de numération:

A. Une série pour compter de 1 à 10;
B. Une seconde série pour nommer séparément un des nombres 1 à 10.

A. La numération sur les doigts se fait comme suit.

De 1 à 5, on plie un à un, de l'index ou du pouce de la main droite, les doigts de la main gauche, à commencer par le petit doigt.

De 6 à 10, certains plient du pouce ou de l'index de la main gauche fermée, les doigts de la main droite, dont la paume est tournée vers le bas. On commence par le pouce de cette main et on continue par l'index jusqu'au petit

doigt. A dix on frappe les deux poings l'un contre l'autre. - D'autres plient du pouce ou de l'index de la main gauche fermée, les doigts de la main droite, à commencer par le petit doigt de cette main. La paume de la main droite est alors tournée vers le haut. A dix on frappe les deux poings l'un contre l'autre.

B. Les dessins ci-joints représentent les gestes de numération des nombres séparés.

Qu'on remarque bien qu'à quatre le nombre est représenté, le pouce étant plié, ou aussi parfois, le pouce étant étendu, il est alors un élément négligeable dans le geste de numération.

Le P. Colle a remarqué quelque chose de semblable chez les Baluba Hemba [20]. Certains gestes de numération, tels qu'il les a décrits, sont aussi connus sur la rive occidentale du Lac Moëro, mais ils n'y sont employés qu'exceptionnellement.

Les noms des nombres chez les Bashila sont les mêmes que chez les Babemba:

1.

mo

2.

bil

3.

tatu

4.

ne

5.

sano

6.

mutanda

7.

cine lubali

8.

cine konse konse

9.

pabula

10.

ikumi

Cine lubali: "quatre d'un côté"; ce nombre suppose un geste de numération où l'on montre quatre doigts d'une main et trois de l'autre.

Cine konse konse signifie: "quatre des deux côtés" et est conforme au geste de numération.

Pabula signifie: "il manque (un des dix)"; exprimé complètement il serait: pabula kimo kia mikumi.

Les mêmes nombres sont aussi utilisés par les Bazela. Les Bazela habitent Dizela, c'est-à-dire les régions qui sont arrosées par le Lubule Moyen et Supérieur et par le Kalimengongo Moyen et Supérieur, ainsi que le pays montagneux où ces deux rivières ont leurs sources.

La langue des Bazela, le Kizela, ressemble fort au Kiluba légèrement influencé par le Kibemba. Le Kizela semble le céder petit à petit à un Kiluba plus pur.

Quant aux Bashila: "Ba-Shila veut dire papyrus; toute cette tribu habite les bords du Lac Moëro, qui sont couverts de papyrus. De là évidemment son nom" [21]. J'ignore en quelle langue "Bashila" pourrait signifier papyrus. En Kibemba et Kishila la plante papyrus s'appelle luko; en Kiluba di-oyo; en Kiswahili j'entends toujours dire matingitingi, mais je ne sais pas si c'est du Kiswahili pur. Quand je demandais la signification du mot Bashila, on me répondait que "ce sont des hommes qui ont une pirogue et une rame et qui vont pêcher sur le lac". On ajoutait même: "quand un Muzela (un homme de l'intérieur, de l'ouest du lac) vient ici, il devient un Mushila à partir du moment où il s'est procuré une pirogue et qu'il va à la pêche. Ainsi apparaîtrait que le nom "Mushila" est plutôt un nom de métier que de tribu. Les Bashila n'ont pour ainsi dire pas d'histoire. C'est un mélange de groupements d'hommes, qui, au courant du 19e siècle, sont venus de toutes les directions vers le lac, et qui ont continué à vivre indépendamment les uns des autres. On rencontre parmi eux des purs Babemba, des Baluba, Bazela, Bayeke, Waswahili et même quelques Alunda. Les Bashila ne forment donc pas une vraie tribu.

Dans des notices de Blancs, j'ai une fois lu l'explication suivante de ce mot: "Le long des bords du lac, dans l'eau peu profonde, pousse une espèce d'arbre aquatique, qu'on appelle ma-shila; un arbre au bois très léger, dans lequel on découpe des flottes pour maintenir les filets sur l'eau". Certains croient devoir chercher un lien entre ces arbres aquatiques et les Bashila, qui habitent aussi les rives ou qui sont souvent sur l'eau. J'ai demandé aux Noirs ce qu'ils pensaient de cette explication. Ils m'ont dit qu'elle était fausse.

Encore une autre hypothèse. Autrefois, et peut-être encore à présent ici et là, quand un homme partait au lac, on traçait un trait autour de sa case; sa femme ne pouvait pas quitter ce cercle jusqu'à son retour. Elle ne pouvait pas bavarder avec d'autres hommes et encore moins avoir un contact charnel avec eux, sinon son mari serait exposé au danger de mort. Eh bien, kushila signifie "tracer un trait". Le nom des Bashila est-il en rapport avec cela?

Les Bashila ne parlent pas le Kiluba; leur langue est le Kishila, ui ressemble en prépondérance au Kibemba influencé par le Kiluba. Le Kishila perd actuellement de plus en plus du terrain à l'avantage du Kibemba.

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5. Devinettes au Moyen-Katanga (1938)

Nous communiquons ici les données que nous avons rassemblées concernant les devinettes au Moyen-Katanga.

La région envisagée s'étend des environs de Kamina, par le Lac Kisale, jusqu'au Lac Mwelu (Moëro). Les Baluba y habitent sur les deux rives du Lualaba; les Bashila sur la rive occidentale du Lac Mwelu; les Bazela entre les Bashila et les Baluba. Ces derniers parlent le Kiluba, les Bashila parlent généralement le Kibemba. Nous traitons des devinettes de ces trois groupements de peuples.

Nous devons d'abord faire la remarque que ni les Baluba, ni les Bazela ni les Bashila n'ont, dans leur langue, réservé un terme spécifique pour "la devinette". Le plus souvent, pour indiquer une devinette, on utilise indistinctement une série de termes qui signifient aussi bien un proverbe, une devinette et même parfois une fable. Il y a toutefois des termes qui signifient exclusivement "devinette": chez les Baluba à l'est du Lualaba, le mot conko ou cinki; chez les Bazela: kipuzyo et kiconeko; chez les Bashila: kiconeko [22].

Comment le jeu de devinettes se déroule-t-il chez les Noirs de ces régions?

Un des enfants d'un groupe pose rapidement, coup sur coup, toute une série de devinettes, jusqu'au moment où son camarade ne trouve plus la réponse et doit commencer à interroger à son tour.

Dans toute la région du Lualaba jusqu'au Lac Mwelu, il existe encore la particularité qu'on crie avant chaque question: coo! Celui qui veut répondre, crie à son tour: cinka! (Au Lac Mwelu on répond: cirika!). Ensuite, la devinette est proposée et résolue, et le tournoi de devinettes se déroule ainsi:

Coo! Rép. Cinka! Devinette... solution.
Coo! Rép. Cinka! Devinette... solution.

Comme devinette nous prenons une question de quelques mots, pour laquelle un deuxième doit trouver la réponse ou la solution. Nous n'envisageons donc pas les sentences qui sont alléguées par une seule personne.

Ainsi, si nous recueillons toutes les soi-disant devinettes que nous entendons réellement citées par les Noirs dans leurs jeux de devinettes, nous croyons pouvoir les diviser en trois catégories:

A. Des sentences incomplètes;
B. Des devinettes rythmiques;
C. Des énigmes proprement dites (suivant notre conception).

A. Sentences incomplètes

Les Noirs possèdent un trésor riche, inépuisable de locutions figées; le langage des anciens surtout est entrelacé de maximes énigmatiques.

Un grand nombre de ces sentences sont bipartites et il arrive souvent qu'on énonce uniquement la première partie d'une sentence bipartite, la deuxième, connue par tous les assistants, est alors seulement pensée. D'autres fois cette seconde partie est ajoutée, en coeur, par les assistants.

Quand on demande aux anciens s'il s'agit ici d'une devinette, ils répondent décidément non; il s'agit d'une sentence et ce sont des gamineries de proposer de telles choses comme des devinettes. La réponse est d'ailleurs trop facile; elle consiste uniquement à compléter une sentence connue universellement.

Mais des gamineries, qui apparaissent souvent, créent aussi des coutumes, et puisque ces sentences incomplètes - ou à compléter - se présentent de fait dans les jeux de devinettes, on peut bien les ranger dans les catégories de devinettes, qu'on entend da la bouche des Noirs.

Ainsi les Bashila disent:

Pali icatunke
Kuli muswema tawibutúkila

Où quelque chose l'encourage
Là un garçon ne s'enfuit pas.

C'est-à-dire, quand un grand frère s'apprête à l'aider, un petit garçon ose injurier un plus âgé.

Quand on utilise ce dicton comme devinette, la question sera: Pali icatunke... Où quelque chose l'encourage: la réponse: Kuli muswema tawibutúkila... Là un garçon ne s'enfuit pas.

La version kiluba de ce dicton sonne:

Mwanuke katukana kuulu
Munshi mudi múkulu

Un petit garçon injurie d'en haut (d'un arbre par exemple)
En bas il y en a un grand.

Quand un petit garçon a le courage d'injurier un plus âgé, on peut être sûr qu'il y a quelque part un grand qui est caché, prêt à aider le petit. Nous avons entendu proposer aussi ce dicton avec comme question: Mwanuke katukana kuulu... et comme réponse: Munshi mudi múkulu.

Voici encore quelques autres exemples de dictons qui sont aussi utilisés comme devinettes:

Badya ngwena baseka;
Ngwena akadye mwana muntu, badila.

Ceux qui mangent un crocodile rient;
Mais quand le crocodile mange un enfant de l'homme, ils pleurent (les hommes).

Maintenant vous riez sans souci, mais attention, le malheur peut encore vous frapper! Dans la devinette la question propose: Bady ngwena baseka, le reste sert de solution.

Kayo ká nkuti,
Kokenda na mana, kokaya na mana.

D'un côté la trace d'un ramier s'avance par les doigts du pied
De l'autre côté, elle retourne par les doigts du pied.

A la patte d'un pigeon, trois doigts sont tournés en avant, un doigt en arrière. - Quelqu'un qui a de mauvaises intentions se présente la bouche pleine de belles paroles, mais derrière cette amabilité il cache son unique intention: son plan méchant. On ne peut pas se laisser abuser par des témoignages extérieurs, abondants; on doit fixer uniquement son attention sur cette seule chose secrète cachée derrière l'amabilité (c'est cet unique doigt tourné en arrière).

La devinette se présente ainsi:

Q. Kayo ká nkuti
R. Kokenda na mana, kokaya na mana.


B. Devinettes rythmiques

Dans certaines devinettes le sens de la question ne semble pas donner la moindre indication pour trouver la solution. On ne trouve pas un point de comparaison et les Noirs aussi ne peuvent pas dire, pourquoi cette question-là leur suggère telle réponse déterminée.

Dans d'autres cas, la question même ne semble pas du tout avoir de signification et elle ne consiste qu'en une suite de sons, et pourtant, tous connaissent l'unique réponse correcte.

Palata pálata, est une devinette kiluba; la réponse:
Lwayo kamweka búfuku.
(Palata pálata... La trace n'est pas visible la nuit).

Palata paláta,ainsi on présente une deuxième question, avec comme réponse:
Lwayo kamweka pa mála
(Palata paláta... La trace n'est pas visible sur le rocher).

Dans ces deux exemples on voit clairement que c'est uniquement le glissement du ton qui donne lieu à une réponse différente. Dans la première question on a pálata, dans la deuxième paláta.

On aura remarqué également que dans les deux devinettes le rythme de la question et de la réponse s'accorde:

Palata pálata Palata paláta
... kamweka búfuku ...kamweka pa mála

Le sujet lwaya ne compte pas dans l'accord du rythme, mais il est placé au début comme un élément nécessaire de la phrase.

Il y a d'autres devinettes dont la question a bien un sens, mais alors un sens qui ne semble avoir que peu ou pas de rapport avec la signification de la solution. Comme exemple cette devinette kiluba:

Q. Kashinda kunkunku ne kwa Umpungu Lenge.
R. Bakutumine tombolwe, abe kokaleta kyadi.

Q. Un petit sentier qui se prolonge jusqu'à Umpungu Lenge (et s'arrête là).
R. On vous a envoyé chercher un coq, alors n'apporte pas une poule.

Concernant de pareilles devinettes, où nous n'arrivons pas à trouver de rapport entre la question et la réponse, nous avons souvent demandé: "Mais comment connaissez-vous la solution, si vous ne comprenez même pas la question?" La réponse se réduisait chaque fois à ceci: "C'est une devinette! C'est ainsi, voilà tout". Jusqu'à ce que, enfin, un de nos séminaristes nous donne la réponse; Nous connaissons la réponse par l'accord des sons", et par quelques exemples il était clair qu'il visait le rythme.

Ce même séminariste y ajoutait que chez lui, chez les Baluba du Lualaba, on doit chercher la solution de la plupart des devinettes dans le rythme de la question et non pas dans son sens.

Cette explication pourrait peut-être manifester un aspect plus rationnel et plus intéressant dans beaucoup de devinettes qu'on estimait jusqu'à présent être stupides et privées sens, et, aussi dans d'autres régions du Congo, on doit sans doute chercher dans leur rythme et non pas exclusivement dans le sens, l'importance de certaines devinettes.

Voici encore quelques devinettes rythmiques:


Q. Kashibi mú saka.
R. Moyanga bantumbi míkila.

Q. Un petit pot sur le toit.
R. Les souris y lavent leur queue.

L'accord du rythme commence par bantumbi.

Q. Conconkendé conconconkedénde.
R. Kibayo wa nkuvu kasendwa mikánda.
Q. Co... etc.
R. On ne peut couper en bandes le bouclier de la tortue.
Q. Papápala.
R. Twakóile ne bakwetu... memá noto.
Q. Papápala

R. Moi et mes camarades nous allions nager... l'eau était pleine de boue.

L'accord du rythme: Papápala... memá ntoto.

Q. Nkinkídi kidiba.
R. Mbwa wibyaa kuulu kenyáa kuboko.
Q. Nkindíki...

R. Le chien se gratte les pattes, non pas son bras.

(Avec ses pattes de derrière, il peut se gratter les pattes de devant, mais pas ses pattes de derrière). L'accord du rythme: Nkindíki kidiba... Kenyáa kuboko.

Q. Kishiki mwíbulu.
R. Mamwenepo... kishiki ná ntapo.

Q. Un tronc d'arbre sur la plaine devant la case du chef.
R. Coupez-vous jamais un tronc d'arbre avec tatouage?

Chez les Baluba on ne peut pas circuler librement sur cette plaine. On croit y voir quelqu'un et on demande: "Qu'est-ce que c'était là?" Si on veut vous faire croire que c'est un tronc d'arbre que vous avez vu, vous savez bien que cet homme ment et vous lui dites: "Coupez-vous jamais un tronc d'arbre avec du tatouage? Ce que je voyais, était tatoué (c'était bien un homme)".

Q. Nsengo pa kuyulu tébatéba.
R. Bali bankasampe kebabulwe léka léka.

Q.Des cornes qui se dressent sur une termitière.
R. Il y a là des gamins, ils ne peuvent pas rester tranquilles.

Des gamins ne peuvent pas se tenir tranquilles.

Les exemples Kiluba de devinettes rythmiques proviennent des Baluba et des Bazela. Chez les Bashila cette espèce de devinettes semble moins fréquente. Voici tout de même quelques exemples:

Q. Kalindi kamposhónga.
R. Pita kule wintonénka.

Q. Un puit grand ouvert.
R. Garez-vous pour ne pas vous faire du mal (en tombant dedans).
Q. Pose nsono kwishília.
R. Ulase noko kwibéle.

Q. Jette un caillou sur l'autre bord.
R. Vous frappez votre mère sur la poitrine.

C. Enigmes proprement dites (suivant notre conception).

Ici on n'a pas besoin d'explication. Dans les devinettes rythmiques, l'énigme consistait dans le rythme; dans cette troisième catégorie, elle consiste dans la signification de la question. Le mot de l'énigme se laisse deviner à partir du sens de la question. Par exemple cette énigme des Bashila:

Q. Nganda yabulo mwinshi.
R. Liyai.

Q. Une maison sans porte.
R. L'oeuf.

Et cette autre:

Q. Wa mukonzo umo.
R. Bowa.
Q. Avec une seule patte.

R. Le champignon.
Q. Koni kalalika pa mulalingi.
R. Ninda.

Q. Un oiseau qui siffle au sommet d'un arbre.
R. C'est le pou (sur un seul cheveu).
Q. Mwanda wapyata Lesa.
R. Nsoka.
Q. Une corde faite par Dieu.
R. Un serpent.
Q. Kalimo kalibomba.
R. Lipala.
Q. Un travail qui progresse par soi-même.
R. La calvitie.

Encore quelques exemples kiluba:

Q. Ntando watema, bashala enka babidi bemene.
R. Matwi.

Q. La brousse est brûlée, seules deux (choses) restent (dressées) debout.
R. Les oreilles (après qu'on a rasé la tête de quelqu'un).
Q. Kadilo katema pa mulu.
R. Katema mu mpala ya ngee.

Q. Un petit feu qui brûle sur la hauteur (sur le sol).
R. Cela brûle dans la tête du léopard (ses yeux qui brillent dans l'obscurité).

N.B. - Pour la clarté, nous avons précisément cherché les devinettes de chaque catégorie qui appartiennent uniquement à la première, la deuxième ou la troisième catégorie. Pareilles devinettes sont plutôt rares. Une "sentence incomplète" est souvent rythmique et fait alors aussi partie des "devinettes rythmiques". Parfois les devinettes rythmiques suggèrent aussi la solution, par leur sens et se rattachent ainsi à la troisième catégorie, celle des "énigmes proprement dites".

Nous nous tromperions en croyant que l'on peut classer tout le trésor des devinettes des Noirs en trois catégories bien distinctes. Ce qui est certain, c'est que les trois catégories existent et que les devinettes peuvent être rangées dans un de ces groupes; mais, souvent, elles présentent en même temps des caractéristiques de deux catégories et appartiennent donc aussi bien à l'une qu'à l'autre. Pour ne citer qu'un seul exemple:

Q. Ami mwine kunso.
R. Ngoma yami konzi.

Q. Ce n'est pas moi que vous aimez.
R. Mon tam-tam pour votre danse (c'est lui seul que vous désirez).

Comme on peut le voir, cette sentence des Bazela appartient à la première et à la deuxième catégorie; en tant que devinette elle est une sentence incomplète et en même temps une devinette rythmique

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6. Classement des devinettes par thèmes [23]

Nous proposons ici un choix tiré d'un recueil de plus de 1500 devinettes que nous avons notées à Lukonzolwa et à Kilwa, sur la côte occidentale du lac Mwelu.

Puisque les riverains du lac sont régulièrement en contact avec les gens de l'intérieur, on peut dire que la plupart de ces devinettes forment un héritage commun des Bashila, des Bazela, des Bakatsha et des Bakunda, quatre groupements de peuples qui habitent ensemble une région de près de cent km...

Ces quatre groupements de peuples parlent un mélange de kiluba et de kibemba, chaque tribu ayant ses différences et ses particularités locales... Bien entendu, les devinettes ont été notées à l'ouïe, telles qu'on les proposait. Il sera donc inutile de vouloir y trouver du kiluba ou du kibemba à l'état pur. Les spécialistes du kiluba et du kibemba y trouveront de nombreuses inexactitudes et irrégularités. Mais j'estime que ce recueil ne doit pas être considéré principalement comme une étude de langues, mais plutôt comme un fragment de littérature orale nègre, qui peut nous apprendre, à sa façon, la mentalité et le tempérament des groupements de peuples qui forment la transition entre deux peuples puissants: les Baluba et les Babemba.

En effet, dans ses devinettes comme dans ses fables et ses proverbes, le Noir nous livre inconsciemment une image naturelle, fidèle et authentique de ce qu'il est et de ce qu'il pense intimement.

Chaque devinette est une sorte d'instantané, vu par l'oeil du Noir lui même, et ainsi ces quelques 1500 devinettes, classées par thèmes, nous montreront le Noir de cette région comme il se voit lui même, comme il se sait assis près de sa case, en marche autour d'elle, dans son village, ou en route par les sentiers sans fin de son pays.

I. Partie

1. L'Africain. Son apparition extérieure. Son corps. Ses besoins corporels.
2. La case et le village. Les occupations domestiques. Le mobilier. Ce qu'on trouve dans le village.
3. Des devinettes sur différents objets.

II. Partie

1. La brousse.
2. Les rivières.
3. Les plantes.
4. Les animaux.
5.Les phénomènes de la nature.

III. Partie

1. Les coutumes. Les proverbes. La sagesse nègre.
2. Le monde invisible.
3. Des anomalies et des devinettes rythmiques".

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7. Les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé
Texte inédit du Père Placide Tempels, ofm
Introduction et traduction par A.J. Smet CP


Introduction

Le texte inédit: "Trommeltoon en spreektoon" (Les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé), que nous présentons ici en traduction française, à l’occasion du "Centenaire de la naissance du Père Placide Tempels (1906-1977)", porte la date: "Kamina, 8-7-43". Ce texte n’a pas été publié jusqu’à présent, mais il a occasionné le début de la Correspondance entre le Père Tempels et le Père Gustaaf Hulstaert, msc, rédacteur en chef de la revue Aequatoria.

A l’occasion du quarantième anniversaire de la parution du livre si controversé du Père Tempels: La Philosophie Bantoue (1ère traduction française: Elisabethville, 1945), le Père François Bontinck, Scheutiste, a édité cette correspondance sous le titre: Aux origines de la philosophie bantoue, La correspondance Tempels-Hulstaert (1944-48), traduite du néerlandais et annotée, Bibliothèque du CERA, (Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1985, 289 p. Nous citerons ici des extraits des quatre premières lettres, traduites par Bontinck, p.9-24).

Dans sa première lettre de Kamina, le 14 janvier 1944, le Père Tempels s’adresse au Père Hulstaert comme suit: «Monsieur Possoz m’écrit que vous attendez un mot de ma part en vue de publier des extraits des lettres échangées entre vous, lui-même, le P. Van Caeneghem et moi». [Bontinck en note: «Dans sa lettre d’Inongo, 18 septembre 1943, Possoz avait informé Tempels: "Le P. Hulstaert attend votre lettre avec grand intérêt. Toute cette correspondance sur les tons devrait être publiée"»].
Tempels poursuit: «J’ai seulement écrit sur la différence existant entre les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé: une note constatant simplement ce fait en ce qui concerne le kiluba».
Le Père Hulstaert de son côté écrit le 21 janvier 1944: «J’ai reçu de M. Possoz une note, signée par vous, sur la mentalité nègre. Toutefois, elle me paraît un extrait de correspondance; c’est ce que suggèrent le début du texte et la fin. A savoir: "La synthèse de la spiritualité indigène et la synthèse de l’instruction chrétienne adaptée? Vous pouvez me reprocher de ne
pas encore l’avoir trouvée. Il est louable de chercher". Et la fin: "le jour où vous aurez trouvé une concordance entre notre philosophie... et les conceptions nègres...", etc.

Un deuxième point. J’ai reçu en outre de Possoz un morceau Epistolaria, à savoir des réflexions de votre part sur le tshiluba-kiluba et sur les tons, et les réponses du P. Van Caeneghem à ce sujet... Que pensez- vous de leur publication? Voulez- vous y ajouter quelque chose? Voulez-vous développer davantage votre point de vue?»

Le 27 mars 1944, le P. Tempels répond: «Nos lettres se sont croisées. La mienne était expédiée avant que je reçoive la vôtre. Pour prévenir des méprises, voici encore une fois où en sont les choses:

1) sur la comparaison du tshiluba avec le kiluba, je n’ai rien écrit; donc rien n’est à publier de moi [Bontinck en note: "de la lettre de Possoz, le P. Hulstaert avait déduit que les réflexions sur le tshiluba (du Kasaï) et du kiluba (du Katanga) avaient été rédigées par le Père Tempels. Celui-ci rectifie la méprise"];

2) quant aux tons, j’ai écrit une note dans laquelle il est question de différence existant entre le langage tambouriné et le langage parlé et du nombre des tons dans le kiluba. Le P. Ernest a développé cette note et vous l’a envoyée";

3) j’ai écrit un petit mot à Possoz - qui vous l’a transmis directement - au sujet de l’idée fondamentale de l’ontologie nègre...»

Aussi Hulstaert y revient: Bokote, le 13 mai 1944: «... Du P. Van Avermaet j’ai reçu l’étude sur les rapports entre le langage tambouriné et le langage parlé. Je crois qu’elle soulèvera de la poussière! Tant mieux; ainsi la question sera étudiée à fond. En tout cas, ici chez les Mongo et les ethnies apparentées, comme aussi en Afrique Equatoriale Française, d’après ce qu’a constaté le gouverneur Eboué, les deux tonétiques sont les mêmes. Cela donnerait de nouveau une nette distinction entre les Bantu du Sud d’une part et les Bantu du Nord et les Soudanais de l’autre.

Cher Père Placidus, je compte donc sur votre collaboration ultérieure. Surtout cette question catéchèse-ontologie n’a pratiquement pas été touchée et pourtant elle est de la plus grande importance...»

Ainsi disparaît de la correspondance Trommeltoon en Spreektoon. Sans nul doute, le P. Tempels a préféré de faire imprimer, dans Aequatoria (7 (1944), p.143-151), son article: Moeten we op zoek naar een bantu-Filosofie? paru, plus tard, en traduction française: A la trace d’une philosophie bantoue (dans Bulletin des juridictions indigènes 13 (1945) p.123-129), pour devenir le premier chapitre de l’édition sous forme de livre: La Philosophie Bantoue (Elisabethville, Lovania, 1945). L’article sur les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé ne semble plus avoir intéressé le Père Tempels.

Le 9 février 1980, j’ai accompagné le Chanoine Plevoets en visite chez Mgr Songa-Songa, évêque de Kolwezi. Grâce à Monseigneur, j’ai eu accès à des documents du P. Tempels conservés dans les archives de la paroisse minière de Musunoi, près de Kolwezi. Il s’agissait surtout de quelques lettres se rapportant à La Philosophie bantoue conservées dans une couverture in- f° de couleur jaune-brune. En plus, il y avait un document d’un texte douteux, comprenant 3 p. in-4° sous le titre: Trommeltoon en spreektoon (cfr A.J. SMET, Les débuts de la controverse autour de "La philosophie bantoue" du P. Tempels, Quelques lettres inédites, in Revue Africaine de Théologie, 1981, p.169). De ce texte, j’avais donné une copie au P. Hubert Labaere. Je l’ai retrouvé, après sa mort, parmi ses documents.

Nous publions ici, en traduction française, ce texte oublié de Tempels, qui a occasionné, il y a presque 60 ans, une correspondance suivie entre deux missionnaires qui, dans cette correspondance, ne se sont pas vraiment rencontrés.


Les tons du langage tambouriné
et les tons du langage parlé - Kamina, 8 juillet 1943

On a donné, je crois, l'explication suivante de la transmise de messages par l’intermédiaire de tambours: "Les langues bantu sont des langues à tons, et sur le tambour on frappe tout simplement les tons du langage parlé. Puisque les tons ont leur service sémantique de donner aux mots leur signification spéciale, il suffit pour les Bantu d’entendre les tons d’un mot et certainement d’un proverbe (énigme), pour reconnaître le mot, et certainement l’énigme".

On pourrait en conclure, et on en a peut-être conclu, que pour connaître les tons d’un mot, on ne sait faire mieux que de faire frapper les mots sur le tambour. Le système serait en effet facile. Plus d’erreur possible, on n’a qu’à enregistrer: "bas, haut, haut, bas, bas". On a même voulu "mettre la chose à l’épreuve", afin de prouver la solidité et l’exactitude du système. On prenait, par le tambour transmetteur, les tons d’une liste de mots et ensuite celui qui les avait enregistrés prenait à son tour le tambour, frappait un mot déterminé, et les Noirs savaient dire quel mots on frappait!

Nous pensions que maintenant tout était résolu. Et nous croyions appliquer le système sur la conjugaison des verbes en kiluba.. Là, il y a en effet des formes de verbes, identiques au point de vue d’orthographe, mais avec des
significations différentes d’après la hauteur des tons. Mais, il apparut d’emblée:

1) que le ton du tambour différait parfois du ton parlé,
2) que, suivant que les Noirs faisaient remarquer, sur le tambour pas toutes les nuances des tons parlés pouvaient être      rendues.

Je parlais avec M. Possoz de cette constatation "inopportune". Un de ses employés, originaire de la région du Tanganika, disait immédiatement que chez lui aussi il y a une différence entre les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé. Possoz écrivait alors au P. Hulstaert. Celui-ci ne pouvait pas trouver, dans sa région, une différence entre les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé. On lui demandait d’écrire clairement sur ce cas, et, si possible, de donner des preuves et des exemples.

Voici donc:
1) Une réflexion, qui surgit spontanément, APRES que les Noirs nous ont mis sur la voie;
2) L’affirmation des Noirs eux-mêmes;
3) Des exemples.

I. Une réflexion
Pour le tshiluba (Kasaï) on donne cinq tons: haut-bas-montant-descendantmoyen. Dans le kiluba (région Maro-Bukama-Kindu) nous retrouvons les mêmes cinq tons, avec en plus, "pour le faciliter" encore un demi-tondescendant, de haut vers le ton-moyen, et, en quelques cas (dans la conjugaison du verbe) un ton très haut. Or, sur le tambour il n’y a que deux tons... Comment alors tambouriner ces tons?

II. Voici les mots propres des Noirs
1) Les tons du tambour et ceux du langage parlé diffèrent.
2) Quand nous demandions: "bat une fois au tambour le "temps-longtempspassé" de ce verbe..." le tambourineur nous      disait:  "Je ne le sait pas, comment voulez-vous que j’imite au tambour la flexion de notre voix?"
3) Quand nous parlons, nous parlons (plions) notre voix tout à fait comme nous voulons, mais au tambour il n’y a que      deux  moitiés, deux tons.
4) Certains mots, nous ne pouvons les battre au tambour, par exemple mwâna, mwánètù, mulúndà,
     mulozi, kyondo, kóya, Sèngelwa.
5) Pour rappeler quelqu’un des champs au village (avec le tambour), nous crions (tambourinons) son nom et celui de      sa mère,  mais... si le nom de sa mère ne convient pas (kediendelapo pa kyondo), nous tambourinons celui
     de son père.


III. Exemples

Nous ne tambourinons que des formules étalonnées, connues par tout le monde comme des dictons utilisés constamment, et alors aussi immédiatement reconnaissables par les tons. Rendre par le tambour des simples phrases parlées, ne va pas.

1. Pour appeler: Numbi fils de Monga:
Kyàmúlùndùlà Nùmbì,
Númbí wá Móngà (ton tambouriné)
Kyàmûlùndùlà Nùmbì,
Nùmbì wà Móngà (ton parlé)
Pour qu’il arrive vite, on y ajoute:
Iyà lúbíló wìtábè (ton tambouriné)
Iya lubilo wìtábè (ton parlé)

2. Pour appeler quelqu’un de très loin:
Mùntù wábúlwá tùnángú wìfwánà ngùlùwè;
nábúlwé mùntù wá kútùmá, nàtúmé
kìlàmbà làmbà kyá mùsí (ton tambouriné)
Muntu wábùlwa túnàngù wìfwàna nguluwe;
nábùlwe muntu wa kútùmá, nátùme
kilamba lamba kyà músí (ton parlé )

Traduction: Celui qui n’a pas de pensée (d’intelligence, d’attention), est comme un porc. Quand je n’ai pas une personne pour l’envoyer, j’envoie un morceau d’arbre couché au sol (tambour)

3. Le soir, pour dire qu’il est temps de se coucher, et qu’on désire le silence dans le village:
Bùbáìlé, bùbáìlé bù Ngòi yà Màlèmbà.
Mùntù pándí, mùntù pándí. Wàkápìtá,
pà múkwàbò wábíngwà mwàndà (ton tambouriné)
Bùbáìlé, bùbáìlé bù Ngòi yà Màlèmbà.
Muntu pàndì, muntu pàndì. Wàkápìtá,
pà múkwabo wàbíngwa mwándà (ton parlé)

Traduction: C’est le soir, c’est le soir (la nuit) de Ngoi des nuages. Chacun chez soi (à la maison), chacun chez soi; qui va chez son voisin (et il y aurait querelle), sera mis dans son tort.

Ces données suffiront pour faire comprendre ce que nous avons expérimenté pour les tons du langage tambouriné et les tons du langage parlé en kiluba.
On ne demandait qu’une description plus détaillée de ce fait nouveau, poursavoir précisément ce qui, pour d’autres langues est peut-être à rechercher et à découvrir.
Il est impossible de donner des raisons correctes, des principes fixes et des règles générales concernant ces tons tambourinés. Que les spécialistes des 5 langues recherchent d’abord pour les autres langues bantu l’accord et les
différences des tons du langage tambouriné et du langage parlé.

Je crois, toutefois, que pour le kiluba, on pourrait dire ce qui suit:

1) La thèse "le langage tambouriné ne fait que rendre les tons du langage parlé", est incorrecte. On peut bien dire que le langage parlé et le langage tambouriné sont des langages à tons.

2) On doit peut-être dire, que le langage tambouriné est une imitation, un rendu approximatif ou imparfait du langage parlé? Si, du langage parlé on devait uniquement frapper sur le tambour les tons: haut-bas en supprimant
les tons montant-descendant-moyen, on pourrait parler "d’un rendu imparfait". Mais puisque toutes les syllabes sont battues au tambour, on est bien obligé de battre sur un tambour à deux tons, à la place des tons montant-descendant-moyen, des tons haut ou bas, donc des tons incorrects. Bien entendu, dans le cas où l’on veut imiter avec le tambour le langage parlé.

3) Mais... en réalité, les tons du langage tambouriné sont souvent opposés aux tons du langage parlé. Voir les exemples. Un ton bas du langage parlé devient un ton haut du langage tambouriné et vice versa. Les Noirs euxmêmes
disent ici que les tons du langage tambouriné diffèrent des tons du langage parlé.

4) Puisqu’on ne bat sur le tambour que des phrases, des formules et des dictons stéréotypés, ne devrait-on alors supposer que les sentences ont des tons propres, différents de ceux de la langue parlée? Par contre, il y a le fait qu’on donne les mêmes dictons avec le langage tambouriné et le langage parlé.

5) Le système d’enregistrer les tons du langage parlé moyennant le langage tambouriné doit être abandonné. Il reste incomplet = erroné, même si le tambourineur essaye de rendre les tons du langage parlé. Mais, s’il y a quand même des tons différents pour le langage tambouriné et le langage parlé, le danger existe que le tambourineur frappe spontanément le ton du tambour. Et alors il n’aide pas de mettre la chose à l’épreuve en frappant soi-même un mot, et de faire dire par le Noir quel mot on a frappé. Cela pourrait peut-être uniquement prouver qu’on a correctement enregistré le "ton du langage tambouriné", mais cela ne démontre pas nécessairement
qu’on a enregistré le "ton du langage parlé".


***

Postscriptum de A. Smet

Afin d’évaluer l’importance du point de vue du Père Tempels, nous ajoutons ici deux extraits d’autres études de ce temps présentées par le rédacteur (lebaere) dans postoralia 1971, vii, 2, blz 16,17 en 18.

[1] Mgr J. Hagendorens CP, Grammaire tetela (manuscrit, 1950, p.22-23); cfr Pastoralia, Wezembeek-Oppem, VII, n°2, 1971, p.16-17.

"L’instrument réellement "sémantique" est le lokombé. C’est un gong en forme de coin rectangulaire, s’aplatissant et s’élargissant vers le haut où est l’ouverture qui s’étend sur presque toute la longueur... 6

On le bat généralement des deux bras, au moyen de deux mailloches, dont le bout renflé de caoutchouc la droite frappant le côté droit (leéké lóómí), la gauche frappant le côté gauche (loéké láwáádí)...

Chaque côté a trois tons: le kété (ton haut que donne le bas du lokombé), le denda (ton bas donné par le haut du lokombé). Cela fait six tons. On pourrait encore y ajouter un 7e , employé par les artistes au lokombé pour donner une croche, par ex. le premier ton(bref) dans l’élision. Les coups donnés sur les lèvres du lokombé pat l’envers d’une mailloche ne sont pas des tons, ils ne servent qu’à entretenir la cadence surtout pendant une transition.

Comptons donc six tons (excepté sur le lokombé lácúlé, assez rare, qui n'a que quatre tons). Les trois tons de chaque côté se valent deux à deux en hauteur, naturellement avec quelque différence qui rehausse d'ailleurs la beauté de l'harmonie; un même ton peut donc être donné des deux côtés.

Le tambour novice devra se contenter de ne battre que le denda (ton haut) et le dikímí (ton bas). Mais il tâchera de se servir aussi du kété, employé généralement pour finir le mot ou la proposition au ton haut, parfois pour commencer un mot ou une proposition au ton haut.

En fait, il n'y a que deux tons essentiels, les deux kété n’étant pas nécessaires et les doublets du denda et du dikímí ne servant qu’à l'harmonie ou la rapidité de l’émission.
Rares sont les tambours qui ne savent pas, plus ou moins heureusement, employer toute la gamme...

Le lokombé d'une région est-il compris dans d'autres? En principe oui. Celui de Tshumbé peut donc se faire comprendre à Lodja et à Katako. En effet, sa langue est la langue
parlée; il peut rendre toute syllabe et par conséquent tout mot, tout verbe avec ses infixes, préfixes et suffixes. Il n’y a donc pas question de télépathie, ni d' une convention arbitraire, mais bien d’une langue complète. Il ne rend cependant pas les phonèmes ni un consonnant.

Ce dernier point indique que la langue du tambour n'est pas tout à fait celle de la conversation, de la voix articu1ée. Il y a plus. Il y a quelques formes archaïques, quelques mots disparus ailleurs qu' au lokombé. Il y a surtout des circonlocutions ou descriptions nécessaires pour faire comprendre un mot susceptible d'être confondu avec un autre. Il y a des constructions poétiques, des idiotismes résultant du milieu (noms des chefs etc.)
parfois de la région (forêt, fleuve). De plus, certains objets ou actions sont annoncées par des locutions stéréotypiques. Ainsi on dira d'une chèvre: vódí yányúkólá ókótó, la petite chèvre qui renverse l’étable... le chien fort rompeur des liens; et ... de l’éléphant qui t'effraie de sa trompe."


[2] Les tons émis par le tambour-signal sont ils les mêmes que ceux de la langue parlée? Cfr J. Jacobs, dans Kongo-Overzee XX, 1954, (dit citaat komt uit pastoralia 1971, blz 18).

p.81: "Quant aux messages communiqués par ces instruments (tambour-signal, tambour cylindrique, cloche métallique double, sifflet, cor), ils sont en rapport étroit avec le système tonologique de la langue. Les tons émis sont ceux du mot que l'on veut transmettre".

p.82: "La langue tambouriné est une forme littéraire, avec un caractère stylistique particulier. Du point de vue grammatical son importance est due au fait que nous y rencontrons des anciens mots et d'anciennes formes qui ne sont plus employées dans le langage courant; en plus de ces éléments lexicologiques et morphologiques, la langue
tambouriné nous fournit du matérial phonétique historique" (Pastoralia, ibidem, p.18).

En contrôlant les textes tambourinés publiés par J. Jacobs dans Kongo-Overzee, 1954, pp.410- 422 et 1959, pp.92-110 on constate une différence de tons entre la mélodie tambourinée et celle parlée surtout dans les formes verbales. Dans le texte tambouriné une racine verbale 7 étymologiquement basse n’est pas rehaussée après un morphème haut, comme c' est le cas dans la langue parlée. L’influence d’un ton haut précédant sur les préfixes nominaux ne
semble pas différer.

Il en résulte qu’il faudra être prudent quand on se fait aider dans la recherche des tons d'une phrase à l’aide du tambour-signal (Pastoralia, ibidem, p.18).

A.J. Smet, cp., Dr. Prof. Emérite des Facultés Catholiques de Kinshasa


Une première rédaction de cet article a été publiée dans la revue NTE NTEKETE, 2006, n° 21, p.89-101.

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[1] P. TEMPELS, Notre rencontre. Léopoldville, Centre d'Etudes Pastorales, 1962, p.36.

[2] Cfr A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Tempels, in Philosophie et libération, (RPA, 2), Kinshasa,1978, p.331-346, quelques dates: Liederen, 1, p.1 6, 9, 17, 19 33; 11, p.1 4; VIl, p.1; Nkinzi, Spreekwoorden, I, p.9; II, p.1; III, p.1; V, p.11; Nkinzi, Raadsels, A, p.19; B, p.1.

[3] Kongobrieven, extrait cité en néerlandais par L. HANSEN, De literaire nalatenschap van P. Placied Tempels O.F.M., in Franciscana 38 (1983), p.172.

[4] H. DIETERLEN, dans Journal des missions évangéliques 2 (1888), p.175 176, cité par R. ALLlER, Le non civilisé et nous, différence irréductible ou identité foncière, Paris, 1927, p.35; par deux fois, Tempels cite Allier, dans La Philosophie bantoue, Elisabethville, Ed. Lovania, p.9 et 67.

[5] H.A. JUNOD, Le Noir africain comment faut il le juger? in Africa 4 (1931), p.330.

[6] Un dernier texte Trommeltoon en spreektoon (Les tons du langage tambouré et du langage parlé), 3 p. in-4°, "Kamina, 8-7-43", inédit: Archives de la Paroisse Musunoi (Shaba, R.D. du Congo). Nous ne disposons de ce texte (cfr Revue Africaine de Théol. 5 (1981), p.169 et BONTINCK, Aux origines, p.19,n.2.

[7] infra p.1; cfr M. DELAFOSSE, La numération chez les Nègres, in Africa 1 (1928), p.387 390.

[8] Infra, p.9.

[9] Infra, p.11.

[10] Infra, p.14.

[11] Infra, p.16.

[12] Infra, p.25.

[13] Cfr T.06.

Sur les Baluba-Shankadi Cfr S. PEERAER, Enkele benamingen voor het Opperwezen bij de Baluba-Shankaji <Quelques noms de l'Etre Suprême chez les Baluba-Shankadi), in Kongo-Overzee 1 (1934-35), p.20-30 (Praenotanda, p.20-22). - Qu'on veuille bien comparer les données de cet essai sur la numération avec l'article de M. DELAFOSSE, La numération chez les Nègres, dans Africa 1 (1928), p.387-390.

Sur les Baluba-Shankadi, cfr S. PEERAER, a.c., p.20s.; sur les "bakisi", p.33s.

Kalunga semble signifier, comme on peut déduire de certaines expressions: quelque chose qui peut contenir beaucoup; Kalunga bwato, c'est le nom qui est donné, près du lac Kisale, à une grande pirogue ou bwato. Kalunga wa kuya na bantu, l' "insatiable"? à s'en aller avec des hommes; c'est ainsi qu'on appelle l'homme qui après sa mort, fait mourir beaucoup de personnes. - Ainsi quelqu'un (par exemple un chef), qui a fait tuer beaucoup de gens pendant sa vie, peut parfois recevoir ce nom après sa mort.

Kamundilo; mundilo signifie feu.

Nous renvoyons ici aux représentations de l'enfer en néerlandais au moyen âge: H.J.E. ENDEPOLS, Bijdragen tot de eschatologische voorstellingen in de middeleeuwen, in Tijdscrhift voor Nederlandsche Taal- en Letterkunde 28 (1909), p.49-111. - A. BURSSENS, De hel naar een hs. uit de tweede helft van de XV. eeuw, in Vlaamsche Arbeid, dec. (1925), p.385-395. - A. BURSSENS, Dat Boeck vander voirsienicheit godes (Brussel, 1930, N.V. Standaard-Boekhandel), avec une description détaillée de l'enfer suivant un manuscript de ca 1470 (A.Burssens).

Que l'on compare la représentation du monde des Baluba-Shankadi et des Andembo avec celle des Bayombe, décrite par L. BITTREMIEUX dans Mayombisch Idioticon, tome I, Gand, 1923, le terme diyulu, p.147. - Il serait extrêmement intéressant de savoir comment les autres tribus se représentent le monde (A.B.).

P. COLLE, Les Baluba (Congo belge). (Monographies ethnographiques, 10). Préface de Cyr. Van Overbergh. Bruxelles, Dewit, 1913, t.II, p.722.

BRASSEUR, Mouvement géographique, XIV, 1897, p.437, cité par J. MAES et O. BOONE, Les peuplades du Congo belge, Noms et situations géographiques. Bruxelles, 1935, p.164.

Nous avons adapté l'orthographe de l'original en utilisant "c" au lieu de "tsh" (note du traducteur).

TEMPELS, Raadsels uit de Mwelu-streek, p.I-II. Cfr A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Placide Tempels, in Philosophie et libération, (RPA, 2). Kinshasa, FTC, 1978, p.334-337.

[14] Sur les Baluba-Shankadi Cfr S. PEERAER, Enkele benamingen voor het Opperwezen bij de Baluba-Shankaji (Quelques noms de l'Etre Suprême chez les Baluba-Shankadi), in Kongo-Overzee 1 (1934-35), p.20-30 (Praenotanda, p.20-22). - Qu'on veuille bien comparer les données de cet essai sur la numération avec l'article de M. DELAFOSSE, La numération chez les Nègres, dans Africa 1 (1928), p.387-390.

[15] Sur les Baluba-Shankadi, cfr S. PEERAER, a.c., p.20s.; sur les "bakisi", p.33s.

[16] Kalunga semble signifier, comme on peut déduire de certaines expressions: quelque chose qui peut contenir beaucoup; Kalunga bwato, c'est le nom qui est donné, près du lac Kisale, à une grande pirogue ou bwato. Kalunga wa kuya na bantu, l' "insatiable"? à s'en aller avec des hommes; c'est ainsi qu'on appelle l'homme qui après sa mort, fait mourir beaucoup de personnes. - Ainsi quelqu'un (par exemple un chef), qui a fait tuer beaucoup de gens pendant sa vie, peut parfois recevoir ce nom après sa mort.

[17] Kamundilo; mundilo signifie feu.

[18] Nous renvoyons ici aux représentations de l'enfer en néerlandais au moyen âge: H.J.E. ENDEPOLS, Bijdragen tot de eschatologische voorstellingen in de middeleeuwen, in Tijdscrhift voor Nederlandsche Taal- en Letterkunde 28 (1909), p.49-111. - A. BURSSENS, De hel naar een hs. uit de tweede helft van de XV. eeuw, in Vlaamsche Arbeid, dec. (1925), p.385-395. - A. BURSSENS, Dat Boeck vander voirsienicheit godes (Brussel, 1930, N.V. Standaard-Boekhandel), avec une description détaillée de l'enfer suivant un manuscript de ca 1470 (A.Burssens).

[19] Que l'on compare la représentation du monde des Baluba-Shankadi et des Andembo avec celle des Bayombe, décrite par L. BITTREMIEUX dans Mayombisch Idioticon, tome I, Gand, 1923, le terme diyulu, p.147. - Il serait extrêmement intéressant de savoir comment les autres tribus se représentent le monde (A.B.).

[20] P. COLLE, Les Baluba (Congo belge). (Monographies ethnographiques, 10). Préface de Cyr. Van Overbergh. Bruxelles, Dewit, 1913, t.II, p.722.

[21] BRASSEUR, Mouvement géographique, XIV, 1897, p.437, cité par J. MAES et O. BOONE, Les peuplades du Congo belge, Noms et situations géographiques. Bruxelles, 1935, p.164.

[22] Nous avons adapté l'orthographe de l'original en utilisant "c" au lieu de "tsh" (note du traducteur).

[23] TEMPELS, Raadsels uit de Mwelu-streek, p.I-II. Cfr A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Placide Tempels, in Philosophie et libération, (RPA, 2). Kinshasa, F