NOTE SUR LE CONTRAT ENTRE AUGOUARD ET BOLILA DE WANGATA (ÉQUATEUR, R.D. du CONGO) EN 1885: Textes inédits du journal de voyage d'Augouard / Par Honoré VINCK

Paru dans: Annales Aequatoria 1(1981) 121-127

1. LE CONTRAT AVEC BOLILA DE BAKOLI (WANGATA)

 Le Père Augouard (1852 - 1921) accompagné du Père V. Paris (1850 - 1896) arrivait à la station d'Equateurville à Wangata le 29 juillet 1885 sur l'En Avant. C. Van den Plas (1850-1902) et A.M. Masari (1854-1949) étaient aussi à bord. Le 1 août le vapeur continua avec Massari pour la station des Bangala où attendait C. Coquilhat. L'En Avant était de retour à Equateurville le 10 et quitta la station le 12 pour arriver le 19 à Kinshasa (1). Les deux Pères restèrent donc 15 jours à Equateurville. Le Père Augouard tenait un journal qu'il publia sous formes de lettres à son supérieur, dès l'année suivante, dans les "Missions Catholiques" de Lyon. Il y relate les circonstances de l'achat d'un terrain pour la fondation d'une mission catholique. Le texte publié était bien incomplet, principalement concernant le contrat d'achat d'un terrain. Deux pages inédites du journal, conservées dans les Archives des Missions Etrangères à Lyon, s'avèrent fort instructives sur la politique suivie par les responsables de la Station.

Le 31 juillet, Augouard, accompagné de G. Pagels (1855-1897) va inspecter un terrain à 1 km de la Station. Le 2 août, on appelle Bolila, chef de Bakoli (2). Celui-ci viendra le 4 à la Station pour la signature d'un contrat d'achat d'un terrain par le Père Augouard. Ce dernier planta une croix sur le terrain en signe de prise de possession. Il n'y a pas eu de délimitation.

Nous reprenons d'abord le texte même du contact comme il est publié dans les "Missions Catholiques" (3) car l'original n'a pas été retrouvés. Augouard ne mentionne pas l'existence d'un croquis.

CONTRAT

Entre le R.P. Augouard, Supérieur de la Mission Catholique de Stanley Pool, au nom du R.P. Carrie, Vice-Préfet Apostolique du Congo, d'une part,

Et Molira, chef de Makouli, d'autre part.

Article premier. - Le Chef Molira s'engage à céder, en toute propriété et pour toujours, un terrain d'une étendue assez vaste pour y établir une mission, entre son village et celui de Wangata.

Art. 2. - Les limites définitives seront fixées lors de la prise de possession du terrain.

Art. 3. - Les missionnaires seront libres de faire les constructions, plantations, etc., qu'ils jugeront nécessaires, sans que jamais personne puisse les inquiéter.

Art. 4. - Le chef Molira reçoit un cadeau d'une valeur de deux cent cinquante baguettes de laiton, cadeau qui sera augmenté lors de la prise de possession.

Art. 5. - Les missionnaires seront libres de toute redevance.

Fait en double à la station de l'Équateur (Etat libre du Congo), le 4 août 1885.

Le commandant de l'Equateurville:
C. G. Pagels

Sceau de la Station

2. L'EMPLACEMENT DU TERRAIN

Augouard aurait voulu un terrain à l'embouchure de la Ruki, qu'il pensait encore être identique au Kasai. Comme cela se avérait impossible, il va voir, écrit-il, un terrain:

"A un kilomètre environ (hors du poste)…terrain qui ferait parfaitement notre affaire. La qualité du sol me parait excellente et on a une magnifique vue sur le fleuve: on pourra s'étendre du côté de 1'intérieur, mais malheureusement, à droite et à gauche les villages sont bien rapprochés. Je voudrais aller au-delà du second village mais on dit que le terrain est bas et marécageux" (4)

A défaut de croquis, nous devons chercher ailleurs pour préciser l'emplacement de ce terrain. Une excellente source est la carte faite par Vangele en 1884 et publiée en 1888 dans C. Coquilhat, "Sur le Haut Congo" en annexe. Les deux villages en question doivent être Bakoli et Wangata-Ibongo. Il s'agit probablement de "la pointe de Macuoli" que Vangele avait déjà réfusée aux protestants l'année précédente (5). Effectivement on voit sur la carte une bande étroite qui touche à gauche au fleuve entre Bakoli et une possession de l'A.I.A. (6)

3. LE CONTRAT CONTESTÉ

En 1884, sur ordre de Stanley en personne, Vangele devait chercher un terrain pour l'établissement d'une mission protestante à l'Équateur. A ce propos il écrit à Strauch "Les places en amont n'étaient pas possibles à mon avis, car on avait ainsi brisé la ligne ininterrompue jusqu'au Ruki (7)

Une fois Coquilhat de retour, le contrat d'Augouard sera contesté. Au moment où il achetait son terrain à Molira, ni Vangele, ni Coquilhat, n'étaient présents et les responsables sur place ne devaient pas avoir eu les mêmes visées.

C'est ici que s'insèrent les deux pages inédites du journal d'Augouard:

"10- (...) Retour de l'En Avant

11- Dans la soirée, Mr Massari m'appelle pour me faire savoir que le terrain que j'ai acheté au chef Molira appartient à l'Association. Je m'attendais un peu à cela car à plusieurs reprises il m'avait fait comprendre qu'il avait à intervenir dans l'affaire ce que précisément je ne voulais pas, aimant mieux traiter avec les Noirs qu'avec l'association. Le chef de la Station a cherché dans les contrats à propriété et il n'a rien trouve qui permit de croire que ce terrain appartient à l'Association c'est pourquoi j'avais traité avec les Noirs. Mr Coquilhat, chef des-Bangala arrivé avec le vapeur, affirme que le terrain appartient au poste et on veut me faire traiter avec les Blancs, probablement pour me faire payer 10 % et imposer des lois comme aux protestants mais je trouve le procédé étrange et j'en manifeste mon étonnement, l'avertissement arrivant au dernier moment. Il est étonnant que la station qui a une masse de contrats n'ait précisément pas celui qui l'intéresse le plus et que ce serait au premier venu de fixer ses limites. Belle organisation. Bref, mon intention étant d'aller au Ruki plutôt que d'être près de la Station où nous n'avions rien de bon à espérer, je déclare qu'au lieu de m'établir à gauche de Molira je m'établirai à droite mais que je garderai mon contrat avec le chef noir (dans le cas où nous ne puissions rester à l'embouchure du Ruki)"(8).

La contestation du contrat lors du retour de Coquilhat et Massari est d'autant plus étonnante qu'il est contresigné par les deux responsables: Van den Plas, depuis le 1 juillet chef de l'Équateur et de Pagels, chef de la Station d'Equateurville, en qualité de la quelle il a signé le contrat. Il est bien probable que le terrain voulu par Augouard était encore libre, vu l'absence d'un titre de propriété.

Augouard n'est plus revenu pour occuper effectivement le terrain. Peu après, il fondait la mission de Kwamouth, à l'embouchure du Kasai, tout mystère autour du cours de ce dernier étant résolu entretemps par Wisseman. Il ne nous est pas connu que d'autres représentants de l'Eglise catholique l'aient fait plus tard. Quand en 1895 les Trappistes arrivent à Mbandaka, ils cherchent ailleurs et s'installeront à Bamanya, à 10 km de Mbandaka. Ils ne semblent pas connaître le contrat d'Augouard. Plus tard, probablement déjà avant 1903, Wangata sera cité comme chapelle en dépendance de de Boloko wa Nsamba (Bolokowansimba) (9). Il n'est pas certain non plus que le terrain, acheté par Augouard, est exactement au même endroit où plus tard a fonctionné une chapelle-école, mais il ne peut y avoir non plus une grande distance entre les deux.

NOTES

1. Je me suis inspiré pour cette note des publications de Augouard, principalement de: De Brazzaville à 1'Equateur, in "Les Missions Catholiques" 18(1886)93-96, aussi paru dans "Augouard, 28 ans au Congo", Tome II, p.513-519. Voir aussi C. Coquilhat, "Sur le Haut Congo", p. 355 et 376. Quelques informations supplémentaires sont tirées des notes de E. Boelaert,, Archives Aequatoria, Fonds Boelaert, H. BH 1,6.

2. Les noms des personnes et des localités sont cités selon leur prononciation locale et je mets entre parenthèses les vocables sous leur forme déformée par les auteurs cités. Bolila =Molyra, chef de Bakoli = Macouli.
Chez Pagels G., "Vid öfre Kongo", p. 87-88 nous lisons: "Ce Molira était l'homme le plus affreux que j'eusse jamais vu. Son visage était rongé par une maladie de peau effrayante. Il était vraiment rebutant. Sous ce masque hideux, se cachait un bon cœur, ainsi l'avait souvent vu mes prédécesseurs."

3. "Les Missions Catholiques" 18(1886) 95-96

4. Ibi, p. 95

5. Voir D. Vangroeweghe, Les premiers Européens à Equateurville, in "Annales Aequatoria" 2(1981)109-119. Lettre de Vangele à Strauch du 18 septembre 1884,  citée par Vangroenweghe, "Annales Aequatoria" 2 (1981)109-119

6. Vangele avait conclu avec Bolila un accord pour un terrain entre Wangata, Wetanyenyi et le fleuve Congo, au 3-10-1883. Voir D. Vangroenweghe, Les premiers traités conclus avec des chefs indigènes par Vangele à Equàteurstation en 1883-84, in "Annales Aequatoria" 1(1980)191-192. Il s'agit probablement du terrain indiqué sur la carte de Vangele par le signe +, le plus au nord.

7. Vangele à Strauch, le 18 septembre 1984

8. L'original du journal d'Augouard se trouve dans les Archives de la Propagation de la Foi à Lyon, 12 rue Sala, F-69287, Lyon Cedex 1, Fonds Augouard, caisse 2. Il s'agit d'un carnet de 12,5 x 7,5 cm. Inscription à l'intérieur de la couverture: "Paris 1 oct 1884".

9. Dans un document (ayant appartenu à la Paroisse de Boloko Wa Nsamba à Mbandaka) des Archives de la paroisse de Bakusu (Mbandaka) nous lisons."1903-1904. Personnel: Pères: Grégorius Van Dun;
A). Postes subordonnées: Wangata (Lez Coq), Bolenge, Bandaka-Inkole;
B). Catéchistes 4". Voir Annales Aequatoria 1(1980) T.II, p. 127.