|
|
|
|
LA GUERRE DE 1940-45 VÉCUE À COQUILHATVILLE (MBANDAKA, R.D.C.) / par HONORÉ VINCK
Texte publié dans Annales Aequatoria 22(2001)21-101
Résumé
Cette étude est basée sur de nouveaux matériaux trouvés dans les archives MSC à Borgerhout qui permettent de décrire plus en détails l'atmosphère régnant à Coquilhatville principalement au début de la guerre. Une véritable psychose de guerre s'y installait et quelques personnes sont victimes d'une chasse aux sorcières, menée par les "bien-pensants". Edmond Boelaert en tant qu'objecteur de conscience dut quitter la ville en rélégation à Bokuma. Des Noirs, tenus à l'écart de toute information concernant la guerre, on attendait qu'ils contribuent à "l'effort de guerre" par une nouvelle campagne de caoutchouc. L'art, plus éloquent et plus insidieux que la parole surveillée, permet au Père Jos Moeyens de glisser ses vives protestations dans le pamphlet où l'Aministrateur appelait la population noire au caoutchouc. Cette étude est loin d'être complète. Plusieurs secteurs n'ont pas été touchés ; ils demanderaient un accès à d'autres documents, notamment ceux de l'Administration locale, de la Justice et des militaires. Mots-clés : Boelaert, Deuxième Guerre mondiale, Effort de guerre, Caoutchouc rouge, Mbandaka, Congo Belge, Colonisation, Coquilhatville
ABRÉVIATIONS
GH = Gustaaf Hulstaert EB = Edmond Boelaert Mon = Edmond Boelaert VG = Edward Van Goethem VA = Georges Van Avermaet JM = Jos Moeyens BBOM = Biographie Belge d'Outre-Mer, Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer, Bruxelles, depuis 1948
La Deuxième Guerre Mondiale a eu un impact notable sur l'Afrique coloniale. La Colonie belge n'y a pas échappé. On y trouve le reflet des changements culturels et conceptuels intervenus en Europe. La démocratie était tombée en discrédit; d'autres formes de gouvernement, plus autoritaires, faisaient désormais partie du paysage. Les esprits étaient fort divisés sur ce genre de questions. En Flandre et en Wallonie, les tendances fascistes avaient gagné un grand nombre d'adhérents. Quand la guerre atteint la Belgique, cette division idéologique jouera pleinement dans l'attitude que certaines autorités et beaucoup de citoyens adoptaient devant l'événement. Quand le roi prend sur lui de signer la capitulation de l'armée belge devant l'Allemagne, la rupture se radicalise. Le Gouvernement veut continuer la guerre au côté de l'Angleterre (et de ses alliés) et se sépare du roi Léopold III. Au Congo, le Gouverneur Général Ryckmans choisit le côté du Gouvernement, établi à Londres. Les Belges du Congo n'avaient pas de droits politiques (locaux), mais ils n'étaient pas sans avoir d'opinions. Certains les expriment et ils ne se sentent pas obligés de s'aligner sur l'option politique du Gouverneur. Ainsi il se fit que la Belgique n'était plus en guerre effective, mais que la Colonie y était. Comme en Belgique, il y eut au Congo des gens qui s'accommodaient de la défaite. C'étaient des 'défaitistes', car ils doutaient de la victoire finale des Alliés; mais, de ce fait, ils étaient en opposition avec la doctrine officielle. Dans un pays sans démocratie, une telle attitude était risquée, il pouvait y avoir des sanctions. Il fallait penser comme le gouvernement (de Léopoldville), il fallait penser correctement, être "bien-pensant". Pour le contexte général de la guerre au Congo et pour l'identification des documents officiels qui s'y rapportent, nous renvoyons à l'étude de Benoît Verhaegen, La guerre vécue au Centre Extra-coutumier de Stanleyville. (1) L'étude qui suit, veut apporter quelques éléments à l'histoire coloniale belge. Les faits relatés sont liés à la situation particulière de Coquilhatville. Mais, ils ne sont que des retombées d'Instructions valables pour toute la Colonie et ils traduisent les réactions typiques des populations blanches et noires devant les mêmes événements et inspirées par les mêmes positions idéologiques et sociales. Sur base de documents de l'Administration de Coquilhatville, Lufungula Lewono a esquissé dans les Annales Aequatoria de 1988 (2) le sort réservé aux Allemands, aux Autrichiens et aux Italiens séjournant dans la Province de l'Equateur et à Coquilhatville. Ils furent internés ou mis sous surveillance. Une atmosphère de suspicion était ainsi créée envers ces personnes et leurs familles et des tracasseries ne pouvaient pas être évitées. Nous avons trouvé dans les archives MSC à Borgerhout de nouveaux matériaux qui nous permettent de décrire plus en détails l'atmosphère régnant à Coquilhatville principalement au début de la guerre. Nous sommes ainsi en mesure de relater quelques incidents qui ont ému la population blanche de la ville, souvent, comme le constate Lufungula, "au grand étonnement du public (noir)." Les Noirs se posaient bien des questions, mais l'Administration avait pris des mesures de surveillance et censurait les publications qui leur étaient destinées empêchant ainsi la moindre mention de la guerre en Europe. Cela n'empêchait pas les Blancs de leur côté de s'en émouvoir. Une véritable psychose de guerre s'installa à Coquilhatville et quelques personnes furent victimes d'une chasse aux sorcières, menée par les "bien pensants". Des Noirs, qui ne pouvaient rien savoir de ce qui se passait, on attendait qu'ils s'efforcent néanmoins de contribuer à "l'effort de guerre" par une nouvelle campagne de caoutchouc. Un document révélateur et choquant pour certains observateurs contemporains en témoigne. Ici nos considérations dépassent quelque peu la ville de Coquilhatville, car l'effort de guerre, bien que dirigé à partir du centre de la province, était surtout d'exécution à l'intérieur. L'art, plus éloquent et plus insidieux que la parole surveillée, permet au Père Jos Moeyens de glisser sous le nez de l'Administrateur, dans le pamphlet même appelant la population noire au caoutchouc, les vives protestations qu'il avait déjà formulées dans ses lettres à Gustaaf Hulstaert. Cette étude est loin d'être complète. Plusieurs secteurs n'ont pas été touchés. Il faudrait pour ce faire avoir accès à d'autres documents, notamment ceux de l'Administration locale, de la Justice et des militaires(3). Nous avons pu consulter les Rapports des Conseils de Province des années 1940, 1944 et 1945, mais précisément les années 1941 à 1943 font défaut dans la Bibliothèque Africaine à Bruxelles.
LE PETIT MONDE DE COQUILHATVILLE EN 1940
(4)
Coquilhatville est située sur la rive gauche du Fleuve Congo là où celui-ci reçoit la Ruki et l'Ikelemba. Le point vital de la ville est son port de transit (Kinshasa - Kisangani ; mouvement en 1944 : 50.000 tonnes). Elle héberge l'Administration Provinciale avec M. E. Henry (1890, au Congo 1915) comme Commissaire Provincial, Chef de Province durant toute la guerre, l'administration du Territoire, un Bataillon de la Force Publique, deux paroisses catholiques et une protestante (Disciples of Christ Congo Mission), deux hôtels (5), quelques entreprises commerciales (SECLI, SEDEC, Interfina, Van Lancker, N.A.H.V., Nogueira) et l'Administration des grandes entreprises agricoles comme la Société Anonyme Belge (S.A.B.) et l'Equatoriale, un hopital pour les Noirs (1920) et un pour les Blancs (1926 et 1932), et un Laboratoire de bactériologie (1929). Les Noirs vivaient dans deux quartiers (6) : Bakusu et Basoko (principalement des pêcheurs). Plusieurs Congrégations religieuses y organisaient l'enseignement primaire pour garçons et filles et une Ecole secondaire était dirigée par les Frères des Ecoles Chrétiennes. Coquilhatville disposait d'un Bureau de Poste, d'une liaison télégraphique et radiographique, d'un poste de douanes. La plaine d'aviation servait depuis 1935 comme escale sur la ligne Bruxelles-Léopoldville. Il y avait un Tribunal de Première Instance dont Maurice Posschelle (1886, au Congo 1928) était Juge-Président. Selon les données officielles, la population de Coquilhatville se présente comme suit : 1940 : Blancs 417 / Noirs: 9.953 (dont 1.941 pêcheurs) 1945 : Blancs 354 / Noirs: 11.767 (dont 2.191 pêcheurs)
Les acteurs principaux des événements relatés dans cette étude sont des militaires et des missionnaires (catholiques). Les scènes évoquées se situent aux endroits suivants: le Couvent des Frères, la Procure, le Camps Militaire, le Port de Coquilhatville et à la Mission Catholique de Bamanya (10 km de Coquilhatville). Les Frères des Ecoles Chrétiennes (F.E.C.), tous d'origine belge, étaient arrivés au Congo en 1910. En 1929, ils s'étaient installés à Bamanya sur demande de Monseigneur Van Goethem pour y diriger l'Ecole Normale. Deux ans plus tard, ils ouvrent à Coquilhatville le Groupe Scolaire, Ecole Officielle Congrégationiste, (Ecole Moyenne pour Commis, 4 ans) en face de la cure de la paroisse de Bakusu. On y trouve les Frères Herman (7) et Albert (Albrecht) De Witte (8). La " Procure " est située au bord du fleuve en pleine ville européenne, à quelques pas du Port. En 1911, les Trappistes y avaient construit une habitation et une remarquable cathédrale. C'est aussi la résidence de l'Evêque du lieu, Mgr Edward Van Goethem, appelé à cette époque "Vicaire Apostolique". Son adjoint le Père Paul Jans, longtemps Supérieur de la Mission de Bamanya, y séjournait depuis 1936 jusqu'à son départ à l'armée mi-décembre 1940. Y étaient rassemblés les services centraux du Vicariat comme le bureau qui organisait l'approvisionnement des Postes de Mission de l'Intérieur, communément appelé "Procure", tenu par le Père Marcel Es. La mission y avait installé une petite imprimerie dont le Père Moeyens tenait les rênes au moment des événements relatés ici. Boelaert y habitait de décembre 1940 au 2 juillet 1941. Il y retournera après la guerre. Sur la concession de la Procure se trouvait le " Cercle Sportif et Philanthropique ", lieu de rencontre et des activités culturelles des Blancs (9). Bakusu était la Paroisse des Noirs ouverte en 1934 dans le "Centre Extra-Coutumier". En 1942 s'y ajoute le quartier "Bruxelles" à côté du village Ikongo Wasa. Boelaert habitait la paroisse de Bakusu du 15 août 1939 à mi-décembre 1940 et y animait l'action culturelle et sociale dans le cadre du Cercle "Excelsior". Le curé était l'ancien Trappiste, le Père Sébastianus Wiedenbrugge (1884-1963; Congo 1912-1950). Le Camp de la Force Publique (10) était situé en face de la Paroisse de Bakusu, au delà du marais en direction de la Ruki. C'est le Capitaine Commandant Camille De Vré (dans la Force Publique depuis 1925) qui y commande au début de la guerre, remplacé plus tard par un réserviste Thiriart (incorporé dans la Force Publique en novembre 1941). Bamanya avait été repris des Pères Trappistes, fondateurs de la Mission (1895), par les Missionnaires du Sacré Cœur en 1925 (11). Hulstaert y résidait comme Supérieur et Inspecteur des écoles entre 1936 et 1946. Les Frères des Ecoles Chrétiennes y dirigeaient une école d'Instituteurs (Ecole Normale) et avaient une maison de formation de candidats congolais à leur Congrégation. Parmi les Missionnaires du S. Cœur, il n'y avait à cette époque à Bamanya et à Mbandaka que de Flamands. La vie culturelle des Flamands et des Wallons de Coquilhatville était en grande partie séparée par le clivage linguistique. Mais les données nous manquent pour en mesurer l'impact sur la vie sociale. Tous les Flamands n'étaient pas des " flamingants " et tous les Wallons n'étaient pas des " belgicistes (12) ". Dans leur récit des événements, Boelaert et Moeyens y font allusion et citent parmi les "flamingants" les noms de Van Houtte (13), Jean-François Nys (né 1904, au Congo depuis 1929, agent territorial), Jules Coryn (né 1901, au Congo depuis 1927, Percepteur de Poste), Désiré Braeckman (né 1910, au Congo 1938 ; Administrateur Territorial), et François Bossaert (né 1904, au Congo 1926, sous-chef de bureau au Département des Finances).
En 1936, le Père Paul Jans (15), le futur aumônier en chef de la Force Publique, devient Curé de la Cathédrale de Coquilhatville, la paroisse des "Blancs". En 1937, il lance une feuille paroissiale : La page Chrétienne du mois. Distribuée gratuitement, en ville comme à l'Intérieur, la feuille paraissait sur 4 pages, au début mensuellement, plus tard à des intervalles irréguliers. En 1940, elle avait un tirage de 333 exemplaires. Boelaert le prendra en main pendant une brève période (de janvier à juillet 1941), après le départ de Jans. La feuille disparaît après août 1942 (16). A part l'horaire des services religieux, il n'y avait rien d'original. C'était plutôt un genre de Digest Catholique destiné à l'édification des paroissiens. Mais cette édification n'était pas seulement pieuse. A certains moments, elle fut même très politisée, car le choix des articles n'était pas innocent et reflétait assez bien la pensée (socio-politique) des rédacteurs. A partir de juillet 1939, la guerre ne sera plus absente de La Page Chrétienne. Parfois, l'origine du texte cité est vaguement indiquée ; parfois il n'y a pas la moindre indication quant à l'auteur ou à la publication originale. Nous avons pu en retrouver quelques-unes. Moeyens a illustré ces textes avec quelques linogravures. Le maître à penser du clergé d'avant-garde de l'époque était le Chanoine Jacques Leclercq (17), professeur à l'Université Catholique de Louvain. Ses articles, qu'on trouve reproduits dans la feuille paroissiale, ont été repris principalement de la revue La Cité Chrétienne. Le premier article qui parle de la guerre date de juillet 1939 : Henri Bauchau, Soliloque d'un mobilisé. La vertu de force, repris de La Cité Chrétienne. Il ouvre avec la phrase: " La guerre est sur nous. " En octobre 1939, il sera suivi d'un article plus moralisateur: M.J. Folliet, A propos du racisme (18). Il s'agit bien sûr du racisme nazi. La Page Chrétienne ouvre l'année 1940 avec un article de fond repris de Jacques Leclercq : La morale et la guerre présente (d'une série de 4 articles sur la Guerre dans La Cité Chrétienne (19). En résumé : Il ne faut pas mettre l'Eglise au service des intérêts temporels. Jusqu'à Munich, Hitler était raisonnable. L'annexion de la Tchécoslovaquie a été sa première faute. On ne peut pas se fier à Hitler. Mais il y des graves fautes de l'autre côté aussi: l'Amérique, l'Angleterre et la France ont saboté et trahi la Société des Nations. Le réflexe chrétien doit être celui du patriotisme et du respect pour tous. L'auteur fait la part des choses : " Les dirigeants de l'Allemagne prétendent n'être pas plus immoraux que leurs adversaires, mais simplement plus francs. Il y a une part de vérité là-dedans." De portée plus philosophique, mais toujours dans le but d'une formation politique, on trouve dans le même numéro de janvier : " Universele godsdienst en nationaal volksbelang " [Religion universelle et intérêt national du peuple] (Anonyme), repris de la revue nationaliste flamande Nieuw Vlaanderen qui a son tour a puisé dans un texte de Joseph Eberle dans Schönere Zukunft (20). En février 1940, on publie un commentaire de J.Tonneau sur l'Encyclique de Pie XII Summi Pontificatus (repris de La Vie Intelectuelle). Leclercq reçoit à nouveau la parole dans le même numéro et on reprend de La Cité Chrétienne (décembre 1939) un long texte : Petite morale patriotique (p.7-12). L'auteur donne quelques bons conseils et incite au courage et au calme. Il s'attaque à l'alarmisme de la presse et propose d'en limiter l'influence. Loger les mobilisés et payer l'impôt sont les mots d'ordre du moment. Entre mai 1940 et janvier 1941, nous ne possédons aucun numéro dans nos archives. Le déclenchement de la guerre en Belgique avait-il temporarement fait supendre la publication? Le numéro de janvier-février de 1941 ne contient aucune allusion à la guerre. C'est le numéro de mars-avril 1941 qui aligne les gros canons. C'est le premier après le départ de Jans pour l'aumônerie militaire. Il est très probable que tout le numéro, extrêmement politisé, est de la rédaction de Boelaert. Dans l'exemplaire gardé aux archives de Bamanya, il a apposé sa signature sous deux articles anonymes . Des accents clairement anti-alliés y percent, tout en plaidant pour un jugement équilibré, basé sur des principes chrétiens. Nous y retrouvons des reflets de l'anti-démocratisme d'avant- guerre (et qui bien sûr se prolongeait durant la guerre.) Dans le titre Pour l'Ordre Nouveau, nous reconnaissons une expression politique chère à l'époque (21). Le texte est anonyme, mais signé par E. Boelaert dans son exemplaire à lui. En fait, ce sont des longues citations de J. Du Plessis, La Civilisation de l'Occident dans La Vie Intellectuelle du 31 mars 1936, pages 471-485. Ce n'est pas un plaidoyer pour le nazisme, mais bien dans le style des " pessimistes de la culture " de l'époque, un réquisitoire contre la situation politico-religieuse en Occident (Oswald Spengler, C.V. Georghiu). Y fait suite un bref texte : Nieuwe Middeleeuwen (Nouveau Moyen Age) de Nicolas Berdjaev (1874-1948 ; la traduction néerlandaise de l'essai a été publiée en 1935 à Antwerpen.) Citons-en quelques phrases caractéristiques: "La démocratie est le gouvernement de la volonté populaire en débandade. (…) Elle laisse décider par le vote ce qui est la vérité. Mais celui qui croit en la vérité, celui qui possède la vérité, ne la livre pas au droit de vote général. (…) La démocratie fait du parlement l'outil de la dictature du parti politique = le plus désorganique qui puisse exister. " (Traduit du néerlandais.) Comme une véritable curiosité y figure alors le seul texte en anglais jamais publié dans le périodique : Citizenship. Its Privileges and Responsabilities, de Roger W. Holmes (The Atlantic, November 1940, pages 638-641). C'est typiquement Boelaert qui veut combattre ses ennemis (les pro-alliés) avec leurs propres armes (dont la langue). "The danger to our way of leaving [living?] today is not invasion - it is selfish citizenship. Selfish citizenship makes a democracy inefficient and corrupt." Les textes dans le numéro de mai-juin 1941 suivent la même direction, bien que de manière moins prononcée. Boelaert était toujours à Coquilhatville, mais il n'est pas impossible que Hulstaert y ait eu son mot à dire et l'imprimeur, le Père Moeyens adhérait lui aussi aux mêmes idées (22). Nous y trouvons un texte des évêques anglais, catholiques et protestants : Les fondements de la paix chrétienne, paru dans le Times du 21 décembre 1940. Ensuite, on donne la parole au Père Leslie Rumble, (Australien), Pays de liberté illimitée. Il pose que la société ne peut être guérie que par le catholicisme vécu et il conclut : " L'Amérique semble tout aussi bien disposée à ignorer ce vrai remède [le catholicisme] qu'Hitler et Stalin." (23) Comme il convient à une feuille paroissiale, on finit par citer quelques extraits de l'Encyclique de Pie XII sur la guerre Summi Pontificatus (20-11-39). En juillet-août 1941, Boelaert a déjà quitté Coquilhatville. La rédaction est probablement aux mains de Hulstaert ou de Moeyens, mais on continue à tirer dans la même direction. On y trouve un morceau très fort pour l'époque quand l'auteur anonyme, sous le titre Internationale Moraal (Morale internationale), présente quelques extraits du " Handboek van Internationale Moraal ". Citons-en (en traduction) quelques phrases de pleine application à la Belgique occupée : "Juridiquement, la région occupée reste soumise au souverain chassé, mais parce qu'il n'est pas en mesure de gouverner, le parti occupant (…) est installé à la place de l'autorité légale dont elle doit exercer la fonction jusqu'à la paix (…) Ils ne peuvent, ni individuellement ni collectivement, poser des actes de violence contre l'armée et l'administration de l'ennemi. " Et il ne manque pas de citer les paragraphes qui prônent la préséance de la communauté populaire sur l'Etat. Des extraits de Salazar : Une révolution dans la paix nous situent en pleine discussion politique avec une option forte et claire : " Nous sommes anti-libéraux, (…) Nous sommes anti-démocrates (…) Nous voulons arracher le peuple à l'esclavage de la ploutocratie." Et l'article (anonyme) suivant puise à la même veine : Oost en West (Est et Ouest) est un morceau typiquement anti-occidental et trahissant l'euro-pessimisme culturel, dans le pur style de l'Hulstaert de l'époque. De fait, ce sont des citations de L.J.M. Feber, Het uur van Azië (Antwerpen 1939, 219 pages) (L'heure de l'Asie) avec, au compte du compilateur anonyme de La Page Chrétienne, des applications à l'Afrique : " Le rabougrissement des sentiments religieux et moraux de l'Afrique sous l'influence de l'Occident (..). Voilà probablement l'accusation la plus grave qui puisse être avancée contre la colonisation. " C'est le dernier mot politique dans La Page Chrétienne. A partir de septembre-octobre 1941 (avec une suite à Pâques 1942), le ton redevient très pieux. On publie encore des extraits innocents de la lettre pastorale de Mgr Richard Downey, Archevêque de Liverpool, en relation avec la guerre. Suivront encore deux numéros du même genre avant de sombrer définitivement après Pâques 1942. A la même époque, Hulstaert publiait dans Aequatoria (1941, p.59-60) un extrait d'une brochure de 1938 de Leclercq " De la Communauté Populaire ", soulignant que "Dans la notion de communauté populaire, la patrie, c'est la communauté populaire, l'Etat n'est plus qu'une institution juridique", associant ainsi la position du mouvement flamand et le droit des peuples colonisés. C'étaient les textes fétiches de Boelaert et de Hulstaert. Il n'est pas certain que ces textes ont eu une influence de quelque importance sur cette population blanche de militaires, de commerçants et d'employés, peu enclins aux considérations philosophiques. Mais au moins ils nous révèlent les idées des responsables ecclésiastiques du moment. Il est probable que les prédications dans la Cathédrale ont été d'une même teneur. Jos Moeyens écrivait à l'évêque le 9 mai 1941 : " Depuis le début de la guerre, le Curé Paul Jans s'adonne à une série de prédications pendant la messe dominicale sur le mensonge, la civilisation, la justice, l'égoïsme, l'opportunisme et sa peste, etc., etc.".
2. Les instructions des responsables de l'Église Catholique
Nous n'avons aucune information sur l'attitude de l'Eglise protestante à Mbandaka. Nous nous limitons donc nécessairement à la seule position de l'Eglise catholique. La guerre éclate en Belgique le 10 mai 1940. Le 17 mai, Hulstaert en tant que Supérieur religieux des Missionnaires du Sacré Cœur à Coquilhatville, écrit une lettre à tous ses confrères présents dans le Vicariat en complément à la lettre de l'évêque. La lettre de Hulstaert est principalement spirituelle et incite les prêtres à supporter courageusement les restrictions matérielles inhérentes à la situation et à suivre avec soumission la direction de l'évêque. Je n'ai malheureusement pas pu retrouver cette lettre de l'Evêque. L'autorité ecclésiastique divulguait fidèlement les circulaires et autres instructions en provenance des autorités civiles. Ainsi, le 29 mai 1940, un "Avis au Public" destiné à la population blanche, émanant de la Province et contenant principalement la déclaration du 28 mai faite à Paris par le Premier Ministre Belge et envoyé au Congo par le Ministre des Colonies, De Vleeschauwer, était distribué aux missionnaires. Le Ministre y stigmatise l'attitude du roi Léopold et appelle à la continuation de la lutte pour l'indépendance (de la Belgique !). " Aucune défaillance dans nos rangs!" est son mot de la fin. Le Gouverneur Général y ajoute : " Le Gouvernement représente aujourd'hui la seule autorité légitime."(25) Nous trouvons encore, parmi les documents reçus dans les Postes de Mission, une copie de la lettre du Cardinal Van Roey, lue le 2 juin dans toutes les églises de Belgique et dans laquelle il prend la défense de l'attitude du roi. Plus importante pour son contenu est une circulaire de l'évêque de lieu, datée du 20 juillet 1941, résumant une lettre du Délégué Apostolique Mgr Dellepiane (italien (26), qui incite les missionnaires à la neutralité tout en allant à l'encontre de la position officielle quant à l'attitude à prendre envers le roi : "3. Au point de vue civile, écrit le Délégué Apostolique, qu'ils soient extrêmement prudents: qu'ils se gardent de dissocier, de n'importe quelle façon, les trois choses : Belgique, Roi et Drapeau. 4. De se garder également de discuter et de juger des événements de caractère civil et politique de la Belgique où d'ailleurs, n'étant pas de la compétence de Missionnaire et n'ayant pas les éléments suffisants pour juger. Ce conseil est particulièrement important dans les relations des missionnaires avec l'extérieur et surtout avec les Noirs". Monseigneur Van Goethem y ajoute comme commentaire que la guerre est une punition de Dieu pour les débauches de la société moderne. Nous verrons plus loin que les missionnaires n'ont pas été si obéissants que le Délégué l'aurait souhaité.
Le phénomène de la psychose des masses n'a pas épargné les Blancs de Coquilhatville lors du déclenchement de la guerre en Belgique. Le Père Van Avermaet qui hébergeait à Bokuma le " relégué " Boelaert, écrit à Hulstaert le 12 août 1941 : "Nous [Van Avermaet et Boelaert] avons causé plusieurs fois très sérieusement. Ceci est clair: à Coq on souffre d'une 'neurose de guerre'. Même à la Mission, on ne semble pas épargné. C'est à peu près comme l'écrit Jacques Leclercq en 1937: 'De nos jours, l'esprit indépendant qui cherche à formuler un jugement moral objectif sur son pays ou sur l'ennemi passé, susceptible de le redevenir, est aussitôt dénoncé comme traître, et un courant passionné d'opinion interdit de faire la moindre discrimination dans ce qui se dit à charge d'un pays ennemi, en même temps qu'il repousse à priori tout ce qui peut se dire en sa faveur." (Lecons de Droit Naturel IV, pag. 145). Il me semble que c'est la situation à Coq. On apprend que c'est bien différent dans d'autres contrées!" Que la guerre ait ses effets sur les nerfs des Blancs est prouvé par cette remarque du médecin provincial: "Situation de la population européenne: Les cas d'effondrement physique et psychique sans substratum pathologique bien défini, deviennent de plus en plus nombreux, et dans certains cas nous assistons à la rupture définitive de l'équilibre mental." (Le docteur Schwers devant le Conseil Provincial en 1944.)
L'ordonnance législative du Gouverneur Général du 27 mai 1940 imposait des sanctions contre ceux qui osaient "tenir des discours ou propos de nature à diminuer la faculté de résistance morale de l'armée et des populations contre les entreprises hostiles d'une puissance étrangère." Ainsi était définie par décret ce que sera dorénavant l'attitude "politiquement correct". Car tout le monde savait que la réalité politique belge était bien différente sur ce point. La prise de position du Cardinal Van Roey en Belgique et de Mgr de Hemptinne (27) à Elisabethville témoignent de l'existence d'une autre opinion. Cette autre opinion était également présente à Coquilhatville et elle ne se laissait pas engloutir par une Ordonance. Des personnes comme Edmond Boelaert avaient longuement réfléchi sur le problème du rapport des forces en Occident, bien avant que le conflit n'éclate et ils connaissaient mieux le dossier que la plupart des fervents 'gouvernementalistes' qui voulaient monopoliser le patriotisme. Ainsi, ce qui était stigmatisé par certains de défaitisme était pour d'autres une vision saine et droite de l'avenir de la société occidentale et même mondiale. En septembre 1941, Edmond Boelaert, tenu pour le maître à penser des récalcitrants, se justifie devant son Supérieur, Gustaaf Hulstaert, et il évoque le lien profond entre plusieurs options qui ont orienté son attitude devant les problèmes de société. Il sait très bien qu'ainsi il s'etait mis parfois au ban des bien-pensants, au nombre desquels figuraient plusieurs de ses propres confrères, mais aussi d'autres membres influents de la société blanche locale. Il évoque en quelques phrases les exclusions et les souffrances endurées à cause de sa position : "Et ainsi mon travail pour l'Action Catholique au Belge [paroisse de Bakusu] devient petit à petit très difficile sinon impossible. Le 'défaitisme', le flamingantisme et la promotion de la langue indigène me rendent impossible chez le R.P. Curé et R. Frère Directeur (28). Derrière mon dos, les accusations et calomnies arrivent jusqu'à chez Monseigneur (…) Le 16 mai, Monseigneur venait lui-même au Belge et avertissait les deux Pères (sans m'appeler moi-même, qui se trouvait à côté), que Monsieur le Commissaire Provincial avait envoyé l'Administrateur pour mettre en garde les Pères contre le défaitisme. Cela visait spécialement, ajoutait-il, le Père Boelaert. (…) Mais l'affaire Bossaert [voir plus loin] traînait et entre-temps celui-ci était stigmatisé comme défaitiste numéro un, vilipendé et mis au pilori. Depuis lors, nous avons vu s'accroître l'amitié entre R.P. Es, M. Schumacher (29), M. Schweitzer (30) et M. Piette (31) (les trois chasseurs de nouvelles et de défaitistes) et nos paroles et nos actes étaient contrôlés. (32)" Et en réfléchissant sur l'incident Bossaert, Boelaert renvoie la balle et, dans la même lettre, il accuse les 'bien-pensants' de défaitisme: "Et que Coq était en pleine effervescence une demi-heure plus tard [après l'incident Bossaert, le 2 mai 1941] prouve encore une fois comment la neurose de guerre cause le plus grand défaitisme de l'intelligence qui est connu dans l'histoire comme psychose de masse." L'Avenir Colonial (Léopoldville) du 12 juillet 1941 avait déjà crié sa grande indignation : "Il y a trop de défaitistes à Coq.(…) Tout défaitiste doit être mis hors d'état de nuire. (33)" Et Boelaert de se défendre dans une lettre (34) à son évêque : " Mais Monseigneur, je nie que je suis un défaitiste. Quand je refuse le service militaire, je le fais par pleine conviction, étant conscient qu'ainsi je rends le meilleur service à la communauté. Quand j'ai obstinément défendu le roi, je ne le faisais pas par défaitisme, mais par honnête fidélité. Quand je ne peux pas approuver le mouvement de de Gaulle, j'ai agi par respect pour l'autorité légale. " Georges Van Avermaet, le confrère-directeur du Petit Séminaire de Bokuma, fin psychologue, montre qu'il a compris ce qui animait Boelaert intérieurement, quand il affirme devant Hulstaert : " Mon n'est pas un défaitiste, mais il donne plus de valeur à la communauté populaire qu'à un Etat qui prétend tout diriger. Il s'imagine une paix par laquelle toutes les minorités seraient reconnues précisément sur base de cette communauté populaire, une ligue d'Etats sous la hégémonie de l'Allemagne. De l'Allemagne, parce que selon lui, il n'y a aucun pouvoir en Europe capable de garantir un jour suffisamment les droits des différents peuples. Mais Mon attend aussi qu'au moment où l'Allemagne aura pris le pouvoir, elle se convertira et se distanciera de sa politique anti-chrétienne et anti-ecclésiastique." (Lettre du 12 août 1941). Ce n'était pas un vague romantisme du Deutschland über Alles qui guidait Boelaert dans ses prises de position. Il s'insurgeait contre les hypocrisies et les contradictions internes des Alliés, analysées et dénoncées dans un genre de florilège (35) sous le titre " Buts de la guerre et les Colonies ", tiré principalement de la revue : Christian Century (36). On y trouve la citation suivante : "Imperialism is of one kind all over the world. For us to engage in war to preserve one group of empires as against another has no shadow of moral justification (12-2-41)". Le compilateur (Boelaert ? Van Avermaet ? Hulstaert ?) conclut: "Ceci rappelle ce que Ghandi disait à l'Angleterre : " Si vous vous battez pour le droit à l'autodétermination des peuples, pourquoi n'accordez-vous pas ce droit aux Indes?" Van Avermaet note dans son journal à la date du 8 décembre 1940: " Question posée au Père Supérieur [G. Hulstaert] : Supposé que les Allemands arrivent ici, puis-je collaborer?" Il n'y a malheureusement pas de trace de la réponse du Supérieur. Mais une phrase de la lettre de Hulstaert à Antoine Sohier, du 4 mai 1940, peut bien nous faire présumer le contexte mental prévalant en ce temps chez Hulstaert et certains de ses confrères. C'était le temps où l'anti-démocratie était à la mode (représentée en Flandre par le VNV-Vlaams Nationaal Verbond, et en Wallonie par Rex) : "Des nouvelles au sujet de la situation chez nous sont très intéressantes. Je crois comme vous qu'il y a trop de ministres et une mauvaise économie. Si les circonstances pouvaient nous mener à une sorte de dictature royale, quel bienfait pour notre pays! (37)"
La petite ville de Coquilhatville n'a pas été dépourvue de sensations et d'événements provocateurs. Les 417 Blancs (enfants compris) ont certes eu de quoi "commérer". Et, comme il se doit, tant pour les catholiques que pour les (nombreux) anti-cléricaux, le premier prône de l'évêque du lieu, deux jours après le déclenchement de la guerre, fut une aubaine. Moeyens, peintre, le met haut en couleur quand il écrit à Monseigneur même: "Pentecôte 1940 [12 mai]: Prêche de Monseigneur pendant la messe pontificale, qui concluait en disant que nous devons rentrer en nous-mêmes et prier le Saint Esprit pour connaître nos propres péchés (comme première cause de tant de malheurs). Tout cela est reçu avec la plus grande indignation par les notabilités de la ville. On reproche et on se moque de Monseigneur parce que la crosse épiscopale n'a pas fulminé contre " les sales boches " (lettre de JM à VG 9-5-41). Lufungula a décrit (38) l'effet sur le moral de la population des internements au 10 juin 1940 des sujets Allemands et plus tard des Italiens de Coquilhatville et de la province. Bien qu'effectués avec beaucoup d'humanité, ils étaient certes de nature à rendre bien visible l'état de guerre, arrivé ainsi jusque dans leur petite ville. Lufungula relate ensuite l'aventure incroyable de Mme Roels, d'origine allemande, mais mariée à un Belge et qui aurait dit que: "Quand les boches seraient ici, (…) elle danserait sur un billard pour manifester sa joie" et le vocabulaire devient scabreux, car elle aurait traité les " Français Libres " de "Constipés de de Gaulle". Le Tribunal de Grande Instance de Coquilhatville avait à déliberer de la cause le 12 juin 1942, mais malheureusement ni les actes ni l'issue du procès ne nous sont parvenus. Charles de Gaulle, Sous-Secretaire d'Etat à la Défence, s'était révolté contre le gouvernement légal de la France quand, en juin 1940, ce dernier avait capitulé devant les Allemands. De Gaulle s'était réfugié à Londres et, de là, il avait appelé à la poursuite de la guerre. Il mènera plus tard une campagne dans les colonies françaises en Afrique pour obtenir leur rattachement à son mouvement. Boelaert et Hulstaert, comme beaucoup d'autres qui n'étaient pas des inconditionnels des Alliés, dénoncent son action comme illégale. Et voilà que le " constipant " paraît sur les lieux. Le 18 avril 1941, de Gaulle est à Coquilhatville. Moeyens use de son style le plus cynique quand il relate l'événement: "De Gaulle est passé ici il y a quelques jours par avion, de passage du Caire à Brazzaville. Plusieurs patriotes hystériques et 'mesdames' de Coq étaient à sa traîne, Monseigneur aussi. De Gaulle a visité notre église. Il est bien sûr un catholique exquis " (JM à GH 21-4-1941). Van Avermaet nous apprend que Boelaert et aussi Hulstaert s'étaient prononcés contre de Gaulle au grand regret de l'Evêque : " Mon est aussi contre de Gaulle et cela tracasse Monseigneur, car, lui, il est pour de Gaulle. Il regrette beaucoup que vous [Hulstaert] aussi étiez contre de Gaulle et que vous avez même dédié toute une conférence à la question pendant la retraite. J'ai dit à Monseigneur que ce n'était pas vrai, mais qu'on en avait parlé seulement durant le temps de la récréation " (VA à GH : 12-8-41). Et tout cela aussi s'est tourné contre Boelaert : " Entre-temps de Gaule a commencé son mouvement et traîne avec lui tous les patriotes bruyants. Son incitation à la révolte et sa propre attitude sont à mes yeux moralement illicites. Encore une fois, cela m'est reproché par l'opinion officieuse et publique qui a pris position pour lui. " (EB à GH, 15-9-1941.)
Le Gouverneur Henry reprend un télégramme du Gouverneur Général ordonnant d'enlever les photos du roi. (Circulaire Henry n° 106/Cab, mentionnée par Moeyens.) L'évêque vient spécialement à la paroisse de Bakusu pour le communiquer. Laissons parler Boelaert : "Le 28 mai nous apprenions la capitulation de l'armée belge. Monseigneur me demanda ce même matin de manière directe 'si ces faits ne répondaient pas à un vœu secret de ma part'. Je croyais recevoir une gifle. Mais très vite, il était clair que tous condamnaient le roi. Même les moniteurs noirs des Frères venaient demander des explications, ce jour-là, sur la trahison du roi. Mais vite plusieurs Blancs se ressaisissent et cela prend la tournure d'une querelle entre Flamands et Wallons. Déjà le premier juillet Monseigneur de Hemptinne, ensemble avec beaucoup de notables d'Elisabethville, publiait leur manifeste pour défendre le roi, mais officieusement l'autre position prend le dessus: les portraits du roi doivent être enlevés des bâtiments publics et on décide de changer la prière pour le roi après la messe en une prière pour la patrie. Cette décision n'a pas été rendue publique ; elle fut à peine communiquée oralement au Père Sébastien. Ce dernier n'ose pas me l'imposer et, comme à Bamanya d'ailleurs, je continue à prier pour le roi. Déjà le 14 juin, on sait que le cardinal Van Roey a pris parti pour le roi. Néanmoins, Monseigneur vient le samedi soir le 16 juin, au Belge et m'ordonne sous vœu d'obéissance, de laisser tomber la prière pour le roi après la messe. Ce que je fais. " (EB à GH 15-9-41). Rappelons qu'une année après, le Délégué Apostolique Monseigneur Dellepiane ajoute à la confusion en demandant aux missionnaires de ne pas " dissocier la Belgique, le Roi et le Drapeau " (Cité dans la Circulaire de Van Goethem, du 20-7-1941) A Coquilhatville, on ne prie pas pour le roi, mais bien à Bamanya 10 km plus loin. Le curé ne prie plus pour le roi, mais son vicaire le fait, dans la même église de Bakusu. Dans Le Coq Chante de novembre-décembre 1944, dans un texte du Service de l'Information, nous lisons : " Le généreux donateur congolais a également demandé au Gouverneur Général 'de bien vouloir recommander aux chrétiens de prier pour la libération de notre Cher Papa roi, noble victime prisonnière des hordes ennemis " (p.88). Et quelques années plus tard, Coquilhatville recevra l'ex-"roi félon" avec grand enthousiasme.
Deux cas sont particulièrement symptomatiques de la tension qui régnait entre les deux camps: (1) Le cas de Edmond Boelaert qui est accusé d'avoir, le 2 mai 1941, la main levée, salué M.Bossaert, en partance pour Léopoldville et suspect de sympathie pour les Allemands ; (2) Le cas du Frère Albert De Witte (des Ecoles Chrétiennes) qui, un mois plus tard, décide de ne pas répondre à une convocation de l'Autorité Militaire. Pour les deux cas, nous n'avons que des informations partielles et partisanes. Mais à défaut de mieux, nous y puiserons avec les précautions nécessaires. Ces sources (39) sont constituées des lettres des deux protagonistes, les Missionnaires Boelaert (Lettre à Hulstaert du 15-9-1941) et Moeyens (à Hulstaert 8-9-1941), et de la correspondance générale de Hulstaert, personne non engagée mais sympathisante de Boelaert. Nous manquons la lettre clé du Père Es à l'évêque, ainsi que tout rapport du côté de l'Armée ou de la Sécurité. Nous ne possédons aucun texte du côté des Frères des Ecoles Chrétiennes impliqués dans les incidents. Par contre, nous avons le texte de l'article de l'Avenir Colonial, rapportant les faits et les réflexions des bien-pensants belgicistes. On peut mentionner encore le cas de M. Bossaert, fonctionnaire aux Finances qui, accusé de sympathies allemandes, sera rappelé à Léopoldville. Il revient plus loin dans le récit.
(1) Boelaert et Moeyens ou le prétendu salut hitlérien
Les lettres-rapports de Boelaert et de Moeyens sont remarquablement complémentaires. Nous suivons principalement le texte de la lettre de Boelaert et nous y ajoutons des compléments tirés de la lettre de Moeyens. Les sous-titres, en italiques, sont de moi.
Relations avec M. Bossaert
" Pendant cette Exposition (40), j'avais fait par hasard la connaissance de Monsieur Bossaert, connaissance qui évolua vers une amitié. Le 10 avril, ce Monsieur Bossaert vint me dire qu'il avait refusé le service militaire parce qu'il jugeait que les troupes coloniales ne pouvaient pas se prêter à des actions offensives hors des frontières de la Colonie et parce que lui, comme Flamand, se croyait obligé de protester contre la scandaleuse campagne de suspicion et de relégation au second plan des Flamands. Il s'attendait à une arrestation immédiate et il me demanda de vouloir assister dans ce cas sa femme. Je l'acceptai volontiers pour autant que j'en sois capable ; mais l'affaire Bossaert traînait et entre-temps il était stigmatisé comme défaitiste numéro un, vilipendé et mis au pilori. Moi, je continuais à le voir régulièrement; ce qui le rendait encore plus suspect. "
Moeyens ajoute: " A cette époque, il était devenu l'objet d'attaques sournoises de quelques Wallons de Coquilhatville qui lui tenaient rigueur de son flamingantisme. Ils le cherchaient par tous les moyens et le déférèrent à la Justice pour défaitisme. Monsieur Henry s'est même compromis en accusant faussement M. Bossaert (41). A la suite de cela, une plainte a été déposée contre Henry pour parjure. "
L'incident
Retournons au texte de Boelaert : " Finalement le 7 mai, Monsieur Bossaert partit pour Kinshasa. La veille, plusieurs amis du Camp Militaire (42) vinrent m'avertir que quelques militaires avaient décidé d'aller importuner Mme et Monsieur Bossaert une fois qu'ils seraient à bord du bateau. J'avertis immédiatement les Frères Herman et Albert des Frères des Ecoles Chrétiennes, qui eux aussi étaient des amis de Monsieur Bossaert, ainsi que le Père Moeyens, et nous décidâmes de tenir compagnie aux Bossaert à bord, pour rendre ainsi impossible tout incident. Ce n'est que plus tard que j'ai appris que le Major Peeters avait ordonné d'éviter tout incident. Un Sous-lieutenant inconnu, M. Schumacher, nous fixait tout le temps de manière tellement défiante qu'une fois descendus du bateau, nous avons prolongé encore un peu nos gestes d'adieu à nos amis en partance. Mais qui aurait jamais pu penser que ce Monsieur en déduirait que nous avions salué en public les Bossaert du salut Hitlérien? ".
Moeyens nous raconte la scène avec d'autres détails : " Quelqu'un parmi nous (Frère Albert) avait remarqué qu'un militaire, M. Schoenmaker s'était rapproché de nous, expressément pour être aux écoutes. A cette remarque, nous nous sommes postés plus loin sur le beach. Dans ces environs se trouvait aussi le Frère Herman. A un certain moment, je vis M. Schoenmaker demander quelque chose à M. Es et montrer du doigt le Frère Herman. Nous sommes, comme tous les spectateurs, rentrés à la maison après le départ du bateau. Au moment où nous entrons, Marcel passe devant nous et se rend chez Monseigneur. Nous ne soupçonnons rien."
La réaction
(1) A Coquilhatville
De Boelaert nous apprenons que : "Une heure plus tard toute la ville était en agitation ! Et nous étions stigmatisés comme de véritables Allemands ". Heureusement Moeyens nous donne un rapport heure par heure du reste de la journée. La scène se situe à la Procure : " A 17 heures du même jour, M. Rosy vient nous voir et raconte qu'il a appris que nous avons fait le salut hitlérien. Nous restons bouche bée. A 18 heures, le Frère Herman vient demander où habite Monsieur Schoenmaker. Il dit que ce monsieur raconte partout que nous avons fait le salut hitlérien. Le Frère Herman cherche ce monsieur pour l'interpeller. Le Frère Herman a déjà été voir au Camp Militaire, mais n'y a trouvé que le Commandant Peeters. Le Frère Herman continue à chercher le monsieur Schoenmaker. A 21 heures, le Frère Herman revient et cette fois-ci il trouve le Père Marcel. Il demande où on peut trouver monsieur Schoenmaker. Le Père Marcel répond de manière arrogante et attaque en avançant un tas de reproches : que nous avons fait le salut hitlérien, que lui, Frère Herman, me corrompt (le Père Moeyens). J'écoute, j'enregistre, j'accepte et je me tais. "
Retournons à Boelaert pour la suite : "Le lendemain Monseigneur me faisait appeler: " Asseyez-vous Père Edmond, mais pour une seconde seulement. Vous savez de quoi il s'agit. Nous sommes déjà suspects et maintenant Monsieur Schumacher est venu protester. Madame Henry (43) veut qu'une protestation publique soit déposée. Vous dites que c'est une affaire privée. Mais vous êtes Missionnaire du Sacré Cœur, donc votre comportement affecte l'Institut. Tous nos supérieurs, tant civils qu'ecclésiastiques, demandent qui nous nous fassions preuve de retenue. Vous ne réalisez pas ce que cela nous coûte. Si cela arrive encore une fois, je frapperai fort, quoi qu'il arrive, même si le travail devrait en pâtir, mais je vais aller aux autorités supérieures et frapper fort. J'espère que vous allez tenir compte de ce que j'ai dit. Vous pouvez partir. J'ai salué et je suis parti. "
Regardons aussi les démarches du Frère Herman, comme Moeyens les a observées: " Le lendemain le Frère Herman vient chez Monseigneur. Celui-ci lui défend de porter plainte contre monsieur Schoenmaker. Monseigneur lui raconte qu'ILS sont déjà venus chez lui pour se plaindre de l'incident et qu'ILS exigent une réparation publique. Ensuite, Monseigneur répète Marcel, disant que lui, le Frère Herman, me corrompt. Cela m'exaspère et j'écris une lettre à Monseigneur dont copie incluse. (44)"
Boelaert a encore un dernier mot à dire et le même soir " Je suis retourné et j'ai dit : Monseigneur, je ne peux prendre sur moi que plus aucun incident n'arrive. Car ces gens peuvent provoquer n'importe quel incident et s'ils me provoquent, je ne peux pas me taire." Et l'évêque de répondre : " C'est fini maintenant, Edmond. Des incidents de ce genre ne sont plus à prévoir. Pour moi, c'est comme si rien ne s'était passé." "Mais depuis lors, nous avons vu s'accroître l'amitié entre R.P. Es, M. Schumacher, M. Schweitzer et M. Piette (les trois chasseurs de nouvelles et de défaitistes) et nos paroles et nos actes étaient contrôlés. Spontanément, plusieurs personnes à Coquilhatville aux sentiments flamands se retrouvaient: Van Haute, Cordijn, Neys, Braeckman, et [nom illisible.] "
(2) A Léopoldville.
Boelaert continue le récit : " Le 12 juillet, le fameux et anticlérical journal de Kinshasa Avenir Colonial écrivait : 'Un article de notre correspondant de Coquilhatville que, par égard pour la justice, nous n'avions pas voulu publier pendant l'enquête, jette néanmoins un jour singulier sur l'attitude de certains individus que nous côtoyons tous les jours et sur le regrettable état d'esprit régnant dans certains milieux du Congo et d'abord sur M. Bossaert, 'un flamingant rabique'. Soutenu par quelques Pères de la Mission de Coq et par quelques camarades dont des fonctionnaires, notre Bossaert prend tout de suite figure de héros. Mais l'autorité veille ! Indignée, la population de Coq et surtout les militaires étaient prêts à lui faire un mauvais parti. Appelé à Léo, on défend toute manifestation à l'occasion de son départ à Coq. Toutefois les sympathies se firent jour au moment où le Reine Elisabeth quitte le quai de Coq et on put voir, malgré toute la colère des habitants de Coq, des échanges de saluts hitlériens entre Bossaert et plusieurs missionnaires. Quelles mesures prendra l'autorité….ecclésiastique contre ces missionnaires qui agissent ainsi ?… Il est urgent que l'autorité prenne une décision énergique. Dans ce sens urgent, dis-je, car il y a trop de défaitistes à Coq. Il faut un exemple. Tout défaitiste doit être mis hors d'état de nuire et il est encore moins admissible que cette trempe mange au " râtelier du gouvernement ".
" Le 28 juillet 1941, Monseigneur m'écrivait : " " Cher Père Boelaert, j'ai dû m'expliquer devant le Délégué à la suite d'un article dans l'Avenir Colonial " sur ce qui s'est passé à Coq. C'est une exigence formelle de sa part que je vous défende de correspondre encore avec M. Bossaert. J'ose compter sur votre bonne volonté pour que vous mettiez en pratique cette disposition. "
" Et le 30 juillet j'ai répondu à Monseigneur:" "Monseigneur, je viens de recevoir votre lettre du 28-7-41. C'est bien dommage qu'à l'occasion d'une loque calomnieuse comme cet article, on prenne une telle mesure. Je me soumettrai pleinement et aussi bien que possible à votre incitation que le Délégué vous impose et je promets de ne plus correspondre avec M. Bossaert. J'espère quand même que, dans les souffrances qu'ils endurent pour leurs convictions, lui et sa femme continueront à recevoir, de la part d'autres ecclésiastiques, le respect et la sympathie nécessaires. Je demanderai au Frère Herman de vouloir l'informer quant à mon silence. J'étais content de lire que cet articulet calomnieux, que j'aurais voulu voir accusé pour atteinte à l'honneur de la Mission, reconnaissait 'que surtout les militaires étaient prêts à faire un mauvais parti' à Monsieur Bossaert. Eviter cela était certainement la raison principale pour laquelle je suis resté si fidèlement aux côtés de M. et Mme Bossaert jusqu'au tout dernier moment de leur départ. Il n'est dès lors pas étonnant que ceux qui avaient de telles projets, fussent furieux de désenchantement. Et comme cet individu bouillant de rage nous fixait expressément et ouvertement, j'ai souligné encore un peu ma manière ordinaire de saluer quand nous étions sur le quai. Mais, que ce petit monsieur y ait vu le salut hitlérien, ne plaide pas pour son bon sens. Et que Coq soit en effervescence une demi-heure plus tard prouve encore une fois comment la neurose de guerre cause le plus grand défaitisme de l'intelligence, qui est connu dans l'histoire comme psychose de masse. "
Et parmi ses conclusions nous trouvons ces réflexions: " Si je montre ma sympathie pour Monsieur Bossaert, c'est parce que je reconnais ses actes progressistes et constructifs pour la question flamande et pacifiste, et que je soutiens sa quête honnête de la vérité et de la foi.", et " si je suis Flamand, " flamingant rabique ", comme le dit l'articulet, c'est parce que le principe du nationalisme est la première base pour la justice et la charité " (Lettre de EB à VG, du 28 ou 29 juillet 1941 citée dans EB à GH du 15-9-1941
Il est temps d'analyser un peu plus finement l'essentiel de la plainte : le salut hitlérien attribué au Père Boelaert et au Frère Herman.
Vrai ou faux ?
Boelaert et Moeyens (et le Frère Herman?), ont-ils vraiment fait le salut hitlérien ou était-ce un de ces multiples fantasmes propres à des moments de grande tension? Analysons les textes.
-Qui sont présents sur le lieu du crime ?
(1) Les " bien-pensants " (ou "l'autorité qui veille"): M. Schumacher, du camp militaire était à son poste d'observation. Des militaires avaient préparé leur coup et avaient leur éclaireur sur les lieux, mais le premier responsable militaire (major Peeters) avait ordonné d'éviter tout incident. L'évêque aussi veillait en la personne de son alter ego, le Père Marcel Es, " l'évêque noir, bichon de Monseigneur." (45) De leur côté se trouve " La population de Coq, indignée. "
(2) Les "défaitistes": Boelaert, l'objecteur de conscience (voir 3.5.), le Frère Herman, le Frère Albert De Witte, corrupteur du Père Moeyens et citoyen désobéissant, et le Père Moeyens lui-même, corrompu (par Herman). C'est le cercle qui assure la protection des flamingants rabiques que sont les Bossaerts, "cette trempe qui mange au râtelier du gouvernement" (46).
-Le crime :
Moeyens : " Au moment où le bateau quittait le quai, nous avons agité la main en signe d'adieu selon la coutume congolaise (on agite la main et la tient en position)".
Boelaert : (1) "Nous avons prolongé encore un peu nos gestes d'adieu à nos amis en partance." (2) "J'ai souligné un peu ma manière oridinaire de saluer quand nous étions sur le quai."
Avenir Colonial: "des échanges de saluts hitlériens entre Bossaert et plusieurs missionnaires"
M. Rosy: "vient nous voir et raconte qu'il a appris que nous avons fait le salut hitlérien."
Père Marcel " répond (…), que nous avons fait le salut hitlérien."
Tout ceci est donc une question d'interprétation. Il me semble invraisemblable que même un Boelaert aurait été si téméraire de défier, sans grande utilité d'ailleurs, le parti qu'il savait présent et aux aguets. Nous verrons dans l'affaire de l'objection de conscience comment, tout en restant inébranlable quant aux principes, il va très loin dans la compromission pratique. Et le Frère Albert aussi, on le verra tout de suite, sait rester dans le raisonnable. Et ainsi, avec la colère de l'évêque et l'indignation des bien-pensants, se termine (ou ne se termine pas!), le premier acte de la menace contre la sécurité de la Patrie (lointaine).
(2) Opposition à la convocation militaire: L'Affaire Albert De Witte
Le Frère Albert De Witte fut convoqué, avec 5 de ses confrères des Frères des Ecoles Chrétiennes, enseignants au Groupe Scolaire, à une instruction militaire. Il avait l'intention de ne pas y répondre. Nous n'avons aucun rapport de l'acteur principal même, le Frère Albert De Witte. De nouveau, nous nous confions à Moeyens (Lettre à GH, 8-9-1941) et à Boelaert (Lettre à GH le 15-9-1941). "Le dernier incident arriva peu après", raconte Boelaert. " Le 9 juin, six Frères étaient convoqués pour les instructions de 'réserve de recrutement', e.a. le Frère Albert De Witte. Cet appel était très drôle : parmi les douze appelés (le minimum pour organiser des instructions) se trouvaient six Frères. Les Frères de l'Enseignement Officiel avaient pourtant reçu du Gouverneur Général Rijckmans l'assurance qu'ils ne seraient pas convoqués et leur appel sous les armes était, semble-t-il, en opposition avec la loi belge (47). De ce fait, le Frère Albert émit des doutes s'il allait effectivement y aller. Il n'était pas question d'un refus de service comme tel, mais d'une protestation, alors que plusieurs supérieurs des Frères avaient promis de faire les démarches nécessaires pour tirer au clair cette affaire. L'affaire en était là quand le Fère Albert reçut la lettre suivante : 'Au Révérend Frère Albert De Witte t/s Aimé soit partout le S. Cœur de Jésus. Coq, 18/6/41 Cher Frère, A mon grand regret et à mon plus grand étonnement, j'ai appris que vous aviez décidé de ne pas répondre à l'appel de l'autorité militaire de Coq pour suivre aujourd'hui les instructions prévues à 13 1/2 heures pour les recrues de réserve. Comme ami et confrère, je vous prie de revenir sur cette décision ! Un tel refus de service ne peut que provoquer des problèmes pour vous-même et pour votre communauté. Changez votre intention et montrez que vous savez obéir quand on demande un petit sacrifice de votre amour propre. D'ailleurs, il n'y a aucune raison qui peut justifier votre refus. Mais cette affaire est trop importante pour notre réputation et pour l'œuvre missionnaire. Je me sens obligé en conscience, au nom de Monseigneur Van Goethem qui est aussi bien notre que votre Supérieur religieux, d'exiger que vous obéissiez à l'appel de l'autorité militaire et d'être présent aujourd'hui à l'instruction à 13 1/2 heures. Cela me coûte, cher Frère, d'être obligé de vous donner un ordre écrit, mais la situation est trop sérieuse. Je prie le Sacré Cœur de Jésus, dont nous célébrons demain la fête, de vous aider à agir en ceci comme en d'autres choses, dans un esprit de foi et d'obéissance. Tout à vous in Corde Jesu.' (Signé Es Marcel).
Ecoutons Moeyens pour connaître la suite et les dessous de l'affaire : " A 4 heures de l'après-midi du même jour, le Père Es déclare, en présence du Père Boelaert et des deux Frères, qu'il n'avait pas de délégation écrite de Monseigneur, mais que Monseigneur lui avait dit avant de partir qu'il devait veiller à ce que, pendant son absence, il n'y ait pas d'incidents. Le Père Es n'était pas encore nommé Vicaire Délégué. Il me laisse voir cette nomination seulement le 28 août 1941. "
Retournons à Boelaert pour la finale et regardons ce qu'en pensent les autres: "Monseigneur était parti en voyage. Et le Frère Albert alla à la fameuse instruction. Mais les Supérieurs des Frères n'étaient pas du tout d'accord avec cet convocation et, comme par hasard nous étions en réunion à Bamanya le lendemain, avec le Père Recteur de Bamanya, le Père Smolders du Belge, les Directeurs de l' Ecole Normale et du Noviciat, tous étaient de notre opinion (moi et le Père Moeyens) que cette convocation de l'autorité militaire était illégale et que Père Marcel n'avait pas le droit d'obliger de telle manière un Frère des Ecoles Chrétiennes. "
Toujours Schumacher ! "Quand plus tard nous fûmes de retour chez le Père Marcel, je lui demandai s'il ne s'était pas trompé, mais il se défendit d'être dans son droit. (Le Père Recteur de Bamanya nous avait assuré qu'il était présent quand le Père Marcel fut incité à écrire cette lettre par les Messieurs Piette et Schumacher)"
L'Evêque revient Le 21 juin, de manière inattendue, Monseigneur rentra de Bokuma. Il avait interrompu son voyage à la suite d'une lettre du Père Marcel faisant rapport sur le nouvel incident. Monseigneur ne nous demanda rien, mais nous avons entendu dire par après qu'il était décidé d'aller à Kin et de me muter. Comme le voyage pour Kin ne pouvait par avoir lieu, il se retira pendant quelques jours jusqu'à ce qu'il m'appelle le 2 juillet pour me dire qu'il avait décidé de me muter. Le 4 juillet, j'étais en voyage pour Bokuma avec l'intention d'y copier les registres et d'aller ensuite à Wafanya pour la même raison. Peu après, j'appris que cette affaire des instructions pour les réservistes était officiellement réglée en sens qu'aucun ecclésiastique ne pouvait être convoqué. J'apprenais aussi que le Père Es était nommé vicaire délégué pendant le service militaire du Père Jans. " Boelaert a la conscience tranquille : " Et si j'ai pris parti dans l'affaire du Frère De Witte, c'est parce que je voulais défendre la liberté de conscience et la liberté de l'Eglise ".(Lettre de EB à VG, du 28 ou 29 juillet 1941 citée dans EB à GH du 15-9-1941) L'Evêque date du 20 juillet la circulaire dans laquelle il insère des extraits d'une lettre de Dellepiane demandant aux missionnaires la neutralité (voir ci-devant).
Le refus de répondre à l'appel au service militaire était considéré en Belgique dans les milieux ecclésiastiques d'entre les deux guerres comme un manquement grave et scandaleux à son devoir civique. Les mythes du roi Soldat (Albert) et du Cardinal Patriote (Mercier) étaient fort bien implantés dans les consciences. Mais il y avait dans l'histoire de la morale catholique et dans d'autres lieux du monde catholique bien des tendances dissidentes, selon la conjoncture politique du moment. Boelaert connaissait ces tendances et son refus du service militaire pour Objection de Conscience était bien réfléchi et argumenté. Pendant que certains pays, dont les Etats Unis, avaient reconnu depuis longtemps le droit à l'Objection de Conscience (48), ce n'est qu'en 1964, que ce droit a été reconnu en Belgique par une loi . En octobre 1930, Boelaert arrive dans la Colonie et est nommé pour le Petit Séminaire de Bokuma. Les militaires en congé illimité sont obligés de demander la permission d'aller à l'étranger et de déclarer annuellement leur lieu de séjour (49). Boelaert ne l'avait pas fait et, le 8 septembre 1931, il reçoit un rappel. C'est le début de 11 ans de tiraillement entre les autorités militaires et le "milicien malgré lui", le Père Edmond Boelaert. Il y a eu un plan délibéré de la part de Boelaert pour éviter de reconnaître le droit aux autorités militaires de le rappeler sous les armes. En 1931, tout en reconnaissant qu'il a été inscrit dans les registres militaires, il répond qu'il a oublié les formalités de déclaration de départ et d'arrivée. L'année suivante, il avance l'argument que lui a insufflé 'un militaire de Boende' (M. Maurice De Ryck, selon ses propres notes, mais De Ryck était Administrateur et pas militaire) : il n'est plus tenu à une quelconque obligation militaire dans la Colonie parce qu'il n'a jamais fait de service militaire actif en Belgique. Le Deuxième Groupement Militaire de Boende ne le lâche pas et le met début 1933 devant le dilemme: ou bien se soumettre à ses obligations ou adresser au Ministre une demande d'exemption. Boelaert répète son argument d'absence de service actif personnel en Belgique, mais il met aussi en branle une action pour obtenir cette déclaration d'exemption sur base du service actif de ses trois frères. Hulstaert contacte M. Edward De Jonghe du Ministère des Colonies. On est déjà 1937 (ou 1936?). Les services de De Jonghe conseillent à Boelaert de se munir d'une attestation de service de ses trois frères aînés et de demander l'exemption au Ministre. Il promet de s'en occuper (voir copie du 20-5-1937 du rapport des explications du Cabinet De Jonghe). En juin 1937 Boelaert adresse une lettre au Ministre des Colonies et le 4 juillet au Ministre de la Défense nationale. (Il n'est pas clair si les deux ont été envoyées ou uniquement celle au Ministre de la Défense.) L'argument porte maintenant exclusivement sur le service militaire de trois frères. Ce qui, selon la législation en vigueur, peut donner droit à cette exemption. (Il explique qu'il a oublié de faire cette demande en temps opportun à cause de son entrée en religion.) Boelaert part en congé en Belgique début décembre 1938 et rentre le 5 août 1939. Il voit De Jonghe qui promet encore une fois de régler l'affaire. Dans le dossier se trouve une Autorisation de départ pour la Colonie datée du 11 octobre 1939. Mais, en 1940, il n'avertit pas les autorités militaires de la Colonie de sa présence. Le 16 septembre 1940, le Capitaine Commandant De Vré lui demande de s'expliquer et l'informe que son cas sera signalé à l'Autorité Militaire Supérieure. Le 2 octobre, Boelaert répète sa lettre au Ministre de la Défense Nationale et joint une copie de cette demande à sa réponse à De Vré. Le même 2 octobre 1940, Boelaert répond à De Vré qu'il n'a pas d'obligation militaire à cause de ses trois frères qui ont servi et que M. De Jonghe s'en occupe et qu'il espère bien que les dites Autorités Supérieurs régleront le cas pour du bon. Mais comme bouquet final, dans la même lettre au Capitaine Commandant De Vré, il se déclare objecteur de conscience : " La raison profonde en est que je suis convaincu en conscience que le service militaire est contre la loi naturelle, et donc contre le vrai bien commun, au moins dans la conception et les circonstances modernes ". Et cyniquement il y ajoute : " C'est pourquoi je suis heureux de ce que vous ayez bien voulu signaler mon cas à l'Autorité Militaire Supérieure." Cette Autorité Supérieure n'est pas impressionnée par le plaidoyer de Boelaert et répond froidement que : " Les autorités militaires coloniales n'ont pas à tenir compte des objections de conscience des citoyens belges " (cité dans la lettre de De Vré du 14-11-1940). L'affaire rebondit comme prévu l'année suivante et entre-temps se sont passés les événements Bossaert et Albert De Witte à Coquilhatville. Boelaert se trouve depuis quelques jours à Boteka, après sa 'relégation' à Bokuma. Le 15 septembre 1941, Boelaert fait mention d'une remarque de Mgr Dellepiane à Monseigneur Van Goethem, à propos de son attitude. Pour le reste, l'année 1941 se passe apparemment sans autres accrocs (ou est-ce simplement les documents qui manquent?) Le 18 novembre 1942, le carrousel reprend avec une demande par le Capitaine Commandant Thiriart (50) à Coquilhatville " de justification de manque d'Attestation de Présence (à quoi?) et de l'absence à la " revue ". Dans sa réponse du 25, Boelaert rappelle ses démarches antérieures et il dit regretter l'attitude négative des Autorités Supérieures Militaires envers l'Objection de Conscience et il conclut que lui " de son côté doit bien en tenir compte. " Boelaert soumet l'affaire à l'Evêque (qui l'avait instruit de faire ainsi). Celui-ci, après avoir demandé conseil à Hulstaert, l'oblige de signer l'Attestation de Présence (à l'adresse indiquée) avec l'argument qu'il a été décidé qu'en réalité les missionnaires ne seraient pas convoqués pour le service proprement dit. Boelaert obéit, mais en ajoutant en bas du formulaire une clause de réserve : "Met handhaving van aangegeven gewetensbezwaar" (avec maintien de l'objection de conscience mentionnée). Le 4 décembre 1942, le dossier se conclut avec une dernière lettre de Boelaert à son évêque dans laquelle il se plaint amèrement en ces termes: "Vous aussi, comme 'les Autorités Militaires Coloniales', ne pensez pas devoir tenir compte des objections de conscience ; vous ne soutenez pas vos missionnaires, mais les obligez d'aller à l'encontre de leurs convictions et de leur conscience, à cause de la réputation de la Mission, qui ne devrait avoir rien à faire dans une telle histoire." Le perspicace ami de Boelaert qu'était Van Avermaet, écrit à Hulstaert : " Ensuite, Mon est anti-militariste depuis bien longtemps. Il est objecteur de conscience et il est convaincu que justement maintenant l'idée de l'objection de conscience doit être propagée dans nos pays et dans les cercles de nos gouvernements. " Le dossier contient un document dactylographié non daté et non signé, de 5 pages, avec le titre " Dienstweigering " (Refus de Service). La critique interne de ce texte nous permet de l'attribuer sans hésitation à Boelaert. Il est écrit dans le langage théologique (scolastique et casuiste) de l'époque. En 4 chapitres, il défend la justesse morale de l'Objection de Conscience et le refus du service militaire tout en laissant la possibilité d'une opinion contraire. L'argument de base tourne autour de la possibilité d'une juste guerre. Vu le doute théorique, l'individu conserve le droit de suivre sa conscience. Pour Boelaert, c'est la conclusion d'un long et pénible combat intérieur : " Toute cette question est assez tragique mais c'est une question d'obéissance à sa conscience. Elle est tragique comme tout conflit de conscience : le choix entre deux maux et la finalité de ses actes. La véritable objection de conscience n'est ni défaitiste ni hautaine. Mais elle essaie honnêtement de combattre les excès de l'étatisme et les guerres qui en découlent. Il considère son refus comme un moyen de protester pour une conversion. Il est convaincu de servir l'humanité en désobéissant son gouvernement. Il fait appel à l'esprit contre la loi de l'ordre, contre la lettre. Il sait que son attitude est dangereuse, c'est comme jouer avec de la dynamite, c'est comme l'organisation d'une insurrection. Il connaît la possibilité d'abus, même d'échecs. Mais il prend le risque, confiant en sa conscience et en son Dieu. Et il espère rencontrer le respect, si pas pour sa position, au moins pour la moralité de son attitude. (51) "
Dans sa lettre du 3 juillet, Boelaert conclut : "Monseigneur, je nie que je suis un défaitiste. Quand je refuse le service militaire, je le fais par pleine conviction, étant conscient qu'ainsi je rends le meilleur service à la communauté. "
Dans un article rétrospectif, Moeyens résume ainsi le problème des restrictions : " Le gouvernement sous la conduite du Gouverneur Général Ryckmans réglait ces problèmes. L'économie était dirigée ; les indigènes étaient obligés à plus de travail et plus de production. Ainsi, la production du caoutchouc, coton, huile, riz, cuivre, étain, café etc. augmentait et était mise à la disposition des Alliés. Les bateaux qui venaient charger ces produits nécessaires pour la guerre apportaient en échange des produits alimentaires et autres produits qui nous manquaient. Il n'était pas question de véritable pénurie et à part quelques petites restrictions dans le secteur des carburants, la Colonie n'a pas connu de rationnement. " (52) Dans le rapport du Conseil de Province de 1944, nous en entendons une voix un peu différente : " Carence périodique de sucre, bierre, farine, lait, à cause de problèmes de transport." (53) Et déjà en juillet 1940, Marcel Es avait écrit : " A Coquilhatville tout a augmenté de 25 à 100% " (Lettre du 20-7-1940, MF 9/195, 93,3416.)
1. "Nous ne savons rien de la guerre en Europe": La discussion dans Le Coq Chante
De décembre 1939 à mars 1940 paraissent dans le journal de la Mission de Coquilhatville, Le Coq Chante, une série d'articles discutant ouvertement de la guerre en Europe. Leg périodique avait été lancé en 1936 par Monseigneur E. Van Goethem, peu après l'installation de l'imprimerie de la Mission. Il était destiné aux indigènes et voulait informer et former. On y utilisait principalement le lomongo, peu le lingala ou le français. La rédaction n'était pas attribuée à une personne définie. Souvent, c'était le missionnaire responsable de l'imprimerie qui s'en occupait ; parfois, c'était l'influence de Boelaert ou de Hulstaert ou de Jans qui prévalait (Boelaert a été plusieurs fois lié à l'imprimerie entre fin 1936 et juillet 1941). Ils étaient assistés par deux "secrétaires" Etienne Bokaa et Paul Ngoi. En 1940, le tirage était de 800 exemplaires avec environ 700 abonnements (760 en 1943). Il paraissait mensuellement sur 12 pages et était divulgué à l'Intérieur par les Postes de Mission et, en ville, par les paroisses ; quelques exemplaires partaient dans la diaspora (Kinshasa, Lisala, Gemena). Dès le déclenchement de la guerre par l'invasion de la Pologne, la population noire de la colonie belge était au courant des événements. La preuve en est qu'elle se pose des questions et consulte ses conseillers moraux qu'étaient les missionnaires. Les Pères sont ennuyés par les questions et n'y répondent qu'avec réticence. Le 3 octobre 1939, Jans écrivait encore à Hulstaert : " Je préfère ne pas écrire sur la guerre. Les autorités ont insisté d'éviter le plus possible d'en parler aux Noirs. Quand vous reviendrez, on pourra discuter de l'affaire s'il le faut avec l'Administrateur ou plus haut encore. " L'Instruction imposant la censure des publications locales pour les Noirs (défendant de parler encore de la guerre), les libère de cette responsabilité (décret communiqué à l'évêque le 8 juin 1940 et la lettre d'engagement de celui-ci d'y veiller en personne du 10 juillet) (54). Avant cette date, une petite polémique s'était déclarée dans Le Coq Chante . Le Père Gustaaf Hulstaert y avait répondu aux rumeurs et questions populaires sous le pseudonyme de E. Boala (55). La personne qui dialogue avec Gustaaf Hulstaert est une de ses très bonnes connaissances, le catéchiste Boniface Bakutu (1880-1967) (56). Ce dernier parle au nom des jeunes de la Mission de Boteka, centre de production des Huileries du Congo Belge (Lever) et, de ce fait, plus ouvert aux influences extérieures. Dans les publications protestantes éditées à Bolenge (Coquilhatville), on ne trouve aucun mot sur la guerre. Les textes cités ici en illustration sont restitués dans leur contexte intégral dans les Annexes à cet article ; les chiffres romains entre parenthèses renvoient à ces citations.
(1) Les basenji et les belole
Dans ses réponses, Hulstaert fait montre d'une spontanéité étonnante et compromettante. Nous trouvons ici des expressions sous sa plume qui ne correspondent pas à son attitude normale: il traite les gens d'ignorants, d'enfants, d'incapables de comprendre et les jeunes (c.à.d. les " évolués ") reçoivent carrément l'épithète d'imbéciles (bolole) ; d'autres sont qualifiés de non-civilisés (basenji). " Dans cette affaire les gens du Congo se sont encore une fois montrés supérieurement stupides, et je ne parle pas des sauvages, mais des jeunes qui se vantent d'être de grands intellectuels, de grands connaisseurs " (V). Son paternalisme ne semble pas avoir de mesure : " Mais au risque d'être mal compris, je vais pour une fois satisfaire l'envie de l'enfant "(I) ; car malgré tout, " nous les aimons comme nos enfants " (V). Il s'acharne particulièrement contre la manie de singer les Blancs et contre la recherche de nouvelles et d'informations sans intelligence. Ici on touche au cœur de ses conceptions pédagogiques et de son aversion des méthodes des Frères des Ecoles Chrétiennes qui, selon lui, excellaient dans cette méthode : " Pauvres imbéciles ! Quand quelqu'un va trouver des informations sur la guerre, quel profit en tirera-t-il ? Penses-tu qu'il les comprendra (V). Donc, ce n'est pas de si tôt qu'ils n'auront de l'intelligence, bien qu'ils parlent le lingala et le français comme le cœur le leur dit. Le phonographe a-t-il de l'intelligence quand il parle français? (V). Il semble même classer les Nkundo parmi les moins aptes à l'intelligence: " Si les Nkundo n'abandonnent pas cette vanité et ce vain orgueil, ils ne deviendront jamais intelligents à cause de leurs singeries" (II).
(2) Les événements et les causes profondes de la guerre
Après les avoir bien remis à leur place, Hulstaert daigne donner quelques explications et il le fait de manière très précise et assez complète: "Cette guerre a commencé avec l'Allemagne et la Pologne, ensuite la France et l'Angleterre ont pris parti parce qu'ils avaient signé un accord et avaient promis à la Pologne de l'aider. La Russie y est entrée seulement à cause de son envie de pillage et de sa rapacité. Ils ont spolié une partie du pays qu'ils avaient pris, puis ils s'y sont installés. "(II) La guerre est un combat pour l'hégémonie : " La perte du pouvoir même en Europe, c'est cela la vraie raison.(II) (…) Ils se battent parce qu'il y en a un qui veut soumettre les autres et les plier à sa volonté. Il veut qu'ils n'obéissent qu'à lui. Mais les autres n'en veulent pas et ils refusent de vendre la liberté qu'ils ont reçue de leurs ancêtres(II). "
(3) Qui peut arrêter la guerre ?
Les Noirs étaient étonnés que personne, même pas " l'Etat ", n'était en mesure d'arrêter les Européens de faire la guerre. A cet énigme, Hulstaert a une réponse bien faite: " Mais la guerre d'Europe n'est pas une guerre entre les habitants des pays, mais entre les Etats eux-mêmes "(III). Ses interlocuteurs avaient appris (par cœur) à l'école qu'un des grands mérites de la colonisation belge avait été justement l'arrêt de leurs guerres intestines. Et effectivement, Hulstaert fait ressortir la différence entre les deux cas : " Ici au Congo, l'Etat a fini par réunir tous les peuples et a pu interdire la guerre. Si, en Europe, ils n'étaient pas comme ils sont maintenant, il n'y aurait pas la guerre."(III) Ensuite, il évoque les interventions pour la paix des Papes Pie XI et Pie XII et des rois de la Belgique, des Pays Bas et des pays nordiques.
(4) La différence entre les Blancs et les Noirs
Dans son premier article (décembre 1939) parlant des causes de la guerre, il avait écrit : "Eh bien, la guerre en Europe est pareille ". Quelle affaire! Certains ont compris et disent que " les Blancs nous ressemblent, qu'ils sont comme nous, les Noirs."(II) Et Hulstaert de leur expliquer que ce n'est pas cela qu'il a voulu dire, qu'il y a bien de différences (en avançant des éléments contradictoires d'ailleurs) et que: "Les inventeurs de ce raisonnement ne savent rien! Regardez, quand un Blanc va entendre cette explication, il s'étonnera et va éclater de rire des sottises de ces instigateurs " (II).
(5) Et la Belgique?
Heureusement pour notre auteur que la Belgique n'était pas encore impliquée dans le conflit, car qui est plus vertueux que les Belges ? " Ainsi, nous les Belges, nous en restons loin. Depuis nos ancêtres, nous n'avons jamais fait la guerre à un autre pays, sauf en cas de provocation. Mais avec une ténacité, nous voulons empêcher que certaines gens nous soumettent et nous ne voulons pas être privés de notre souveraineté et de notre terre."(I) Mais pendant les années qui suivent quelques nouvelles bien qu'anodines, pénètreront dans les colonnes du journal. En juin 1941, page 4, on reproduit un communiqué du Service de l'Information qui mentionne le nombre de morts (2 Blancs et 10 Noirs) et de blessés (3 Blancs et 40 Noirs) dans les batailles à Bortai et à Gambela. En août 1941, le lecteur apprend que les femmes des recrutés partent dans la direction de Kisangani pour y rejoindre leurs maris. Et le 2 février 1942, nous voyons des soldats quitter Coquilhatville en direction d'amont. En mars 1942, on apprend que le 2 février des militaires sont revenus à Mbandaka d'une campagne. En juillet 1943, on annonce le départ du Père Jans en campagne comme aumônier. En novembre-décembre 1944, nous pouvons lire qu'un Noir a donné 1000 francs pour dire des messes à Kinshasa pour les militaires morts pendant la guerre. Et finalement en janvier 1945, Joseph Ntaa raconte ses visites au Nigeria, Egypte et la Palestine. Assez curieusement, Le Coq Chante n'annoncera jamais la fin de la guerre.
2. Au caoutchouc, citoyens! Un pamphlet et une iconographie subversive
2.1. Le pamphlet de M. Denis
Nous disposons d'un document de propagande officiel et de quelques lettres de missionnaires pour nous informer des activités de la Propagande Coloniale pour l'Effort de guerre et ses conséquences pour la population de Mbandaka et environs. Début 1942, les Alliés avaient perdu des ressources stratégiques comme le caoutchouc avec la chute de la Malaisie, de Singapore et de l'Indonésie. Ils se tournent vers d'autres endroits pour combler cette perte. Le Congo en était un. Le Conseil de Province de Coquilhatville avait décidé, début mai 1942, de lancer une campagne de propagande pour la récolte du caoutchouc. Le Père Marcel Es avait remplacé l'évêque à cette réunion. Le 18 mai, il se présente à l'imprimerie avec M. Denis, Administrateur de Territoire, pour déposer un texte de propagande à insérer dans le journal de la Mission, Le Coq Chante. Moeyens, que nous avons déjà rencontré dans l'affaire du salut hitlérien, est directeur de l'Imprimerie depuis la relégation de Boelaert. e directeur est une tête forte et il n'aime pas le belgicisme guerrier et encore moins l'exploitation des Noirs dans ce but partisan. Donc, il refuse et cherche de un appui chez Gustaaf Hulstaert qui en ce moment se trouve à Bokuma, 60 km en amont. Mais Marcel Es, lui aussi, fait appel à celui qu'il pense être le Rédacteur en chef du Coq Chante, le même Hulstaert. Donc, il écrit encore ce jour-là et donne sa correspondance à Monsieur 't Kint, colon en partance pour sa plantation à l'intérieur. La lettre de Moeyens n'est pas datée, mais Hulstaert y répond le même 25 mai. Il est donc probable que les deux missives opposées se sont trouvées côte à côte dans la "besace" du colon qui les dépose à Bokuma. Le document en question est remarquable pour son arrogance envers les Noirs: "Il faut toujours faire comme l'Etat le veut puisque c'est notre maître." Hulstaert qualifie cette phrase de dangereuse: " Avez vous vu, écrit-il à Es, qu'il y a une phrase dangereuse dans l'article : 'il faut toujours faire comme l'Etat le veut, parce que c'est notre maître' ?. Cela peut être interprété incorrectement et, comme le texte se présente là, il n'est pas suffisamment clair et mauvais. Pour les Noirs qui ne savent pas faire les distinctions nécessaires dans ces affaires, il est positivement dangereux pour la foi et pour la morale et, selon moi, il doit être barré ou changé. " Et à Moeyens, il écrit : "Le texte exprime l'étatisme le plus pur, nous ne pouvons l'accepter." La phrase incriminée sera quand même traduite et imprimée. Les Noirs ont évidemment besoin d'être motivés pour leurs efforts d'approvisionnement des Alliés. " Vous savez également que, pour gagner rapidement la guerre, il faut beaucoup d'armes ; il faut aussi des bateaux et beaucoup de camions pour transporter les soldats (…) Pour fabriquer tout ce matériel, il faut que les pays alliés envoient les matières qu'ils peuvent produire. Notre Congo est un bon pays producteur et l'Etat (Boula-Matari) veut aider les pays amis pour que la guerre soit vite gagnée.(…) Les provinces du Katanga et de Stanleyville fournissent le fer et le cuivre.(…) Quels sont les produits qui existent dans notre Province? Le caoutchouc, le copal, les fruits de palme (…). L'Etat veut du copal bien gratté, bien propre. Vous devez couper les fruits mûrs de vos palmeraies et les vendre à l'usine. " Et personne n'est excusé : " Pour bien travailler et avoir du rendement, il faut se partager la besogne: l'homme va en forêt, enlève l'écorce, les femmes et les enfants s'occupent du battage et tout le monde du transport suivant sa force. " Sinon, ils seront " punis d'un mois de prison et, ensuite, ils seront obligés de fournir les produits auxquels ils avaient voulu échapper." L'auteur du pamphlet fait aussi preuve d'un manque total de connaissance de la psychologie et de l'histoire de la région en rappelant expressément la campagne léopoldienne du caoutchouc rouge (" ce que vous avez peut-être oublié.") Mais selon Hulstaert, les Noirs ne l'avaient pas oublié du tout. Il écrit à Es: "Les gens en ont marre de cette affaire de caoutchouc; croyez-moi, les souvenirs de la période ancienne ne se sont pas effacés, au contraire. L'Etat n'a jamais rien fait pour effacer cette mauvaise impression " et, dans sa lettre à Moeyens, il enfonce le clou : "La résistance des Noirs est tenace. Ils se rappellent trop bien encore les anciennes histoires. Cela ne fera pas de bien à l'autorité des Blancs. Ceux-ci moissonnent maintenant ce qu'ils ont semé auparavant. " Il y revient en détail dans son article publié en 1983 (57). M. Blondeau de l'A.I.M.O. (Affaires Indigènes et Main d'Oeuvre), parlant en termes pudiques dans son rapport au Conseil de Province en 1944, déclare: " Les mouvements d'effervescence résultant de la réintroduction de la récolte du caoutchouc se sont très largement calmés. Il serait vain cependant de se dissimuler la lassitude de la population pour ce genre d'activité. Quelques occupations et opérations de police furent encore nécessaires pour réduire la résistance en certains groupements." M. Denis trouve qu'il n'y a pas d'excuses : " J'ai déjà entendu un ou deux noirs dire que, dans leur forêt, il ne pousse pas de lianes à caoutchouc. Ces gens sont des menteurs ou des paresseux, ils sont en tout cas de mauvais indigènes. Ils mentent parce qu'ils savent bien que les lianes à caoutchouc existent partout dans les forêts de notre Province. Ils sont paresseux parce qu'en déclarant qu'il n'y a pas de caoutchouc, ils veulent éviter le travail. Un homme fort n'a jamais peur du travail. Ils deviennent, en parlant ainsi, de mauvais indigènes parce qu'ils veulent éviter de faire ce que l'Etat leur demande. " Le Rapport au Conseil de Province de 1944 est par contre très affirmatif : " Les lianes lactifères facilement accessibles sont épuisées " (p.44). Hulstaert s'insurge dans une lettre à Antoine Rubbens contre ces accusations de paresse et trouve l'argument qu'avance la population concernant la rareté de lianes caoutchouteuses bien vrai : " Mais rien que du caoutchouc, 24 heures sur 24. Tout le monde dans la forêt et un tas de misères. Manque de nourriture. (…) Les quelques rares cas où les gens peuvent trouver du caoutchouc près du village, de sorte qu'ils peuvent retourner tous les jours pour dormir, sont exploités pour prouver qu'il y a du caoutchouc en abondance et que les gens ne doivent pas du tout aller très loin dans la forêt et que par conséquent ils peuvent bien cultiver leurs champs. S'il y a manque de vivres, on l'attribue à la paresse bien connue des nègres, qui, dans ce cas, ne travaillent donc pas " comme des nègres" (22-6-1944). Hulstaert écarte résolument la publication de ce texte de propagande sous la houlette de la Mission : "Si cet article y paraît, aux yeux des Noirs, la Mission fait de la propagande pour le commerce et l'industrie de guerre et je trouve cela inconvenant.(…). Si d'un côté la Mission doit collaborer avec l'Etat, l'autorité de l'Eglise doit aussi rester séparée. Nous souffrons déjà trop de l'opinion que la religion est la religion des Blancs, la religion de l'Etat, et cela va même plus loin : c'est un moyen qu'utilisent les Blancs pour arriver à bout des Noirs et pour les dominer. L'intérêt supérieur de l'Eglise et des âmes me semble commander que nous nous tenions éloignés de cette propagande " (Lettre à Es, 25-5-1942) ; Ce dernier pense que "nous sommes obligés de faire notre part dans le programme de l'Effort de guerre " et que cette brochure " est une instruction pour les Noirs, qui leur fait connaître leurs devoirs et leurs droits ". Mais il se voit formellement contredit par son Supérieur. Es avait proposé que Hulstaert en parle à l'évêque en voyage sur la Tshuapa et la Momboyo. Le bateau de la Mission a accosté à Bokuma le 30 mai de 11h.55 à 13 heures. Je n'ai aucune indication que Hulstaert en ait parlé effectivement à l'évêque, mais c'est très probable. Le résultat en a été que le texte ne sera pas inserré dans Le Coq Chante, mais imprimé par la mission en une brochure séparée sous la responsabilité exclusive de l'Etat. Le résultat de la propagande n'a certes pas été ce qu'en attendait M. Denis avec une naïvité incroyable ou un cynisme maladif quand il suppose que "tout le monde travaillera de bon cœur".
2.2. Iconographie subversive. Les linogravures de Jos Moeyens
Moeyens était avant tout peintre, mais il a produit plus de deux cents lino- gravures publiées dans différents périodiques. M. Denis lui avait demandé de faire également des lino pour cette brochure. Il s'en plaint auprès de Hulstaert, qui le lui défend. Finalement, il s'est quand même exécuté, mais tout en se vengeant. C'est avec un certain cynisme qu'il a illustré ce texte de propagande pour le nouveau caoutchouc rouge. Ses linos créent une sphère de tristesse, oppressante et déprimante, en contraste avec le plaisant soldat de la Force Publique (ivre?) sonnant le rassemblement. A part celui-ci, aucune des autres linos n'a jamais été publiée ailleurs. Les images illustrent à la lettre le texte du pamphlet.
" Le besoin du caoutchouc ne durera pas longtemps, simplement jusqu'à la fin de guerre. " C'était la promesse de la propagande de Denis. On signale que les Noirs gagnent maintenant un surplus d'argent qu'ils ne savent pas utiliser, car les articles de traite font défaut, comme le signale le Rapport du Conseil de Province de 1944 : " Les articles suivants ont presque disparu du marché : lanternes tempête, malles en fer, seaux galvanisés, miroirs de traite, gobelets, assiettes émaillées, casseroles, bicyclettes, machines à coudre, phonographes, sardines de traite, corned-beef de traite, couttellerie de traite, fers à repasser et nombreux tissus de qualité ". Ce surplus d'argent échoit principalement aux gens de l'intérieur qui vont effectivement au caoutchouc, mais les citadins n'en profitent pas : " Les boulversements économiques dus à la guerre ont ébranlé les situations sociales au détriment des salariés et appointés dont les revenus n'ont pas crû en proportion de la hausse du coût de la vie " (Rapport du Conseil de Province 1944, p.33.) Le même Rapport donne des chiffres : L'index du coût de vie des Noirs par rapport à 1940 (100) était de 190 fin 1942 et de 243 fin 1943 (p.22). Après deux années de campagne de caoutchouc, le docteur Schwers, médécin provincial, fait son rapport devant le Conseil Provincial en avril 1944 : " L'état sanitaire de la population indigène est mauvais. L'effort de guerre se fait dans de mauvaises conditions d'hygiène, d'alimentation et de soins médicaux. Les déplacements continuels de l'indigène sont nuisibles à sa vie familiale et multiplient à l'infini les chances de contamination." (p.8-9 ; plus en détails aux pages 43-44.) En octobre 1946, Van Wing a visité le Congo et principalement les Provinces de Léopoldville et de Coquilhatville. Il constate que "l'effort de guerre y continue en pleine paix " (58). Et encore en 1947, Hulstaert écrit à Antoine Sohier, membre du Conseil Colonial, commentant un texte de Ryckmans: "Il se débat pour disculper son administration et soi-même. Mais il aurait dû le faire plus finement. Là où, p.ex., il parle de l'effort aboli dès la reddition du Japon, mais continué quand même... J'ai ici une fiche d'effort de guerre où, en date du 13.8.1947, est encore inscrite la contribution. Il s'agit en l'occurrence de poisson à livrer à l'administration (à noter que tout cela servait à l'Européen x ou y) : il était noté comme effort de guerre, la viande de chasse, les tuiles végétales pour la Société X ou Y et jusqu'à l'huile, qu'il le fallait pour M. ou la S.A. et le caoutchouc officiel.) Et qu'on ne dise pas 'volontaire'. Ici, je n'ai pas connu d'effort de guerre volontaire. Obligatoire! D'ailleurs, les fiches de contrôle marquent nettement : imposition (quantité imposée…) " (59).
La situation à Coquilhatville n'était pas exceptionnelle. On peut la considérer comme typique pour le pays. Les Blancs ont souffert de tensions psychiques, de l'isolement de leurs familles en Belgique et de l'incertitude quant à l'issue de la guerre. Ceci a provoqué dès le début (60) des réactions presque paranoïaques. Les divisions idéologiques par rapport aux belligérants se sont manifestées comme en Europe. Mais ce sont incontestablement les Noirs qui ont souffert le plus. Pour un surplus de travail, ils ont eu moins de gain en termes de confort. La société traditionnelle a, une fois de plus, été poussée vers sa décomposition et la 'dénatalité mongo' a certainement été accentuée par les exigences de l'effort de guerre. D'autre part, les Noirs ont gagné en intelligence, ayant perdu une partie de leurs illusions quant à la nature (et à la culture) des Blancs. Malgré leur victoire militaire, la guerre a puissamment contribué à la dissolution des empires coloniaux des Occidentaux. Le Christian Century du 26 février1941 écrivait (phrase mise en exergue par certains des acteurs des 'événements de guerre' à Coquilhatville): "The great French and Dutch Empires of the East are on the auction block; and the greatest empire of all, that British realm (…) is fanatically calling upon the American Navy to save it. The great white Empires are falling to pieces before our eyes."
NOTES
(1) Le Congo Belge pendant la deuxième Guerre mondiale - Belgisch Kongo tijdens de tweede wereldoorlog, ARSOM, Bruxelles 1983, pages 439-494.
(2) Lufungula Lewono, Exécution des mesures prises sur les sujets ennemis pendant la seconde guerre mondiale dans la région de l' Equateur, Annales Aequatoria 9(1988)219-232.
(3) Les microfilms d'une partie des documents de l'Administration de Coquilhatville ont été faits par Bogumil Jewsiewicki en 1971, Rapport de la mission chargée de la reconnaissance des archives administratives de la Province de l'Equateur relative à l'époque coloniale. Arch. Aeq. M.F. 014. Une copie des films se trouve dans la Memorial Library, Madison, University of Wisconsin, Film 348 ; 5066 (3 bobines).. Voir aussi l'article de Lufungula Lewono, Possibilités et difficultés de recherche dans les Archives de Mbandaka, dans Africanistique au Zaire, [Etudes Aequatoria -7] Centre Aequatoria 1989, p.71-80
(4) Une puplication collective, Mbandaka. Hier et aujourd'hui, Centre Aequatoria, Bamanya 1990, 287 pages, contient plusieurs articles, une bibliographie et des plans de la ville, couvrant notre période. Pour les publications après cette date, voir l'Index des sujets dans Annales Aequatoria 21(2000) sous le vocable " Mbandaka .
(5) Hôtel Léopold II, de 1926 et l'Hôtel du Port de 1935. Voir l'article de Odio Ons'Osang, Histoire de quelques bâtiments à Mbandaka, dans Annales Aequatoria 14(1993)437-442.
(6) Franz M. de Thier, Le Centre Extra-Coutumier de Coquilhatville, ULB, Institut de Sociologie Solvay, Bruxelles 1956.
(7) Frère Alfred (August) Herman Driessen, 1898-1949. Il était architecte de profession et a construit les habitations et certaines des écoles des Frères à Bamanya et à Coquilhatville. Il collaborrait à Bamanya avec les Pères Jans, Walschap et la Sœur Auxilia, dans des réalisations artistiques et musicales. Il a dessiné les meubles en art deco qui sont toujours en fonction à la Mission de Bamanya.
(8) Au Congo depuis 1933 ; A Coquilhatville de 1940 à 1942.
(9) En 1940 faisaient partie de la direction les personnes suivantes dont plusieurs joueront un rôle dans les événements relatés plus loin : M.M.Van Hoeck, Freitas, Joosten, Schweizer, Lilot, Escarmelle, Gerrits, Portal et Simonet, Mme Henry, R.P. Jans.
(10) A Coquilhatville était ordinairement stationné un " Bataillon en Service Territorial " (S.T./Coq ou Tr. En S.T.) comptant en principe environ 500 personnes.
(11) Oscar Vermeir, La fin de la Mission des Trappistes à l'Equateur, Annales Aequatoria 1(1980)I,215-238.
(12) Ce couple oppositionnel exprime l'option politique des deux camps : les flamingants étant pour une indépendance plus ou moins complète pour la partie néerlandophone de la Belgique, les belgicistes étant des fervants défenseurs du status quo unitaire de la Belgique.
(13) Je n'ai pas pu identifier la personne en question étant les différentes graphie du nom dans les documents : Laurent Van Houdt, agent territorial ; né 1913, au Congo depuis 1939; ou Gerard Van Houtte? agronome, né 1905, au Congo depuis 1930
(14) Les originaux de cette publication sont conservés dans les Archives Aequatoria à Bamanya ; Microfiches P. 2 à 13.
(15) Paul Jans, 1886-1962; au Congo 1926-1954. Voir G. Hulstaert dans BBOM VII C, 216-218. Pendant la guerre de 1914 Jans avait été volontaire brancardier. En 1940 il devient l'assistant de l'Aumonier en Chef, le Père A Van den Heuvel. Il accompagnara le corps expéditionnaire en Abyssinie, Egypte-Palestine et Nigeria. En septembre 1945 il devient Aumonier en Chef jusqu'à fin 1952. Il fait une relation détaillée de ses années de guerre dans : Le Congo dans la guerre, Annales de Notre Dame du S. Cœur (Borgerhout), 1947, p.28-29 ;37-39.
(16) Il renaîtra en 1954 sous la rédaction combative du Père Jos Calsius senior, sous le nom de Pax.
(17) Jacques Leclercq (1891-1971), docteur en droit et en philosophie, prêtre en 1917, il devient professeur de philosophie morale et de droit naturel à l'Institut St Michel à Bruxelles (1921-1938) et à l'Université Catholique de Louvain (1938-1961). Fondateur de la revue La Cité Chrétienne (1926-1940). Il a marqué plusieurs générations d'étudiants par sa force intelectuelle et sa liberté d'esprit. Il s'est fortement engagé du Mouvement de Rénovation Walonne. Voir Cent Wallons du Siècle, Institut Jules Destrée, Charleroi 1995.
(18) Repris de Joseph Folliet, La race, la raison et le Christ, Nouvelle Revue Théologique février 1939, p. 204-231
(19) La Cité Chrétienne 13(1939), n°304, 20 septembre
(20) Je n'ai pas pu vérifier ce texte mais la revue est mentionnée pour des articles présenant l'opinion de l'épiscopat catholique allemand, dans ses numéros de 1, 15 et 29 octobre 1939 (Voir Kultuurleven, januari 1940, p.133)
(21) Kultuurleven avait publié en janvier un numéro spéciale sur la guerre et la neutralité. Il y a un article au titre semblable de N. Wildiers : Op zoek naar de nieuwe orde, (A la recherche de l'ordre nouveau) p. 205-220. Il est sûr que ce numéro a ét reçu à Coquilhatville et qu'on s'y est inspiré quant aux textes et au fait de publier un numéro spéciale sur la guerre. Une bonne vue d'ensemble sur cette période trouve-t-on dans le numéro spécial (et final) du même Kultuurleven augustus-december, 2000, dans le chapitre : Katholieken en de totalitaire uitdaging. Sociaal-politieke standpunten van Kultuurleven in het Interbellum.
(22) Voir sa lettre à l'évêque du 9 mai 1941 : " Tout ce que j'ai lu et appris des œuvres de l'abbé Leclercq…). Dans la bibliothèque du couvent MSC à Borgerhout où Moeyens séjournait pendant ses congés, nous avons trouvé une brochure " Katholieke stemmen tegen de oorlog " (Voix catholiques contre la guerre) non datée, émanant du pacifist chrétien notoire F. Stratmann. L'exemplaire en question porte la signature de Moeyens et un numéro de classement de la main de Boelaert ce qui indique qu'il provient probablement de la Bibliothèque d'Aequatoria.
(23) C'est un chapitre intitulé : Land of liberty unlimited, dans son récit de voyage aux Etats Unis , paru dans The Annals of Our Lady of the Sacred Heart, Sydney, 1 February 1941, p.38-39
(24) L'édition néerlandaise, Standaard Boekhandel, 1946 est une réédition de 1938 qui à son tour était la traduction de l'original : Code de Morale Internationale, Union Internationale d'Etudes Sociales, Spes, Paris 1937, rééditée en 1948. De fait ce texte est sorti des Journées d'Etudes Catholiques à Malines en 1937. J'ai vérifié les citations aux pages p. 110 et 111 de l'édition française de 1948. Je n'ai pas pu consulter les premières éditions de ces textes. J'ai traduit les textes du néerlandais comme reproduits dans La Page Chrétienne.
(25) D. Denuit, Le Congo en guerre, Ed. Frans Van Belle, Bruxelles, sans date, p. 27. On y trouve nombre de documents importants de l'époque., ainsi que dans P. Ryckmans, Messages de guerre, Larcier, Bruxelles, 1945. Debut janvier 1941, le minstre était de passage à Coquilhatville. (ibi p. 81). Le Coq Chante ne mentionne pas cette visite.
(26) L'attitude ambiguë et provoquante de ce personnage pendant la guerre était bien connue des coloniaux de l'époque. G. Hulstaert m'a raconté que, quand en mai 1936 l'Italie fasciste avait gagné la guerre contre l'Ethiopie, et Victor Emmanuel était proclamé Empereur d'Ethiopie, Dellepiane a fait chanter un Te Deum à Kinshasa. Une notice biographique dans BBOM VII C, 118 et Fr Bontinck, Aux origines de la philosophie bantoe, Fac. De Théologie Catholique, Kinshasa 1985, p. 39, note 47.
(27) Lire la notice biographique par L.A. Pétillon, dans BBOM, VII A, principalement les colonnes 293-295 et D. Denuit, Le Congo en guerre, Van Belle, Bruxelles, s.d., p. 127-146
(28) Il ne m'a pas été possible d'établir avec certitude l'identité de la personne du Directeur : Il y avait le Directeur de l'Ecole Primaire, le Frère Paul Warnotte (à Coquilhatville depuis 1939) amis également un Directeur de la Communauté des Frères.
(29) Il y a mention de ce nom dans l'Annuaire du Congo Belge de 1940-41 comme agent territorial, 1908, Congo depuis 1937 mais il est situé à Léopoldville . Moeyens écrit : " Schoenmaker ."
(30) Georges Schweizer, Agent de la Banque du Congo à Coquilhatville.
(31) M.J. Piette, agent territorial; 1900, au Congo depuis 1926.
(32) Moeyens aussi se plaint à Hulstaert que " ses lettres sont censurées par cette crapule " (lettre non datée) à quoi Hulstaert répond le 25-5-1942 : " Que vos lettres soient censurées, ne doit quand même pas vous étonner. Avec vos idées et sentiments concernant la guerre et la politique, c'est normal. Nous devons accepter les conséquences de nos attitudes. "
(33) Cité dans la lettre de Boelaert à Hulstaert du 15-9-1941.
(34) Cette lettre n'est pas retrouvée mais Boelaert la cite dans sa lettre à Hulstaert du 15-9-1941.
(35) Le texte dactylographié d'une page se trouve parmi les papiers Van Avermaet (Archives MSC-Borgerhout) et est une copie carbon non signée contenant des brèves extraits de : Christian Century du 19 et du 26 février et du 5 et 12 mars 1941 Le style et les idées sont indiscutablement de Boelaert, mais il y a une note écrite probablement de la main de Van Avermaet. Les auteurs des extraits cités ne sont pas indiqués et une enquête auprès de la rédaction actuelle de la revue est restée sans réponse.
(36) The Christian Century fondé en 1884, était publié par les Presbytériens et domicilié à Chicago. Il est étonnant de voir comment à cette époque Van Avermaet (et Boelaert ?) lit et cite une publication protestante. Les auteurs des extraits cités ne sont pas indiqués et des enquêtes auprès de la rédaction actuelle de la revue n'ont pas eu de résultats.
(37) Voir Annales Aequatoria 18(1997)66
(38) Voir Annales Aequatoria 9(1988)225-226
(39) Les documents originaux ou en copie se trouvent dans les Archives MSC-Congo à Borgerhout.
(40) Boelaert avait organisé une exposition d'objets d'arts et d'artisanat traditionnels dans les locaux du Cenrcle Excelsior de la paroisse de Bakusu en décembre 1940. Lire : Le Coq Chante de janvier 1941, p. 2-3 et Brousse 6(1940)7-9
(41) Je n'ai pas pu découvrir quel aurait été l'objet de cette accusation.
(42) Selon la version de Moeyens il s'agit de Rosy. Mais si Boelaert n'exagère pas cela signifierait qu'aurait existé également parmi les militaires une différence d'opinion sur la question.
(43) La femme du Gouverneur.
(44) Lettre de 5 pages et demie, du 9 mai 1941. Ceci plaide pour l'exactitude de la date de Boelaert, l'incident a eu lieu le 8 mai et pas le 2 comme l'ecrit Moeyens. La lettre ne contient aucune information supplémentaire concernant l'incident rappporté ici.
(45) Voir lettre de Moeyens du 9 mai 1941 Monseigneur Van Goethem
(46)J'emprunte les épithètes à l'article de l'Avenir Colonial .
(47) Il existait en Belgique à cette époque toute une législation et réglementation qui stipullait que les religieux et fonctionnaires d'une religion ne pouvaient pas être obligés de porter des armes. Pour cette raison ils ne pouvaient être intégrés que dans les services de la santé de l'armée ou en tant qu'aumonier.
(48) En mars 1938 J.T. McNicholas, archevêque de Cincinnati incitait les fidèles au refus du service militaire. Voir R. Boudens, De houding van het kerkelijk magisterium en de internationale katholieke vredesbeweging 1878-1960, in R. Burggraeve, J. De Tavenier, L. Vandeweyer, Van rechtvaardige oorlog naar rechtvaardige vrede, (Kadoc Studies n° 15), Leuven, University Press, 1993, p. 52. Voir aussi dans la même publication : Luc Vandeweyer, Katholieke vredesactie in een bedreigd Belgie 1914-1963, p. 113-149 ; " A partir de 1928 les Objecteurs de Conscience se font remarquer. A partir de 1931 on élargit l'argumentation : à côté du nationalisme flamand on avance aussi celui du pacifisme. D'où la réaction vigoureuse de la hiérarchie catholique." En 1934 Leclercq se mêle dans la discussion " Oorlog en dienstplicht in het licht van de katholieke zedenleer " (1934, inédit ?) en s'opposant à l'objection de conscience. Une étude de A.E. Eykerman, De Vlaamse dienstweigeraars tussen de twee wereldoorlogen, dans Vlaams Archief, Jaarboek Vlaamse Beweging, 1987, Brussel, p. 239-257, nous fait comprendre l'étendu du mouvement. Il est sûr que Boelaert participait aux motivations de ce mouvement. En 1930 déjà 25 personnes avient été condamnées pour refus de service militaire.
(49) La personne destinée à une carrière dans la Colonie devait remplir son service militaire avant d'y être admise. Mais ce service était bien adapté à la vie future et consistait principalement dans une formation spécialisée dispensée dans un des Instituts spéciaux à Bruxelles et à Anvers ou attachés à l'Université de Louvain. Les missionnaires pour le Congo suivaient les cours de formation à un de ces instituts, associés à une certaine formation strictement militaire mais toujours très limitée.
(50) Ce nom ne se trouve pas dans les Annuaires du Congo Belge des années 1939-1942. Il était des cadres sortis des réservistes
(51) " Dienstweigering" Archives MSC Borgerhout, Papiers Boelaert, 4 pages dactylographiées, en néerlandais. La citation constitute le dernier paragraphe.
(52) Jos Moeyens, Hoe we doorheen de oorlog kwamen,(Comment nous avons survécu la guerre), Annales van OLVvan het H Hart, 1946, p.9
(53) Rapport 1944, pagina 20. Les problèmes de transport étant liés à la carence de carburant.
(54) Lettre du Secrétaire Provincial 1426/Secr/J se référant à l'Ordonnance legislative n° 99/APAJ du 2 juin et proposant à l'évêque de " dispenser la mission de cette formalité à condition que vous preniez l'engagement de ne faire paraître des articles touchant les événement actuels de la guerre en Europe " Microf. 9/216, p.95.263
(55) C'est le pseudonyme qu'il s'était choisi lors de sa participation au Concours de l' Institut Colonial Belge en 1938 avec l'essai Het erfrecht van de Nkundo (Le droit de succession des Nkundo.) Boala pour etafe ea boalá, la branche de l'arbre boalá (Pentaclethre ertveldiana D.W)
(56) Hulstaert a publié une notice biographique de cette personne dans Biographie Belge d'Outre Mer, VII,C 15-17
(57) " Herinneringen aan de oorlog " dans Le Congo Belge pendant la deuxième guerre mondiale , ARSOM, Bruxelles 1983, p.587-698. Moeyens de son côté a publié quelques considérations de synthèse sur la période de la guerre : Hoe we doorheen de oorlog kwamen, (Comment nous avons vécu pendant la guerre) dans Annalen van O.L.Vrouw van het H. Hart (Borgerhout, MSC, Belgique), p.9-10
(58) J. Van Wing, Bulletin des Séances, Institut Royal Colonial Belge, 1947, p. 186
(59) Flandria, 29.10.47, cité dans Annales Aequatoria 18(1997)88
(60) A part les cas de Boelaert, Moeyens, De Witte, Bossaert etc., il y a encore une bonne illustration de réaction paranoique dans ce que Hulstaert m'a raconté. Un jour il a appris qu'un missionnaire américain disait aux Noirs que bientôt les Américains viendront prendre en main le Congo. Hulstaert dit l'avoir dénoncé à la sûreté et que le missionnaire en question a été expulsé. Mais il me manque tout témoignage écrit de l'incident. De l'autre côté il raconte dans 'Herinneringen aan de oorlog', Le Congo Belge pendant la Deuxième Guerre Mondiale, ARSOM, Bruxelles, 1983, p.587-698, un cas où il refuse de dénoncer un Noir recherché par la Surêté.
|
|
|
|