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thèmes > géographie sociale et architectures coloniales > Coquilhatville > Éléments pour une étude de géographie sociale | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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COQUILHATVILLE: ÉLÉMENTS POUR UNE ÉTUDE DE GÉOGRAPHIE SOCIALE / Par Jacques Denis (1956)Paru dans Aequatoria 19(1956)137-148 et 20(1957)1-4 1. LES HOMMES1. CROISSANCE URBAINELes fonctions d’une ville commandent son importance. Le rôle assigné à la station de l’Equateur, dès l'origine, était double: poste administratif et centre régional de distribution. Lorsque Stanley remonta le fleuve Congo en 1883 pour en assurer l’occupation. Il chercha à s’établir à proximité du confluent de la Ruki et de l’Ikelemba. Cette situation géographique paraissait favorable, à une époque où les voies de communication dans ce pays inexploré se réduisaient exclusivement aux fleuves et aux rivières. Après une escale plutôt qu'une installation à Inganda au début de juin 1883, Stanley débarqua avec son escorte à Wangata, quinze jours plus tard, et y fonda une station sous le nom d’Equateurville. La pénurie de personnel dans un pays dont les limites reculaient sans cesse obligea les autorités à supprimer ce poste en 1886. Il fallut attendre cinq ans pour que la région fut réoccupée. Le nouvel emplacement choisi, Mbandaka, était situé quelques kilomètres en amont, juste sous le confluent de la Ruki et du fleuve et il reçut le nom de Coquilhatville en souvenir de celui qui, avec Van Gèle, fut un des pionniers de l’Equateur. Les débuts de la nouvelle station furent modestes et semblables à ceux de tant d’autres: un embryon de population se constitua grâce aux soldats et aux travailleurs engagés dans la région plus ou moins spontanément. Vingt-cinq ans après sa fondation, Coquilhatville comptait à peine 3.000 habitants. Depuis lors, la progression fut lente mais continue, avec des haltes lors de la crise économique mondiale en 1930 et au début de la dernière guerre. Depuis 1949 le mouvement spontané d’émigration dans les milieux ruraux est venu gonfler le volume de la population urbaine qui atteint aujourd’hui plus de trente mille habitants. Nous avons exprimé schématiquement le rythme de cette expansion (Fig. 1) tant pour la population d’origine européenne que pour la population congolaise. Ces deux éléments, en effet, ne peuvent être dissociés. La ville en Afrique Centrale est une création du blanc, même lorsque la population est africaine dans une écrasante proportion. Afin de rendre comparables les deux courbes d’évolution, nous avons attribué une même valeur à la population européenne (295) et africaine (5995) telles qu’elles s’établissaient en 1925; les autres années s’expriment en pourcentage par rapport è cette base. Les statistiques qui ont servi à établir ce graphique n’ont évidemment qu'une valeur indicative. Les méthodes de recensement, si elles se perfectionnent chaque année, n’ont pas encore atteint ici à rigueur scientifique. Par ailleurs, bien que le quartier des pêcheurs (Basoko) ait été détaché du centre extra-coutumier pendant plusieurs années, nous en avons intégré la population dans les chiffres donnés plus haut, pour garder l'homogénéité.
2. COMPOSITION ETHNIQUEAlors qu'en milieu coutumier on observe un strict cloisonnement entre les ethnies, cloisonnement qui allait souvent jusqu'à une hostilité latente sinon ouverte - les centres urbains rassemblent des populations venues de tous les horizons et mettent en présence des groupes ethniques extrêmement divers. A Coquilhatville, le groupement Mongo prédomine et c'est assez normal. Cependant, bien que l'agglomération soit encore assez restreinte, il ne représente que 59 % du total. Les Nkundo, ethnie locale et qui en constitue la fraction principale, atteignent 39 % de la population urbaine. Si l'on compare la répartition ethnique de la population, telle qu'elle ressort du recensement de 1955, avec les données semblables de 1952, on s'aperçoit que le rythme d'accroissement d'autres groupes est nettement plus rapide, en particulier celui des Ngombe et des riverains du fleuve (1).
Cette répartition ethnique aura ses répercussions sur les caractères de la population du C.E.C., comme nous allons le voir. 3. DÉMOGRAPHIE URBAINELe rapport des sexes qui dans la plupart des agglomérations urbaines d’Afrique Centrale, constitue un problème lourd de conséquences est à Coquilhatville à peu près normal. La proportion est actuellement de 82 femmes pour 100 hommes, alors qu’elle n’est que de 56/100 à Léopoldville. L’étude de la natalité, par contre, mériterait d'être poussée davantage. D’après les déclarations de naissances à l’état civil, le taux de natalité (nombre annuel de naissances pour 1.000 habitants) serait passé de 17 ‰ en 1950 à 32,9 en 1955. Cette élévation spectaculaire ne doit pas faire illusion, elle est due au fait que les déclarations étaient moins habituelles, il y a 5 ans, qu’aujourd’hui. A première vue, un taux de 32,9 paraît excellent si on le compare aux normes européennes (16,9 en Belgique). En réalité, la mortalité infantile très élevée, se charge de le ramener rapidement à un niveau beaucoup plus bas, à peu près au niveau belge, après deux ans. Il s’agit donc d’une population qui arrive tout juste à se renouveler. Ce serait une erreur de comparer le taux de natalité à Coquilhatville avec celui de Léopoldville (43,5) considéré comme exceptionnel. Il faut tenir compte de l'inégale proportion des sexes dans les deux villes et comparer entre eux les taux de fécondité (nombre annuel de naissances pour 1.000 femmes en âge de procréer). L'indice de fécondité s'établirait pour le centre extra-coutumier de Coquilhatville, en 1955, à 108 ‰ contre 199 ‰ à Léopoldville. Ce qui revient à dire que chaque femme adulte a un enfant tous les 9 ans et demi. La durée moyenne de fécondité pour les femmes étant ici de 25 ans environ, chaque femme mettra au monde 2,5 enfants. Si l'on tient compte de la surmortalité infantile, on s'aperçoit qu'un taux de fécondité de l'ordre de 108 ‰ suffit à peine à assurer le remplacement de la population. De nombreuses études ont signalé le grave phénomène de dénatalité sévissant chez les Mongo. On en trouve une nouvelle preuve à Coquilhatville. Les autres ethnies, représentant un peu plus de 40 % de la population, malgré leur fécondité plus grande, n' arrivent pas à compenser le déficit Mongo. Et cependant les conditions d'hygiène, grâce aux maternités et aux consultations pré-et postnatales, sont nettement meilleures en ville qu'en brousse. Elles ne semblent donc pas aussi déterminantes que certains auteurs l'affirment. Seule une étude détaillée de la natalité chez les Mongo de la ville aussi bien que de l'intérieur pourrait dégager les causes réelles de ce phénomène inquiétant. L'accroissement naturel n'intervient donc que pour une part minime dans le développement démographique du centre extra-coutumier de Coquilhatville. Ce sont les migrations, de populations rurales qui en sont avant tout responsables. La ville n'est pas une entité autonome, elle ne s'explique et ne se comprend que dans un cadre régional. Pourquoi les villages se vident-ils au profit de la ville? 4. LES MIGRATIONSParmi les motifs qui poussent les ruraux à abandonner le milieu coutumier pour la ville, il y a certes l'attrait de l'inconnu et de l'aventure, mais aussi des motifs plus raisonnables. Certaines régions ont été longtemps laissées à l'abandon, sans écoles, sans dispensaires, sans voies de communication et donc sans possibilités de développement économique. Les plus entreprenants parmi les "laissés pour compte" de la colonisation vont tenter leur chance sous des cieux plus prometteurs: à la ville on trouve du travail et il est possible de s'élever socialement. Mais ce qui a peut-être contribué le plus fortement à chasser les hommes de la brousse, ce sont certaines contraintes qui, acceptées facilement autrefois, paraissent lourdes aujourd'hui et cela d'autant plus qu'elles atteignent un nombre d'hommes de plus en plus restreint. Les corvées de route étaient hier encore de 60 jours par an; elles sont ramenées maintenant à 45 jours, ce qui constitue tout de même une lourde charge. Les cultures imposées, sous forme de paysannats indigènes ou autrement, sont ressenties par les ruraux comme une contrainte pesante et inutile. Un exemple situera concrètement ce problème. Il y a une quinzaine d'années, certains administrateurs désireux de faire participer leurs populations à l'effort de guerre, imposèrent des cultures d'hévéas. Comme les terres émergées sont rares, les habitants de tel village durent aller, à une dizaine de kilomètres de chez eux, entreprendre des défrichements, planter, entretenir la plantation. Quand les arbres devinrent productifs, la guerre était finie, l'administrateur plusieurs fois remplacé, et plus personne ne désirait de caoutchouc. Aucun commerçant n'aurait l'idée de se rendre dans ces régions à peu près dépourvues de routes, à 100 ou 200 km du port fluvial le plus proche, pour y acheter, en petites quantités, un produit devenu banal. Faut-il s'étonner que les populations soient plutôt réticentes lorsqu'on leur impose maintenant de planter des palmiers? Dans en rayon de 200 km autour de Coquilhatville, nous avons visité une série de villages organisés en paysannats indigènes. La formule appliquée ici nous paraît trop rigide et, partant, inadaptée. Si l'agronome veut faire preuve d'initiative et adapter les directives aux circonstances locales concrètes, que lui seul peut connaître, des instructions comminatoires lui rappellent que son rôle consiste à appliquer les ordonnances, non à les interpréter. S'il exécute les directives sans discernement, on aboutit trop souvent à des situations regrettables, tant du point de vue humain que du point de vue agronomique. Nous ne critiquons pas l'idée du paysannat, qui est saine, mais certaines modalités d'application dans la région qui nous occupe, l'hinterland de Coquilhatville vers le Sud-Est. Certains faits de géographie physique commandent toute la question. Par suite de l'absence de relief et du climat équatorial, cette région est couverte en grande partie de forêts inondées. Les terres émergées - et donc cultivables - ne représentent souvent qu'un quart et même moins de la superficie des chefferies. Il en découle une conscience aiguë des droits fonciers de chaque clan. Par ailleurs, les espaces cultivables étant restreints, il importe de les mettre en valeur de la façon la plus rationnelle. L'instauration du paysannat signifie la répartition de bandes de terre rectangulaires aux différents ménages d' un village, sans cadastre préalable. Résultat: le paysan A travaille sur les terres de B et de C, tandis que d'autres occupent les siennes. Il n'a aucune envie de bonifier la terre qu'il travaille et qu'il sait n'être pas la sienne ; par ailleurs, il est mécontent de voir d' autres paysans installés sur ses terres. Quant à l'utilisation rationnelle du terroir, c'est une gageure: le géométrisme parfait des couloirs de cultures (toujours orientés Nord-Sud, Dieu sait pourquoi !) s'accommode mal des contours fantaisistes mais réels imposés par la nature. Tout cela contribue à instaurer un climat d'insécurité et d'équivoque, au lieu de fixer les paysans sur leurs terres, on les en détache peu à peu. D'autre part, lorsqu'un citadin retourne en congé ou en visite dans son village, il éprouve un incoercible besoin d'éblouir la galerie. Il décrit avec enthousiasme sa brillante situation, exhibe sa garde-robe, évoque l'animation et les plaisirs de ville. Il y a peu de jeunes, au village, qui résisteront à l'envie d'aller tenter leur chance dans ce paradis imaginaire. 2. LEURS ACTIVITÉS1. STRUCTURES ÉCONOMIQUESPour déclencher les mouvements de population, deux séries de facteurs interviennent. D'une part, les facteurs répulsifs du milieu rural, que nous venons d'évoquer, d'autre part les facteurs attractifs des centres urbains. Parmi ces derniers, si les facteurs d'ordre psychologique ne sont pas négligeables, ils ne suffiraient pas à entretenir un mouvement d'une certaine ampleur. Des facteurs économiques, les possibilités d'emploi, doivent nécessairement jouer le rôle principal. Or, si l'on essaye de déterminer les éléments principaux de la structure économique de Coquilhatville, on s'aperçoit qu'ils sont assez réduits. Dans le tableau ci-dessous, nous avons réparti la population masculine du Centre Extra-Coutumier selon les grandes catégories d'emplois.
Ainsi qu'il ressort de ce tableau, le principal employeur de la place est l'Otraco 5Office des Transports Congolais ) dont les activités sont étroitement liées à la situation géographique de cette ville, activités portuaires et chantier naval. Nous avons repris en un graphique (Fig. 3) le mouvement total du port depuis 1944; il ne nous a pas été possible de nous procurer les chiffres plus anciens. Si l'accroissement du tonnage est continu au cours des dix dernières années, le volume total reste modeste, il ne représente pas 10 % du mouvement au port de Léopoldville. Il faut bien le reconnaître, la Province de l'Équateur baigne encore dans une certaine torpeur économique, sa mise en valeur n'est qu'embryonnaire. Mis à part le coton de l'Ubangi, la seule richesse de cette province, pouvant faire l'objet d'une commercialisation, consiste en quelques produits d'origine végétale: huile de palme et de palmiste, caoutchouc, café, riz. L'inventaire est vite terminé. Quant au copal qui constituait naguère la richesse principale du pays, il est en passe de devenir un souvenir historique. Si on analyse plus en détail le trafic fluvial, on constate que la part de Coquilhatville et de son hinterland n'intervient que pour 65 % dans l'activité portuaire. Un peu à la façon d'une gare de triage, Coquilhatville reçoit les barges descendues des affluents et les assemble en trains pour les acheminer vers Léopoldville. A la montée, les barges sont détachées des pousseurs et amenées à destination, sur les affluents, par de petits remorqueurs. Aussi avons-nous distingué dans notre graphique, du moins pour les six dernières années le tonnage réellement manutentionné. Situé presque à mi-chemin entre Léopoldville et Stanleyville, au cœur d'un vaste réseau d'affluents navigables (Ubangi, Mongala, Lulonga, Ruki, etc., et leurs sous-affluents), Coquilhatville convenait parfaitement pour l'installation d'un chantier d'entretien et de réparation. Aussi l'Otraco a-t-il installé un chantier naval à Boyera vers lequel sont dirigées les unités de faible et de moyen tonnage. Ce chantier joue un rôle important sur le marché du travail de l'agglomération urbaine puisqu'il utilise les services de 556 travailleurs. Si on y ajoute les navigants (688), les travailleurs du port (204), ceux des Brigades de Travaux et de bois (160) et les services divers (96) on atteint un effectif total de 1704 travailleurs dont l'activité est en dépendance directe de la fonction portuaire. Mais, nous l'avons vu plus haut, une seconde fonction avait été assignée à Coquilhatville, dès les origines, une fonction administrative. Bien que la Province de l'Équateur soit un peu la Cendrillon des provinces congolaises, elle n'en compte pas moins 1.700.000 habitants et sa superficie présente 13 fois et demi celle de la belgique. C'est dire que son administration requiert un personnel assez nombreux. Et la présence d'un certain nombre de fonctionnaires déclenche une série de réactions en chaîne. Pour installer les bureaux et loger le personnel il faut construire, d'où travail pour les entrepreneurs. Leur présence attire des commerçants, des artisans, du personnel domestique, etc. La ville, en se développant, nécessite des services publics plus étoffés: voirie, police, santé, enseignement, etc. En dehors du chantier naval, l'activité industrielle, à Coquilhatville, est extrêmement réduite. On ne peut la compter parmi les fonctions urbaines. Une huilerie, une rizerie, une fabrique de confections constituent à peu près tout le domaine des industries de transformation. L'industrie du bâtiment et les travaux publics, par contre, semblent assez florissants. Mais leurs activités ne sont pas autonomes, elles dépendent étroitement des crédits officiels d'investissement, elles n'expriment pas la vitalité économique de l'agglomération. Au cours des deux dernières années, le nombre des indépendants s'est accru de 63 %. Si le développement du "secteur tertiaire" est souvent le signe d'une certaine prospérité, un développement excessif peut être dangereux.
Il ressort du tableau ci-dessus que le nombre des pécheurs a plus que doublé; c'est un métier extrêmement profitable en ce moment. Mais ces pêcheurs travaillent avant tout "pour l'exportation"; ils vendent leurs prises aux équipages des bateaux qui descendent vers Léopoldville. Cela va si loin que, malgré plus de 1.000 pêcheurs, Coquilhatville souffre d'une pénurie de poisson et que ce dernier se vend à des prix prohibitifs (70 à 80 frs le kg de poisson fumé). Le nombre de commerçants (1 pour 90 habitants) nous paraît excessif. La plupart ne sont que de petits boutiquiers. Disposant de peu de capitaux, ils achètent par quantités minimes et les prix restent élevés. 2. SALAIRES ET NIVEAUX DE VIETrois éléments principaux interviennent dans la différenciation des salaires: la qualification professionnelle, l'ancienneté, là situation familiale. Les allocations familiales sont destinées à aider le travailleur, père de famille, dans les dépenses qui concernent le logement et l'alimentation. La contre-valeur de l'indemnité de logement va de 2 frs pour le célibataire à 5 frs par jour pour un père de 5 enfants et plus. La contre-valeur de la ration se monte, pour un célibataire, à 7,50 frs, 8,30 frs ou 9 frs selon le genre de travail. A cette somme s'ajoutent 4,15 frs pour la femme et 2,08 par enfant à charge. Les primes d'ancienneté varient selon les employeurs. D'après nos informations, le salaire initial arriverait à être doublé après 25 ans de service. Quant au salaire proprement dit, le minimum légal est de 7,50 frs à 9,10 frs, par jour, selon que le travail est plus ou moins pénible. Si nous établissons le revenu mensuel total d'un travailleur non qualifié et sans ancienneté, il se montera à 435 frs pour un célibataire et à 765 frs pour un père de 4 enfants. Un ouvrier qualifié touchera de 1.000 à 2.500 frs par mois, sauf l'une ou l'autre exception. Les employés gagnent de 2 à 5.000 frs dans l'ensemble; quelques-uns atteignent 7 à 9.000 frs. L'échelle des salaires est donc extrêmement distendue puisqu'elle va à peu près de 1 à 20. Il serait évidemment d'un grand intérêt de savoir le nombre de travailleurs correspondant à chaque catégorie de salaire. Les recensements de la population africaine permettent de s'en faire une idée approximative. En 1955, on trouvait parmi les 7.829 salariés:
La répartition du personnel sédentaire de l'Otraco selon la qualification présente à peu près la même physionomie
Ces deux tableaux concordants permettent d'estimer que près de la moitié des salariés de Coquilhatville en sont encore au taux du salaire minimum et qu'en tout cas le revenu mensuel de cette moitié de la population n'atteint pas 1.000 frs. On en vient alors à se demander comment ils font pour vivre, pour s'assurer le minimum indispensable en matière de logement, d'alimentation et d'habillement. Prenons, à titre d'exemple, une famille avec 4 enfants. Une case en pisé de 3 petites pièces ne se trouve pas à moins de 200 frs par mois. Le minimum vital en fait de nourriture, pour un ménage de 6 personnes, comporte à peu près: 12 chikwangues (12 frs), 2 kg de riz (24 frs ), 250 gr. de poisson (20 frs), huile (3 frs ), légumes 2 frs, bananes (6 frs) soit au total: 67 frs par jour ou 2.000 frs par mois. Nous voici donc déjà à. 2.200 frs par mois, sans compter un certain nombre de dépenses inévitables, telles que l'impôt, les vêtements, les articles ménagers. Or. le salaire minimum assuré, pour un père de 4 enfants, est de 765 frs par mois. Conséquence: il faut se restreindre sur la nourriture. Le plus grand nombre des travailleurs ne mange jamais de viande et rarement du poisson. Les femmes les plus courageuses vont planter du manioc sur un bout de terrain dans les environs de la ville, d'autres vont acheter des vivres dans les villages voisins pour les revendre en ville ou parcourent les îles du fleuve pour y acheter du poisson,qu'elles revendront au marché, quand elles ne se livrent pas à des activités moins avouables. 3. LEUR HABITAT1. QUARTIERS AFRICAINSNous ne nous attarderons pas à analyser le quartier européen. Établi en bordure du fleuve, il égrène, le long des avenues de limonite, ses villas de type traditionnel -couvertes de tôles rouges, à l'ombre des palmiers et des cocotiers. L'habitat africain, par contre, présente une grande diversité. Le centre extra-coutumier comporte cinq quartiers distincts, ayant chacun une physionomie originale. Le plus ancien, et le plus peuplé, connu sous le nom de Coq 1 ou le Belge, est du type classique: corroyage de rues en terre ou couvertes de limonite, parcelles de 20 m. sur 20 hérissées de cases en pisé aux toitures de palmes ou de tôles, quelques rares habitations en dur, le tout ,discrètement abrité sous un ciel de verdure. En appendice à ce quartier, vers l'Est, s'étend une extension à laquelle les habitants ont donné le nom de Bruxelles. Titre de gloire plus que réalité puisque ce quartier est en tout semblable au précédent. A l'extrémité orientale de la ville s'élève la Cité Devisscher où l'Otraco a bâti 200 habitations en matériaux durables pour y loger une partie de son personnel. Les pêcheurs se son rassemblés en un quartier distinct, sur la rive de la Ruki, le quartier Basoko, du nom de l'ethnie la plus représentative dans cette corporation. A l'Ouest de la ville, 90 hectares ont été aménagés et lotis pour donner naissance à Coq II. "Contrastant vivement avec les quartiers anciens où les maisons en matériaux durables ne remplacent que lentement les paillotes traditionnelles, Coq II est une cité riante, toute de charmantes maisonnettes individuelles dans les jardinets desquels des habitants heureux s'affairent déjà à planter fleurs et arbrisseaux. Pour le Congolais, la maisonnette isolée dans sa petite parcelle reste l'idéal domestique et Coq II attire encore par la diversité de ses maisons dont les rangées ne donnent jamais l'impression maussade de camp qui se dégage toujours un peu des agglomérations construites en série."(2) La situation immobilière au centre extra-coutumier se présente comme suit
D'après ce relevé, chaque habitation abriterait, en moyenne, 8,4 personnes. En réalité, les quartiers diffèrent assez fort les uns des autres. Si à Coq II, les maisons comptent 4 à 5 habitants, la plupart des parcelles de Coq I groupent plusieurs familles et hébergent 12 à 15 personnes parfois même une vingtaine. Le C.E. C. de Coquilhatville, tel qu'il est défini par les limites administratives, s'étend sur une superficie de 424 ha, ce qui donnerait une densité moyenne à l'hectare de 70,3 habitants. Entre Coq I et Coq II s'étend une vaste zone en cours de drainage et destinée à devenir Coq III. Si l'on fait abstraction de cette zone absolument inhabitée, la superficie réelle du C. E. C. se ramène à 275 hectares, soit une densité de 109. Pour une ville africaine, cette densité est assez modérée; à titre de comparaison, Léopoldville a plusieurs quartiers qui dépassent 300 et certaines zones de la cité New Bell, à Douala, dépassent les 400. La densité à Coq II est très satisfaisante; lorsque les terrains de Coq III seront aménagés et lotis, ils pourront absorber une partie de la population de Coq I et les accroissements futurs de la population urbaine. 2. PROMOTION DE L'HABITAT"La promotion de l'habitat congolais n'est-elle pas essentielle et primordiale pour permettre une vie familiale décente et heureuse?" (3) L'habitat, en tous cas, est une des conditions et le premier indice d'une évolution sociale dans nos centres urbains et nul n'a le droit de s'en désintéresser. Dans les premiers temps de l'installation à Coquilhatville, les Congolais construisirent, sur les parcelles qui leur étaient attribuées, des cases de type traditionnel, semblables à celles de leurs villages. Il fallut attendre près de 50 ans pour qu'apparaisse chez les Africains le désir - et les possibilités financières - d'adapter leur habitat à leur nouveau genre de vie. Sauf exception (quelques tenanciers de bars, par exemple) il est impossible pour l'autochtone, compte tenu du taux actuel des salaires, d'économiser les 50 ou les 80.000 frs nécessaires à la construction par un entrepreneur d'une maison en matériaux durables. Aussi l'un ou l'autre employeur entreprit-il de construire, à ses frais, des habitations simples mais décentes, pour ses travailleurs. Le principal exemple des constructions de ce genre est la Cité Devisscher bâtie par l'Otraco. Cette formule cependant est loin d'être parfaite; elle présente l'inconvénient majeur de lier trop étroitement l'ouvrier à son employeur. De plus, elle empêche l'accession à la propriété privée, élément important de promotion sociale. Le rôle de la propriété privée n'est-il pas d'assurer au citoyen une plus grande liberté et une plus grande sécurité et par là de promouvoir sa dignité humaine? C'est dans cette perspective que l'autorité administrative, tutrice des populations congolaises, instaura en 1948 un Fonds d'Avance au bénéfice des habitants du C. E. C. de Coquilhatville. Au début du fonctionnement de cet organisme, les prêts étaient assez modestes et destinés surtout à l'achèvement ou à l'amélioration des cases existantes. A partir de 1951, des avances furent consenties pour financer la construction de maisons neuves en matériaux durables. Le montant du crédit peut s'élever jusqu'à un maximum (exceptionnel) de 125.000 frs. Pour en déterminer le taux, on tient compte de la composition familiale et du salaire du bénéficiaire. Le tableau ci-après résume les activités du Fonds d'Avance depuis sa création. On notera que sur les 25 millions engagés à ce jour, près de 7 millions ont déjà été remboursés.
Afin de réduire autant que possible le prix de revient des habitations et par là d'atteindre de plus larges couches de la population, l'administration a organisé une "Régie de construction de maisons pour Congolais". La Recomaco, dirigée par un fonctionnaire compétent et efficace, est conçue comme un service autonome quoique placée sous contrôle administratif. Lorsqu'un Congolais veut faire construire, grâce à ses propres deniers ou, plus souvent, à un crédit du Fonds d'Avance, il s'adresse, s'il le veut, à la Recomaco comme il s'adresserait à un autre entrepreneur. S'il a imaginé un plan pour sa maison, il peut le soumettre et la Régie exécutera le projet s'il est raisonnable - techniquement et financièrement-. En général cependant, le candidat-propriétaire choisit un des plans de base établis par la Recomaco, quitte à l'enjoliver avec barza, auvent, rotonde, toiture à 4 pentes, etc... moyennant un léger supplément. Les plans de base vont de la petite maison de 29 m2 à 25.000 frs (Fig. 5. Type 1) convenant pour un célibataire ou un jeune ménage, jusqu'à la grande maison de 68 m2 à 80.000 frs (Fig. 5, Type IV) adaptée aux familles nombreuses, en passant par des types intermédiaires de 33, 47 et 54 m2. Ces prix s'entendent pour une maison complètement terminée, livrée clef sur porte: fondations en blocs de limonite, murs en blocs de ciment, toiture en tôle, plafonds, pavement cimenté, huisseries, peinture intérieure et extérieure. Par ailleurs, toutes les maisons de la Recomaco sont conçues pour pouvoir être allongées sans difficultés, ce qui constitue un avantage appréciable. La Régie dispose de plusieurs équipes de maçons, charpentiers, peintres, travaillant à la tâche. Cette formule permet de disperser les chantiers dans les différents quartiers, de construire des modèles variés, de supprimer la surveillance des travailleurs. Ces derniers ont tout intérêt à travailler vite et bien; ils en sont les premiers bénéficiaires. De bons ouvriers arrivent ainsi à gagner de 100 à 200 frs par jour. Grâce à l'obligeance du gestionnaire et à l'amabilité des propriétaires Congolais, nous avons pu visiter en détail un certain nombre des 300 maisons construites par la Recomaco. D'un fini impeccable pour un prix modéré, souvent décorées et meublées avec goût, ces maisons marquent une étape décisive dans la promotion de l'habitat urbain africain. 4. POUR CONCLUREA l'issue de cette description schématique de Coquilhatville et avant de proposer quelques thèmes de réflexion, nous voudrions rappeler deux idées familières aux géographes. La première, c'est qu'un site n'a de valeur qu'en fonction de l'usage qui en est fait dans un état donné de civilisation. La seconde, c'est qu'un fait de géographie humaine est une synthèse, en perpétuelle évolution, d'une série de facteurs et qu'une ville, par conséquent, ne s'explique que dans le complexe régional qu'elle anime et qui la vivifie. Malgré l'allure paradoxale du propos, on pourrait dire que l'avenir de Coquilhatville se lit dans son passé. La ville bénéficie d'une situation de fait qui est un facteur de permanence. Depuis sa fondation, Coquilhatville est le centre administratif de l'Équateur. Le choix de Stanley était parfaitement justifié à cette époque. Mais certains esprits se demandent aujourd'hui si Lisala, par exemple, ne serait pas mieux indiquée. Cette dernière ville commande le District de l'Ubangi, beaucoup plus densément peuplé et nettement plus avancé au point de vue économique. Le déplacement du chef-lieu, à notre avis, ne s'impose nullement. La fonction administrative est aussi bien assurée dans une ville que dans l'autre et le bénéfice qu'en tirerait Lisala ne compenserait pas la perte qui en résulterait pour Coq, sans parler des capitaux investis irrécupérables. Si l'avenir administratif de Coquilhatville semble assuré, il n'en est pas de même de son avenir économique matérialisé par son activité portuaire. Depuis quelques années, le trafic à l'exportation "plafonne" et le marché du travail dans la ville risque d'être bientôt saturé. C'est l'avenir de tout le District de l'Équateur qui est ici en jeu. Notre intention n'est pas de proposer des solutions - notre connaissance des problèmes locaux est beaucoup trop sommaire - mais d'inviter à réfléchir. Ne s'indiquerait-il pas d'élaborer sans retard une sorte de Plan Décennal pour le développement du District de l'Equateur ? On peut prendre des mesures factices, procéder à des investissements plus spectaculaires que productifs. En définitive, on arrivera toujours à constater que l'avenir de Coq est lié à la vitalité de son hinterland. C'est dans l'intérieur que des mesures doivent être prises, mesures qui tiennent compte des éléments humains autant que des éléments techniques. Ce n'est pas à coups d'amendes ou de servitude pénale qu'une réforme aboutit, un avenir durable ne se bâtit que dans l'enthousiasme. Si les mesures prises sont raisonnables dans leur but comme dans leurs moyens, les populations en seront les premières bénéficiaires et leur collaboration active sera acquise. De nombreux projets pourraient être étudiés: développement des pêcheries avec peuplement systématique, essais de riziculture inondée, coopératives de productions vivrières, plantations, etc. Ce qui importe est d'élever le niveau de vie des populations rurales tout en alimentant le commerce régional, les deux allant de pair. Coquilhatville sera-t-elle une vieille dame vivotant de ses rentes ou assistera-t-on au réveil de la Belle au Bois ? Le choix est entre nos mains (4). NOTES (1) Nous avons utilisé pour les noms ethniques la graphie préconisée par 0. Boone: Carte ethnique du Congo Belge et du Ruanda- Urundi. Zaire, VIII. 5 mai 1954, p. 451-465. (2) ANCELOT, H.. Coquilhatville 1954. L'Actualité Congolaise. Edition B, n° 209, 1954. (3) Verniers L., Habitat, facteur social. Coquilhatville, La Croix du Congo, 4 déc. 1955. (4) Nous remercions vivement les autorités administratives de Coquilhatville et des territoires voisins ainsi que les Missions et foyers sociaux pour la collaboration qu'ils ont bien voulu apporter à notre travail. Cette étude rentre dans le cadre d'une vaste enquête sur les processus d'urbanisation en Afrique Centrale, enquête entreprise avec l'aide et un subside de l'Institut pour la Recherche Scientifique en Afrique Centrale - IRSAC. |
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