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CORRESPONDANCE SOHIER - HULSTAERT (1933-1960)
Société coloniale et droit coutumier
Editée par Honoré Vinck Texte revu de: Annales Aequatoria 18(1997)9-238
Notice biographique: Sohier; Hulstaert
LES ORIGINAUX ET LES COPIES
Les originaux des lettres de Sohier se trouvent dans les Archives-Congo des Missionnaires du Sacré Coeur à Borgerhout (B), à l'exception des lettres 42, 44, 47, 49, 50, 52b, 68 à 75, 82 à 90 dont les originaux sont conservés aux Archives Aequatoria à Bamanya-Mbandaka, R.D. du Congo (Dossiers Wijima M.F. 3/40-43 et Lokondo M.F. 3/35). La plupart de ces lettres écrites à la main et évidemment signées. J'ai travaillé sur des photocopies avec, en cas de doute, le contrôle sur les originaux. Les lettres de Hulstaert sont des copies carbones conservées également à Borgerhout, et pas signées. Les mots ou phrases réstées indéchiffrables sont marquées par la mention [illisible]. Quelques fois la lettre a une finale abrupte, signe que le document a été tronqué d'une partie.
SUITE CHRONOLOGIQUE DES LETTRES DE HULSTAERT ET DE SOHIER
Note: si les noms ne sont pas indiqués, la lettre est de Sohier à Hulstaert.
1: 24-11-1933 (retour note sur l'adultère) / Hulstaert à Sohier [Lettre absente] 2: Hulstaert à Sohier
8-1-1934 (réponse à 1) 3: Hulstaert à Sohier
15-9-1934 (remerciements brochure dot) 4: [1934] (retour projet article) 5: Hulstaert à Sohier
1-4-1935 (envoi note emprisonnement divorceuses) 6: 5-4-1935 (réponse à 5) 7: Hulstaert à Sohier
18-4 -1935 (réponse à 4) 8: 21-4-1935 (réponse à 7) 9:
30-9-1935 (retour manuscrit Hulstaert) 10: 24-1-1936 (réserves sur "Protection de la femme indigène")
/ Hulstaert à Sohier[Lettre absente] 11: 10-4-1936 (réponse à une lettre absente) 12: Hulstaert à Sohier
31-7-1937 (réaction modification décret du 15/4/1926) 13:
12-8-1937 (réponse à 12) 14: Hulstaert à Sohier
3-10-1937 (réponse à 13)
/ Hulstaert à Sohier [lettre absente du 23/10/1937 cfr.. note sur 14] 15:
14-1-1938 (réponse à 14 et allusion à 12) 16:
22-6-1938 (invitation une visite) 17: Hulstaert à Sohier
29-3-39 (réponse à envoi article) 18:
9-5-1939 (réponse à 17) 19: Hulstaert à Sohier
29-6-1939 (réponse à 18) 20: Hulstaert à Sohier
27-10-1939 (A propos du passage de Sohier Coquilhatville) 21:
11-12-1939 (réponse à 20)
/ [carte postale absente, cfr.. 23 e t 24] 22: Hulstaert à Sohier 4-2-1940 (réponse à 21)
/ Hulstaert à Sohier[lettre absente, réponse à la carte postale, cfr. 24] / [lettre absente, réplique à la réponse à la carte postale absente]
/ [lettre absente, cfr. 23-7] 23: Hulstaert à Sohier 30-7-1945 (réponse à envoi livre) 24: Hulstaert à Sohier
31-12-1945 (réception ouvrage sur mariage coutumier) 25: s:d: (début
1946, cfr. 26, réponse à 24) 26: Hulstaert à Sohier
7-2-1946 (réponse à 25)
/ [lettre absente: voeux, cfr. 27] 27: 29-12-1946 (réponse à voeux) 28: Hulstaert à Sohier
14-1-1947 (réponse à 27) 29: Hulstaert à Sohier
25-7-1947 (recommandation de MrDe Rode) 30: 5-9-1947 (réponse à 29) 31: Hulstaert à Sohier
29-10-1947 (réponse à 30) 32: 15-11-1947 (réponse à 31) 33: Hulstaert à Sohier
20-12-1947 (réponse à 32) 34: s:d: (réponse à 33) 35: Hulstaert à Sohier
17-2-1948 (réponse à 34 et demande recension) 36:
29-2-1948 (réponse à 35 et envoi recension 37: Hulstaert à Sohier
27-3-1948 (réponse à 36) 38: 21-5-1948 (envoi recension) 39:
8-6-1948 (signale recension tronquée, cfr. 38) 40: Hulstaert à Sohier
11-6-1948 (réponse à 38) 41: Hulstaert à Sohier
12-7-1948 (réponse à 39) 42: Hulstaert à Sohier
8-3-1949 (Congrès NationalColonial) 43: 10-3-1949 (réponse à 42) 44: Hulstaert à Sohier
16-3-1949 (réponse à 43)
/ Hulstaert à Sohier / [lettre absente du 1-9-1949 cfr. 45] 45: 13-9-1949 (réponse à lalettre du 1-9-1949) 46: Hulstaert à Sohier
14-9-1949 (réponse à 45) 47: Hulstaert à Sohier
9-11-1949 (demande recension) 48: 15-11-1949 (réponse à 47) 49: Hulstaert à Sohier
16-11-1949 (réponse à 48) 50: Hulstaert à Sohier
24-1-1950 (demande recension) 51: 27-1-1950 (réponse à 50) 52: Hulstaert à Sohier
29-1-1950 (réponse à 51)
/ Hulstaert à Sohier / [lettre absente cfr. 53] / [lettre absente cfr. 52b] 52b: Hulstaert à Sohier
10-6-1951 (réponse à lettre absente) 53:
17-7-1951 (réponse à 52b et à lettre absente) 54: Hulstaert à Sohier
6-8-1951 (réponse à 53) 55: 22-8-1951 (réponse à 54) 56: Hulstaert à Sohier
11-9-1951 (réponse à 55)/ [lettre absente cfr. 57] 57: Hulstaert à Sohier
4-11-1951 (réponse à lettre absente)
/ [lettre absente cfr. 58] 58: Hulstaert à Sohier 24-2-1952 (réponse à lettre absente) 59:
1-3-1952 (réponse à 58)
/ [Image/photo absente du fils de Sohier, missionnaire en Chine] / [lettre absente cf r 62] 60: Hulstaert à Sohier
6-4-1952 (réponse à 59) 61: Hulstaert à Sohier
28-7-1952 (réponse à lettre absente)
/ [lettre absente cfr. 62] 62: Hulstaert à Sohier 16-12-1952 (réponse à lettre absente)
/ [lettre absente cfr. 63] 63: Hulstaert à Sohier 3-10-1953 (félicitations épuisement livre sur Droit Coutumier)
/ Hulstaert à Sohier[lettre absente de voeux cfr. 6] 64: 26-1-1954 (voeux) 65: Hulstaert à Sohier
10-2-1954 (réponse à 64) 66: 26-6-1954 (félicitation pour numéro d'Aequateria) 67: Hulstaert à Sohier
4-7-1954 (réponse à 66) 68: Hulstaert à Sohier 19-1-1955 (réponse à envoi BJ:T:I:) 69: 24-1-1955 (envoi annexe lettre au Ministre, affaire Lokondo) 70: Hulstaert à Sohier
15-2-1955 (réponse à 69) 71: 25-2-1955 (réponse à 70)
72: s:d: [fin mars] (envoi article) 73: Hulstaert à Sohier
3-4-1955 (réponse à 71) 74: s.d: (réponse à 73) 75: Hulstaert à Sohier
25-10-1955 (problèmes fonciers)
/ Hulstaert à Sohier[lettre absente cfr. 76] 76: 17-12-1955 (réponse à lettre absente) 77: Hulstaert à Sohier
29-12-1955 ( réponse à:74 et 76) 78: Hulstaert à Sohier
8-1-1956 (encore réponse à 74) 79: Hulstaert à Sohier
30-1-1956 (encore réponse à 74 et 76)
/ [lettre absente cfr. 80] 80: Hulstaert à Sohier 17-2-1956 (réponse à lettre absente)
/ [carte postale absente cfr. 8] 81: Hulstaert à Sohier 5-4-1957 (réponse à carte postale absente) 82: Hulstaert à Sohier
24-4-1957 (envoi copie de jugement affaire Witsima) 83:
27-4-1957 (réponse à 82 ?) 84: Hulstaert à Sohier
30-4-1957 (réponse à 83) 85: 4-5-1957 (envoi copie lettre au Ministre pour affaire Witsima) 86: Hulstaert à Sohier 9-5-1957 (réponse à 85) 87: Hulstaert à Sohier
14-5-1957 (affaire Witsima + copie lettre à Housiaux) 88: Hulstaert à Sohier
5-1-1958 (voeux Nouvel An) 89: Hulstaert à Sohier
9-3-1958 (affaire Botuli terres) 90: 27-3-1958 (réponse à 89) 91: Hulstaert à Sohier
15-11-1959 (recommandation pour un magistrat) 92:
23-11-1959 (réponse à 91) 93: 2-11-1960 (réception n: d'Aequatoria)
Index thématique et onomastique
[Lettre 1]
Elisabethville le 24/11/1933
Très Révérend Père,
J'ai l'honneur de vous accuser bonne réception de votre note sur l'indemnité en matière d'adul-tère (1), et de vous remercier pour son envoi, ainsi que pour l'intérêt que vous portez à notre publication. Votre note intéressera certainement nos lecteurs et je la publierai dans un de nos prochains numéros. Je me propose de faire paraître prochainement la traduction des notes sur le mariage chez les Ekonda, publiées par le Révérend Père De Boeck dans la Revue Congo (2). Je remarque que l'auteur y signale que les Ekonda appartiennent aux peuplades Nkundo. Vous se-rait-il possible de me faire savoir afin de, le signaler en note, si vos remarques générales sur le système répressif de l'adultère chez les Nkundo s'appliquent aux Ekonda? En exprimant le vœu que votre collaboration à notre revue ne se bornera pas à cette intéressante note, je vous prie d'agréer, Très Révérend Père, toutes les assurances de ma considération très distinguée.
A. Sohier Président de la Société d'Etudes Juridiques
NOTES
1. "Note sur l'indemnité en matière d'adultère", Bulletin des Juridictions Indigènes et du Droit Coutumier Congolais (B. J. I. ), 2(1934)121-122 2. Jules De Boeck, "Note sur le mariage indigène chez les Ekonda (Lac Léopold II)". B. J. I. 2(1934)158-161 (cfr. Congo, avril 1933, I, 546-554
[Lettre 2]
Mission Catholique Bokuma 8 Janvier 1934
Monsieur le Président de la Société d'Etudes Juridiques
Monsieur le Président,
J'ai l'honneur de vous remercier pour votre aimable lettre du 24 novembre, à laquelle je m'em-presse de vous répondre. Etant encore à Flandria (1), j'avais dans l'intention de vous envoyer de temps en temps une note pour votre bulletin, qui me paraît répondre à un besoin réel. Mais entre-temps j'ai été transféré à Bokuma, et mes supérieurs m'ont imposé une charge qui ne me laisse pas le moindre loisir. Pourtant, si jamais je peux trouver un moment de disponible, je serai très heureux de rester en contact avec votre oeuvre si méritoire,, si cela peut vous rendre service. A Flandria, j'étais tout proche de la région habitée par les Ekonda dont vous m'écrivez. Il y avait, d'ailleurs, beaucoup d'Ekonda, tant à l'école, qu'à la Mission et à la CI. Personnellement je n'ai visité les chefferies Nord des Ekonda qu'une seule fois. Mais il ne peut y avoir de doute qu'ils appartiennent au peuple NKUNDO. Cette population occupe un territoire fort étendu, et certaines de ses tribus ont certainement été influencées par d'autres peuples. Il y a encore des divergences. Mais d'autre part, les NKUNDO montrent une grande uniformité, comparative-ment à d'autres peuples. On peut donc affirmer, sans grande crainte de faire erreur que ce qu'on trouve ici, existe également ailleurs, au moins dans les grandes lignes. Car vu précisément les divergences, dans les détails, il faut être prudent de ne pas trop généraliser, ni de conclure a priori. C'est pourquoi j'ai appelé les 6 Ekonda qui se trouvent ici à la Mission, et leur ai proposé vos questions. Ils y ont donné une réponse affirmative, y ajoutant comme cela est d'ailleurs le cas également dans cette région-ci qu'à présent il ne reste que le paiement au mari lésé, et que si la femme de l'amant se risquait de se venger de sa rivale, elle serait condamné par le tribunal européen. Voilà, Monsieur le Président, tout ce que je puis vous répondre. Mais je pense que pour votre but, cela peut suffire. Dans l'espoir d'avoir pu vous rendre quelque menu service, je vous prie, Monsieur le Président, d'agréer l'assurance de ma considération très distinguée.
NOTES
1. Flandria, siège d'exploitation d'une plantation des Huileries du Congo Belge, actuellement Plantations Lever au Zaire (P.L.Z.). Hulstaert y résidait entre décembre 1927 et septembre 1933 en tant que Directeur de l'école de la plantation et Recteur de mission. Le nom de la localité où sont implantées les PLZ est Boteke (déformée en Boteka). Il y écrit sa lettre de Bokuma, sur la Ruki, où était installé le petit Séminaire débutant. Il y restait de septembre 1933 à octobre 1934. En décembre, il quitta le Congo pour un congé et soins médicaux en Belgique, pour retourner en août 1936.
[Lettre 3]
Mission Catholique Bokuma Bokuma le 15 septembre 34
A Monsieur A. Sohier Procureur Général du Roi à Elisabethville
Cher Monsieur le Procureur Général,
L'envoi de votre brochure sur la dot (1) m'a fait un grand plaisir. Je vous remercie bien vive-ment pour la délicate attention que vous avez eue à mon égard. Votre brochure vient à temps. Trop longtemps certaines idées irréelles restent en vogue sur une chose aussi importante que le sujet de votre étude. J'espère qu'elle redressera beaucoup d'erreurs dans ce domaine. Veuillez agréer, Cher Monsieur le Procureur Général, l'expression de ma considération distin-guée.
NOTE
1. A. Sohier, "La dote et le droit coutumier congolais", B. J. I. 1934, 201-210; 225-232 (édité aussi sous forme de brochure).
[Lettre 4]
Parquet d'Arlon
Très Révérend Père,
Je vous retourne par le même courrier votre projet dl article sur le divorce. Il est très utile à pu-blier. Je crois que c'est dans "Congo" qu'il est préférable de l'insérer (1), et j'écrirai à mes amis d'Élisabethville qu'ils en parlent dans le Bulletin (ainsi que votre étude que vous avez bienvou-lue m'envoyer, et dont je vous remercie vivement)(2). Il m'a cependant paru que la partie juri-dique de votre note n'était pas complètement au point. J'ai rédigé quelques pages sur le sujet, et vous les envoie (en m'excusant de ma mauvaise écriture). Comme vous le verrez, on peut par-faitement arriver au résultat désiré, c'est-à-dire au maintien indéfini et forcé de la femme chez le mari ou chez le chef après le divorce, en attendant la restitution de la dot. Je mets ma note à votre disposition, soit pour que vous vous inspiriez, soit pour la publier en note ou en l'incorpo-rant à votre travail. Peut-être atteindriez-vous un plus grand public en publiant l'étude dans la Revue de l'Aucam (3) - ou tout au moins après avoir publié dans "Congo", faudrait-il obtenir un compte-rendu dans l'Aucam. Je suis encore tout à votre disposition pour vous donner tous les éclaircissements sur ma note, si elle manquait de clarté. Et je vous prie d'agréé, Très Révé-rend Père, toute l'assurance de mes sentiments très déférents.
A. Sohier
NOTES
1. "Le divorce chez les Nkundo", Congo 15(1934)657-673; 16(1935)38-56. 2. B. J. I. 5(1937)141-157. 3. AUCAM était un groupe de l'Action Catholique à l'Université de Louvain, groupe orienté vers l'aide aux Missions. AUCAM = Academica Unio Catholicas Adjuvans Missiones. Ils éditaient Les Carnets de l'Aucam et La Revue de l'Aucam. A. Sohier publiait régulièrement dans La Cité Chrétienne etdans Xaveriana, série de brochures traitant des missions et éditée par les Jésuites de Belgique.
[Lettre 5]
Borgerhout, le 1 avril 1935
Cher Monsieur Sohier,
Il y a quelques mois vous avez eu l'amabilité de m'envoyer votre brochure sur la dot. Je vous envoyai une lettre de vifs remerciements. Quoiqu'elle ait été envoyée à votre adresse d'E'ville, j'espère qu'elle vous est parvenue. Ce n'est que plus tard que j'ai appris votre rentrée en Belgi-que. Me voici également en congé au pays. Etant encore au Congo, j'ai composé une note au sujet de la question de l'emprisonnement des divorceuses (1). Je l'ai toujours en brouillon. Car, je n'ai rien voulu publier sans d'abord le soumettre au jugement de juristes compétents, qui s'intéressent à la question en litige. Mr Jamoulle m'a écrit que vous vous y intéressez et que vous êtes de notre avis. Or j'aimerais beaucoup savoir où en est la question actuellement. Pour-riez-vous m'informer peut-être? Si vous le jugez à propos, je pourrais dactylographier ma note mentionnée. Je vous l'enverrai. Si elle est opportune, je pourrais la proposer pour publication à Mgr le Vicaire Apostolique de Coquilhatville, soit dans le Bulletin, soit dans Congo, selon que vous estimeriez le mieux. Y-a-t-il du progrès dans l'acceptation de votre thèse sur l'évolution des coutumes matrimoniales au Congo? la chose m'intéresse vivement, vous le comprendrez bien. Au plaisir de vous lire, veuillez croire, cher Monsieur Sohier, à mes sentiments les meilleures,
NOTES
1. Voir Introduction, note 5
[Lettre 6]
Parquet du Tribunal d'Arlon Procureur du Roi 5 avril 1935
Très Révérend Père
Il m'est bien difficile de vous dire où en sont les esprits au sujet de la question du divorce indi-gène. Ma relégation à Arlon au point de la Belgique le plus éloigné de Bruxelles, m'empêche d'avoir des rapports suivis avec les milieux coloniaux de Belgique, et les rapports épistolaires avec l'Afrique sont forcément assez brefs, si bien qu'avant peu de temps, les questions colonia-les me seront devenues étrangères! En tous cas, au lendemain de l'envoi de ma brochure sur la dot (1), j'ai reçu de nombreuses let-tres d'approbation. Les anciens collaborateurs m'écrivent que le nombre d'abonnements au Bul-letin émanant de missions augmentent sensiblement. Par contre on remarque ici chez des gens qui devraient très au courant des questions et qui ont une influence sérieuse, des idées vraiment étroites et des incompréhensions complètes des problèmes. Aussi des publications sur ces ques-tions continuent-elles certainement à être utiles, et je ne puis donc que vous encourager à pu-blier votre note. Il faut taper sur le clou pour l'enfoncer! Je la verrai bien volontiers, si vous voulez bien me l'envoyer (2); et comme j'irai à Bruxelles le 15 octobre, j'en profiterai pour m'informer au Ministère de l'état exact de la question. En attendant, veuillez croire, Très Révérend Père, à tous mes sentiments respectueusement dé-voués.
NOTES
1. Voir lettre 3, note 1 2. Il s'agit de la note sur l'emprisonnement qui deviendra "La réaction indigène sur le divorce" Congo 1936, I, 11-26, reprise dans B. J. I. , 1938, 284-288
[Lettre 7]
le 18/4/1935
Cher Monsieur,
Je vous remercie bien vivement pour les remarques que vous avez bien voulu faire à propos de ma note. Je suis enchanté de l'amabilité que vous montrez à composer tout un commentaire de 4 grandes pages (1). Mais il est nécessaire, et je profiterai donc de votre aimable permission, et le publierai en entier en annexe de ma note. Avec connaissance pratique et profonde de la juris-prudence, de la terminologie etc. votre commentaire était nécessaire pour bien mettre au point mes remarques et réflexions de profane. 1. Seulement, j'aimerais changer un petit détail, et je vous en fais la proposition: "On peut dire actuellement que les juridictions sont bien armées et agissent efficacement" Or, cela est vrai au Katanga. Mais n'oubliez pas que tous les parquets et tous les procureurs n'ont pas dans la même mesure et avec même perspicacité le soin de faire régner la justice et l'ordre dans leurs ressorts. Dans certaines régions, l'affirmation pourra être critiquée. Mais ce qu'on peut affirmer sans crainte, c'est que: "on peut dire actuellement que les juridictions sont bien armées pour réagir efficacement". Car de fait, elles n'emploient pas toujours les moyens qu'elles possèdent, surtout faute aux administrateurs peu soucieux; nombre de juridictions devraient encore être près, et recevoir les instructions concernant leurs devoirs et droits. 2. "si la femme . . . quitte le domicile. . . elle commet une faute pour laquelle elle peut être pu-nie, si, ce qui est habituel, la coutume prévoit des peines pour l'abandon du domicile". Or, ici, pas moyen de découvrir de peines, rien que la réaction des conjoints ou parents. L'obligation existe, mais sans sanctions autres que les privées; on n'avait autrefois pas besoin de plus sévè-res. Mais ici, nous pourrons reprendre la contrainte (astreinte), qui, pourtant, ne pouvant être réitérée, est insuffisante. L'etaka (2) indigène dans la question du divorce, était moins une sanc-tion qu'une mesure préventive, contre la fuite. Mais ce point ne fera pas de difficulté dans la pratique. 3. "Les tribunaux ont le pouvoir, lorsque la coutume le prévoit de prendre des mesures pour as-surer l'exécution de leurs décisions . . . " Je m'imaginais que les tribunaux avaient toujours ce pouvoir. Ne devrions-nous pas dire: "Les tribunaux ont le pouvoir de prendre les mesures pré-vues par la coutume, pour assurer. . . " '? Il y aura un simple changement de forme extérieure dans l'application de ces mesures d'exécution. 4. Astreinte contre les parents de la femme. En droit Nkundo l'astreinte devient l'esclavage si l'affaire ne s'arrange pas, la personne astreinte compensant la dette. Vous défendez l'astreinte des parents. Je pense qu'ici le droit Nkundo nécessite de laisser les parents hors de cause; s'ils satisfont à leurs devoirs. 1° La mère n'ayant jamais responsabilité financière, ne peut jamais être contrainte pour question financière. 2° Le père n'est pas obligé de restituer la dot qu'il ne possède plus. Le mari doit donc attendre que le nouvel époux ait payé une dot. C'est précisé-ment pour éviter ce retard que le mari retient la femme à l'etaka; ainsi il force le père de hâter le remboursement. Ici il y a donc une sorte de collusion des droits du mari sur sa femme, et droit du père à ne rembourser que lorsqu'il en a les moyens. Ce dernier a pourtant le devoir de les chercher au plus tôt possible. Et s'il se met en faute ici, il devrait dans la nouvelle jurisprudence être puni (anciennement, la chose n'arrivait pas à cause de terribles peines infligées à sa fille et qui suffisaient à hâter le remboursement). La question du réemploi de la dot n'intervient pas ici chez les Nkundo. Le nouveau mari n'a aucun devoir envers l'ancien. C'est toujours au père de la fille à rembourser la dot. Je proposerais donc de changer comme suit votre texte à ce sujet: "La contrainte par corps pourrait donc être prononcée contre celui qui, selon la coutume, doit restituer la dot. Je n'estime pas que la contrainte à l'égard des parents soit injuste. . s'ils sont en tort p. ex. , en négligeant de rembourser [mot illisible], ou encore s'ils sont convaincus de négligence dans le devoir qu'ils ont d'intervenir auprès de leur fille pour qu'elle respecte ses engagements". Si vous êtes d'accord, je changerai votre texte comme indiqué ci-dessus, et uniquement pour ces détails. Vous pensez donc qu'il est utile d'obtenir un compte rendu dans l'Aucam? Cette revue a-t-elle une influence dans les milieux coloniaux officiels? Il est vraiment regrettable que vous n'ayez pas pu continuer votre si belle oeuvre judiciaire commencée au Congo. Car le redressement était absolument nécessaire. J'espère en tous cas que les collaborateurs et disciples que vous avez formés suivront le sillon. L'augmentation des abonnements au Bulletin, et émanant des Missions, est un signe heureux du changement d'atti-tude entre État et Missions, depuis quelques années, pour une plus intime compréhension et coopération, dont nous nous réjouissons de bon cœur. Si l'action que vous avez commencée, et si les relations entre Gouvernement et Missions se maintiennent comme à présent, dans le même souci de baser la vie indigène sur leurs coutumes fondamentales, le Congo a devant soi un très bel avenir, et notre oeuvre là-bas n'aura pas été vaine. Excusez-moi, Cher Monsieur Sohier, que je me laisse emporter par la satisfaction de belles- oeuvres, et que je prenne vos loisirs. Encore bien merci pour vos notes et votre amabilité de m'aider. Et veuillez agréer, l'assurance de mes sentiments de reconnaissance et de dévouement.
NOTES
1. Elles sont annexées à la présente lettre et reproduites dans G. Hulstaert, "La réaction
indi-gène contre le divorce" dans Congo, 1936, I, 11-26 (repris dans B. J. I. , 1938, 284-288)
2. Etaka: fourche mise au cou comme punition (Dict. 610).
[Lettre 8]
21-4-1935
Très Révérend Père,
En hâte - car je pars en voyage pour une semaine, la réponse à votre bonne lettre. 1° Si on disait pour rendre complètement notre pensée comme: on peut dire qu'actuellement les juridictions sont bien armées pour réagir efficacement et arriver même déjà à des résultats là où elles sont bien guidées. 2° Disons, si vous voulez bien, "peuvent être punis si la coutume prévoit des sanctions pour l'abandon de domicile. A première vue, on serait tenté de croire que telle prévision est rare, car généralement, le pouvoir ne s'occupait pas de cet abandon; a fortiori en était-il sans doute ainsi en pays nkundo, vu l'absence d'organisation politique. Mais si nous admettons que la vengeance privée, les sanctions domestiques, des usages comme l'etaka contiennent le principe d'une peine privative de la liberté que l'organisation nouvelle introduite par nous, a transféré aux tribunaux le pouvoir de prononcer (voir notre Pratique n° 44 et 45), on verra que nombre de coutumes contiennent ces sanctions en puissance, spécialement par la récidive d'abandon et l'abandon sans esprit de tous (1). 3° Je ne me souviens pas assez du passage de ma note pour savoir si votre remarque est exacte. En tout cas, je ne vois pas d'inconvénient au changement proposé. 4° J'ai parlé en général plutôt qu'en droit coutumier nkundo. Êtes-vous certain que la distinction entre otage et esclave, n'y existe pas et que l'otage puisse devenir esclave entre les mains du même propriétaire? Voyez notre Revue page 90 (2). Voici ce que j'entends par réemploi (je croyais que vous y faisiez allusion); le père ayant reçu la dot l'emploie au profit d'un des siens: ainsi il paie la dot pour procurer une femme à son fils, il paie une amende due par son frère, etc; celui qui a bénéficié de ce réemploi de la dot en devient le débiteur vis-à-vis du mari. Il me semble que, malgré cette espèce de cession de créance, le père reste débiteur principal. Quand je parlais de réemploi, je ne pensais pas au nouveau mari: si le père n'a plus la dot, il me paraît juste qu'il doive, puisqu'il en reste le débiteur, faite quand même toutes les diligences pour sien procurer le montant ou obliger à restitution le bénéficiaire du réemploi. D'accord qu'il en est autrement pour la mère. Je vous laisse changer le texte comme vous le voulez en tenant compte de ma pensée exacte. Voici pourquoi je crois utile d'avoir des comptes rendus dans les organes comme l'Aucam, et similaires. L'idée que nous défendons n'est pas qu'il faut réagir contre la fréquence des crimes-- et l'inconduite des indigènes. A cette idée là, je pense qu'il n'y a pas d'opposants. C'est qu'il faut réagir en utilisant les grandes ressources que les coutumes mettent à notre disposition et les ré-actions naturelles de la société indigène. En d'autres termes, agir le moins possible par des moyens exclusivement européens, fatalement artificiels et peu efficaces, le plus possible par l'utilisation rationnelle des coutumes. Cette idée-là, je crois que le monde officiel y est tout ac-quis, mais il n'est pas encore décidé complètement à la mettre en pratique, faute d'y être amené, d'être soutenu par l'opinion publique. En dehors des officiels, il reste de nombreux particuliers influents de monde des affaires, la majorité du "Congrès Permanent du Comité Colonial" (3), beaucoup de vieux missionnaires, qui y sont opposés. Il faut agir consciemment sur ceux-là. C'est pourquoi il faudrait que la question soit traitée non dans "Congo" et le Bulletin Juridique, mais dans les organes pour le grand public, comme les journaux coloniaux ou l'Aucam. L'utilisation des coutumes de la société indigène, c'est au fond l'orientation nouvelle de la mis-siologie telle que l'a comprise et poursuite le Saint-siège (4). Rome a vu très clair à mon avis. La grande application c'est la politique de clergé indigène. Je ne connais pas les Missionnaires du Sacré Cœur et dès lors ce que je vais dire ne peut être pris comme concernant votre ordre. Mais dans beaucoup de congrégations missionnaires - et notamment les Jésuites, on observe ceci: une minorité de chefs éclairés et agissants en Belgique, sont pleinement acquis à la politi-que papale, et la préconisent; une autre minorité de chefs au Congo la pratique par obéissance; la majorité des missionnaires vivant au contact direct des populations et plus portés à l'action qu'à la méditation sont sceptiques et hostiles. Et malheureusement, beaucoup de ces derniers ne lisent pas. Tant pour la question de l'utilisation des coutumes que pour celle du clergé indigène, il faut que le grand public vienne à l'appui de l'autorité pour décider celle-ci à pratiquer complètement les théories auxquelles elle est déjà tout acquis théoriquement. Excusez-moi cette longue digres-sion! Et veuillez agréer encore, très Révérend Père, les assurances de ma respectueuse considération. A. Sohier
NOTES
1. Congo 1936, I, 23: "dans esprit de tous" "sans esprit de-retour". Dans l'article, Hulstaert a ajouté ce paragraphe extrait de sa lettre. 2. Renvoi probablement au B. J. I. 1(1933)229-247 3. Congrès Permanent du Comité Colonial de 1920 et suivants. 4. En 1935, A. Sohier participait à la 13e semaine de missiologie à Louvain avec une confé-rence sur "L'utilité de connaître les coutumes indigènes" (Compte rendu, Louvain, 19. 56, p. 110-127). Au 6e Congrès Catholique de Malines en 1935, il avait tenu une conférence sur "Le relèvement moral et social de l'indigène congolais". Hulstaert avait copié et régulièrement utili-sé ce texte.
[Lettre 9]
Arlon, le 30 septembre 1935
Très Révérend Père,
Je vous retourne par le même courrier votre manuscrit, et quelques pages de notes (1). Il est fort intéressant, très clair, et je vous félicite de votre beau travail. Vous verrez que sur le fond je n'ai pas trouvé de remarques importantes à formuler. Par contre, je me suis permis assez bien de critiques de style. Commet vous m'y aviez invité, et avec sans gêne, j'espère que vous m'excuserez. J'ai compris ce que vous aviez demandé au Père China (2) et ai eu l'impression qu'il n'y avait répondu qu'avec timidité. Si vous me permettez un conseil, en général entre deux mots voisins, choisissez le plus simple, le plus courant. A cause du latin, nous sommes souvent tentés d'employer des termes plus scientifiques ou plus recher-chés, alors qu'ils sont en réalité de moins bonne langue que les mots simples, et que, si on consulte le dictionnaire, on voit souvent qu'ils sont vieilles, peu usités, ayant un sens restreint comme apparentement ou même ne s'y trouvent pas du tout (comme verge). De même évitez des inversions quand elles ne sont pas nécessaires. Je me suis souvent permis de vous signaler quelques cas où le même mot revenait à trop peu de distance. C'est un défaut que j'ai moi-même à l'excès; j'ai beau corriger manuscrit et épreuves quand mes travaux reviennent de l'im-pression, j'y retrouve des fautes de ce genre qui me désespèrent, parce que cela donne l'impres-sion de négligences. A l'auteur, suivant sa pensée en relisant, aperçoit difficilement lui-même ces répétitions, c'est pourquoi j'ai cru ne pas abuser en vous les signalant. Si cela peut vous être utile, je suis à votre disposition pour en faire de même pour les autres parties de votre travail. Veuillez agréer, Très Révérend Père, les assurances de mes sentiments respectueux.
NOTES
1. La réaction indigène contre le divorce. Ou peut-être s'agit-il de "Différentes formes de ma-riage. . . ", B. J. I. 1936, p. 229-247 2. Le Père Joseph China, missionnaire du Sacré-Cœur (19061969). Il fut un des rares Wallons dans la congrégation des MSC. Pendant de longues années, c'est bien lui qui traduisait en fran-çais les textes de ses confrères flamands
[Lettre 10]
24 janvier 1936
Très Révérend Père,
En retour les pages communiquées: j'ai de nouveau eu à y porter que quelques corrections, que j'ai marquées au crayon. L'impression par l'Institut Colonial offre cet avantage que l'ouvrage est très bien imprimé et présenté, et a un patronage sérieux. Par contre, je crois en effet qu'il n'est pas rémunéré. En tous cas j'ignore les conditions, et comme vous êtes en rapport avec Mr De Jonghe (1), il vous renseignera bien volontiers. Je me souviens que le P. de Beaucorps (2), qui a publié son excellent petit volume sur les Bayansi aux éditions de l'Aucam, collection Africana, m'a dit qu'il avait préparé cette édition parce qu'elle était rémunérée. Mes anciens collaborateurs pouvaient entreprendre l'édition, mais certainement pas la rémunérer. J'ai reçu il y a près d'un an, une invitation de la Protection de la Femme Indigène (3) à assister à une réunion de la commission pour discuter un projet de décret. Je ne pouvais me rendre à la réunion, mais j'ai écrit à Madame Van der Kerken (4)pour lui dire que le projet me paraissait mal fait et inopportun, et que je conseillais de s'abstenir. Je dois avouer que je n'ai pas un sou-venir précis du projet, mais j'étais heureux de ne pouvoir assister à la commission, pour ne pas y figurer une f ois de plus l'opposition. J'ignore si certains administrateurs ont tendance à ranimer l'immatriculation (5). Sur celle-ci, j'ai un avis très net, et peut-être lui consacrerai-je un jour une note. La question de l'immatricu-lation est un élément du très grave problème des élites indigènes. Il n'y a pas place actuellement dans la colonie pour les indigènes civilisés: ni en fait, ni en droit. Imaginez qu'un Noir réussisse à devenir docteur en médecine ou en droit, quel sera son sort à son retour au Congo? Un prêtre indigène, peut-il être docteur en théologie de Louvain ou de Rome, reste justiciable des juridic-tions indigènes et de l'administration, redevable de l'impôt de capitation, et ne pourra descendre dans un hôtel d'une cité urbaine européenne. . . Bref le premier tort de l'immatriculation actuelle est son insuffisance. L'immatriculé doit être un indigène à statut européen complet, mis sur le même pied que le Blanc à tous points de vue. Mais cela admis, il faut que l'immatriculation soit réservée aux vrais civilisés, à ceux que leur culture et leur manière de vivre (ainsi que celle de leur famille) égalent à des Blancs. Elle ne doit donc être accordée qu'exceptionnellement au prix de formalités aussi strictes que celles exigées pour la naturalisation à laquelle elle peut être assimilée. Seuls à l'heure actuelle des prê-tres noirs pourraient la voir accorder. Tous les autres doivent être laissés sous le régime coutu-mier. Il n'y a même pas place pour un régime intermédiaire parce que d'aucuns voudraient voir appeler la petite immatriculation. Je suis donc nettement adversaire de la tendance que vous me signalez chez un certain adminis-trateur. J'avais, il y a deux ans, établi pour le Ministère un projet de réforme dans le sens que j'indique ci-dessus. Une commission a été créée et puis, je n'en ai plus entendu parler. Les juridictions indigènes peuvent juger, dans les limites de peines prévues par le texte, toutes les infractions punissables, quelle qu'en soit la victime. Donc les Européens, à condition de ne pas se porter partie civile, peuvent dénoncer les infractions et même en déposer plainte, et les tribunaux indigènes ont pouvoir de les juger. Je ferais cependant exception pour les infractions en matière de contrat de travail, parce que ce sont des affaires de caractère mixte, partie pénal, partie civil; la plainte du maître est nécessaire, si bien qu'il est partie, alors qu'il ne alors qu'il ne l'est pas dans une affaire ordinaire. Ces affai-res exigent que le tribunal apprécie les griefs réciproques du maître. Et de l'engagé apprécie donc la conduite du Blanc, si bien qu'en toute hypothèse il n'est pas désirable que les juridic-tions en connaissent. Voilà, je crois: répondu à tous les points de votre lettre. Je resterai toujours heureux d'en traiter d'autres ou des mêmes anciens, et en attendant je vous prie de croire, Très Révérend Père, à tous mes sentiments bien respectueux.
NOTES 1. Correspondance G. Hulstaert - E. De Jonghe, Directeur Général au Ministère des Colonies, dans Archives Aequatoria CH n° 56: 4 lettres présentes entre 1938-1940 2. R. de Beaucorps, s. j. (1884-?; Arch. Aeq. CH n°48). Son livre: Les Bayansi du Bas-Kwilu, Louvain, 1933. 3. Ligue pour la Protection de la Femme Indigène, installée à Bruxelles. 4. Mme Van der Kerken, femme de Mr G. Van der Kerken, e. a. ancien Gouverneur de la Pro-vince de l'Équateur. 5. Le décret sur l'immatriculation sortira en 1952. Sohier y dédiait à cette occasion plusieurs notes.
[Lettre 11]
10 avril 1936
Très Révérend Père,
Oui, l'expression "une couchette en morceaux de bois" est trop rudimentaire, un lit en "sticks" trop coloniale. Quelle serait l'expression la plus juste? Il y a, je pense, plusieurs types de lits indigènes, mais voici quelques rédactions entre lesquelles vous puissiez choisir "un lit fait d'un treillis de branchages posés sur des piquets enfoncés dans le sol." - ou "d'une claie de brancha-ges noués par des cordes d'écorces" et "supporté par des rondins enfoncés dans le sol" - ou "d'une table à claire-voie supportée par" . . . Au lieu de branchages, vous pouvez dire "baguet-tes" s'il s'agit de bois fort minces; ou aussi "de morceaux de perches". - Si le lit était de minces branches en longueur, avec de plus grosses en largeur, le mieux serait de dire:- "un crayonnage posé horizontalement sur. . . Je me souviens qu'au moment où j'ai lu "les bien pensants", l'expression m'a paru inexacte et amphibologique. Sans doute ai-je oublié de l'indiquer parce que je n'aurais pas trouvé au mo-ment même l'expression juste. Je crois que "les personnes raisonnables" serait préférable, mais si vous vouliez me rappeler l'ensemble de la phrase, le texte complet, je pourrais vous donner un avis plus précis (2). Veuillez agréer, Très Révérend Père, mes meilleurs souhaits d'heureux Paques, et croire à tous mes sentiments respectueusement. dévoués.
NOTES 1. La phrase est suivie d'un dessin suggérant le lit dont il s'agit. Nous avons omis ici ce dessin. 2. Ces remarques de style concernent probablement le article de G. Hulstaert: "Des différentes formes de mariages et unions pseudo-matrimoniales chez les Nkundo", B. J. I. 4(1936) n°10, 229-247.
[Lettre 12]
Coquilhatville, le 31 juillet 1937
Cher Monsieur, Vous ai-je déjà félicité pour votre admission dans l'Institut Colonial (1)? En tout cas, je me ré-jouis de l'honneur qui vous est fait, et je suis heureux du bien qui va en dérouler pour la Colo-nie. Je voudrais vous soumettre, dans cette lettre, quelques réflexions sur le projet de modification du décret du 15 avril 1926 (2). Ce projet m'a fortement étonné dans une partie notamment là où l'on soustrait aux juridictions les agents de cadre étatique indigènes et les soldats. D'autres per-sonnes du parquet notamment, partagent mon émoi et mes appréhensions (3). Evidemment, comme la majorité des Européens du parquet ne sont pas gagnés à l'idée des tribunaux indigè-nes, pas plus que le parquet général de Léo, ceux qui se sont émus du nouveau décret ne sont nullement nombreux. Moi, j'envisage la situation comme étant extrêmement dangereuse. En effet ce décret soustrait aux juridictions indigènes un nombre déjà considérable d'indigènes, dont l'influence sur les communautés est très grande. Leur incorporation dans les tribunaux eu-ropéens n'est justifiée ni par l'évolution intellectuelle et sociale, ni par leur évolution morale. On est fort étonné que le Conseil Colonial n'ait pas réfléchi aux conséquences désastreuses de cet article. Si déjà le parquet d'E'ville, soumettait aux juridictions indigènes des Noirs originai-res d'autres colonies africaines, à juste titre, vu leur influence énorme sur les milieux indigènes, on se demande comment à Bruxelles on ait pas raisonné a fortiori. Par ce nouveau décret, on va lâcher la bride à tous ces éléments "civilisés". Liberté absolue à l'européenne. Car si on soustrait ces serviteurs de l'Etat aux tribunaux indigènes, il est clair que les juges européens n'appliqueront que les règles et coutumes européennes. Que ne se rend-on pas compte de toutes les suites. . . Et pense-t-on qu'on pourra réserver cette émancipation à la "1789" aux agents indigènes de l'Etat? Lee Compagnies, les Missions, ne réclameront-elles pas le même statut pour leurs clercs, leurs capitas, leurs catéchistes, etc.? La protection de la socié-té indigène, qui devait résulter du décret de 1926, va donc être entièrement annulé de fait; elle devient vraiment dérisoire. Fallait-il que vous ayez travaillé tant d'années avec quelques rares hommes qui vous comprenaient. Faut-il que tant de peines soient rendues vaines par un simple trait de plume du Conseil Colonial? C'est à pleurer. . . L'état d'esprit qui est à la base de ce nouveau décret est loin de celui qui a guidé vos travaux, votre "Pratique'', etc. Qu'il est dommage que les rédacteurs du Bulletin J. I. D. C. C. ne sont pas libres à réagir, qu'ils ne peuvent pas critiquer le gouvernement. . . Ici à l'Equateur nous souffrirons davantage de ce malheureux changement. Les sociétés patriar-cales ne supportent nullement la "civilisation du XIX siècle européen". Elles en meurent. Et au lieu de tâcher de sauver toute la cuvette centrale du Congo de l'extermination complète et ra-pide, voilà qu'on va l'accentuer encore pour lui donner une allure foudroyante. . . C'est vraiment décourageant. Cher Monsieur Sohier, je vous ai écrit franchement quelques critiques. Je n'ai pas veillé au style. Comme vous comprenez la société indigène, vous comprendrez nos angoisses. Ah qu'on puisse au moins informer le Conseil Colonial pour qu'il fasse demi-tour avant qu'il ne soit trop tard. . .
NOTES
1. A. Sohier a été admis le 5-2-1930 comme membre associé et promu plus tard membre Titu-laire de l'Institut Colonial qui perdure jusqu'aujourd'hui sous le nom de l'Académie Royale des Sciences d'Outre-Mer de Belgique. 2. Il s'agit du décret sur les juridictions indigènes.
3. Il s'agit e. a. d'Emile Possoz, Substitut du Procureur du Roi à Coquilhatville à cette époque.
Sur Possoz, voir H. Vinck, Annales Aequatoria 10(1989)298-320. Composition de la justice à
Coquilhatuille en 1938: Tribunal de 1ère instance: Juge-président: M. Posschelle; Procureur. du Roi:
D. Merckaert et 6 Substituts dont E. Possoz. A Léopoldville, nous trouvons en ce moment L. Guébels
comme Procureur Général.
[Lettre 13]
Liège, le 12 août 1937 Avenue Emile Digneffe 50
Très Révérend Père,
Je m'accusais depuis longtemps d'être en retard de correspondance vis-à-vis de vous, lorsque je reçois votre lettre du 31 juillet. Cette fois, je m'empresse d'y répondre. Il faut excuser mon silence précédent. Je viens d'être nommé Conseiller à la Cour d'Appel de Liège. Si cette nomination met le comble à mes vœux, par contre on imagine difficilement sans l'avoir vécu, le nombre de démarches, de travaux d'approche, de visites, de combat, nécessaires pendant de longs mois pour l'obtenir. Pour le colonial qui a toujours vécu loin des intrigues, cela n'est pas souvent plaisant. Et après la nomination, il a fallu m'installer, un déménagement, les visites de remerciements, etc. ne sont pas une mince affaire et. . . j'espère que vous pardon-nerez mon silence pendant tout ce temps. Je devais vous accuser réception de votre lettre précédente; j'en ai communiqué le texte à plu-sieurs amis, sans leur en citer l'auteur. Malheureusement, ceux qui s'intéressent réellement ici aux tribunaux indigènes, ne connaissent pas toujours bien techniquement les questions, et ceux qui traitent en fait les questions, conservent à la fois trop de méfiance pour l'institution et trop de confiance aveugle pour les exécutants d'Afrique. Et moi, à force de parler des mêmes pro-blèmes, je finis par faire figure de vieux rabâcheur. Je vais communiquer de la même façon votre nouvelle lettre. Je ne sais où en est exactement le projet, et en ce moment tout le monde est en vacances, mais cela nous donnera d'autant plus de temps pour agir efficacement. Je dois maintenant vous adresser mes vives félicitations pour votre travail sur l'adultère (1). Je n'ai vraiment qu'une critique sérieuse à vous adresser, mais je vous la fais énergiquement: de grâce, que votre bienveillance m'épargne ces éloges, trop forts, qui dépassent le but et m'embar-rassent. Votre travail est très intéressant, rempli de remarques et d'observations précieuses. Notamment votre remarque qui assimile toute une partie du droit indigène au droit international est vrai-ment ingénieuse et féconde, d'une portée générale; elle éclaire maint problème, et je me pro-pose de la citer souvent. Est-elle originale, ou vous l'avez trouvée dans un auteur (2)? J'ai sug-géré que, plutôt que de former une de ces petites brochures qui s'égarent trop souvent dans les bibliothèques, votre étude pourrait faire l'objet d'un chapitre supplémentaire de votre volume sur le mariage (3). Je suppose que Mr De Jonghe vous aura transmis la propositions. Avez-vous pensé, au cours de votre exposé, à la théorie de la correction paternelle ou maritale? En droit européen, on admet qu'il n'y a pas coups et blessures punissables lorsqu'il s'agit d'une correction, infligée sans méchanceté et sans excès par quelqu'un ayant le droit de punition do-mestique. A vrai dire, les mœurs ont évolué, et ce droit, reconnu autrefois au mari et à l'institu-teur aussi bien qu'au père n'est plus guère considéré comme légitime que pour ce dernier. Mais la théorie subsiste; des coups modérés, donnés sans intention méchante à titre de punition et conformément à l'usage par le titulaire de l'autorité familiale, n'ont pas de caractère anti-social et ne tombent pas sous l'application du code pénal. Je crois qu'on condamne parfois à tort des Noirs qui ont infligé ainsi une correction à leur épouse, car, dans l'état actuel des mœurs indigènes, ce droit de punition est évidemment plus étendu que la société européenne. Et il faudrait voir si cette théorie n'est pas oubliée parfois lorsqu'on empêche le fonctionnement de ces tribunaux de famille de cette justice de famille qui existe chez les Nkundo. En vous écrivant, il me vient une idée; ne voudriez-vous pas, sans la mettre directement en rapport avec le projet, me faire un petit résumé de la question des juridictions indigènes, telle que vous la concevez (4); je la remettrais avec mes propres observations à un ami, ancien magistrat congolais, qui écrit dans La Libre Belgique, et utiliserait nos notes à sa façon. Cela porterait la question devant le grand public. (5) Je termine, Révérend Père, en vous souhaitant une excellente santé, première condition d'un apostolat fécond et de la continuation de vos beaux travaux. Pour moi, j'espère que la résidence à Liège, en me rapprochant de Bruxelles, me permettra une activité coloniale plus grande. Et puis nous ne sommes qu'un chaînon. J'ai an fils de 24 ans, qui est docteur en droit et vient d'achever son service militaire se marie en septembre, et part en fin d'année pour Elisabethville (6). Sans le stage dans la territoriale qu'on impose aux magistrats, il aura peut-être essayé tout simplement de prendre ma place dans la magistrature, mais maintenant il va au contentieux de l'Union Minière, assuré ainsi de rester dans sa ville natale, et de n'avoir que des travaux juridi-ques. Mais dans quelle position que ce soit, il fera du bon travail, et notre émotion considère moins son départ que son retour là-bas. Très Révérend Père, je serai toujours heureux d'avoir de vos nouvelles et de lire vas études. Croyez, je vous prie, à mes sentiments bien cordialement respectueux. A. Sohier
NOTES
1. Les sanctions coutumières contre l'adultère chez les Nkundo (Mémoire de l'IRCB, Bruxelles, 1938, 53 pages; mémoire couronnée au concours annuel de 1937) 2. Voir lettre suivante du 3 octobre 1937. 3. Hulstaert en a repris l'essentiel dans "Le mariage des Nkundo", Bruxelles, IRCB, 1938, p. 310-333. 4. Aucun texte semblable m'est connu. 5. Ce paragraphe est marqué par Sohier "Confidentiel". 6. Ils'agit de Jacques Sohier (1913). Correspondance avec G. Hulstaert, Arch. Aeq. N° 201; 2 lettres en 1945-46)
[Lettre 14]
Boende le 3 octobre 1937
Cher Monsieur,
Je vous remercie beaucoup pour votre aimable lettre du 12 août et je vous félicite pour votre nomination à Liège. Je suis très sensible pour vos félicitations pour mon travail sur l'adultère. Quant aux éloges que j'ai fait sur votre oeuvre, croyez-moi, ils sont sincères. Si votre modestie s'en offusque, il reste vrai que cette question du droit indigène que vous avez lancée et déve-loppée est une des oeuvres les plus utiles pour la Colonie. Je suis entièrement d'accord avec votre proposition d'insérer le mémoire couronné dans mon travail sur le mariage. Vous aurez d'ailleurs à constaté le progrès accompli dans mes études. Je regrette d'avoir introduit ce travail car depuis j'ai continué mes études et j'ai réussi à voir bien plus clair dans ces questions. Mais enfin, je pourrais peut-être reprendre un jour ce travail et le rendre meilleur, plus clair, plus juridique. Quant à l'assimilation d'une bonne partie du droit indigène au droit international, voici com-ment j'y suis arrivé. La question du clan m'a toujours embarrassé et je ne parvenais pas à y voir clair. J'ai continué à réfléchir. Et j'ai eu le bonheur de rencontrer ici Mr Possoz, substitut à Coq, qui s'intéresse vivement aux questions indigènes et qui est un excellent juriste. Nous avons beaucoup discuté toutes ces questions et il m'a persuadé d'étudier des auteurs de droit romain. Ces discussions et ces études ont éclairci beaucoup de problèmes et m'ont amené à considérer le clan comme la véritable unité politique chez les Mongo-Nkundo. J'avais déjà pensé depuis longtemps que la situation réelle était ainsi; mais je n'osais pas trop affirmer. Et puis on se laisse trop guider par les idées de l'ambiance. Les discussions avec Mr Possoz sur le droit ro-main et sur le droit international et la lecture d'auteurs sur ces droits, m'ont enfin persuadé de la vérité de mes premières impressions. Surtout qu'elles éclaircissent admirablement les données que je trouvais dans cette population. Ce Monsieur a encore de belles idées sur le droit indigène mais il n'est guère écouté à Coq ni à Kin. Sa façon de les exprimer est, il faut le dire, parfois étrange, souvent très obscure. Puis ces idées ne sont pas fixes, et insuffisamment contrôlées à la réalité des faits observés, dont il n'a qu'une minime connaissance. Il a sur la dot une théorie très séduisante (1), qu'il m'a exposée, mais je ne puis pas encore l'admettre. Lui-même ne veut pas la publier; elle devrait d'ailleurs être mise en regard de toutes les données positives. Je vous félicité pour le départ de votre fils au Congo. Puisse-t-il continuer votre oeuvre féconde au Katanga. Je joins quelques idées sur le droit indigène et les tribunaux. Excusez le style malheureux. Vous me connaissez déjà; et puis je suis fort occupé à présent. Je dois toujours voyager dans le Vica-riat. (veuillez pourtant adresser à Coq). La théorie de la correction paternelle et maritale est englobée dans mon étude sur le mariage. J'en parle également dans le travail sur l'adultère; mais sans entrer dans les détails. Vous avez pleinement raison de dire qu'on condamne souvent à tort pour des corrections entièrement légi-times en droit indigène. Le fonctionnement des tribunaux domestiques est souvent contrecarré, soit par désir d'exercer de l'autorité, par une sorte de jalousie d'autorité très naturelle ici où les chefferies et tribunaux de chefferies étaient autrefois inexistants, soit par souci d'enrichir les caisses de chefferie. D'ailleurs, le Gouverneur Général ne s'élevait-il pas lui-même, dans le dis-cours d'ouverture du Conseil Général contre la conciliation? C'est malheureux, et je pense qu'il s'agit là d'une réelle insuffisance de documentation. Il y a eu des excès autrefois dans l'extension de la correction paternelle aux tuteurs. Mais la ré-action est aussi mauvaise. On s'est plus soucié d'empocher les coups et blessures que de sauve-garder ordre et justice. Et puis, c'est un mal pour la société indigène que d'avoir défendu les coups dans les écoles, je ne dis pas qu'on devrait laisser faire. Il faut une réglementation sinon on expose inévitablement aux abus. Mais la société indigène comme les individus pâtit très fort de la prohibition de donner une gifle, un petit coup de rotin à un gamin récalcitrant. De temps à autre, une intervention pareille est nécessaire au bien de l'enfant, qui saura s'en montrer recon-naissant si la punition est donnée avec calme et à bon escient. De fait, il est très étrange que la permission de correction paternelle a été conservée aux écoles du gouvernement, mais retirée aux écoles libres. Pourquoi??? L'intérêt de l'indigène n'a pas parlé ici, pas plus que dans l'exemption des agents du cadre indigène de la loi commune pour les délits pouvant entraîner une sanction pénale. On dirait plutôt qu'i1 y a là un souci mal compris de sauvegarder l'autorité du gouvernement, une sorte de jalousie d'autorité, qui se manifeste parfois encore dans d'autres circonstances. Dans la question poignante de la dénatalité des populations patriarcales de la Cuvette Centrale, on n'avance guère. On a envoyé un docteur en mission (2). Il va évidemment trouver nombre de causes médicales. Et il y a particulièrement les maladies vénériennes. Ce qui n'a pas encore eu comme résultat qu'on ait augmenté le nombre de médecins. Nous en sommes encore, en dehors des missions, et des centres de Coq. et de Boende, au seul docteur d'Ingende (celui de Bokote n'ayant pas été remplacé) et d'un agent sanitaire à Bokote. Plus un agent sanitaire résidant à Coq qui traite chaque semaine la route de Coq à Bikoro. Pour tout le Vicariat, qui comprend l'ancien District de l'Équateur, avouez que c'est peu. Alors que le Gouverneur Général promet-tait lors de sa visite, fin 36, que avant fin 37, il enverrait une douzaine de médecins, qu'il les avait, et quel avait les finances. Et maintenant on ne trouve pas même de remplaçant pour le docteur de Bokote ni pour celui qui avait été envoyé comme itinérant à Boende, mais qui n'y est pas resté longtemps. Et puis on ne veut pas comprendre que la question est avant tout morale et sociale. Les tribu-naux indigènes pourraient jouer ici un rôle magnifique. Mais il leur faut l'assistance de l'Euro-péens. D'eux-mêmes, ils ne réagiront pas (*), parce que la chose, tout en dépendant du droit familial indigène, n'est pas de nature contentieuse, "synalagmatique", si je puis dire, et que le laisser-aller de longues années a estompé l'idée juridique en cette matière. J'avais envoyé une petite note en traitant, à l'occasion du décret pour la protection de la fille non-pubère, mais le Bulletin Juridique ne lis pas acceptée, parce que (3) constituant une critique de loi, ce qui sor-tait de leur cadre. J'ai envoyé la note à Mr De Jonghe, pour Congo (4). Va-t-il oser publier? Si vous allez un jour à Bruxelles, j'aimerais que vous demandiez qu' il vous la communique en lecture. J'aimerais à avoir votre opinion sur la façon dont les tribunaux indigènes, et surtout les Européens pourraient agir dans cette matière. Les tribunaux pouvant, à mon avis, connaître de ces cas où la sanction est uniquement superstitieuse. Mais il serait intéressant d'avoir une étude juridique sur des lois pareilles, et d'examiner par quelles voies juridiques elles peuvent être in-corporées dans le droit indigène officiellement reconnu. Personnellement je considère la chose comme archi simple. Mais les concepts généreux sont évidemment opposés à cela; la séparation de religion-magie d'avec la loi laïque est un des principes modernes de 1789. La loi indigène doit-elle en tenir compte? Et si elle en tient compte, va-t-elle à l'encontre de l'ordre public uni-versel, est-elle alors barbare??? Il y aurait là un fort beau sujet d'étude juridique, que évidem-ment de ne puis entreprendre car je ne suis pas juriste. Et les Européens peuvent-ils conseiller aux tribunaux indigènes de remettre la loi superstitieuse en vigueur, en lui donnant des sanctions appropriées? Moi je n'y vois pas d'inconvénient. Mais les autres? Il suffirait de quelque opinion autorisée, comme la vôtre, pour faire marcher plu-sieurs administrateurs qui sont gagnés à vos idées, à commencer par le Commissaire adjoint du District, Mr De Rijck, qui lui aussi voit le salut de la population indigène, particulièrement dans les tristes situations présentes du District, en ordre principal dans le fonctionnement des tribu-naux indigènes, et qui comprend nous devons attendre davantage d'eux que même du service médical. J'ai vu d'ailleurs récemment, une copie d'un jugement de tribunal de chefferie, condamnant un père indigène qui réclamait punition et indemnisation de la part d'un homme qui avait communiqué une maladie vénérienne à sa fille (celle-ci pubère, mais non encore adulte). Le coupable fût condamné mais le tribunal mettait le père en justice, et d'office le condamne aussi "pour n'avoir pas surveillé sa fille et lui avoir laissé trop de liberté. Ils appli-quaient l'ancienne loi, sanctionnée uniquement d'une façon superstitieuse. Le libertinage des impubères et des adolescents est formidable, parce que la loi n'obtient plus ses effets: sanction superstitieuse qui n'a pas été commuée en sanction pénale. Si nous pouvions la remettre en vi-gueur, nous pourrions encore sauver beaucoup. Si j'ai dit beaucoup d'Administrateurs -- les jeunes sont gagné à vos idées et voient tout le bien qui peut sortir des juridictions indigènes, d'autres sont encore récalcitrants ou n'osent pas. Puis ils ont tant de besognes, qui les empochent de s'occuper sérieusement de cette question capitale. Ne parlons pas du parquet. Car ces messieurs ne semblaient pas gagnés du tout; au contraire. excepté Mr Possoz que je citais au début de cette lettre, et qui est un partisan fervent. Mais on lui défend de s'occuper de ces questions parce qu'il y mettrait la brouille, dit-on. Et il est vrai qu'il est très hardi dans ses conclusions. Cher Monsieur, j'ai de nouveau beaucoup bavardé. Surtout veuillez excuser mon style. . . Et croyez bien à mes sentiments les meilleurs et à toute ma reconnaissance pour l'aide que vous voulez bien me donner dans mes études.
NOTES * Ajouté à la main par G. Hulstaert: "Je parle du libertinage des jeunes, cause à mon avis, prin-cipale". 1. E. Possoz, "Dot, titre de mariage", Aequatoria 4(1941)p. 27-32 ; "La question de la dot", Ae-quatoria 3(1940)23-27. 2. Dr G. A. Schwers, "Les facteurs de la dénatalité au Congo Belge", Aequatoria 7(1944)81-100. Résumé du rapport de 1937 aux pages 96-100. Les Archives Aequatoria 33. 278-287 pos-sèdent le "Rapport préliminaire sur la dénatalité Tshuapa. Mars-août 1937" du Dr Schwers (en copie dactylographiée par G. Hulstaert). Le Dr Schwers a répété l'expérience du 22 août au 11 septembre 1945 (Rapport dans Arch. Aeq. 33. 408-427). Correspondance G. Hulstaert - Schwers aux Arch. Aeq. N° 197b (10 pages en 1944. ). Dr Schwers était le médecin provincial à Coquilhatville. 3. Ajouté en bas de la page en manuscrit de G. H.: "Je parle du libertinage des jeunes, princi-pale cause à mon avis". 4. G. Hulstaert, "La coutume nkundo et le décret sur la protection de la fille indigène non-pubère", Congo 18(1937)2, 269-276
[Lettre 15]
Liège, le 14 janvier 1938
Très Révérend Père,
Vous devez trouver que je suis bien en retard de réponse vis-à-vis de vous; mais voici: vous m'écrirez des choses très justes, des idées à répandre, une action à exercer, je voudrais ne vous répondre qu'en vous disant que j'ai fait quelque chose, et malheureusement, comme je suis fort à l'écart du monde colonial, qu'on ne parvient que bien difficilement à mener les gens à s'inté-resser à certaines questions, j'hésite toujours à vous envoyer un procès-verbal de carence. J'ai cependant cette fois une bonne nouvelle à vous annoncer: l'administration a spontanément proposé des modifications aux articles 11 et 12 du projet de décret sur les tribunaux indigènes, dans une pensée identique à celle qui a inspiré vos observations du 31 juillet dernier, et l'article de Mr Devaux dans le Bulletin des Juridictions Indigènes (1). Vous voyez que l'administration sait avoir de beaux gestes si elle ne l'avait pas eu, vos idées auraient été sérieusement défendues à la commission du Conseil Colonial chargée de l'examen du projet. La commission travaillera rapidement maintenant, et dans l'esprit d'assurer aux juridictions le plus vaste champ d'action possible. Le décret ne tardera sans doute guère. A ce propos Mr Louwers (2) dont vous connaissez la grande valeur et l'excellent esprit, m'a prié de vous dire n'ayant pas officiellement l'honneur d'être connu de vous qu'il lit toujours avec grand intérêt, soit vos articles, soit les observations que vous m'adressez lorsque je les lui communique, et que vous ne pourriez rendre un plus grand service aux causes qui nous sont chères qu'en continuant à donner à ceux qui, comme lui, ont une part de responsabilité dans l'œuvre législative de la colonie, l'occasion de connaître la bonne doctrine. Vous voyez qu'il y a eu au Conseil Colonial des gens bien inspirés. Il y en a aussi au Ministère. Mais les uns et les autres ont bien difficile d'être bien documentés, et les meilleurs ne sont pas toujours les plus influents. Je me propose de développer beaucoup de vos idées dans une étude que j'ai l'intention d'écrire sur le statut juridique des indigènes chrétiens. Malheureusement j'attends vainement une docu-mentation qui m'a été promise, et je vais me trouver dans une période de travail intense à la cour, qui m'empêchera de me mettre à l'œuvre avant longtemps. J'ai aussi une brochure prête sur le statut de la femme indigène, mais elle ne doit paraître que pour octobre. J'ai sous presse une toute petite brochure de la collection "Xaveriana" avec comme titre "Coutume indigène et civilisation". Dès que le nouveau décret sur les juridictions indigènes sera paru, je publierai aussi un commentaire complet de l'ancien décret ainsi modifié (3), et ce sera une nouvelle occa-sion pour indiquer sobrement une fois de plus les idées générales que vous commentez si bien, et qui doivent inspirer une application. Vous me parlez de Mr Possoz (4). Je vous dirai que j'ai reçu souvent de ses études, soit pour la Revue Juridique, soit pour le Bulletin, soit pour l'Institut Royal, et chaque fois c'était impublia-ble, étrange, confus. De temps en temps un éclair:on se dit "Tiens, mais il a peut-être une idée épatante . . . Il et puis immédiatement cela devient marécageux. MM. Colin (5) et Van Aren-bergh (6) qui s'occupent maintenant de la Revue et du Bulletin, m'ont encore affirmé que ja-mais aucune des études qu'il leur envoie, n'était jamais jetée au panier sans un examen attentif et bienveillant; cela les désole voyant sa bonne volonté et son ardeur au travail, de ne pouvoir lui donner satisfaction et insérer ses travaux, mais vraiment il n'y a pas moyen. Cependant je crois comme vous, que ce n'est pas un esprit banal; c'est une mine à exploiter pour quelqu'un qui a, comme vous, les qualités de rédaction qui lui manquent complètement. Empêchez-le d'envoyer ses élucubrations qui nuisent à sa réputation, mais, puisque vous pouvez en discuter avec lui et clarifier sa pensée, proposez-lui quand il a une idée, de vous la laisser développer, fut-ce en unissant vos signatures. Je vous dis les choses carrément, bien entendu pas pour qu'el-les lui soient répétées sous une forme aussi brutale. . . la vérité est bonne à dire, mais pas sous n' importe quelle forme. En ce qui concerne votre mémoire couronné, Mr De Jonghe vous aura sans doute averti qu'il n'y avait pas eu moyen de le faire avec l'autre (7): En fait, on avait oublié ce qui avait été convenu en séance. . . Je terminerai en vous envoyant un peu tard mes meilleurs souhaits d'heureuse année et de fé-cond apostolat. Pour nous, 1937 s'est heureusement terminé par la réception des premières let-tres de notre fils aîné et de sa femme, bien arrivés à Elisabethville et enchantés de s'y trouver. 1938 débute par les préparatifs de l'ordination de notre second fils (8), qui aura lieu le 6 février, et sa première messe solennelle la 30. Avant de partir pour la Chine, il a encore à terminer son année d'études, puis son service militaire, et cependant ces belles cérémonies sont toutes pla-cées pour nous sous le signe de l'inévitable séparation, comme l'avait été le mariage de son frère. Je termine mon Père, en vous priant de ne pas oublier que vos lettres et vos idées m'intéressent, énormément, même si je ne vous le marque pas toujours très vite. Et je vous prie de croire à tous mes sentiments respectueusement cordiaux. A. Sohier
NOTES 1. V. Devaux, "Essai critique sur la situation juridique des indigènes au Congo-Belge", B. J. I. 6(1937-38)193-199; 221-237; 245-258; Idem, "Notes sur les discussions au Conseil Colonial du projet de décret modifiant le décret du 15 avril 1926 sur les juridictions indigènes", ibidem, 116-118 2. Octave Louwers (1878-19-59). Au Congo de 1901 à 1903. Il était l'initiateur des Codes et Lois du Congo-Belge. Notice biographique par N. Laude dans Bulletin de l'ARSOM, 233-253. 3. Les tribunaux indigènes au Congo Belge, Bolyn, Bruxelles, 1938, 28p. 4. Emile Possoz, lire H. Vinck, Annales Aequatoria. 7(1986)327-331 et Annales Aequatoria 10(1989)298-320, et A. Rubbens dans BBOM VII, B, 307-308 5. J.P. Colin (1889-1941), BBB IV, 151-152 6. P. Van Arenbergh (1900-1944), BBOM VII, B, 11 7. Il s'agit probablement du texte: "Het erfrecht van de Nkundo", Bibliothèque Aequatoria F-713. Le prix était attribué au Père J. Mertens, s. j. 8. Le Père Albert Sohier (voir note 1 à la lettre 60)
[Lettre 16]
Liège, le 22 juin 1938
Mon Révérend Père,
Je suppose que vous ne m'avez pas encore précisé le jour de votre arrivée parce que vous êtes fort occupé, ou attendez des nouvelles d'un autre correspondant. Mais cependant je me de-mande aussi un peu si, par une erreur quelconque (il m'est arrivé déjà d'être distrait dans mes adresses), ma lettre ne vous serait pas parvenue. C'est pourquoi je tiens à vous la confirmer en vous la résumant: lundi me convient aussi bien que mardi, à votre gré donc venez passer la journée de lundi ou celle de mardi, ou venez lundi après-midi et logez chez nous. J'irai vous prendre à la gare. Si le temps le permet et si vous n'êtes pas trop pressé, tout en parlant nous ferons une petite promenade à Liège ou aux environs, si bien entendu cela vous fait plaisir. En attendant le plaisir de faire votre connaissance, je vous prie d'agréer, Révérend Père, les as-surances de mes sentiments respectueux.
Sohier
[Lettre 17]
Apostolisch Vikariaat van Coquilhatstad
29 mars 1939
Monsieur Sohier,
L'envoi de votre article dans la Cité Chrétienne (1) qui vient de m'arriver m'a fait un grand plai-sir. Je constate avec beaucoup de satisfaction que vous voulez également intéresser le public ordinaire aux problèmes coloniaux. Cela manquait un peu dans nos revues catholiques d'ex-pression française. Les Flamands s'y sont lancée depuis longtemps (2) ,mais il est vrai que les Flamands considèrent la colonie beaucoup trop comme une affaire des Bruxellois et des Wal-lons, peut-être à cause de leur esprit soit disant casanier, peut-être aussi parce que la situation linguistique dans la colonie ne leur est guère favorable. En outre, ils ont déjà tant d'embarras dans leur propre petit pays, où ils ne parviennent ni à obtenir les satisfactions qu'ils désirent ni à se mettre pleinement d'accord entre eux. Ici on est décidé de se défendre le cas échéant. Dimanche dernier, j'entendais à ce sujet une ré-flexion intéressante. On disait: le sort du Congo ne dépendra pas de la défense sur place; mais du sort de la mère-patrie. Si la Belgique était un jour sérieusement menacée, ce qui peut très bien arriver, on devrait immédiatement proclamer en Afrique l'indépendance de la Colonie. Ce serait se réserver à la Belgique un territoire libre, point d'attache intéressant pour reconquérir son indépendance. Comme il ne s'agit que d'une fiction juridique, les liens pourraient être repris quand l'occasion sera favorable. Cette idée se rattache à votre exposé dans la Cité Chrétienne; c'est le cœur qui est la meilleure garantie de l'indépendance. Car il nous semble ici que la Belgique court de grands dangers. Il est certain que la France et l'Angleterre ne laisseront pas l'Allemagne s'installer sur notre territoire national. Mais nous voyons des événements si étranges se produire actuellement!. La force est grande et prime le droit. Est-ce que la France et l'Angleterre seront de taille à résister à la poussée de l'Allemagne? Et puis, les discussions intérieures chez nous ne semblent loin d'être éteintes; au contraire! Flamands et Wallons ne veulent pas s'entendre. Les sentiments sont exaspérés! Figurez-vous que lorsqu'on a appris ici la lettre du Roi au premier ministre pour insister sur certains points de la politique intérieure, des fonctionnaires se sont mis à discuter ce document. Ils étaient tous Wallons, excepté un Flamand. Ils prétendaient que le Roi voulait l'union et que les Wallons de-vaient faire des concessions. Or, l'unanimité des Wallons (3) disait: évidemment, le Roi est flamingant, mais vous pouvez l'avoir, ce sale Flamin. . . Avouez que c'est plus que fort! Mais cet état d'esprit n'est pas si rare. Si nous devons donner satisfaction aux Flamands, que la Bel-gique périsse, est une sentence qu'il n'est pas rare d'entendre dans la bouche des jeunes Wal-lons. Voilà où à mon -avis se trouve le grand danger. Les Flamands ont tout intérêt à l'existence de la Belgique, mais ils désirent avoir leur culture propre et arranger leurs affaires intérieures comme ils l'entendent. Les partisans de "Groot-Nederland" sont une infime minorité, poussée à cette extrémité parce qu'ils sont convaincus qu'ils n'obtiendront jamais leurs droits dans le cadre de la Belgique. La question traîne trop longtemps et va toujours s'envenimant. Cher Monsieur Sohier, cette fois-ci nous n'avons pas discuté droit indigène . . . Pour nous, Congolais, il est si triste de voir la situation malheureuse de la mère-patrie. Que fera le Congo, que deviendra-t-il des Noirs si les discussions continuent de pis en pis chez nous? Les Noirs connaissent ces discussions de plus en plus. Ils apprennent le français et lisent les télégrammes de presse, les journaux, etc. Ils commencent à avoir des radio. . . Alors…Evidemment, ils ne connaissent que les versions françaises et wallonnes, mais ils discutent ces questions entre eux et avec des Blancs. Il est évident qu'ils finissent par entendre l'autre cloche. Dans l'intérêt de la Colonie, il faudrait donc que ces questions se règlent chez nous au plus tôt. Il n'y a qu'un seul moyen, c'est de satisfaire aux Flamands de plus tôt le mieux ce sera. La question est difficile, je le sais. Les Wallons ne comprennent pas tous le point de vue flamand, comme le fait l'abbé Le-clercq, ils ont très difficile de se mettre à leur place. Ils oublient que l'argument de la supériorité numérique et de l'influence mondiale du français ne touche pas le Flamand, et que d'ailleurs cet argument ne vient rien faire dans la question. Et malheureusement, l'exemple triste d'autres na-tionalités que nous venons de vivre ces temps-ci, ne parait guère être un avertissement. Et cela parce que, je croie, les Wallonisants ne tiennent pas de l'existence de la Belgique; ce n'est qu'un étendard de combat. Ils verraient sans regret s'incorporer à la France, comme le veut d'ailleurs Hitler, quitte à laisser les Flamands dans les griffes du Reich et de sa tyrannie. Je vous écris ces lignes, Cher Monsieur, uniquement du point de vue congolais. Car il me sem-ble que les milieux coloniaux de Belgique, s'ils sont convaincus de la nécessité de résoudre cette question, pourraient avoir une influence dans ce sens. A présent, j'ai beaucoup de besogne. Je n'ai que peu de temps pour faire des études, mais cela viendra. Je dois surtout m'occuper de l'enseignement, des études linguistiques qui sont de pre-mière nécessité pour le développement culturel des Congolais. Nous venons de perdre M. De Rijck, parti à Cos'ville comme Commissaire de District. C'est un grand admirateur de votre oeuvre et de vos idées, il a avec M. Sand (3) et M. Possoz fait beaucoup pour installer votre système des tribunaux indigènes, et ils ont obtenu de beaux résultats. Espérons que son départ ne fera pas baisser l'activité en bonne direction des juridictions indigènes. J'ai maintenant assez bavardé, Cher Monsieur Sohier. Veuillez remettre mes respects à Madame et aux enfants. Et croyez-moi toujours, votre bien dévoué,
G. Hulstaert
NOTES 1. "Nationalisons notre politique coloniale", La Cité Chrétienne du 5 février 1939, 199-202. 2. Boelaert et Hulstaert publiaient fréquemment dans Nieuw Vlaanderen et Elckerlik. 3. G. Sand (1902), Commissaire de District. De 1954 à 1960 professeur à l'Université Coloniale d'Anvers
[Lettre 18]
Liège, le 9 Mai 1939
Très Révérend Père,
Je viens un peu bavarder avec vous, surtout pour vous assurer que ma sympathie ne vous oublie pas. J'y aurais mauvaise grâce d'ailleurs, alors que vous vous rappelez périodiquement si heureuse-ment à moi avec votre excellente revue "Aequatoria"; je tiens à vous féliciter de son intéressant contenu: c'est un tour de force de parvenir à cette publication dans une mission d'Afrique. Je regrette souvent mon ignorance du flamand, qui m'empêche d'en comprendre tous les articles, mais parmi ceux qui sont à ma portée, il en est qui méritent toute attention, et vos rubriques "Documenta" et "Bibliographica" paraissent fort bien parties. J'ai récemment eu une correspondance avec Mr Possoz vous en a-t-il parlé? Je me suis permis de lui dire assez crûment ce que je vous avais déjà exprimé autrefois sur l'obscurité de son style. J'espère ne l'avoir pas trop froissé. Il me semblait que je lui rendais ainsi service. Il m'an-nonçait qu'il allait produire d'importants travaux, et, d'après ce que vous m'en avez dit, je le crois capable de les penser, je crains que la forme ne le trahisse. Il faudrait qu'il trouve quel-qu'un --vous-par exemple-- le comprenant, qui collaborerait avec lui, clarifierait sa pensée et la rendrait accessible. Le livre aurait deux auteurs, mais les théories de l'auteur principal auraient plus de chances de succès (1). Je viens de lire un volume de coutumiers juridiques de l'Afrique Occidentale Française, conte-nant les coutumes du Sénégal (2); publication semi-officielle, contenant une série d'études sur le droit de sept à huit tribus, et destinées à inspirer les administrateurs et les tribunaux. Une première remarque, c'est que je préfère pour présenter les coutumiers la forme de notre bulletin à ces pesants volumes. Ceux-ci représentant un effort qui ne peut pas être souvent re-nouvelé, vont figer le droit qu'ils décrivent, d'autant plus qu'ils sont conçus de façon fort dog-matique, énonçant des règles sans beaucoup de commentaires ni de références. Un bulletin permet à chaque auteur plus de personnalité, il permet aussi de corriger, revoir, mettre au point les travaux, bref il est plus vivant. Seconde remarque, ce volume contient côte à cote le coutumier d'un groupe, les Ouolof, resté purement indigène, et d'un autre groupe d'Ouolof islamisés. Je ne sais pas qui sont les Ouolof, mais leurs coutumes ressemblent fort à celles de nos Noirs. Quelle supériorité ont les coutumes nègres pures sur les coutumes islamisées. Comme la situation de la femme est meilleure, et le respect de la personnalité plus grand. Comme des institutions comme la polygamie et la dot par exemple presque identiques extérieurement, y ont une inspiration différente. J'ai parfois vu les auteurs français différer fort avec nous sur l'interprétation des coutumes; je me souviens par exemple des réserves faites à propos de mes théories sur la dot. Je me de-mande si ce n'est pas surtout parce qu'ils sont trop pénétrés des usages musulmans, plus que des vraies coutumes indigènes. Je m'apprête à aller au début de juin à la réunion de l'Institut colonial International à Rome. Elle ne s'annonce guère comme un succès, les Italiens ont été très lents pour l'organisation, et cer-tains groupes étrangers boudent l'Italie. Les tirés à part de mon travail, que je vous avais annon-cé depuis si longtemps, ne sont pas encore parus, seule explication de mon retard à vous en en-voyer un exemplaire. Je viens de faire , à la fois pour l'Institut Royal e pour le Bulletin, une courte note sur des défi-nitions possibles de la famille et du pouvoir en droit couturier. J'y indique que l'existence d'un patrimoine commun, d'une communauté d'intérêts à gérer, est une caractéristique essentielle de la notion de famille en droit coutumier. Imaginez chez nous une famille sans aucun bien, elle reste une famille. Je doute qu'il en soit de même chez le noir. Transplantez une famille en ville, supprimez les intérêts communs à gérer par le père et toutes les règles du droit coutumier de-viennent impplicables. Raisons pour lesquelles elles évoluent si aisément, renonçant au ma-triarcat, à la succession collatérale, etc. D'autre part dans beaucoup de groupes le chef politique n'est qu'un chef de famille dont les pouvoirs se sont élargis. C'est l'idée de paternat qui rend le mieux compte de la nature de son autorité, de la dévolution et des limites de celle-ci. J'ai été sur le point de rédiger un mémoire sous le titre: "Cri d'alarme: où va la justice congo-laise?" Je reçois des lettres amères de docteurs en droit qu'on a fait entrer dans le service territo-rial sous prétexte de stage à la magistrature, et qui me disent que ce stage ne sert à rien, les met dans une situation inférieure; et leur fait perdre leur formation juridique et le fruit de leurs étu-des. Leurs plus belles années sont perdues, et ils ne feront jamais de fameux magistrats. D'autre part les tribunaux indigènes sont de plus en plus sans surveillance et sans direction, et sont considérés avant tout comme un moyen pour remplir les caisses de chefferies. On fait des reproches aux administrateurs, non parce que les affaires sont mal traitées, mais parce que le montant des amendes prononcées est en baisse. C'est déplorable. Je me suis cependant retenu d'écrire, parce que il me faudrait pouvoir citer des faits et les noms; or mes correspondants sont plus prolixes d'appréciations que de documentation, et de toutes façons je ne pourrais pas les découvrir. J'en viens répondre à votre dernière lettre, qui traitait surtout de la situation flamande. Hélas, il est comme vous le dites, beaucoup de Wallons trop francophiles, et beaucoup qui n'ont rien ap-pris en ce qui concerne l'importance de la culture flamande pour notre pays. Cependant il ne faut rien exagérer, et je puis vous assurer qu'ils se sentent avant tout profondément Belges, et désireux de maintenir l'unité nationale. Il ne faut pas croire tout ce que de jeunes Wallons, nés blagueurs et discuteurs, disent dans une discussion avec des Flamands. La plupart des plus francophiles bondissent quand on leur montre qu'il y a une certaine incompatibilité entre cet amour de la France et le patriotisme belge. D'autre part leur attitude vis-à-vis de la question flamande évolue beaucoup; pas partout hélas: il est encore trop de milieux irréfléchis. Mais l'évolution des Wallons va vers le bilinguisme généralisé, et non vers le parallélisme des cultures. Récemment un jeune Gantois de nos amis, flamingant ardent mais raisonnant, nous disait qu'il observait nettement une meilleure compréhension des problèmes dans la jeunesse wallonne, un désir d'entente et des suggestions qui lui paraissent raisonnables. "Malheureusement, ajoutait-il, cela vient trop tard, la jeunesse flamande s'est habituée à se considérer comme distincte de la jeunesse wallonne, et les avances des Wallons, qui auraient éveillé le très grand écho chez nous il y a dix ans, nous laissent maintenant aussi indifférents que si elles venaient de Japonais". Si bien que je crois que ce n'est pas le temps, le choc des événements et la grâce de Dieu qui ré-soudront ces problèmes. La mobilisation de septembre avait paru rendre un instant une âme commune au pays. Mais elle la suscité beaucoup de rancœurs chez les Wallons, qui constatent que le Luxembourg, une partie de la province de Namur, le pays de Verviers, la Nouvelle Bel-gique, ne seront pas défendus. On affirme que la population liégeoise sera évacuée, etc. Cela, notez-le, est pour beaucoup dans le progrès de la francophilie dans certains milieux. Dans le Luxembourg tout particulièrement. Mais je m'aperçois que ma lettre devient interminable: il est temps que je vous quitte, en vous assurant de tous mes sentiments respectueusement cordiaux.
NOTES 1. Il s'agit probablement du livre de Possoz: Eléments de droit coutumier nègre, Elisabethville (Kafubu), 1942, dont A. Sohier écrivait la préface. Hulstaert n'est pas intervenu dans sa rédac-tion. 2. Il s'agit de Coutumiers juridiques de l'A. O. F. T. I., 1939
[Lettre 19]
Bamanya den 29. 6. 39
Cher Monsieur Sohier,
Un grand merci pour votre bonne lettre du 9 mai. Vous avez bien fait d'écrire ainsi à Mr Pos-soz; il m'a fait lire votre lettre, ainsi que sa réponse. Vous voyez qu'il ne prend vos expressions d'aucune mauvaise volonté. En chrétien fervent qu'il est, il est très humble et accepte volontiers les reproches qu'on lui adresse. Il a le style embrouillé, et il cherche parfois la lumière pour son intelligence. Car il veut approfondir toute chose. C'est un esprit vraiment supérieur, un génie dirais-je presque; et il en a certainement le déséquilibre dans les expressions. Comme beaucoup de catholiques militants de la jeune génération, il n'est plus jeune d'après les années, mais il est psychologiquement, moralement et intellectuellement très jeune, très moderne, il est extrémiste. Maintenant je comprends ses idées; et je les admire franchement. Je lui dois beaucoup à tout de point de vue. Je corrige assez bien de ses écrits, surtout ce qui paraît dans Aequatoria. Il vient de m'envoyer des études plus qu'intéressantes sur le mariage, sur les adages juridiques des Mongo, etc. Il a quelques belles thèses sur le droit successoral. Il possède assez bien de docu-ments pour une étude de la preuve en droit mongo et nègre en général. Mais je n'ai malheureu-sement pas assez de loisirs pour contrôler tout personnellement. Je l'aide dé mon mieux. Votre remarque au sujet des coutumiers est très pertinente. Comme vous le dîtes, les volumes ont le gros danger d'arrêter les études, alors que nous ne sommes qu'au début de notre connais-sance du droit nègre. Je ne pense pas à son évolution, mais au droit ancestral même. Au fond qu'est-ce que nous en savons, sinon un tas de faits et quelques explications? La pensée de fond doit nous intéresser, car elle nous guidera dans l'évolution du droit, sans que ses bases soient sapées. Je ne conçois aucune adaptation saine et fructueuse sans connaissance de ces règles fondamentales, qu'ils nous a découvrir pratiquement en entier (1), malgré les commencements posés par vous et vos successeurs. C'est là encore un des grands avantages d'un bulletin pour l'étude du droit. Très intéressante cette remarque au sujet du droit islamisé des Wolof du Sénégal. Ils parlent comme les Fulfulbe (aussi nommés Peul) une langue à tendances bantouides (les auteurs nom-ment le Ful la langue qui forme la clef pour les langues bantoues). Les Ful semblent avoir des connexions culturelles avec les Malais et Javanais! La comparaison du double droit: ancestral et islamisé est pleine de suggestions: comme il nous faudra être prudents dans l'évolution du droit. On arriverait aisément à l'opposé de ce qu'on voudrait atteindre Concernant votre thèse des éléments constitutionnels de la famille indigène, je suggérais au lieu de patrimoine: le jus soli; l'existence territoriale. Dans les centres les familles s'individualisent en partie parce qu'el-les n'ont pas de territoire. Dès qu'elles s'installent comme clients ou étrangers dans un clan à côté du centre; chez les Blancs, la famille se constitue selon les règles ancestrales. Chez les Blancs on vit sur le terrain du Blancs, en esclave (selon. le droit mongo). Les conséquences de ce fait sont énormes. Rien déjà que ce fait doit fortement influencer la situation juridique, mo-rale et intellectuelle des familles comme des individus. On va vers le nivellement, la médiocri-té. Les esclaves ont-il a jamais la supériorité culturelle des maîtres? Je crains que nous nous plaindrons amèrement un jour des conséquences de l'établissement de centres extra-coutumiers ! Le dominium se rattache à mon avis à la paternité. Mr Possoz dit: il y. a deux caractères du clan autonome: paternité et jus soli. C'est parce qu'il est père que le chef de clan (famille) possède un dominium, le dominica potestas, la patria potestas. Je crois que c'est conformera la pensée nègre, du moins mongo. Il n'a jamais existé un chef politique à notre sens, rien que des chefs de famille, qui pouvaient se grouper, se fédérer, mais restant autonomes pour leurs propres affai-res. On écoutait de préférence, dans les questions communes, générales, le père de tous les pè-res, celui qui avait le plus d'autorité paternelle, qui représente la famille le "chef". Hélas, votre cri d'alarme sur les tribunaux indigènes n'est que trop fondé. Mais que faire? ICI ON NE VEUT PAS VOIR. ON FERME VOLONTAIREMENT LES YEUX. On est encore au XIX siècle. On ne comprend pas le rôle de l'état, ni de la justice, comme nous le concevons. On est en pleine civilisation industrielle, comme le dit le Dr Carrell dans "L'Homme cet inconnu" (livre qui serait à méditer par tous les coloniaux). On tient encore à la diviser; travail et progrès, mal appliquée. Comme si le travail seul avait une valeur; comme si le progrès économique et technique et administratif perfectionnait l'homme et le rendait plus cultivé, plus heureux, plus homme! Il faudra donc des années avant que cela ne change! La justice est intégrée dans l'ad-ministration, la politique, l'économique! Evidemment, vous ne pourriez découvrir les auteurs: ils seraient tracassés. On ne peut donc pas réagir encore. Cela ne viendra que le jour où le nom-bre des docteurs en droit aura augmenté suffisamment et qu'ils pourront étudier les questions et se mettre en rapport pour alarmer l'opinion politique. C'est pour cela qu'il parait utile que les jeunes docteurs en droit passent un ou deux ans dans la territoriale; ils pourront parler du point de vue des adversaires. Il est utile aussi qu'ils aient pris contact direct avec les indigènes comme avec la territoriale. Mais il faut qu'ils restent convaincus du rôle qu'ils sont appelés à jouer plus tard; qu'ils étudient donc pendant leurs loisirs! De toute façon, ils s'intéressent davan-tage au droit et peuvent entraîner les A. T. Si en outre on insistait à l'université coloniale, sur l'importance des questions juridiques, on travaillerait les esprits et on arriverait après quelques années à un résultat permanent. Mr. Possoz vous écrit aussi à ce sujet. Quant à la remarque qu'ils ne feront jamais de fameux magistrats, je ne le sais pas, s'ils étudient pendant leur stage dans la territoriale. Et il y a assez bien qui étudient vraiment, mais ils doi-vent le faire en cachette. . . Vos nouvelles sur la question flamande sont intéressantes. Toutefois, je reste sceptique pour l'avenir. Il est si difficile pour un Wallon de comprendre le status questionis! La question lin-guistique prend de plus en plus d'importance en Europe. Ce n'est que naturel parce que, il ne reste plus rien qui différencie les peuples, sinon la langue. Un mouvement comme la jeunesse catholique ouvrière est pourtant un grand espoir, parce qu'elle favorise l'union dans l'estime et l'union mutuels. ' L'esprit catholique véritable en est la base. Il agira comme le levain. Mais ne sera-ce pas encore trop tard? Car il n'arrêtera pas la politique. On ne peut attendre la solution des questions sociales que d'une action vraiment catholique telle que les papes la conçoivent. Si tant Flamands que Wallons comprenaient les belles paroles prononcées par l'abbé Leclercq dans une réunion à Liège, la question serait résolue: Il est rare de rencontrer chez un pur Wal-lon, comme l'abbé Leclercq, cette compréhension exacte du mouvement flamand. Qu'il puisse trouver beaucoup de disciples! Que Dieu nous fasse cette grâce, car le rôle de la Belgique dans l'Eglise et dans l'Europe n'est pas terminé du tout! Nous avons encore beaucoup à faire, et nous ferons plus que les grands pays, si on nous en laisse l'opportunité. Le mouvement jociste le montre d'ailleurs assez. Le mouvement flamand accepté franchement et loyalement par les Wallons et surtout par Bruxelles fera tomber les extrémistes. Nous apprenons à l'Europe com-ment la nationalité, l'état, le peuple, l'attachement à la langue et à la culture des ancêtres peu-vent très bien se concilier harmonieusement, pourvu qu'on se mette sur les saines bases catholi-ques. Les papes crient cela depuis des années. Le jocisme le met en pratique! Hélas, les jour-naux, le cinéma, l'éducation faussée, sont de gros obstacles! Et puis, les Wallons doivent faire des sacrifices; certains intérêts sont touchés, et cela est grave! Ensuite l'incompréhension mu-tuelle! Le fait des rancœurs à cause de l'évacuation projetée de l'Outre Meuse est symptomati-que! On ne pense plus à la défense du pays, mais d'un groupement. on ne comprend pas qu'il est militairement impossible de défendre le pays au delà de la Meuse contre une armée allemande. Il n'y aura de salut pour nous, si le cas devait se présenter, ce qui est loin d'être certain, que par la défense de la ligne de la Meuse rattachée au Canal Albert, re-joignant l'Escaut, puis cette rivière vers Gand, plus la Lys. Et comme première ligne, l'autos-trade à travers les Polders, chez nous. Mon patelin est en plein dedans; j'ai visité les ouvrages: ils ont un caractère nettement défensif contre une attaque venant du Nord, donc à travers la Hollande. Car je pense que le danger d'une invasion allemande en Hollande est plus à craindre que celui de l'attaque directe. Enfin, ce sont là des choses quel seul Dieu connaît. Laissons-le arranger les faits, et travaillant calmement comme de coutume. Ne nous faisons pas de soucis, mais prévoyons et agissons avec prudence modérée. Nous arriverons plus loin ainsi. Voilà que ma lettre est devenue longue. A la prochaine occasion, j'espère que Aequatoria vous arrive régulièrement. La collaboration augmente, et le contact entre missionnaires par corres-pondance devient plus intense. C'est là le grand succès que nous escomptons. Au lieu de tra-vailler chacun pour soi, unir nos idées, nos efforts, nous entraider, etc. Dieu soit béni, il me semble que ça va! Veuillez remettre tous mes respects à Madame, et saluer les enfants. Bien cordialement vôtre,
G. Hulstaert
NOTES 1. Un mot semble manquer ce qui obstrue la compréhension de la phrase.
[Lettre 20]
Bokuma le 27 octobre 1939
Cher Monsieur,
Mr Possoz vient de m'écrire, avant son départ pour l'Europe, qu'il a eu le bonheur de faire votre connaissance lors de votre passage à Coq (1). Comme je regrette que je n'étais point là à ce. Moment. Mais comme je suis presque continuellement en route, il ne faut pas vous étonner. J'espère que malgré la guerre vous serez bien arrivé chez vous. En voyage dans des conditions pareilles doit manquer un peu de charme, je suppose! Mr Possoz m'écrit aussi que vous aviez parlé au sujet de Aequatoria. Je vous suis reconnaissant que vous avez pris la défense de notre modeste revue. Mr De Jonghe, bien qu'ayant toujours été en excellents termes avec moi et mes confrères, ne peut supporter d'autre revue que la sienne (2). C'est dommage! Et je crains que notre amitié n'en souffre. Pourtant notre revue était une nécessité, surtout pour les missionnaires. Et si le gouvernement s'en désintéresse, la revue est pourtant bien vue. Nous avions cru que des fonctionnaires collaboreraient, mais jusqu'à présent il n'y a que Mr Possoz et Mr De Ryck qui ont mis la main à la besogne. Les autres semblent soit absorbée par la besogne administrative et les routes, ou bien ils attendent que le gouvernement manifeste son intérêt. Mais les missionnaires, ceux qui n'avaient jamais songer à publier quel-que chose, se sont mis en branle et c'est là pour nous le signe que le mouvement a pris. Et si la situation financière est encore très précaire, par manque d'abonnements, la cause spirituelle nous semble gagnée. Aussi. longtemps que nous pourrons, nous continuerons notre effort. Et si le gouvernement voulait prendre quelques abonnements pour les territoires, je crois que nous pourrons durer. Entre-temps nous avions formé le projet de doubler la revue pour lui donner un peu plus d'im-portance. Les études ne nous manquent pas. Est-ce que la guerre va nous permettre de réaliser nos projet? Me voici parti de Coq depuis la mi-juillet et il faut que je rentre pour discuter avec la direction du vicariat et de l'imprimerie. J'espère que nous pourrons doubler. Peut-être conser-vons-nous l'issue mensuelle, bien que d'aucuns préconisent un numéro tous les deux mois, ce qui a sa valeur psychologique: chaque numéro présentant un volume plus imposant! Enfin, nous verrons à nous débrouiller pour l'année prochaine, en commençant si tout va bien, par doubler le numéro de pages. Mr De Jonghe ne doit pas craindre pour sa revue. Il a assez de matière. Il possède encore une étude de moi (3) depuis mon passage en Belgique. Plusieurs études de fonctionnaires ont été refusées. Et ceux qui se mettent à la tâche grâce à Aequatoria, collaboreront aussi à Congo, j'en suis sûr. En outre, la revue Congo n'est pas armée pour des études linguistiques et, il faut le dire, elle est relativement fort négligée au point de vue technique. Mr Possoz vous a écrit sur l'autorité du père de famille chez les Nkundo (4). Vous lui répondez que cela vous parait un droit d'exception. J'ai longtemps combattu cette théorie de Possoz, mais pendant ce dernier voyage, j'ai dû me rendre. Il a bien raison! C'est la seule explication plausi-ble et la seule que les indigènes comprennent. L'autorité nkundo est à l'opposé de notre démo-cratie, et pourtant elle est plus Démocratique. C'est vraiment la monarchie absolue; ou plutôt, c'est la théocratie, mais sans caste sacerdotale. Leur organisation me parait maintenant plus chrétienne que celle de l'Europe moderne. Je commence une note pour expliquer cette théorie (. 5). Le thème est ardu, mais j'espère arriver à un exposé suffisamment clair. Vraiment, croyez-moi en entendant parler les Noirs, Mr Possoz est l'Européen qui les comprend, qui connaît leur droit! Ils me l'affirment partout où il a passé, tout en s'étonnant qu'un Européen ait pu arriver à les connaître et comprendre si bien. Rien déjà que cela, me prouve qu'il a saisi le fond de la pensée nègre. Il nous faudra réviser beaucoup de nos idées. Mais j'y vais prudemment et n'ac-cepte rien sans l'approfondir à nouveau. Car dans les détails il se trompe parfois étrangement. Mais pour l'idée de base, j'ai jusqu'à présent chaque fois dû rendre les armes. Malheureusement les fonctionnaires n'ont guère de loisirs pour étudier. Même des docteurs en droit n'ont autre chose à faire que construire des routes. Il faut du courage pour résister à pa-reille besogne et tenir son niveau intellectuel et conserver l'idéal de guider les indigènes vers un meilleur niveau! Quel dommage que la politique coloniale dévie de plus en plus vers l'écono-mique et la politique à l'européenne. Coutume indigène? de plus en plus reléguée à l'arrière plan! Elle n'est presque plus observée que pour certains usages rétrogrades. Quand cela va-t-il changer? Où changera-t-on encore? La politique d'exploitation gagne du terrain, du moins ici. Nous avons ici maintenant, dans cette région où je me trouve à présent, un excellent A. T., Mr Brébant (6), qui s' intéresse beaucoup au droit indigène, mais qui, malheureusement, a lui aussi peu de loisirs. Il y a quelques jours, de passage à Ingende, j'ai longuement discuté avec lui cer-tains problèmes indigènes, et il me paraît un véritable studax qui promet pour l'avenir. Mr Possoz vient de me passer, avant son départ, ce qu' il a déjà écrit sur le mariage nkundo. Je vais l'étudier mais pour le moment, j'ai peu de temps. Il me faudrait avant tout faire de la lin-guistique, car il nous faudrait un dictionnaire français-lonkundo. Et cela demandera beaucoup de temps! La question linguistique devient ici d'une importance capitale et il nous faudrait la résoudre ou du moins travailler à préparer sa solution. Je viens de trouver, au hasard des conversations, le mot nkundo pour droit (7). Et moi qui l'avais si longtemps cherché sans résul-tat! Pour le reste nous continuons calmement notre travail. Je ne sais ce que la guerre nous ménage. Espérons en tout cas que le Congo n'en souffre pas trop. Notre oeuvre d'évangélisation en souf-frira elle, car déjà les diminutions de fonds s'annoncent! Espérons que le gêne ne devienne pas exagéré et que l'œuvre gagne en profondeur ce que nous devrons restreindre en amplitude. Si la Belgique peut rester en dehors de la tourmente, ce sera déjà un grand bienfait de la Provi-dence, nous serons tranquilles sur le sort de nos parents et amis. Les Européens de l'intérieur sont partisans de la neutralité, mais il parait que dans les centres il y a d'assez nombreux inter-ventionnistes, probablement à cause de certains journaux, et surtout du Pourquoi Pas (8), évan-gile de nombreux coloniaux. Si Mr Possoz peut retourner au Congo, j'espère qu'il trouvera à occuper ses loisirs en Belgique. S'il peut réussir à rendre claire l'expression de ses idées, il peut rendre un service énorme à la cause du droit indigène et redresser pas mal de théories fausses. Ce serait l'homme pour donner un cours de droit indigène aux futurs missionnaires. Car nous en avons besoin! J'espère, Cher Monsieur Sohier, que vous allez bien, vous et votre famille et que vous ne souf-frez pas trop de la guerre et des inquiétudes qui doivent régner à proximité de la frontière est. J'ai bonne confiance que si l'opinion publique peut suivre le roi dans sa politique, nous reste-rons en dehors du conflit, auquel nous ne pouvons rien changer. Au plaisir de lire de vos nouvelles, croyez-moi toujours vôtre bien dévoué.
NOTES 1. Sohier était à Coquilhatville le 13 et le 14 septembre 1939. Hulstaert dit d'avoir reçu son rap-port (Hulstaert à Possoz 31-8-1939, Arch. Aeq. ) 2. Une correspondance à ce propos entre Hulstaert et De Jonghe 26-11-1939, avec réponse de De Jonghe du 12-2-1940 qui se dit étonné; une quelconque opposition de sa part à Aequatoria étant inexistante (Archives Aequatoria, CH n° 56). 3. Etude qui ne paraîtra plus car Congo cessait la publication avec le numéro de mars 1940. Je n'ai pas pu découvrir le titre de cet article. 4. E. Possoz explique ses idées sur le paternité à différents endroits, mais voir principalement ses Eléments de droit coutumier nègre, Elisabethville, 1942, p. 65-75. 5. Le thème reviendra dans plusieurs publications de Hulstaert, mais un article dédié exclusi-vement à cette question m'est inconnu. Possoz l'explique dans Aequatoria 3 (1940)106 6. Mr Victor Brébant (1911), au Congo depuis 1933. 7. Le mot en question est "mpifo" (voir son Dictionnaire français-lomongo, p. 148) 8. Pourquoi Pas?, hebdomadaire belge, bruxellois, paraissant dans la Colonie sous la rédaction de Pierre Davister
[Lettre 21]
Liège, le 11 décembre 1939
Mon Révérend Père,
Je viens de. recevoir votre lettre du 27 octobre: la poste ne va pas vite actuellement. J'en suis confus, car il y a dans une de mes fardes une autre lettre de vous à laquelle je n'ai pas encore répondu. Vous m'en excuserez, car je suis fort occupé ces temps-ci. Pour compenser, je me mets cette fois immédiatement à ma machine. Moi aussi, j'ai été un peu déçu de ne pas vous trouver à mon passage si rapide et si inattendu à Coq. Non voyage dans la colonie (1) m'a donné le grand plaisir de faire la connaissance de ma petite fille, de me retrouver fort peu au contact des Noirs et des réalités africaines, et de voir quelques paysages du Kivu et du Ruanda que je ne connaissais pas encore. Pour le reste, ma mission n'était pas agréable, j'ai eu tous ces retards dans mon retour, qui se doublait d'une cer-taine inquiétude sur le sort des miens, dont je n'avais pas de nouvelles, etc. Vous me parlez d'Aequatoria. Je vous félicite vraiment des résultats auxquels vous arrivez. J'ai signalé en effet à Mr Possoz que Mr De Jonghe avait indiqué que la dispersion des efforts était regrettable, et qu'il serait préférable de vous conseiller de collaborer aux revues existantes (2). Mais il n'y a pas eu d'attaques réelles, et il s'est parfaitement rallié au point de vue que j'ai dé-fendu, à savoir qu'une revue est en même temps un centre de recherches, qu' il y a utilité à les multiplier, et que les travaux que vous publiez ne seraient pas tous écrits si vous n'existiez pas. La conclusion a été qu'il faudrait que les efforts des revues locales soient portés à la connais-sance du public scientifique par une espèce de "revue des revues", et. . . cela est à l'étude. Vous avez raison de vouloir étoffer plus vos numéros, par exemple en paraissant tous les deux mois seulement. Pour moi qui ne suis guère les travaux de linguistique et ne comprends guère les travaux flamands, il arrive que la revue publie des numéros dont rien ne m'intéresse, ce qui serait évité par des numéros plus compacts. Vous devriez indiquer sur vos numéros un numéro de comptes-chèques postaux en Belgique. La parution tous les deux mois vous fait aussi gagner le prix de six couvertures par an, ce qui est - je pense - une économie appréciable. Vous pourriez aussi avoir plus d'articles en caractères moins grands, le caractère de vos dernières pages. Je viens de décevoir encore Mr Possoz, à mon grand regret (3). Il rêve de chaires de professeur à Rome dans une université, à l'université coloniale d'Anvers. Or je commence à comprendre que ses études sont intéressantes, qu'il a des idées neuves et qui méritent d'être creusées. Mais tout cela est encore mal digéré, la pensée ne me parait pas au point, et moins encore l'ex-pression. Dans ces conditions, l'enseignement de Mr Possoz ne pourrait avoir le caractère cer-tain et pratique que requiert l'université coloniale; et il est impossible de garantir à une universi-té son caractère scientifique. Ce qui faudrait c'est une chaire de cours libre, de recherche, et cela est fort difficile à obtenir. A mon avis, c'est vers la magistrature belge qu'il doit porter ses ef-forts, puis continuer ses études, et corriger, rendre simple et méthodique l'expression de sa pen-sée. Il est vraiment regrettable que vous, qui le comprenez particulièrement, ne puissiez pas collaborer à la rédaction de ses travaux. Il faut aussi à Mr Possoz, ou une documentation plus étendue, montrant que ses théories s'ap-pliquent réellement à tous les Noirs, ou un programme plus modeste. Parler de "droit nègre" et prendre toute sa documentation dans une seule tribu est évidemment contradictoire. Comme vous avez raison de regretter que la politique coloniale donne une prépondérance, qui devient de l'exclusivité, à l'économique, au fiscal. En vérité, il n'y a plus de politique coloniale. Tous les administrateurs qui voudraient s'occuper de la politique et de tribunaux indigènes sont découragés. Quant aux docteurs en droit, ils sont réellement sabotés par leurs chefs; vous me signalez que des docteurs en droit sont employés uniquement pour construire des routes; ailleurs c'est à des travaux de comptabilité, à des cultures, à la police; et pendant ce temps des agents territoriaux sans culture sont employés à la politique indigène. C'est un des points sur lesquels j'ai dit ici hautement mon avis, parce que j'avais déjà une documentation avant de partir; sur tout le reste, j'ai veillé à rester strictement dans les limites de ma mission, et à ne rien dire, ce qui me para-îtrait indélicat vis-à-vis du ministre et du gouverneur général qui m'ont fait confiance. J'ai de nouveau plusieurs travaux sur le chantier, mais qui m'éloignent un peu des questions in-digènes. Je fais pour les "Novelles" un commentaire du livre 3 du code civil; pour l'université coloniale, je prépare un cours de dix leçons sur le rôle judiciaire de l'administrateur, notamment en matière de juridictions indigènes; pour le congrès colonial, un rapport sur l'organisation de la justice au Congo. Enfin le directoire du parti catholique social m'a demandé un rapport sur les idées que le parti pourrait insérer dans son programme en ce qui concerne les juridictions indigènes. Si vous avez des idées à ce sujet, j'aimerais que vous me les indiquiez. Je sais ce que je veux en matière de tribunaux indigènes, mais qu'est-ce qui doit en passer dans le programme d'un parti est une question plus difficile. La préparation de mes conférences aux étudiants d'Anvers est un peu décevante, car je me rends compte que je vais conseiller à ces jeunes gens toute une ligne de conduite que j'estime utile pour la colonie, pour les Noirs et pour eux, mais dans la plupart des cas on ne la leur lais-sera pas suivre, et que je risque de leur attirer des difficultés en les mettant trop en garde contre les erreurs dominantes. Je termine en vous remerciant de vous intéresser à ma famille. Je ne sais si vous avez appris que je suis grand-père pour la seconde fois, mon fils d'Élisabethville ayant eu son second en-fant, un fils. Mon abbé est à Rome. Nous avons une vie normale. La proximité de la frontière ne nous émeut pas trop, l'impression étant que le danger d'être atta-qué s'est de nouveau éloigné. Mais quel problème grave, de se demander ce que nous devrions faire si la Hollande était attaquée. Nous ne devrions pas prendre l'offensive, mais ne faudrait-il pas laisser passer les renforts français? Car si la Hollande est écrasée, le sort des états baltes nous attend, sinon celui de la Pologne et de la Finlande. Il est certain que le pays traverse deux crises psychologiques: d'une part le sort de la Finlande remue profondément les cœurs, et montre mieux que la victoire des Germano-Russes est la fin des petites nations; d'autre part le moral de l'armée, ou plutôt de l'infanterie, n'est pas bon; il y a eu des demi-mutineries, qui ont pris comme prétexte le nouveau régime des congés, porté à 5 jours mais sans possibilité de les fractionner. Les soldats sont bien nourris, bien logés, bien in-demnisés, mais l'inaction et la discipline, généralement trop rigide dans l'infanterie, cause de mécontentement. Si on ajoute que les finances publiques sont dans un piètre état, notamment parce que on ne fait pas d'économies et que les nouveaux impôts, par leur exagération, tarissent la matière fiscale, on doit se dire que rien ne va fort, et qu'on sert mieux au Congo qu'ici. Enfin, ne soyons pas trop pessimistes; heureusement que nous avons le Roi; il a malheureuse-ment trop de ministres il vaudrait mieux un seul, et qu'il fut bon. J'espère que cette lettre vous trouvera en excellente santé; que les événements n'auront pas mar-ché trop vite dans l'entre-temps; je vous souhaite ainsi qu'à vos oeuvres et notamment à Aqua-toria, une excellente année 1940, et je vous serre bien cordialement la main.
NOTES 1. Il y allait enquêter pour le gouvernement belge sur une affaire de fraude de l'or. 2.·Voir aussi le Bulletin des Séances de l'IRCB 10(1939)39. A la. session. du 15 mai 1939 où étaient présent De Jonghe et Sohier, "Un membre soulève la question de savoir si la multiplica-tion des périodiques publiant des informations sur les coutumes indigènes ne constitue pas une dispersion des efforts (. . . ). M. le Président Rolin propose que quelques membres se réunissent pour examiner les moyens de combattre cette dispersion des efforts en centralisant dans une revue générale les données essentielles des études locales et particulières. La section prie le R. P. Charles, MM De Jonghe, De Cleene, Heyse et Laude de faire des propositions dans ce sens". A mon savoir, cette proposition n'a pas eu de suite. 3. Lettre de Sohier à Possoz du 9-12-1939 (Arch. Aeq. Fonds Possoz, vol 6, p. 25-26 - copie dactylographiée). Autres copies de lettres: Possoz à Sohier: 2-3-1940; 26-3-1940; 11-4-1940; Sohier à Possoz: 23-3-1940.
[Lettre 22]
Bokuma le 4 février 1940
Cher Monsieur Sohier,
Votre aimable lettre m'est parvenue il y a quelques jours. Je vous remercie pour vos bons vœux. Et je vous enverrais les miens, si ce n'était déjà tard qu'ils devraient plutôt servir pour l'année prochaine. Surtout avec les retards actuels du courrier. Ce n'est guère intelligent de la part des Anglais de diminuer les sympathies que les petites nations ont pour eux, et cela pour des baga-telles de nouvelles que un pays organisé comme le leur pourrait savoir par des voies plus no-bles. Mais enfin. . . Je comprends qu'il a dû être très agréable pour vous de faire la connaissance du Congo de votre petite-fille. Ce bonheur a dû vous consoler admirablement de bien de peines que vous avez sans doute eues dans votre mission si délicate. Je vous remercie beaucoup pour les renseignements concernant la question d'Aequatoria posée à l'Institut Colonial. Notre revue comble une nécessité. Il faut stimuler sur place les études co-loniales. Les revues métropolitaines ne sauraient jamais remplir ce rôle. Figurez-vous l'absence du Bulletin que vous avez fondé. Où en serions-nous maintenant avec le droit indigène tribu-naux etc. Notre revue est surtout un moyen de propagande, un stimulant, une excitation à l'étude, un moyen de répandre de saines idées dans divers domaines, spécialement parmi les missionnaires, qui en avaient un grand besoin et qui constituaient la masse de nos lecteurs. Car parmi les milieux coloniaux nous avons très peu d'abonnés. C'est que nous-ne sommes pas semi-officieux, comme le Bulletin ou Brousse. Et vous savez que le bluff joue un grand rôle au Congo. Pourtant notre revue est partout estimée. Et c'est déjà un grand point. Mr De Jonghe peut être certain que si nous pouvons continuer nos efforts -- et jusqu'à présent les prévisions sont favorables-- plus d'un collaborateur sera gagné à sa revue par le moyen de la notre. Je vous remercie des indications que vous me donnez au sujet d'Aequatoria. Vous avez l'expé-rience de ces choses. Et nous serons bien heureux de tenir compte de vos suggestions. Déjà nous sommes convenus de mettre certains articles en caractères C. 10, plus petits. Et avec le temps et les moyens financiers (surtout ces derniers) nous comptons user de caractères plus va-riés encore. La question cruciale sera les abonnements. Peut-être que le changement en cours (numéros plus variés) nous en amènera davantage. Quant à votre suggestion d'indiquer un n° de C. C. P. en Belgique, l'administration à laquelle je l'ai communiquée, trouve que cela n'est pas indiqué, vu qu'on peut tout aussi bien payer en Belgique sur le C. C. P. de Coq. Personnelle-ment je ne me connais pas en ces matières. Vos réflexions sur les travaux de Mr Possoz sont très pertinentes. Nous devrions collaborer. En effet, mais lui est affirmatif, moi je suis analytique; il me faut une documentation abondante et contrôlée sévèrement. De ce fait, nous nous opposons souvent l'un à l'autre; ensuite nous n'étions que rarement ensemble au Congo. Et il aurait fallu un contact constant pour discuter le texte. Il lui manque surtout le style clair. Pourtant, il a déjà exercé une grande influence sur l'étude du droit indigène. Et il est regrettable qu'il ne puisse pas rédiger, ni se mettre à la portée des lecteurs, ni surtout approfondir et examiner sous tous les angles les données ramassées un peu partout. Ses conclusions sont des éclairs: il a vu une plume et il vous fait une dissertation sur les mœurs des oiseaux. Son esprit est trop synthétique et général, et trop peu scientifique. Toutefois, je dois avouer que ses déductions hâtives sont souvent exactes, et il a le flair de la mentalité et du droit indigène. Il est tristement vrai que au Congo il n'y a plus de politique indigène. Ou ne serait-il pas vrai de dire qu'on joue double jeu? Partout on constate cette dualité. On dirait que le gouvernement a une politique pour la façade --celle-ci excellente-- et une autre réelle qu'on poursuit activement. Souvent on ignore les réalités indigènes, et ce qui est plus grave, quand d'autres les font connaî-tre, leurs travaux sont complètement négligés. On est un peu peut-être aussi, comme l'âne de Buridan. Pourvu que le sort de cet animal ne leur échoie pas un jour! On a peur de prendre par-ti. C'est le mal du siècle dernier, en pleine virulence au Congo actuel. On devrait finir par sous-crire à ce que dit un de mes confrères: "Au lieu de vous efforcer de convertir les milieux colo-niaux commencez par convertir l'Europe." Un haut magistrat, gagné à la cause du droit indi-gène par Mr Possoz, me disait dernièrement: "En effet, dans nos sphères, on n'aime pas qu'on s'occupe du droit indigène, et on n'en tient nullement compte". Ceux qui voudraient s'y intéres-ser sont molestés. Mr De Ryck (1) à Costermansville, n'en fera plus, je crains. Ses lettres me font croire qu'il n'en a plus de temps de s'intéresser, au Kivu, aux indigènes. Le gouvernement poursuit une politique contraire à l'évolution naturelle des indigènes et un haut fonctionnaire me l'a un jour avoué ingénument: il faut MATER les indigènes pour en faire des instruments dociles à la Hitler! Il est heureux que le Parti Catholique Social s'occupe des questions indigènes. Mais je ne vois pas très bien quelles idées je pourrais vous suggérer à ce sujet. Il y a la question des principes; et il y a celle de l'aide pratique. Mais que voulez-vous que les coloniaux fassent? Ils sont au service de l'état ou de sociétés et ne conservent donc pas leur liberté d'action. Celle-ci devrait d'abord pouvoir être sauvegardée. Mais comment? Il y a tant de petits moyens pour tracasser ceux qui donneraient des renseignements! Il faudrait encore que les fonctionnaires soient convaincus de leur rôle d'éducateur et qu'ils prennent les mesures de ce faire: donc, comme dit mon confrère, se convertir. Mais insérer cela dans un programme politique? A mon avis, à côté des cours à l'université coloniale, il faudrait que les hautes autorités, en Belgique comme ici, soient convaincus de vos idées. Mais voilà de nouveau la pierre d'achoppement: se convertir, rejeter résolument les anciennes idées libérales, prendre des décisions radicales, poursuivre le vrai but de la colonisation, etc.: L'enseignement devrait ici prendre des mesures pour soutenir le droit indigène. Mais là encore cette dualité dont malgré les bonnes volontés on ne parvient pas à se libérer! L'école primaire est actuellement une école technique et une école polyglotte. On y apprend des techniques pour avancer dans la vie facile et rémunératrice, on étudie (pendant 5 années d'école PRIMAIRE) 3 langues dont une européenne, etc. Comment faire de l'éducation et de l'instruction générale (2)? Comment donner une formation humaine? Impossible: Et ainsi dans tout le domaine nous tournons dans un cercle vicieux! Et j'en arrive à me dire que la civili-sation, au lieu de progresser au Congo, recule franchement comme d'ailleurs en Europe aussi. Des Noirs commencent à s'en apercevoir, et c'est un bonheur mais en même temps un grave danger pour notre oeuvre au Congo. Car ils nous en garderont rancune. Quel dommage! Alors qu'on aurait pu faire si bien, si on voulait s'affranchir des vieilles idées périmées! L'état égali-taire est aussi mauvais que l'état totalitaire! Pour sauver et faire progresser le Congo, il faudrait qu'on bâtisse résolument sur les bases indigènes. Et si quelques-uns sont convaincus de cette idée, beaucoup ne la comprennent pas! A vouloir respecter le chou et la chèvre, on va les perdre tous les deux. Un fait me revient à l'idée qui montre combien peut-on se soucier actuellement de l'organisation indigène. Dans telle région on vient d'organiser de grandes chefferies en unis-sant des tribus qui n'ont jamais été unies autrefois, d'origine disparate même. Notez qu'on ne s'est pas adressé au système secteur (qui est pratiquement la même chose) mais qu'on a carré-ment mis le pied dans le plat, parce que les populations sont matées à l'extrême et qu'on pouvait appliquer le plan sans crainte de révolte. . . Vous vous figurez ce que les juridictions indigènes doivent signifier dans ces conditions! Ce n'est plus qu'une fiction! J'ai commencé une étude sur l'autorité chez les Nkundo. J'y critique assez vivement la pratique gouvernementale en l'opposant à sa propre théorie. Mais le sujet est très difficile et l'étude n'est pas encore à point. Je crois que je vais envoyer la première partie sur le clan et son organisation (3) au Bulletin. C'est la partie analytique et descriptive. J'y renvoie à votre note sur le chef poli-tique, que j'approuve entièrement dans ses grandes lignes, mais que je critique dans certains détails, notamment pour ce qui est du patrimoine et particulièrement de la dot. Cela vaut du moins pour cette peuplade-ci. La seconde partie: notion de l'autorité est assez subtile et critique. Je verrai ce que elle va devenir. Peut-être vais-je encore faire quelque chose sur la législation matrimoniale des colonies françaises (4) et anglaises pour soutenir votre idée et en même temps celle de Mr Devaux. Pour le reste, je m'orienterais plus volontiers sur la linguistique et l'ensei-gnement (questions d' importance primordiale, me semble-t-il, et pour lesquelles nous n'avons que de rares compétences au Congo, et pour lesquelles j'ai une documentation considérable). Je tache d'obtenir de l'Institut Colonial et du Fonds de Recherches Scientifiques des subsides pour un voyage de études dans le Lac Léopold II et le Sankuru (5). Je voudrais étudier les dia-lectes mongo en dehors de notre vicariat et établir les limites sud de cette langue. Est-ce j'ob-tiendrai quelque chose? On ne me donne pas d'encouragement à l'Institut Colonial. Enfin, nous verrons. Si le P. Boelaert pouvait m'accompagner, nous pourrions prendre une documentation aussi sur le droit indigène et l'ethnographie. A moi seul, mon temps serait pris par les questions linguistiques, je crois. Je suis heureux d'apprendre de bonnes nouvelles au sujet de votre famille. Depuis que j'ai eu le bonheur de faire plus ample connaissance avec vous à Liège, je me sens un peu chez moi dans votre famille et je m'intéresse toujours beaucoup aux vôtre. Croyez-moi, je ne vous oublie pas auprès du Bon Dieu. Vos nouvelles au sujet de la situation chez nous sont très intéressantes. Je crois comme vous qu'il y a trop de ministres et une mauvaise économie. Si les circonstances pouvaient nous mener à une sorte de dictature royale, quel bienfait pour notre pays! A la prochaine occasion, cher Monsieur Sohier, veuillez donner mes respects à Madame et bien des salutations à toute votre chère famille. Avec une cordiale poignée de mains, bien vôtre ,
G. Hulstaert
NOTES 1. Nos archives (CH n° 63) ne possèdent que 6 lettres de Hulstaert et aucune de De Ryck (entre 1933 et 1945). Hulstaert avait fait la connaissance de De Ryck en 1933 quand ce dernier était Administrateur à Coquilhatville. 2. Voir articles de Hulstaert à ce propos dans Aequatoria 6(1943)2,97-103 et Aequatoria 8(1945)87-91. 3. Publications sur ce sujet me sont inconnues, c'est plutôt Possoz qui s'est exprimé sur ce point. 4. Note de Hulstaert, "Une loi française contre les mariages forcés", Aequatoria 3(1940)59-60 et dans le même numéro: "En lisant "Autour de la dot", p. 77-79 5.
cfr. Bulletin des Séances de l'IRCB 10(1939)399. La guerre empêchera l'attribution du sub-side et par conséquent son exécution. Cette absence de connaissance et d'informations linguis-tiques directes des Mongo du sud pèsera pour toujours sur la compréhension globale de l'exten-sion du groupe Mongo.
[Lettre 23]
Le 30 juillet 1945
Cher Monsieur Sohier,
Il y a longtemps que j'avais répondu à votre gentille carte dès après la libération. Et voici que maintenant je reçois votre livre sur le mariage (1). Je ne vais pas vous laisser attendre une lettre jusque quand j'aurai pu lire cette étude, vous devriez peut-être attendre trop longtemps. Car je suis en voyage d'inspection; cela prend du temps; on a tout le reste sur les bras; et la rédaction etc. Aequatoria doit continuer en cours de route. Cela vous dira aussi que cette époque ne m'a laissé guère de loisirs pour faire des études sérieuses. Depuis des années j'entrepris une étude sur l'autorité dans la société nkundo; mais le texte a été repris deux, trois fois, et je ne parviens pas à m'expliquer clairement. Je dois avouer que la chose est très difficile pour les Européens. C'est dans le genre de votre notice dans le B. J. I. mais je cherche à pousser plus au fond et là, il est difficile de s'exprimer en français. . . Peut-être reprendrai-je l'étude un jour (2). Mais entre-temps: comment avez-vous passé ces tristes année de guerre? Vous n'habitez plus à votre ancienne adresse, à cause des bombardements? Je sais que maintenant la censure est en-core très sévère pour tous détails sur la situation réelle; mais je pense qu'on ne tardera guère à pouvoir se dire plus librement les nouvelles et j'espère qu' alors vous me donnerez un peu de détails sur la situation de votre famille et ce qui s'est passé pendant et après l'occupation. Pendant que la F. P. était en Nigérie un confrère à moi (3), aumônier en chef de l'expédition, m'a communiqué qu'il était très heureux d'avoir avec lui votre fils du Katanga dont il louait la foi solide et le bon esprit catholique. Je pense que cette nouvelle, de source impartiale, fera grand plaisir à vous et à tous. Personnellement je n'ai eu le bonheur de faire sa connaissance. Votre fils destiné à la Chine est-il parti? Et si oui, en avez-vous des nouvelles? Je constate que l'Institut Colonial a continué ses travaux pendant la guerre. Je l'ignorais! J'es-père que l'Institut voudra nous envoyer ses publications en vue de recension dans Aequatoria. Nous avons dû introduire la règle de demander deux exemplaires pour recension, parce que un exemplaire doit être envoyé au recenseur, et que l'autre nous voulons le garder dans notre bi-bliothèque. Nous avons en effet cherché à constituer une petite bibliothèque de consultation pour nos collaborateurs (4). Nos moyens financiers ne nous ont pas permis d'acheter beaucoup, évidemment, nous cherchons donc à y remédier par les ouvrages à recenser. Je pense que vos romans coloniaux peuvent trouver place dans nos recensions; nous en avons déjà recensé e. a. celui de Tonnoir. Vous comprendrez sans doute que la situation matérielle n'a guère été favorable durant la guerre, financés limitées, collaboration assez restreinte (manque de personnel, fatigue générale, etc. ), difficulté de papier, matériel d'imprimerie fort usé avec impossibilité de remplacer et au-tre impossibilité de faire imprimer ailleurs, toutes les imprimeries se déclarant surchargées de besogne. Enfin, à force de patience, on a quand même tenu. Dont inconvénients: stocks limités d'anciens numéros; certains sont même épuisée. A l'actif: augmentation dés abonnés (tous les territoires maintenant, excepté le Katanga; plus les missions etc. ). En général on est mieux ap-précié à l'étranger que parmi nos compatriotes, encore un phénomène très connu. Nous en-voyons maintenant 400 exemplaires. Ensuite difficulté du choix d'articles; beaucoup en fla-mand, trop peu en français. Trop peu de variété dans les matières traitées. Il y a ainsi rarement une étude de droit. Ce qui n'est pas grave puisque nous avons le B. J. I. qui y est spécialisé. Vous verrez d'ailleurs tout par vous-même quand les relations postales seront devenues plus normales. Il n'y a que depuis l'an dernier que nos fiances sont un peu convenables grâce à un subside reçu du Gouvernement Général: 10. 000. Mais les frais restent énormes. En dehors des abonnements nous avons reçu quelques dons d'amis privés, et des aides de la part de la mission (imprimerie). D'autre part, avec ce subside du G. G. nous aurions voulu augmenter le volume de la revue, mais l'imprimerie n'a pu le faire. Donc on verra plus tard, si du moins la revue pourra continuer de vivre; ce que nous pouvons prévoir actuellement. J'ai vu dans les journaux que l'institut Colonial demande de nouveau des études. On a même osé demander une étude sur l'influence de la guerre sur les populations indigènes. Sujet extrê-mement délicat, pour ne pas dire dangereux. Aussi je crains qu'une étude objective ne sera re-çue et si quand même on en envoyant une sera-t-elle acceptée? Il est difficile de décrire objec-tivement des situations où la politique nationale ou internationale serait forcément mêlée, sur-tout tant que perdure cette maladie collective qu'on nomme psychose de guerre. Enfin, nous verrons. En tout cas, la guerre a apporté au Congo une évolution formidable surtout au point de vue social, pensez au problème des évolués; extrêmement épineux, et dont les suites sont im-prévisibles. Pendant la guerre les britanniques ont produits beaucoup d'études coloniales. Les Français ont travaillé eux aussi: IFAN à Dakar, Bulletin de la Société d'Etudes Camerounaises; tandis que la société de Brazzaville s'est tue. Le Rhodes Livingstone Institute de N. Rhodesia a beaucoup travaillé. Jusqu'ici nous avons reçu très peu de nouvelle de Belgique à part de nos familles. Ainsi nous savons très peu sur le Musée de Tervuren, la revue Congo, Kongo-Overzee, université d'An-vers, etc. Ces activités scientifiques coloniales vont-elles reprendre? et comment? Entre toutes mes occupations j'ai pris surtout des notes linguistiques, ce qui m'intéresse spécia-lement. Très peu sur les coutumes juridiques, à part la vérification de certaines théories de Mr Possoz, ou récemment celles du P. Placidus Tempels sur la philosophie bantoue. On n'est pas encore d'accord, quoique je doive avouer que le fond de leurs thèses ne semble guère attaqua-ble. On trouve sur une vaste aire géographique tant de ressemblances fondamentales dans les conceptions juridiques, religieuses, philosophiques qu'on doit bien conclure à priori à une base idéologique commune à quelques principes communs à cette masse de peuples non civilisés. Plus on lit d'études sur ces sujets, plus on-voit la nécessité d'admettre cette thèse et par le bien-fondé de tentatives généralisatrices comme celle de Mr Possoz ou du P. Tempels. Entre temps les peuples évoluent et le Congo ne reste pas en retard. Le brassage se fait très in-tense. La main mise européenne se fait toujours plus puissante et sape les droits indigènes. Nous nous trouvons devant une lutte formidable dont on ne peut, à mon avis, prévoir l'issue. Si le Blanc a la supériorité de force incontestable, la mentalité primitive est plus instinctive et an-crée. Et la civilisation blanche est celle même en pleine lutte intestine, et branle très fort. On est en pleine révolution. Il me semble qu'en attendent nous nous acheminons de plus en plus vers des situations qui menacent de devenir inextricables, vers des conflits et problèmes insolubles, comme en A. S. ou aux U. S. A. Déjà cela s'annonce dans les colonies de peuplement britanni-ques. Cela se verra au Congo aussi; je crains au fur et à mesure du développement de la popula-tion blanche. Aussi ne serez-vous pas surpris en constatant dans les études, journaux, etc. que les partisans de la coutume indigène et de l'indigénisme en général sont plutôt le parti perdant. Cher Monsieur Sohier, j'ai voulu bavarder un peu avec vous. J'espère recevoir de bonnes nou-velles de votre part et du pays. Voici donc notre correspondance renouée. Bien des respects à Madame et salutations aux enfants ainsi qu'à tous les amis ou connaissances. Et au plaisir de vous lire. Vôtre bien cordialement, G. Hulstaert
NOTES 1. A. Sohier, Le mariage en droit coutumier congolais. IRCB, Bruxelles, 1943. Recension de Hulstaert dans Aequatoria 9(1946)34 2. Déjà avant la guerre, il parlait de cette étude qu'il n'a jamais finalisée. Nos archives ne conservent aucune trace de notes préparatoires. 3. Paul Jans, msc (1886-1962). 4. Cette "petite bibliothèque" pour les collaborateurs d'Aequatoria par prêt à ceux qui le de-mandaient. Les livres étaient souvent envoyés par la poste. La bibliothèque fonctionnait princi-palement comme bibliothèque privée du Père Hulstaert, et elle était située dans une chambre de l'habitation des missionnaires à Bamanya. En 1979, nous l'avons organisée et de la bibliothèque privée, elle est devenue ouverte aux étudiants et chercheurs. Voir H. Vinck, "Aequatoria, cin-quante ans de recherches africanistes", Zaire-Afrique n° 2l2(1987), et G. Essalo, "The role a small Research Library in a small City of Zaire, the Aequatoria Library", Notes. Project for African Research Libraries, Summer 1993, P. 3-4
[Lettre 24]
31/12/1945
Cher Monsieur Sohier,
Je viens vous souhaiter une bonne et heureuse année. J'y joins mes meilleures prières pour vous et toute votre famille. Avez-vous reçu ma lettre du 30 juillet derniers? Et ma réponse à la première carte postale d'après la libération? Je crains peut-être que l'une ou l'autre se soient égarées. Cela arrive de temps à autre. Et récemment on a découvert ici au bureau de poste de graves irrégularités: même des envois recommandés ne sortaient pas d'ici, mais étaient dérobés par un des commis indigènes! Et comment avez-vous passé ces tristes années d'occupations? Vous avez changé d'adresse (j'ai oublié la nouvelle que vous aviez marquée sur un de vos envois. . . ). Est-ce à cause des bom-bardements? Avez-vous des nouvelles de votre fils missionnaire? Ou n'est pas parti pour la Chine? Récemment j'ai écrit à votre fils au Katanga. Un confrère à moi, aumônier en chef des forces d'expédition en Nigérie, m'avait écrit à son sujet. Il se louait d'avoir un si excellent chré-tien dans les rangs: Cette nouvelle, de source impartiale, doit certainement vous faire plaisir! Malgré les changements nombreux des troupes pendant la guerre, je n'ai pas eu le plaisir de le rencontrer ici. Je lui avais écrit, sur recommandation de mon confrère aumônier, au sujet d'un écrit sur l'enseignement des masses par un homme de l'U. M. D'ailleurs lui-même s'intéresse à ces problèmes. Je viens de recevoir sa réponse et la brochure (1). J'ai été heureux de recevoir votre ouvrage sur le mariage coutumier. C'est une excellente syn-thèse sur ce que nous en savons. Notre revue y consacrera un compte rendu, mais il n'est pas encore prêt (2). L'Institut m'a écrit qu'il enverrait les publications pour recension dans Aequato-ria. Nous attendons les envois. La revue a continué doucement pendant la guerre malgré les difficultés financières et techni-ques, Surtout ces dernières. Nous avons dû limiter le tirage au strict minimum: d'où les lacunes dans nos stocks. Nous avons cependant envoyé à l'Institut Colonial et au Ministère des Colo-nies les numéros encore existants. Les abonnements ont augmenté, parce que tous les territoi-res, excepté le Katanga, ont un abonnement. Parmi les missions, le nombre des abonnés a aug-menté progressivement. Parmi les privés, ce sont des hauts et des bas. Nous manquons de choix des sujets. Puis trop d'articles en flamand et trop peu de collaborateurs écrivent en français. Le Gouvernement nous a donné une fois un subside de10. 000 fr. Dans votre livre sur le Mariage, vous défendez encore votre ancienne thèse. Vous aurez appris entre-temps comment cette thèse et en général la thèse de l'adaptation prudente et progressive est complètement délaissée. Le Congo a évolué terriblement. L'indigénisme n'est plus à la mode. Vous le verrez dans les revues comme Lovania, et autres publications. Les cercles ecclé-siastiques élevés penchent de plus en plus pour l'européanisation complète. Notre thèse n'est plus approuvée, Mgr de Hemptinne est opposé, et attaque notre revue pour cette cause. Et la Délégation Apostolique semble aller dans le même sens. Nous devrons donc nous abstenir dé-sormais de propager cette thèse. Nous avions cru que l'Eglise l'approuvait; nous nous basions sur les documents romains: il paraît maintenant que cela ne vaut pas pour le Congo (3). Je suis heureux d'apprendre que vous avez écrit des romans coloniaux. Excellent moyen pour faire entrer dans le grand public certaines idées. Je serai heureux d'en prendre connaissance. Et nous voulons bien les recenser dans notre revue, dès que nous les , recevrons. Au plaisir de vous lire, veuillez croire, cher Monsieur Sohier, [illisible]
NOTES 1. Hulstaert à Jean Sohier, 9-1-1946 (Archives Aequatoria CH 201b, 182) 2. G. Hulstaert, Aequatoria 9(1946)34 3. Hulstaert fait allusion à la réaction du Délégué Apostolique, Mgr Dellepiane, sur instigation de Mgr de Hemptinne contre un numéro spécial d'Aequatoria traitant de la polygamie (n° 1 de 1945) et sur la suspension de la revue après le n°3 de 1945 (à cause e. a. d'un article de Ka-game). Voir H. Vinck, "Correspondance Hulstaert-Kagame", Annales Aequatoria 16(1995)467-588
[Lettre 25]
[Sans date; fin 1945 / début 1946]
Mon Révérend Père,
Je vous remercie vivement de vos bons vœux et de votre bon souvenir. Je n'ai pas besoin de vous dire quels souhaits nous formulons de tout cœur pour vous-même et vos oeuvres. J'ai bien reçu vos lettres et j'y ai répondu. C'est donc ma propre lettre qui se sera égarée, ce qui n'est comme vous le remarquez, pas exceptionnel. Désordre ou mauvais coup des organisations qu'on prétend fonctionner à la poste? Mystère ou censure? Croiriez-vous que ceux qui partent dans la colonie doivent aller soumettre à la censure les papiers qu'ils emportent avec eux? Je le sais parce que mon troisième fils (1) part par l'avion du 29. Il est (je ne sais si je vous l'ai ra-conté) docteur en droit et licencié en sciences politiques, ayant passé ses examens en 1944 bien que nous fussions sinistrés, qu'il fut dans les services de renseignements, puis dans le maquis. Il vient de sortir troisième de l'école Coloniale. Il restera à Léopoldville au service qui s'occupe de la législation sociale, tout en ayant la qualité d'administrateur adjoint. Il vient de se marier avec la jeune fille dont nous souhaitions depuis longtemps qu'il s'éprenne. Si ses déplacements l'amenait à Coq, il ira vous demander. Il a le grand défaut de partir, ayant déjà des idées sur la colonie et notamment les miennes sur les questions indigènes. Car, comme vous le dites, elles ne sont guère à la mode. Elles sont certainement justes, puis Mgr de H. (2) en est adversaire, il a encore pendant la guerre confirmé de façOn éclatante combien il avait l'esprit peu pondéré. Je continuerai cependant mon enseignement, et je me propose de publier le précis de mon cours dans le Bulletin des Juridictions Indigènes (3). Je crois que je fais faire des progrès à la science du droit congolais, que c'en est notamment un très grand, d'avoir écarté l'idée que ce serait un droit coutumier. J'ai été naturellement très heureux de ce que vous écrivez de mon fils Jacques. Nous sommes impatients de le revoir, et surtout nos petits-enfants. Je souhaite beaucoup que mon Jean (celui qui va partir) marche sur ses traces. J'ai lu avec admiration le livre du P. Tempels (4), si clair, si bien traduit, et je serais tenté de dire si convaincant, si mon manque de préparation suffisante au point de vue philosophique et ethnographique ne m'empêchait pas de donner mon avis. En tous cas, il est des problèmes juri-diques indigènes, la responsabilité notamment, qu'on ne peut plus exposer de la même façon après l'avoir lu. Je l'ai remis à mon fils Albert, l'abbé, qui dirige toujours un séminaire de la SAM à Louvain, et j'attends avec impatience son avis. J'ai reçu ce livre à la fois de mon fils Jacques et de Mr Possoz. Je vous dirai très confidentiellement que je me sens très embarrassé vis-à-vis de ce dernier. Cet homme est dans une situation difficile, je voudrais l'aider et c'est presque impossible. En effet la réputation qu'il s'est acquise dans la magistrature et dans les mi-lieux de l'Institut Colonial est telle que le courant est à peu près impossible à remonter. D'autant plus qu'il est en partie mérité. Il lui manque la clarté d'exposer et un certain équilibre. Il vou-drait surtout être professeur, mais je n'oserais pas me porter garant de la valeur de l'enseigne-ment qu'il donnerait, ne sachant pas s'il resterait assez clair et pratique. D'ailleurs, en ce qui concerne l'Université Coloniale, j'aime à conserver le cours qui m'intéresse, puis sa nomination se heurterait à de vives oppositions. A l'Université de Louvain, il y a un autre candidat tout prêt, et là aussi il y a certainement des idées faites à son égard. Au point de son entrée dans la magis-trature, il m'est impossible d'affirmer sa valeur professionnelle, alors que je ne l'ai jamais eu sous mes ordres et que tous les magistrats congolais qui ont été ses chefs lui ont été défavora-bles. C'est fort pénible. C'est bien cependant un bien brave homme et un esprit original auquel il faudrait pouvoir donner le moyen de travailler hors série, sans avoir à attendre de lui un ren-dement immédiat (5). Je suis heureux que le nombre des abonnés d'Aequatoria progresse, et j'espère que vous sur-monterez les difficultés de rédaction. Je suis heureux que l'Institut vous envoie ses publications. Maintenant que vous en êtes membre, vous y avez de plus droit à titre personnel. N'hésitez pas, quand vous désirez des exemplaires supplémentaires des publications de l'Institut, à les deman-der, il est de coutume d'être très large à ce point de vue. Je vous dirai confidentiellement que lorsqu'il a été question de candidatures à l'Institut précédemment, j'avais cité votre nom et je m'étais heurté à de l'opposition: "Il est trop jeune", etc. Cette fois, c'est De Jonghe qui a cité le premier votre nom avec de grands éloges, qui montrent que vous pouvez le cas échéant compter sur lui. En ce qui concerne mes oeuvres d'imagination, mon livre de nouvelles, Tréfonds (6), est épuisé et ne semble pas devoir être bientôt réimprimé. Quant au roman, Yantea (7), j'ai porté Aequato-rie sur la liste de publications auquel il doit être envoyé pour compte-rendu. Malheureusement la première édition, de 5000, a été épuisée, et la réimpression subit des retards excessifs, dus à la malchance, et qui finiront par en compromettre le succès. C'est ainsi que l'éditeur n'est pas parvenu encore à en expédier aux libraires et à la presse de la colonie. Ce retard a une autre conséquence: l'éditeur ne peut faire paraître mes autres oeuvres avant que celle-ci ait été bien lancée, si bien que je ne sais quand seront imprimés mon second volume de nouvelles, qui s'in-titule "Tels qu'en eux-mêmes. . . " (8) et mon second roman, "Simon Deharre" (9) qui, j'en ai peur, provoquera quelques critiques, car je m'y suis exprimé assez librement sur les questions indigènes et missionnaires. Je dois encore vous dire que je vais incessamment être nommé Conseiller à la Cour de Cassa-tion et aller habiter Bruxelles. Hélas; j'y cherche vainement un appartement, la crise des loge-ments y est très grande à cause des réfugiés, des administrations nouvelles qui accaparent énormément de locaux pour leurs bureaux, et des réquisitions par des armées étrangères. Les prix sont énormes. Je crois que voilà le tour d'horizon complet. Je termine donc, mon Révérend Père, en vous en-voyant, de la part de me femme comme du mien, l'assurance de tous nos sentiments très cor-diaux.
NOTES 1. Jean Sohier (1921). Entré au service de la Colonie le 31-1-1946. Correspondance avec Hul-staert: Archives Aequatoria CH, n°2O1b 2. "Mgr H: Monseigneur Félix de Hemptinne. Sohier fait allusion à l'attitude anti-alliés du Vi-caire Apostolique de Elisabethville pendant la seconde guerre mondiale. 3. Le droit coutumier du Congo-Belge, B. J. I. 1946-47, p. 261-272; 301-312; 375-392 et en fascicule séparé de 42 pages. 4. Philosophie Bantoue, Edition de Lovania, 1945. 5. La correspondance de Possoz avec Hulstaert durant cette période témoigne de ses errements. Par contre, il a publié encore plusieurs articles dans des revues très variées. Il termine sa car-rière de publiciste en 1967 avec une brochure sous le titre: Ajustements au devenir. Entre 1944 et 1959, il collabore avec A. Burssens à Kongo-Overzee. 6. "Tréfonds", chez A. Maréchal, Liège, 1943, 207 p. 7. "Yantea", ibi, 1947, 223 p. 8. "Tels qu'en eux-mêmes" paraîtra en 1948 chez Max Arnold, Liège, 235 p. 9. Restera inédit.
[Lettre 26]
7/2/1946
Cher Monsieur Sohier,
J'ai été très heureux de recevoir votre bonne lettre il y a quelques jours. Oui, il faut bien que certaines choses clochent, car vos lettres n'arrivaient pas! D'ailleurs on a entendu pas mal de plaintes à ce sujet, de divers coins. Espérons que avec les élections le pays se ressaisira et qu' on n'imite pas les Français qui sont plutôt mal en point. Je vous remercie pour tous vos bons souhaits. Et je souhaite surtout que la paix revienne et que le pays reste dans l'ordre. Il en a trop besoin. Ce n'est pas le moment de se payer des fantaisies! J'ignorais que votre troisième fils vient au Congo. S'il reste à Léo dans les bureaux, j'aurai peu de chance de le voir, à moins que je n'y descende moi-même un jour. Ce n'est pas exclu, mais je préfère ne pas aller à la capitale. Je ne peux me permettre ce luxe, car j'ai trop de besogne. A moins d'un événement particulier. Et alors je ne manquerai pas d'aller saluer votre fils. J'ai beaucoup goûté votre réflexion au sujet de vos idées sur le droit indigène et ce qui s'y ratta-che. L'argument de l'opposition de Mgr. d. H. peut vraiment valoir comme argumentum aucto-ritatis, qu'on devrait classer dans une nouvelle catégorie: argumentum auctoritatis negativum. Les faits semblent bien démontrer que c'est un argument aussi fort que l'argumentum auctorita-tis positivum en honneur jusqu'ici. Mgr d. H. reste tout aussi opposé à tout ce qui est indigène. Et depuis la guerre, il a gagné beaucoup en autorité sur la Délégation Apostolique. C'est d'ail-leurs lui qui a lancé la dernière attaque contre Aequatoria. C'est lui qui mène l'attaque contre le livre du P. Tempels: livre dangereux, livre qui pervertira les idées des jeunes missionnaires, qui fournira des armes aux adversaires de la religion, etc. On connaît cela. Mais je crains que plutôt son action ne fasse du tort à la cause de l'Eglise au Congo. Le décret sur la monogamie n'a pas donné jusqu'ici beaucoup de résultats (1). Les évêques semblent divisés eux-mêmes, dit-on. La mis e en vigueur a été reportée au 1 juillet. Que n'ait-on pas plutôt écouté vos sages conseils et travaillé tous ensemble par la voie plus lente, moins brillante, mais plus sûre de l'adaptation. Mais voilà, l'autre système est de plus en plus en vogue. Où tout cela nous mènera-t-il? Secret de Dieu! Mais personnellement, je ne suis guère rassurera. Oui, le livre du P. Tempels est une révélation pour beaucoup, pour ou contre, selon qu'on est pro- ou anti-Noir (je ne parle pas de sentiments tels que les expriment les paroles, mais tels qu'ils sont en réalité). Nous avons beau-coup discuté cette question avec le P. Tempels (2). Il me semble qu'il devra revoir certains dé-tails. Les philosophes pourront étudier ce livre. Malheureusement, les missionnaires philoso-phes ou plutôt professeurs de philosophie, ne sont pas de vrais philosophes. La critique qui a été faite sur un article d'Aequatoria par un professeur pareil est lamentable (3) Oui, je comprends qu'il est difficile de trouver quelque chose pour Possoz: ce n'est pas un pro-fesseur, ni un homme à marcher dans les chemins tracés (ce qu'il faut pourtant savoir faire dans une administration); c'est un chercheur original qui devrait travailler dans un institut libre où il pourrait se consacrer à ses études. Et en Belgique, on ne voit pas très bien comment il pourrait trouver une situation pareille. A moins qu'il ne se fasse bibliothécaire quelque part. Je vous remercie pour les bonnes paroles que vous avez eues pour moi à l'Institut Colonial. Je suis heureux aussi d'apprendre que Mr De Jonghe m'a proposé (4). Je n'ai pas encore eu le temps pour écrire une recension de votre "Mariage" ni du livre de Van der Kerken (5). J'ai été surchargé ces dernières semaines. L'Institut comptera sur des travaux etc.. spéciaux de la part de ses membres? Y a-t-il des devoirs et des droits spéciaux? Mes félici-tations pour votre nouvelle nomination
NOTES 1. Il s'agit de l'ordonnance législative du 10-7-1945 contestée par le gouvernement belge. Le décret définitif ne sortira que le 5 juillet 1948. La question a été débattue à la 3e Conférence Plénière des Ordinaires de Missions du Congo-Belge et du Ruanda-Urundi, du 25 juin au 8 juil-let 1945. 2.
cfr. Fr. Bontinck, Aux origines de La philosophie bantoue. La correspondance Tempels-Hulstaert (1944-4ô), F.T. C. , Kinshasa, l985. 3. Il s'agit probablement du Père Denis, s. j., qui, à la demande de Dellepaine, avait critiqué l'ar-ticle de Kagame dans Aequatoria 1945, n° 3 4. Hulstaert a été nommé Membre Associé de l'Institut Colonial en 1945. 5. L'Ethnie mongo, recensé par Hulstaert dans Aequatoria (1945)69.
[Lettre 27]
Bruxelles, le 29 décembre 1946
Très Révérend Père, Nous avons été très touchés de votre bon souvenir et de vos aimables vœux. Nous vous les ré-ciproquons de tout cœur, nous souhaitons une fort heureuse année 1947 pour vous-même, pour vos oeuvres et toutes vos entreprises. Nous serons particulièrement heureux d'avoir de vos nou-velles. J'ai reçu récemment un numéro d'Aequatoria qui me fait espérer que vous parvenez malgré les difficultés à continuer votre publication alors que, semble-t-il, beaucoup de revues nées pendant la guerre vont cesser de paraître. J'y ai vu une critique assez vive du livre du P. Tempels. Ici, vous le savez sans doute, le P. Charles S. J. en a fait à l'Institut Royal Colonial un éloge véritablement remarquable (1). J'avais fait la connaissance du P. Tempels au Congrès de Missiologie et l'ai trouvé fort sympathique. Vous savez sans doute que je suis actuellement installé à Bruxelles. Mon adresse est en ce mo-ment Avenue Tervuren 106, mais à partir de fin janvier je résiderai Avenue Brugman 217 et c'est là que j'espère bien vous revoir! J'ai eu une année 1946 assez spéciale: départ de mon troisième fils Jean pour la colonie puis notre déménagement et l'apprentissage d'un nouveau métier, puis retour de mon fils aîné avec ses quatre enfants, et la peine que les médecins les ont déclarés tous quatre tuberculeux et pré tuberculeux et les ont envoyés en Suisse où on a reconnu qu'ils étaient tous en parfaite santé. Puis Jean a été ramené en avion s'étant cassé la jambe! Heureusement il est actuellement parfai-tement remis et serait à son poste si par une rare incompétence et une extraordinaire mauvaise volonté le médecin en chef Deven et ses collaborateurs ne refusaient de le laisser partir, malgré l'avis formel de trois spécialistes! Mon fils Albert se prépare à partir en Chine. Il fait sa tournée de sermon pour recueillir le mon-tant de son passage. Il s'embarque sans doute en mars. Je n'ai plus eu l'occasion d'une activité à propos des questions de coutumes, mais j'ai fait partie de trente-six commissions diverses à propos de questions coloniales. Mais le travail est très dif-ficile, car la plupart des coloniaux restés en Belgique ne se rendent pas compte de la nature exacte des changements qui se sont produits dans la colonie pendant la guerre, ni en somme de tous les événements de guerre. Beaucoup sont encore dans une admiration béate de notre poli-tique de guerre, et n'ont aucune idée des responsabilités que font peser sur nous certaines de nos actions. On ne se figure pas ce qui a été pendant la guerre la politique réelle du gouvernement à l'égard des Noirs (2), et de ce principe suranné actuellement méprisé à travers le monde, qu'on appelle la liberté individuelle (3)! Mais je tombe presque dans la politique! Il est prudent de m'arrêter, je ne sais où j'irais! Je termine donc, mon Révérend Père, en m'excusant du [mot illisible] qu'un crachotement de ma plume a infligé à ma dernière page, en vous envoyant les respectueux amitiés et souhaits de toute la famille et en vous rappelant que nous sommes heureux d'avoir de vos nouvelles plus détaillées.
A. Sohier
NOTES 1. Bulletin des Séances de l'IRCB, 1946, p. 524-532 2. La critique sur l'effort de guerre mené par le gouvernement général du Congo. Hulstaert, pendant la guerre, dénonçait dans sa correspondance les effets néfastes de cette exploitation économique. 3. Expression reprise de l'article 5 de Charte Coloniale "Le Gouverneur Général (. . . ) favorise l'expansion de la liberté individuelle, l'abandon progressif de la polygamie et le développement de la propriété. L'expression "liberté individuelle" est à comprendre dans le contexte d'escla-vage domestique. Sohier met en contraste ce principe avec les pratiques de l'Administration co-loniale (travail forcé, recrutement forcé). Le rapport de la 7e Commission du Congrès Colo-niale de 1947 le rappelle et le place dans le contexte des contraintes sociales de la vie clanique, principalement sur le terrain du mariage. Voir Comptes-rendus des Séances et Rapports Prépa-ratoires, Editions techniques et scientifiques, R. Louis, Bruxelles 1948, p. 402
[Lettre 28]
Flandria, le 14 janvier 1947
Cher Monsieur Sohier,
J'ai été très heureux de recevoir votre aimable lettre et prendre connaissance de vos nouvelles et celles de votre famille. Heureusement que vos petits-fils n'ont pas confirmé les alarmes des médecins au sujet de leur santé. Oui cette année passée a été remplie d'événements pour vous et les vôtres. Vous parlez d'un nouveau métier que vous avez dû apprendre. J'aimerais bien savoir ce que vous faites actuellement. Oui, comme vous le dites, il y a beaucoup d'incompréhensions. Et il ne semble guère que la guerre a profité spirituellement à un nombre de gens. On parlait de nouvelles idées, de jeunesse, de relève. Mais partout c'est le vieux traintrain qui continue comme s'il n'y avait pas, eu de guerre. C'est dans notre pays comme dans les pays voisins. Aucun renouvellement: la leçon n'a pas profité, et il en faudra encore une autre, sans doute! La rédemption divine n'arrive que lors-que les hommes sont devenus nettement conscients de leur bassesse. Et il semble qu'ils sont très loin de cette conscience de leurs fautes et égarements. On continue de vivre dans le passé. Ici aussi on ne mesure pas les conséquences de la politique suivie durant la guerre. On continue malgré tout. On réunira bien une commission, comme pour la dénatalité, mais qu'y fait-on? et que veut-on? Politique de façade! On m'avait demandé de faire partie de la Commission Pro-vinciale pour la dénatalité (1). Je ne pouvais à ce moment accepter, car j'étais juste désigné pour Flandria où je devais d'abord examiner les possibilités d'assister aux réunions à Coq. Depuis lors je n'en ai plus entendu. Si maintenant on me redemande, je refuserai, jusqu'à ce qu'on puisse me démontrer que l'on veut sérieusement faire quelque chose pour remédier à la situa-tion. Entre-temps la situation continue d'aller de mal en pis. J'ignore si je vous ai écrit que je suis maintenant à Flandria où je suis chargé du rectorat de la mission et de la direction de l'école primaire subsidiée par les HCB. Cela me donne passable-ment de travail; ajoutez-y de nombreuses visites d'Européens. Il y a encore l'auteur de la criti-que sur le livre du P. Tempels; il est préposé aux HCB (6.000 indigènes) et à l'hôpital (2). Il y a un jeune père arrivé d'Europe en mars 46 qui s'occupe des travaux matériels du poste et du ca-téchuménat. Enfin vient d'arriver un autre jeune missionnaire qui va dans quelques semaines reprendre les voyages à l'intérieur où nous avons plus de 10.000 chrétiens, plus près de 40.000 autres. . . Vous voyez par là qu'il me reste peu de loisirs pour des études. J'avais compté sur les vacances, mais il y a eu tant de visiteurs en dessus, des rapports etc. Je dois encore faire ma re-traite annuelle et faire les rapports de l'inspecteur des écoles actuellement en Belgique . . . Les vacances seront finies sans que j'ai pu faire grand-chose aux études. C'est la vie au Congo. . . Je vous remercie beaucoup pour les souhaits à l'égard d'Aequatoria. Cependant l'avenir ne s'an-nonce guère brillant. Peu de collaboration. Public devenu de nouveau instable: départs en congé, etc. Le Congo ne me semble pas encore mûr pour ces études; beaucoup d'œuvre et peu de loisirs pour lire et étudier. Ensuite: manque d'appui et de sympathie de la part de la Déléga-tion Apostolique (3) et de certains évêques influents (4). Mgr Van Goethem nous soutenait très fort. Il a maintenant démissionné et le P. Provicaire n'a pas les mêmes sentiments à l'égard d'études et de la revue (5). C'est donc dangereux pour l'avenir. Je ne crois pas qu'il voudrait l'abolir, mais il ne nous défendra pas comme le faisait Mgr lorsque nous étions en butte à des difficultés de la part de la Délégation. Or, travailler sous la suspicion de la Délégation, étroite-ment surveillé sur ce qu'on dit ou écrit, avec tendance, évidemment, à l'interprétation la moins favorable des expressions employées, et sans soutien de ses propres chefs, n'est guère facile et ne saurait durer. C'est vous dire que dans les circonstances présentes, on ne peut compter sur une longue vie de la revue. Nous verrons ce que l'avenir nous réservera. Et publier uniquement des travaux très théoriques en devant toujours faire attention de ne trahir ses opinions sur les questions pourtant angoissantes qui se posent pour les indigènes de la colonie, sans pouvoir attaquer les vieilles opinions ou redresser des confusions dans les termes et dans les idées, ne me sourit guère et ne me semble guère convenir à des missionnaires. Entre-temps le n° 4 de cette année 46 n'est pas encore sorti de presse, mais ne tardera guère. La revue Congo va donc reparaître. J'espère qu'elle aussi sera un peu renouvelée, elle en avait besoin. Le n° 1 avait été annoncé pour novembre dernier; mais je n'ai encore rien vu. (6). Le bulletin de la CEPSI de E'ville n'a jusqu'ici donné qu'un n°. Le n° 2 devait paraître en no-vembre; il n'est pas encore arrivé. Oui, la vie des revues est difficile en Afrique. Depuis la guerre, Brousse a donné un n°préparé depuis longtemps; puis plus rien; pourtant c'est une revue semi-officielle, comme CEPSI. Pour le reste tout va bien et la santé est bonne. De sorte que je ne vois guère de possibilité de recevoir un congé pendant cette nouvelle année. Il y a encore tant de missionnaires ici qui at-tendent plus longtemps et en ont davantage besoin que moi. Mais avec l'aide de Dieu le jour arrivera tôt ou tard et j'espère alors aller vous voir dans votre nouvelle demeure. Entre-temps veuillez saluer de ma part toute votre famille et croire, cher Monsieur Sohier, à mes sentiments les meilleurs.
G. Hulstaert
NOTES 1. Sur le problème de la dénatalité mongo, voir la notice bio-bibliographique de Charles Lodewyckx dans Annales Aequatoria 15(1994)461-477. Une vue générale de la question dans E. Boelaert, La situation démographique des Nkundo-Mongo, Bulletin du CEPSI, Elisabethville, 1949, 55 p. Lire aussi A. Romaniuk, La fécondité des populations congolaises, Mouton, Paris, 1975. La Commission dont il est question s'était réunie le 30/7/1945 (Rapport de 25 pages: Ar-chives Aequatoria 35(436-459). Mgr Van Goethem y siégeait et intervenait plusieurs fois. 2. Il s'agit du Père E. Boelaert qui séjournait à Boteka de novembre 1942 au 29 avril 1948. Sa critique sur La Philosophie bantoue de Tempels dans Aequatoria 9(1948)81-90, et dans Zaïre 1(1947)387-398 sous le titre "De Bantoe-filosofie volgens E. P. Tempels". 3. G. Dellepiane y était encore jusqu'au début 1949. 4. Allusion principalement à de Hemptinne d'Élisabethville. 5. Le Pro-Vicaire en question était le Père Hilaire Vermeiren, futur évêque (1948-64). Son atti-tude envers Aequatoria était effectivement ambiguë. Quand, après un entretien avec Hulstaert, celui-ci décida d'en cesser la publication, et lorsqu'il apprit que les Jésuites (notamment Vaast Bulck) s'y intéressaient, alors l'évêque se montra plus favorable. Cet entretien eut lieu fin jan-vier 47. 6. La revue Congo réapparaîtra sous le nom Zaïre avec le numéro de janvier 1947.
[Lettre 29]
Flandria, 25-7-47
Cher Monsieur Sohier,
Il y a une demie-année que je vous ai donné de mes nouvelles. Je n'ai maintenant pas grande chose à vous écrire. Mais voici que je voudrais vous entretenir d'un ami, colonial, qui vient de partir en congé en Belgique. Après un service à la territoriale, il est passé comme substitut à la justice. C'est un jeune homme intéressant, très bon catholique et très dévoué aux indigènes. Il est en outre très désireux de faire des études, mais il a eu peu de loisirs. J'estime qu'il vaut la peine que vous l'aidiez. Il voudrait en Belgique faire une thèse afin de passer définitivement dans la magistrature coloniale. Vous pourriez l'aider en lui proposant un sujet de dissertation à cet effet, et lui indiquer dé la documentation. Voici son nom et adresse Mr Phil. De Rode (1) 12, rue Gérard Van der Linden, Louvain. Comment allez-vous? J'entends si peu de vos nouvelles. Vous êtes sans doute trop occupé à vos études, vos devoirs ordinaires, vos nombreuses commissions coloniales, etc. Ici, tout continue comme par le passé, la situation de l'intérieur reste très grave. Vous avez en-tendu l'exposé du Dr Mottoule, que nous, sur place, ne pouvons que confirmer (2). Et que fait-on? Moins que rien, car l'expérience Nsongo (3) est pire que rien, puisqu'elle donne au grand public l'impression qu'on fait quelque chose, alors que tout le monde ici sait que cette expé-rience est, depuis le début, vouée à l'échec, puisque les hautes autorités n'y tiennent nullement. En outre, toute mesure morale est absente. Et la situation politico-sociale reste inchangée. Après les années d'essai prévues, on dira: vous voyez qu'il est inutile d'y gaspiller son temps et son argent. . . Il parait que dans d'autres régions du Congo, notamment dans le Katanga, on encourage le paysannat indigène (4). Ici rien de tout cela, au contraire. Les quelques indigènes qui ont voulu le faire ont toutes les difficultés et sont loin d'être aidés: découragés. Un jeune homme évolué voulait commencer un village agricole autonome sur ses propres terres ancestrales (5); pas moyen de faire marcher l'administration (et sans sa protection, inutile de commencer, car les chefs et capitas contrecarrent de tout leur pouvoir, et l'administration a comme politique de sou-tenir les chefs toujours, excepté quand ils rendent de mauvais services à l'administration comme telle). Evidemment depuis les années que cela traîne (et on a essayé jusque au district. . . ) les gens se découragent. Nous nous demandons ce qui adviendra des sommes mises à la disposi-tion des Bien-Etre par le Régent (6) . . . Les indigènes (de l'intérieur) en bénéficient-ils au moins un peu? La situation alimentaire est dans cette région mauvaise (corvées, copal, etc. ) Je cesse cher Monsieur Sohier, car j'ai encore beaucoup de travail.
NOTES 1. Mr Philippe De Rode (1910). Au Congo depuis 1937. Administrateur, puis magistrat au Congo Belge et au Ruanda-Urundi. Correspondance avec G. Hulstaert: Archives Aequatoria CH n°6l. 2. L. Mottoule, "Sondage démographique parmi les populations de 24 territoires de la Colonie", Bulletin des Séances de l'IRCB, 1946, 875-887. 3. Il s'agit du groupement mongo Nsongo, situé entre Befale et Boende. On y testait les effets de certaines pratiques coloniales (corvées, impôts, recrutement) sur la natalité. 4. Ici le Père Hulstaert donne l'impression d'être favorable au paysannat indigène (expérience collectiviste dirigée par l'administration). plus tard il s'y opposera avec vigueur. 5. Il s'agit d'un village chrétien à Nkile, sur la Ruki, sur les terres de Mr Paul Ngoi, le secré-taire-informateur de Hulstaert. Voir, H. Vinck, Annales Aequatoria 14(1993)443-456. 6. Fonds du Bien-Etre Indigène, fondé peu après la guerre, et fortement doté par la Belgique. Il sera très actif dans l'intérieur de la Province de l'Equateur.
Bruxelles, le 5 septembre 1947
[Lettre 30]
Mon Révérend Père,
Je n'ai pas répondu plus tôt à votre lettre, parce qu'elle m'est arrivée pendant les vacances; cette année, je crois que la moitié des Belges sont allées en Suisse! Mais j'ai correspondu déjà avec Mr De Rode, et, le moment venu, je lui donnerai toute l'aide qu'il pourra désirer. Je crois d'ail-leurs que c'est moins dans le choix du sujet - on doit "sentir" son sujet, c'est quelque chose de très personnel - que pour la façon de le traiter que le magistrat a besoin de conseils. Enfin, j'examinerai la question avec lui et mettrai ma bibliothèque à sa disposition.
Je suis heureux de cette occasion d'avoir de vos nouvelles, bien que vous n'y parliez très peu de vous. Mais vous me parlez de ce que vous voyez, et hélas, ce n'est pas consolant. Et les mêmes constatations me sont communiquées par tous ceux qui m'écrivent ou viennent me voir. Or, ici personne ne s'intéresse à la situation réelle du Congo et des Noirs. Dès qu'on hasarde une phrase ne reflétant pas un optimisme béat, une admiration sans bornes, on n'est littéralement plus écouté, les gens détournent la conversation, ils ne veulent pas être éclairés. Plus que ja-mais, la colonie, ses règlements, ses lois, sont une façade de grand luxe dissimulant des taudis. Vous me demandez de mes nouvelles. En vérité, je travaille chaque fois qu'on fait appel à ma bonne volonté. J'ai présidé cette année la commission des mulâtres, fait partie d'autres commis-sions, donné de cours de droit coutumier aux écoles sociales, et je m'apprête à reprendre mes cours à Anvers. Mais c'est assez décourageant, précisément parce qu'on a trop souvent l'impres-sion de servir uniquement à décorer la façade dont je parlais. On donne des cours de droit, mais personne dans la colonie ne se préoccupe de faire appliquer ce droit, et les tribunaux indigènes ne sont guère gouvernés que par le bon plaisir. C'est décevant. Les affaires du Viet Nam et de Madagascar n'ouvrent les yeux à personne, et on ne pense pas à la rançon qu'on devra payer un jour! Mais je suis sans doute trop pessimiste. Il y a malgré tout assez de bonne volonté dans la colonie pour espérer en la Providence. Je vois avec plaisirs que Aequatoria continue, bien que je ne puisse en apprécier la plupart des articles, ignorant le flamand, et que je trouve bien peu de pensée neuve dans votre nouveau collaborateur, Mr Grootaers. J'ai séparé mon chemin de celui de Mr Possoz, qui me [illisible] une série d'articles que je n'ar-rive pas à comprendre et dont le ton est parfois bien agressif. Je ne puis que me cantonner dans le droit: il est trop tard pour moi de me lancer, pour le suivre sur le terrain de l'ethnographie ou de la philosophie. Mon fils vient d'arriver en Chine et mon Jacques à Elisabethville attend son 6e enfant, et mon Jean, qui n'est qu'à son premier fils, a une vie fort active comme administrateur assistant à Lu-sambo. Voilà une lettre qui va bien vous demander du temps! Elle est cependant tout simplement, mon cher Père, une façon de vous assurer de mon amitié et du plaisir que j'ai à vous lire et que j'au-rais à vous revoir.
[Lettre 31]
Apostolisch Vikariaat Coquilhatville
Flandria, 29. 10. 47
Cher Monsieur Sohier,
Je suis heureux de lire que vous vous portez très bien, et cela malgré l'inondation de besognes qui vous incombent. Je lis souvent votre nom pour toutes sortes de commissions et de cercles d'études coloniales. . . Je suis très heureux qu'on fait si souvent appel à votre compétence. Puisse le Ciel donner qu'on écoute mieux vos sages conseils, et qu'en même temps tous ces tra-cas ne vous distraient pas trop de vos études. Malheureusement, je dois croire ce que vous écrivez au sujet du désintéressement qui règne au sujet de la réalité congolaise, autre que l'économie. Depuis longtemps, j'ai la conviction que vous exprimez qu'au Congo il y a deux politiques: l'une de façade et l'autre la réelle. La pre-mière sert la seconde qui est l'exploitation capitaliste. Evidemment, il y a beaucoup de bonnes volontés, mais elles sont individuelles, et fléchissent forcément devant l'organisation: le sys-tème et tout ce que la représente en nos temps d'étatisme et de capitalisme. Déjà nous avons vu un grand nombre de jeunes éléments arrivée avec la meilleure volonté depuis la guerre qui sont maintenant lancés en plein dans la voie ancienne: position, avancement, influence des chefs et des anciens. Tombés dans un système, ils n'ont pas su se défendre de ces influences. les influences. Même au point de vue moral (sexuel surtout) les meilleures bonnes volontés tombent après un certain temps. J'en connais cependant un qui résiste à l'admiration de tous les indigènes (1). Restera à voir si son avancement n'en souffrira pas trop; ce qui est fort à craindre. C'est un docteur en droit. Mais à faire de l'illégalité, il sait qu'il ne peut faire autrement, et doit donc agir en conséquence. Mais il lutte et est toujours intraitable au sujet de la justice et de l'équité (envers les exploitations européennes). Plus je vieillis en Afrique plus s'ancre la conviction que la colonisation n'a rien à voir avec l'idéalisme. C'est un appât pour attirer argent et capitaux et un masque devant berner le grand public. Elle est comme elle a toujours été: une exploitation, une entreprise capitaliste et impé-rialiste. Théoriquement une exploitation et un impérialisme peuvent se soumettre aux règles de la morale et de la justice(sans parler de l'amour qui est encore malgré tout une vertu chrétienne de premier rang, même envers des groupes . . . ), mais si déjà l'époque où le christianisme était encore une réalité vivante dans la conscience individuelle de la masse et dans celle du public et des autorités, il était ultra-difficile de ne pas sacrifier la morale au droit du plus fort et à l'éco-nomie, à plus forte raison actuellement où, un peu partout au monde, la matière prime et ne re-connaît l'esprit que comme moyen pour ses fins. Je suis donc très pessimiste, plus pessimiste que vous. Je ne vois d'autres solutions pour adoucir les maux que dans une action providentielle et dans l'œuvre de l'Eglise qui ne pourra rien em-pêcher ce qui se fait, mais qui peu à peu plus empêcher* l'éclosion de maux plus grands et pré-parer un avenir meilleur. Je sais que notre propre patrie et l'Europe entière souffrira un jour de ce qu'elles font actuellement dans les colonies. C'est triste, mais personnellement je suis plus affecté par les effets que notre action a sur les indigènes, au fond innocents, car nous les avons entraînés de force dans notre orbite, nous leur avons peint notre civilisation sous les plus beaux couleurs, nous avons profité de leur naïveté, et à mon sens c'est là un péché qu'on pourrait ran-ger dans la catégorie des péchés criant vengeance au ciel; c'est au fond des choses (bien que pas souvent nettement dans la conscience des auteurs et fauteurs) une exploitation du faible -- ce qui est caractéristique de ce genre de péchés. Une des dernières séances de l'Institut m'a laissé une très pénible impression; celle où Mr Ryckmans a cru devoir prendre à part le P. Van Wing pour son aperçu des conditions sociales du Congo (2). C'est très normal que le chef de l'administration coloniale du Congo s'oppose à là critique. Nous y sommes habitués. La critique de l'administration n'est pas permise: on dirait qu'elle se croit plus infaillible que le pape (lui ne l'est encore que très exceptionnellement . . . ). C'est donc assez normal en colonie qui est une forme d'administration autocratique. Plus grave me semble le fait que l'Institut comme tel a demandé à Mr Ryckmans de livrer son texte pour la publication. Nettement le but est d'infirmer devant le publie le poids de l'exposé du R. P. Le secrétaire compte sans doute comme les journalistes-- sur l'imbécillité des lecteurs; ce qui me semble, est d'avoir peu d'estime pour les hommes scientifiques, car ce n'est pas l'homme de la rue qui s'intéresse à ces questions. Le texte de Mr Ryckmans contient des choses simplement formidables: contradictions non exclues. Il se débat pour disculper son administration et soi-même. Mais il aurait dû le faire plus finement. Là où p.ex. il parle de l'effort aboli dès la reddi-tion du Japon mais continué quand même. . . J'ai. ici une fiche d'effort de guerre où encore en date du 13. 8. 1947 (donc il y a = peu plus de 2 mois) est inscrit la contribution. Il s'agit en l'oc-currence de poisson à livrer à l'administration (à noter que tout ce qui servait à l'Européen X ou Y, était côté comme effort de guerre, depuis de la viande de chasse et des tuiles végétales pour la société Y ou X jusqu'à l'huile, s'il en fallait pour Mr ou la S.A. et le CTC (3)officiel). Et qu'on ne dise pas: volontaire. Ici je n'ai pas connu d'effort de guerre volontaire. Obligatoire. D'ailleurs les fiches de contrôle marquent nettement: "imposition (quantité imposée . . . ). Pas plus volontaire que dans le temps la "contribution volontaire" à la caisse de chefferies, qui est maintenant devenue simplement impôt de chefferie (N. B. jusqu'ici les pères de 4 enfants en étaient exempts comme de l'I. C. (4); depuis cette année, ils y sont astreints, les invalides et ma-lades restant exempts comme les anciens combattants; cela c'est le règlement, en pratique ce-pendant, ils ont si pas tous nominalement, au moins une grande partie, dû payer quand même dans les chefferies). L'administration montrera ses instructions qui disent que les pères de 4 en-fants y sont astreints, pas les autres? C'est de nouveau le papier-preuve d'un côté, la réalité de l'autre. Et les agents n'y peuvent rien; comment peuvent-ils aller mettre en péril l'autorité des chefs (qui ne se soutiennent que parce qu'ils sont appuyés par l'administration; nous n'avons pas ici d'autorité indigène au sens strict du terme). Contrôle par district ou parquet est simplement inexistant. Il n'existe pas plus pour tous les abus de pouvoir qui se commettent de plus en plus effronté-ment: extorsion, exactions. Il est devenu réellement commun dans les chefferies de faire payer le double ou le triple de l'amende prévue et inscrite. L'indigène comment peut-il réclamer? Il y est habitué et ne réclame pas. Ceux qui pourraient réclamer ne sont évidemment pas traités ain-si. . . Notez qu'il y a ici aucune question de mauvaise volonté de la part de la territoriale. Ils sont dérobés par l'économie et les routes et sont liés au système: ne touchez pas au chef! car déjà le chef est membre de la hiérarchie administrative et partant intangible. Et si jamais on l'in-terroge et qu'il dise blanc contre l'affirmation de l'indigène qui dit noir, c'est celui-ci qui a tort à priori et gare à lui: on sait toujours le trouver à moins qu'il n'émigre. Et voilà une des grandes causes de l'exode des campagnes, cause qu'évidemment on tait toujours. La vie à l'intérieur de-vient de plus en plus impossible. Au lieu de gaspiller l'argent du Fonds du Bien-Etre à mettre l'éclairage dans les villages (ce que d'ailleurs on ne fera pas) et amener l'eau etc. qu'on rende la vie possible en brimant le despotisme des chefs et qu'on laisse les gens travailler en paix. J'ai aujourd'hui quelques moments de loisirs je commence donc une troisième page . . . Donc je suis d'accord avec le Pr Malengreau (5): ce dont l'indigène de brousse a besoin avant tout, c'est la paix! la tranquillité. Mais jamais il ne connaît de trêve de harassement de la part des chefs et de l'administrations agronomes non exclus! Ce qui m'agace surtout ce n'est pas tant qu'on tracasse l'indigène, ou qu'on le traite durement; c'est l'hypocrisie des paroles officielles et officieuses. La chicotte est une peine donnée couramment par les tribunaux indigènes alors que, si je ne me trompe, elle n'est admise que si la coutume l'admet. Or la coutume nkundo n'a jamais connu la chicotte (6), seulement la bastonnade pour la femme adultère! (à qui précisément les tribunaux ne l'appliquent). Et fait remarquable, d'après ce qu'on me dit (car je me garde bien d'examiner les choses, de fourrer mon nez dans les tribunaux et leur oeuvre, car cela susciterait de graves difficultés . . . chasse interdite pour nous!) (ceux qui le disent sont des fonctionnaires qui le sa-vent) les greffiers ne marquent pas la chicotte dans les registres . . . se doutent-ils que ce serait illégal à strictement parler? Personnellement, j'estime la chicotte une très bonne punition, mais qu'on l'avoue alors franchement. Encore une pratique courante: le tribunal de chefferie ou s'il y a un secteur (car je ne vois plus qu'il existe de fait un. tribunal de chefferie), ne juge qu'en la présence du chef; c'est à qu'on réfère les palabres. S'il est en tournée un peu loin comme cela arrive p. ex. ici, où une partie du secteur est au delà d'une rivière et d'accès difficile, les justi-ciables n'ont qu'à attendre le retour du chef, dans X semaines. Le chef voyage avec 2 ou 3 des juges et prend le reste dans la région où il se trouvé momentanément. Les autres régions du sec-teur sont délaissées entré temps. Je vous écris ceci pour vous dire que je suis très sceptique sur une amélioration à produire par une réorganisation comme vous avez proposé au Congrès Co-lonial (7). Je suis bien d'accord qu'une réorganisation s'impose. Mais ce qui s'impose avant tout, c'est faire marcher la justice indigène selon les règles. La meilleure organisation ne produit pas grand-chose de bien si elle n'est pas observée. C'est à mon avis le point crucial de toute la ques-tion. Donc: contrôle sérieux; donc: indépendance de la justice qui ne doit pas être un simple rouage politique, économique ou administratif. Ce que je cris ci-dessus dans l'exemple d'un secteur local ne doit pas faire croire que le chef en question est un homme malhonnête ou despote; c'est un des meilleurs que je connaisse très juste, honnête et sérieux. Je m'en prends au système qui, lui, vient d'en haut, évidemment. Et si cela se passe aux portes de Coq, que dire des régions éloignées où jamais un magistrat ou un commissaire ne pénètre! et où les indigènes n'ont aucun moyen d'aller se plaindre. Il y a une part de vérité dans l'explication de Mr Ryckmans sur la pénurie et les prix des vivres. Mais une part seulement. Ici sur place, il y a pénurie de vivres et les prix des vivres montant toujours plus haut. Cependant, le nombre de travailleurs n'a pas augmenté sensiblement. Sim-plement, les gens n'ont pas fait assez de plantations à cause des hauts prix payés pour le copal; et les travaux routiers et agricoles d'éducation. . . ), n'ont pas diminué. Croyez-vous qu'on peut ici obliger des indigènes des chefferies à travailler pour une entreprise privée, et en 1946 et 1947? Et cela tout près de Coq. Signaler les cas ne sert à rien, sinon, à nous rendre la vie difficile et à nous voir contrecarrer notre oeuvre. Comme Mr Ryckmans on répondrait: nous avons fait procéder à enquête; l'A. T. nous-dit ceci (l'homme en question donc), par conséquent le R. P. s'est laissé induire en erreur. Nouvelles personnelles? Je vais très bien, à part l'amibiase de temps en temps. Mes chefs me promettent un congé pour 1948. . . J'ai pour ainsi dire aucun loisir pour des études, je suis pris par mes obligations et soucis quotidiens. La revue continue comme-çi comme-ça. Oui, il fau-drait plus d'articles français et d'intérêt plus général, mais. . . les collaborateurs. . . Cela dépend évidemment surtout d'eux. A ce propos, ne pourriez-vous nous donner un coup de main en pas-sant l'une ou l'autre étude de droit? Ma lettre s'allonge indûment. Le soir est là, le temps est pas-sé et demain et des jours suivants, je n'aurai plus de loisir de faire de la correspondance avant le départ du courrier. Pour terminer donc, si vous pouviez me donner quelque chose pour Aequatoria, vous nous ren-driez un réel service. Si jusqu'ici je n'ai osé vous demander quelque chose, c'est que je vous sa-vais par trop occupe. Mais il est comme vous dites, nécessaire d'élargir les sujets de la revue. Sur place, je ne vois personne parmi les magistrats qui pourrait voudrait nous donner quelque chose; on préfère le Bulletin (qui, lui aussi, me semble un peu à court d'étoffe. . . ) c'est plus officiel, et cela a plus d'effet pour l'avancement. . . dit-on. Je suis heureux d'apprendre qu'Albert se plaise bien en Chine et qu'il ne soit pas trop près de la zone où la 3e guerre mondiale a déjà commencé, ou plutôt la 3e phase pour la lutte pour l'hégé-monie mondiale. Quant à Possoz, je comprends parfaitement que vous avez séparé vos chemins. Je n'ai plus ré-pondu à sa dernière lettre non plus (il y a des mois). C'est un peu fort, et je n' ai guère de loisirs pour entretenir tant de correspondance. Mes supérieurs me promettent plus de loisirs l'an pro-chain (avant ou après congé). Nous verrons. Et si j'ai quelques loisirs, je travaille au diction-naire, que je voudrais quand même achever, après presque 20 ans que je travaille à ramasser tout le matériel. Cher Monsieur Sohier, voilà une longue tartine avec rien de bien particulier; mais j'ai pu soula-ger un peu mon cœur auprès de quelqu'un que je sais être un ami fidèle et tout dévoué à la cause coloniale dans le sens le plus noble du terme. Puis-je vous demander de transmettre à Madame tous mes respects?
Avec mes salutations cordiales.
NOTES 1. Personne non identifiée 2. Le P. Van Wing avait fait une tournée au Congo fin 1945 pour prendre la température de la situation socio-politique à l'issue de la guerre. Il s'était principalement intéressé aux effets hu-mains de "l'effort de guerre". Il avait visité les provinces de Léopoldville et de Coquilhatville. Voir notes de la lettre suivante. 3. CTC = caoutchouc. A l'Équateur la contribution de l'effort de guerre consistait principale-ment en la récolte du CTC sauvage, ce qui rappelait tragiquement la période de "red rubber" de Léopold II. 4. I. C. = impôt de capitation, c. à. d. impôt personnel imposé aux hommes valide dans certains limites de l'âge. 5. L'apport de G. Malengreau dans la même discussion "La situation actuelle des indigènes du Congo-Belge", Bulletin des Séances de l'IRCB, 18(1947)216-228 6.
cfr. Dictionnaire. Lomongo-français de G. Hulstaert, p.1371 7. Le 6e Congrès Colonial se tient à Bruxelles du 4 au 7 octobre 1947 sur le thème: "L'évolution sociale de l'indigène". Mr Sohier faisait partie de la 7e commission: Organisation familiale in-digène. Le rapport reproduit une longue note de Sohier: "Sur l'évolution du droit coutumier par voie de décision des autorités indigènes". Le texte est publié dans le Compte rendu du Congrès (voir lettre 27, note 3) et dans Zaire (1947)313-317. La question de Sohier était mentionnée dans le rapport sur l'intervention publiée aux pages 138-139. 144-146-147 et dans la 5e com-mission: L'Action sociale des chefferies (ibi, p. 313-322).
* Phrase telle quelle dans l'original. Pourrait se lire: " mais qui peut un peu plus empêcher"
[Lettre 32]
Bruxelles, le 15 Novembre 1947
Mon Révérend Père
Merci d'avoir pris, au milieu de vos travaux, le temps de m'écrire une aussi longue lettre. Hélas, tout ce que vous me dîtes me parait exactement juste, et il y a longtemps que je pense que tout dans notre colonisation n'est que façade, et que nous aurons un jour des comptes terribles à ren-dre. Je crois cependant que vous exagérez la partie de la séance de l'Institut à laquelle vous fai-tes allusion. Il y a eu deux discours qui ont été accueillis avec une extrême froideur: le plai-doyer pro domo de Mr Ryckmans (1) et pro capitalismo de Mr Van der Straeten (et aussi de Mr Engels) (2). Mais il est une tradition si ancienne qu'on ne pourrait y manquer sans offenser: c'est quand un membre a écrit le texte de son intervention, de lui demander à pouvoir le publier. Cela n'a nullement la portée d'une approbation. Je comprends parfaitement que du dehors on puisse s'y tromper, mais cependant c'est là une règle qui parait sage, l'Institut devant laisser à ses membres la plus grande liberté d'expression de leurs pensées. L'Institut est d'ailleurs fort décevant en ce moment. On n'y travaille plus: beaucoup de séances (la prochaine encore) où il n'y a aucun travail à lire. On a nommé de nouveaux membres pour des conditions extra scienti-fiques, et le résultat que je préconisais ne s'est pas fait attendre. Vous êtes sceptique à mon pro-jet de réorganisation des tribunaux indigènes. Oui, mais ne faut-il pas essayer quelque chose? D'abord ce projet n'a aucune chance d'aboutir; tout ce qu'on propose, et qui n'intéresse pas l'économie, laisse les dirigeants indifférents. Mais voici mon raisonnement dans la situation ac-tuelle, personne n'a le pouvoir de s'occuper des tribunaux, sinon les échelons inférieurs de l'ad-ministration et de la justice: administrateur et substitut. Pas de direction, pas de vue d'ensemble, personne pour les contrôler et les obliger à faire leur besogne. La seule chance pour que cela aille mieux, c'est que les échelons supérieurs aient des pouvoirs, et des devoirs, de directions, de contrôle et de coordination. Je voudrais dans chaque parquet un substitut qui ne fasse que cela, et que l'action de ces substituts soit coordonnée par un substitut du procureur général qui ne fasse que cela. Je devrais aussi estimer [illisible], aux commissaires de district et aux gou-verneurs, non que je les pense réellement nécessaires, mais parce que la politique est l'art du possible et que jamais on n'obtiendra un renforcement du contrôle judiciaire si on ne renforce aussi le contrôle administratif. Vous dites qu'il faut faire marcher la justice indigène selon les règles: c' est précisément dans l'espoir qu'ils y veillent que je voudrais [illisible] aux magistrats et fonctionnaires supérieurs. Je ne demanderais qu'à vous aider pour Aequatoria, mais je n'ai pas souvent (je n'ai plus eu de-puis longtemps) de sujets d'études qui puissent vous convenir. Je donne mon Cours à Anvers en essayant de le tenir au courant, et j'ai déjà apporté plusieurs compléments en modifiant au texte publié il y a quelques mois, mais rien qui puisse faire l'objet d'une étude. J'ai travaillé cette an-née à la commission des mulâtres, je suis découragé, nos propositions tombant comme une pierre, et je ne sais pas quand je me déciderai à les reprendre. Je demanderai à la Ligue des familles nombreuses d'émettre un vœu en ce qui concerne l'impôt de chefferie. Ce qui est le plus dur, c'est que tout ce qu'on dit ou écrit se heurte à un mur d'indifférence, quand ce n'est pas un mur d'hostilité. Mais chaque fois que j'ai l'occasion de défendre une thèse, je ne me dérobe pas. Récemment on vient de me demander une interview sur la polygamie et la dot pour la Meuse (3) et La Lanterne. J'ai rédigé un texte. . . on m'en a fort remercié, on l'a reproduit . . . mais en biffant tout le paragraphe aux missions. Enfin, il faut ce qu'on peut, même si c'est sans espoir. Je vous remercie de m'avoir dit tant de choses, elles ne sont pas perdues, je saurai m'en servir quand l'occasion passera à ma portée. J'espère, mon cher Père, que votre amibiase n'apparaîtra plus que très rarement. J'espère que vous avez le congé promis pour 1948, et je me réjouit de vous revoir. En 1948, j'espère grâce au paiement des arriérés de traitement, pouvoir me payer le voyage de la colonie, pour voir les fils, les petits enfants. . . et la colonie elle-même. Mais à trois cela fait une fameuse somme. Ma femme vous remercie de votre bon souvenir et me charge de vous envoyer très sincèrement le sien. Et croyez à toutes mes respectueuses amitiés.
NOTES
1. P. Ryckmans, "La situation actuelle des indigènes du Congo Belge", Bulletin des Séances de l'IRCB, 1947, 236-243. 2. A. Engels, "La situation actuelle des indigènes au Congo Belge", ibi, 229-235; et E. Van der Straeten, ibi, 208-215 3. "La dot exigée du futur époux", La Meuse du 5 novembre 1947, p. 4.
[Lettre 33]
Flandria, 20. 12. 47
Cher Monsieur Sohier,
Un grand-merci pour votre bonne lettre. Bien que je sois pour le moment plus que surchargé de besogne (devant entre autres travaux supplémentaires, guider les premiers pas des jeunes mis-sionnaires dans la langue, etc. ) (1), je ne veux pas laisser passer ces jours sans vous donner si-gne de vie, ne fût-ce que pour pouvoir vous envoyer mes meilleurs vœux pour une sainte et joyeuse fête de Noël et pour une nouvelle année richement bénie tant pour vous que pour toute votre famille, présents et absents. Je vous souhaite donc tout ce que vous pouvez souhaiter vous-mêmes. Evidemment je ne manquerai pas d'y ajouter un memento spécial durant ces jours bénis. Je suis fort heureux d'apprendre de bonnes nouvelles au sujet de tous vos enfants. Il vous sera très agréable et aussi très utile de faire un voyage à la colonie l'an prochain. Et je serai curieux d'apprendre vos impressions. Oui, comme vous le dites, nous devons conti-nuer à semer la bonne semence même si nous n'en apercevons pas la possibilité de résultat. Faire le bien quand même. Il en restera toujours quelque chose dans l'une ou l'autre âme. Puis, nous devons faire notre devoir malgré tout. Et cela n'est jamais perdu. La grâce travaille aussi quoique souvent dans une toute autre direction que celle que nous nous figurons ou nous pro-posons. Pourvu que le bien se fasse et ce bien. C'est ce que veut le bon Dieu. Je suis entièrement d'accord avec vous qu'il faudrait une organisation de contrôle des juridic-tions indigènes, et par des fonctionnaires ne faisant que ce travail. Il faut absolument qu'on sorte de cette ornière de justice-fonction d'administration ou de politique. Sans ce contrôle in-dépendant, jamais nous n'aurons une vraie justice indigène ou pour indigènes. Et avec ce contrôle ce ne sera pas chose aisée! L'emprise du capitalisme est trop forte dans les colonies. Voyez cet extrait d'un discours du Ministre (2) pendant son voyage au Congo (du Courrier d'Afrique): ce Fonds (Bien-être) . . . servira à procurer à ces petits villages l'eau potable et des instruments aratoires et faciliter l'insertion de l'ensemble de la production et de la consomma-tion. On y reconnaît l'économiste financier. . . Voilà bien exprimé le fond de la pensée "colo-niale". Je suis heureux de voir que la Ligue des familles nombreuses veut s'intéresser aux familles in-digènes, et agir pour alléger leurs fardeaux. C'est à mon avis un grand progrès de la Ligue et lui fera un grand bien, comme je l'avais exprimé dans ma lettre. Je regrette seulement que vous ne puissiez rien écrire pour notre revue, mais j'espère qu'un jour ou l'autre, vous pourrez ménager quelques minutes. Encore mes meilleurs vœux et l'expression de ma sincère amitié. Une prochaine fois j'écrirai davantage, car maintenant je dois absolument cesser.
NOTES 1. Le Père Hulstaert a, à partir de 1927, initié les nouveaux missionnaires, pères, frères et sœurs, à l'étude du lomongo. De fin février au 20 avril 1972, j'ai été le dernier à en profiter. 2. P. Wigny, ministre des colonies depuis le 12 mars 1947. Voyage au Congo en juin-juillet 1947.
[Lettre 34]
[1947-debut 1948]
Mon cher Père Hulstaert,
Merci - réciprocité - pour vos aimables souhaits de Noël et de Nouvel An! Il m'a paru que le meilleur moyen de vous montrer ma gratitude et mon amitié était de vous écrire l'article que vous m'avez demandé pour Aequatoria! Comme je n'avais pas de sujet original, j'ai rédigé ceci, qui vous montre au moins ma bonne volonté et ne vous sera pas inutile. Le "Congrès Colonial" a constitué une commission pour l'étude de la réforme des juridictions indigènes. Seuls les magistrats y sont venus, aucun des territoriaux qui avaient promis leurs concours ne s'est présenté! Et la commission n'a pas fonctionné. (2) Faites paraître mon article car ayant dû rédiger ma biographie pour un "Who is who?" je m'y suis qualifié de rédacteur (notamment) à Aequatoria. . . Moyen comme un autre de faire connaître votre revue! Bien cordialement à vous,
NOTES 1. A. Sohier, "Le droit pénal coutumier", Aequatoria 11(1948)67-69 2. La commission a quand même travaillé, voir compte rendu: Zaïre, 1949, 1, 184-196 et un rapport de Sohier, ibi, p. 303-311-
[Lettre 35]
Flandria, 17. 2. 48
Cher Monsieur Sohier,
Un grand merci pour votre lettre et surtout pour la contribution que vous avez bien voulu céder à notre revue. J'espère que vos occupations vous laisseront de temps en temps quelques mo-ments de loisirs, afin de nous envoyer encore quelque chose à certains intervalles. J'aimerais encore vous demander un service si ce n'est pas abuser de votre volonté. Nous avons ici trois ouvrages de l'I. R. C. B. sur des questions de Droit: Cambaire, de Jentgen (1), celui de Heyse (2) sur le Rwanda, et celui de Malengreau (3) sur le droit foncier. Je ne trouve ici aucun juriste pour faire sur ces ouvrages une petite recension pour la revue. Ce ne doit pas être long, surtout les deux premiers ouvrages. Le troisième mériterait une recension un peu plus longue ou même un article-commentaire-discussion. Nous avons, en outre, à recenser un ouvrage anglais, Costumary Law Of The Tribe (Tanganyi-ka Terr.) (4). Cela ne vous intéresserait-il pas d'y consacrer quelques paragraphes de recension? Nous vous enverrions alors le volume, que vous pourriez conserver pour votre bibliothèque personnelle. L'ouvrage me semble bien fait, méthodique, avec les règles bien énoncées, le tout basé sur des décisions de tribunaux indigènes et discuté avec des juristes natifs. Oui, vous avez très bien fait de vous indiquer pour un who's who, comme rédacteur d'Aequato-ria. Je vous prends sur la parole et vous conseillerai sur toutes questions importantes, si vous étiez rédacteur spécial pour les questions juridiques. Parce que, vous le savez, ce sont surtout les études de droit qui manquent. Ici au Congo les magistrats s'intéressent peu au droit coutumier. Vous n'avez qu'à feuilleter le Bulletin que vous avez fondé. Quelle différence avec votre époque! Ce sont maintenant presque uniquement des A. T. qui collaborent. Et souvent encore on y traite de sujets qui n'ont aucun rapport avec le droit, jusqu'à la linguistique. L'étude du droit indigène est bien en régression au Congo comme tout ce qui regarde l'indigène. Nous vivons une période d'européanisme sur toute la ligne et. . . . totalitaire. Pour les tribunaux indigènes, j'ai une bonne nouvelle. Le chef de secteur dont je vous parlais dans ma lettre précédente qui était toujours présent pour les jugements et en l'absence duquel aucune session de tribunal n'avait lieu, a sur les cornes une forte palabre qui l'a fait absenter de-puis 2 mois déjà. Entre-temps donc les tribunaux chôment. Nous avons reçu deux nouveaux A. T. anciens cette fois-ci. Un jour l'adjoint s'aperçoit que la justice n'est plus rendue . . . Explica-tions: puis "théorie" aux juges: que le tribunal doit siéger même pendant l'absence du chef. . . Donc toute l'application de la législation dépend des personnes en cause. Chacun fait comme bon lui semble, parce qu'il n'y a pas de contrôle (et pas d'intérêt pour la justice indigène aussi longtemps qu'il n'y a pas danger de révolte ou danger pour la "production"). Donc aussi c'est un argument pour votre thèse demandant un magistrat chargé uniquement de ces contrôles.
NOTES 1. J. Jentgen, Etude de droit cambiaire; Recension dans Aequatoria 11 (1-948)39, par A. Sohie-r. 2. Th. Heyse, Les grandes lignes du régime des terres du Congo Belge et du Ruanda-Urundi; Recension dans Aequatoria 11(194b)78, par "N. D." 3. G. Malengreau, Les droits fonciers coutumiers chez les indigènes du. Congo Belge; recen-sion, Aequatoria 11(1948)156 par Hulstaert. 4. Recension par A. Sohier, dans Aequatoria 11(1948)117-118
[Lettre 36]
29-2--l948
Cher Père Hulstaert,
Ci-dessous une recension du livre de Jentgen. Je ferai volontiers aussi celle de l'ouvrage anglais dont-vous me parlez. Je ne puis faire la critique du livre de M. Malengreau, parce que je l'ai déjà fait dans Zaïre. Je n'ai pas celui de M. Heyse, et je n'aime pas parler du Ruanda, dont je ne connais pas assez la législation. ni les coutumes. J'ai commencé un traité de droit coutumier (1): j'ai constaté que plusieurs se basent sur nos pu-blications, et il ml a Paru qu'il fallait leur donner de façon détaillée l'état actuel de ma pensée. Si vous avez des choses à critiquer dans le "précis" que j'ai publié dans le Bulletin des Juridic-tions Indigènes (2), écrivez-le-moi, je p rie (J'ai d'ailleurs depuis que cela a été écrit changé mes enseignements en plusieurs points). Bien cordialement en hâte,
NOTES 1. Traité élémentaire de droit coutumier du Congo belge, Larcier, Bruxelles, 1949, 221 p. 2. "Le droit coutumier du Congo belge. Précis du cours professé à l'Université Coloniale de Belgique", B. J. I. 14(1945-46)261-272; 301-312; 375-392.
[Lettre 37]
le 27-3-48
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement pour votre bon mot et pour la recension de l'ouvrage de Jentgen. Je vous ai expédié un de ces jours l'ouvrage anglais sur les coutumes d'une tribu du Tanganyika. Ici au Congo, je ne vois aucun magistrat qui voudrait recenser les ouvrages de droit ou prendre sur lui la partie juridique d'Aequatoria. Ce que nous regrettons beaucoup. Peut-être trouverons-nous un jour quelqu'un qui voudrait s'y intéresser. Il sera cependant utile que nous puissions trouver quelqu'un dans ce but. J'ai beaucoup de travail ces derniers temps de sorte que je n'ai pu lire à mon aise votre précis dans le Bulletin. J'ai lu cependant votre dernier article sur la méthode (1). Je suis très heureux que vous aviez publié vos idées là-dessus. Il est plus que temps que les choses soient mises au point. Il y a une forte tendance à mon avis sous l'influence dé la spécialisation de plus en plus poussée surtout dans les sciences physiques et naturelles, comme on dit à l'isolement de chaque branche particulière dont on tend. à appliquer les méthodes à toutes les autres. Ainsi dans le temps Possoz ne pensait que DROIT et tout était à comprendre sous l'angle juridique et être ex-pliqué par le droit. Maintenant après son "juridisme" il en est au "philosophisme": tout est à ex-pliquer par la philosophie, ce qui, de fait, pour lui comme pour le P. Tempels, se confond avec la magie . . . Non il est à mon avis plus que temps qu'on réagisse comme vous l'avez fait pour montrer que l'homme n'est ni uniquement juriste, ni seulement philosophe, ni seulement corps ni seulement âme; mais qu'il est tout cela et non pas atomiquement, mais- dans l'unité de la na-ture humaine individualisée tout en restant sociale, toutes ces sciences en somme traitant de la personne humaine. On oublie trop la personne, comme anatomistes qui à force de voir cellules et nerfs, ne voient plus l'homme. Peut-être trouverai-je le temps pour lire sérieusement votre série d'articles dans le Bulletin, maintenant que le temps pascal nous laissera un peu plus de répit. Et alors je ne manquerai pas de vous faire part de mes impressions. Je constate que le Bulletin publie aussi des études linguistiques. Serait-il à court de copie? Pour nous aussi nous manquons un peu de matière. Nous avons perdu quelques bons collaborateurs fidèles. S'il faut compter uniquement sur les collaborateurs occasionnels, c'est toujours difficile; vous ne l'ignorez pas. Les fonctionnaires préfèrent évidemment le Bulletin qui est pour eux un genre de publication officielle, ce qui aide (ils le pensent du moins) dans leur carrière. Mon confrère, le P. Boelaert, membre correspondant, va partir en congé dans quelques jours. Il sera donc en Belgique au mois suivant. J'ignore par quelle voie il ira. Quant à moi, Mgr m'a dit récemment que ce serait pour cette année encore, je dois attendre mon remplaçant qui arriverait vers juillet; ensuite j'ai deux ou trois petites choses à terminer ici et prévoir les numéros pro-chains d'Aequatoria; ensuite je puis enfin rentrer au pays voir ma famille et mes amis. Si donc rien de spécial n'intervient nous aurons le bonheur de nous revoir encore cet automne. Entretemps nous continuons le travail et je vous salue bien cordialement.
NOTES 1. "Comment étudier le droit coutumier congolais", B. J. I. (1947-48)443-453.
[Lettre 38]
21-5-1948
Mon Révérend Père,
Voici l'article que vous m'avez demandé sur le coutumier des Haya. J'espère que c'est une bonne longueur. Si c'était trop, coupez sans hésitation. Si ce n'était pas assez, renvoyez-le-moi. Je vous remercie de m'avoir donné l'occasion de ce travail, qui m'a fort intéressé, et remis en même temps cet ouvrage qui m'a beaucoup appris. J'espère que vous vous portez bien et aurai-je bientôt le plaisir de vous revoir. Pour moi, j'ai assez d'ouvrage et le traité que je me suis mis à écrire n'avance que lentement. Mais que de dé-couvertes on fait en réfléchissant simplement à certains problèmes! J'ai été fort heureux de voir le coutumier haya confirmer certaines de mes thèses que je considérais malgré tout comme un peu hypothétiques. Toutes mes amitiés en hâte A. Sohier.
[Lettre 39]
8-6-1948
Mon Révérend Père,
Je reçois à l'instant le n°1-48 d'Aequatoria, contenant mon article sur le droit pénal coutumier (1). Mais il est complètement tronqué. Je suppose qu'on n'a pas vu que mes feuilles étaient écri-tes des deux cotés? Attention pour la recension que je vous ai récemment envoyée! J'ai cru que, par l'envoi par avion, je pouvais écrire de deux côtés. Bien reçu aussi des tirés à part. C'est bien aimable, mais à l'avenir inutile!
NOTE 1. Aequatoria 11(1948)32-33, repris en entier p. 67-69
[Lettre 40]
Flandria 11-6-48
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie de tout cœur pour votre lettre et pour la recension du livre de Cory et Hartnoll (1). Oui; votre recension est très bien ainsi, et pas trop longue, surtout que nous manquons un peu de texte à imprimer pour le moment. Les contributions n'arrivent qu'au compte-gouttes, et trop peu de variété, comme toujours. Pour le moment, je n'ai plus d'ouvrages juridiques à recenser, excepté ceux du C. B. (2) que vous avez déjà critiqué ailleurs comme vous l'avez écrit. Ici tout va normalement. J'ignore à quelle date je pourrai quitter; mon successeur n'est même pas encore annoncé! Ensuite je devrai préparer les numéros restants d'Aequatoria; du moins un; les autres pourront peut-être encore se combiner pendant mon congé. Je vous avertirai d'ailleurs quand je serai fixé sur mon départ d'ici. Nous constatons ici une amélioration dans la natalité.
cfr. le dernier n° d'Aequatoria. Le même fait s'observe dans les camps HCB ici. Nous avons bon espoir de relèvement si toutes les bon-nes volontés veulent aider et si le gouvernement veut aider (ne pas prendre en main l'affaire; il risquerait de trop gâter par son étatisme ou son paternalisme . . . Si l'amélioration persiste, nous pouvons regarder l'avenir avec confiance. Il s'agira d'assainir physiquement et moralement le milieu. Serait-il un meilleur objectif pour le Fonds du Bien-Etre Indigène? Mr Lodewyckx a porté les faits devant Mr Guébels (3)! Je le soutiens. Une campagne médicale genre Foréami pourrait à ce moment faire un bien énorme! je crains seulement que ce soit le service médical officiel qui s'en occupe. Non que les individuels ne soient pas dévoués; mais c'est trop d'admi-nistration! J'espère que tout va bien avec vous et votre famille et que je vous retrouverai tous en bonne santé. Vôtre bien cordialement.
NOTES 1. Costumery Law of the Haya Tribe. London, I. A. I. , 1945, recension de Sohier dans Aequa-toria 11(1948)117-118 2. Congo Belge. 3. Mr Léon Guébels (1889-1966) était le Procureur Général à Léopoldville et Président de la Commission pour la Protection des Indigènes. BBOM, VI, B, 165. Lettre de Guébels à Huls-taert, 26--5-1948 (Arch. Aeq. 33.397)
[Lettre 41]
Flandria 12-7-48
Cher Monsieur Sohier,
Quelle malheureuse histoire que celle de votre article. Vous comprenez que c'est aussi désa-gréable pour moi que pour vous. Je vous offre toutes mes excuses. Nous réparerons le malheur en redonnant votre étude dans le prochain numéro et j'espère que cette fois les imprimeurs fe-ront un peu mieux attention, et le correcteur de même. J'ai réclamé à l'imprimerie. Voici com-ment la chose est arrivée. Comme il restait la fin de l'article sur un étroit papier, on a collé ce dernier à l'extrémité de la feuille principale, mais. . . sur la première page. . . alors les typogra-phes n'ont plus tourné la page. La faute revient au directeur qui n'a pas bien ouvert les loupes! Mais toute cette explication ne change rien au malheur. Je l'avais moi-même remarqué quand j'ai reçu le n° car je n'ai vu aucune épreuve (ce travail se fait à Coq même sinon, on perd trop de temps. . . ). Mais je devais attendre qu'on me renvoie les textes avant de savoir examiner où se trouvait la faute. Je me proposais d'ensuite vous écrire, mais entre-temps j'ai reçu votre lettre. J'espère qu'en redonnant l'article en entier, avec une note d'explication et dl excuse, tout rentre-ra en ordre. Pour le reste tout va très calmement ici. Personnellement, je suis toujours dans l'incertitude au sujet de la date de mon départ d'ici. Je n'entends aucune nouvelle concernant le départ de Bel-gique de mon remplaçant présumé. Patientons donc. . . Maintenant il faut quand même que je vous raconte une blague qui était pour moi une décep-tion. Voici que la dame du Directeur des H. C. B. ici m'annonce la visite de Madame Sohier, qui s'occupe des oeuvres féminines congolaises et l'œuvre pour les mulâtres. Me voilà tout heu-reux de voir ici votre dame! J'étais dans l'opinion que Madame Sohier ne pouvait être personne d'autre, puisque vous vous occupez de cette oeuvre pour les mulâtres. Je m'étonnais seulement que votre dernière lettre reçue juste quelques jours avant la visite (du 10 à ce matin), ne faisait aucune mention de pareille tournée au Congo! Mais enfin, on sait jamais si on n'oublie rien, surtout que la visite de Flandria pouvait ne faire partie du programme projeté à Bruxelles. Or donc ce samedi après-midi, dès l'arrivée de la visiteuse, je reçois un mot m'invitant à vite venir voir Madame à laquelle on avait évidemment dit que je la connaissais et que j'étais extrême-ment désireux de la revoir. . . Et voilà que je me trouve devant une personne inconnue. Je me dis: ou bien elle a énormément changé ou bien ma mémoire est complètement détraquée. Elle, de son côté, a vu tant de missionnaires en congé qu'elle ne peut se rappeler tout le monde. Mais après quelques secondes, le mystère était éclairci, puisque parlant de mari, elle me dit à mon extrême étonnement qu'elle est veuve . . . Je n'y comprends plus rien; et j'explique toute la si-tuation. Ce qui n'a pas empêché qu'on a causé sérieusement sur les questions sociales au Congo. . . C'est une femme qui est bien à la hauteur, d'après mon impression de ces journées. Voilà donc un petit fait divers. Mais j'avoue que j'ai été fort déçu, parce que réellement je comptais sur le plaisir de voir ici votre dame! Ce sera, espérons-le partie remise à bientôt. Revenant à l'article: non, il ne faut pas m'écrire sur un côté quand on envoie par avion; c'est à l'imprimerie de faire attention et au besoin de faire retaper par leur clerc. Mais pour tout éviter, je ferai retaper ici-même la recension. Encore toutes mes excuses et croyez-moi, cher Monsieur Sohier, vôtre cordialement, G. Hulstaert
[Lettre 42]
Heverlee, 8 mars 1949
Cher Monsieur Sohier,
Zaïre de février dernier donne un rapport sur le Congrès National Colonial (1). Il semble inté-ressant que nos lecteurs prennent connaissance de certaines propositions, notamment celle de votre commission des Tribunaux Indigènes. Le texte donné par Zaïre, est-il l'exclusivité de cette revue ou a-t-il été distribué à la presse, de sorte que nous pourrions le reprendre tel quel (2)? Nous aimerions toujours avoir connaissance de pareils projets de lois intéressant les indi-gènes afin de les communiquer à nos lecteurs. Si donc vous avez plus tard quelque chose dans ce genre, vous pourrez nous rendre service. Enfin le Président du Congrès Colonial National se plaint de ce que des exemplaires du Rap-port de VIe session restent disponibles. Serait-ce demander trop de votre bienveillance de vou-loir suggérer au Président et au trésorier que notre revue sera toujours reconnaissante pour un ou deux exemplaires de ces rapports, anciens ou futurs. Veuillez croire cher Monsieur Sohier à l'assurance de mes sentiments les meilleurs.
NOTES 1. cfr. "Travaux du Comité Permanent du Congrès Colonial National", Zaïre, 1949, 185-197. 2. cf notes à la lettre 34.
[Lettre 43]
Bruxelles, le 10-3-49
Cher Père Hulstaert,
Je ne crois pas que le Zaïre possède l'exclusivité des rapports du Congrès Colonial, mais en tous cas vous avez toujours le droit de les reproduire en citant la source. Comme vous l'avez constaté, le rapport sur les tribunaux indigènes est publié dans le numéro de mars (1), et vous pouvez donc l'y reprendre (2). En réalité Zaire a au moins un droit moral à la priorité, p. c. q. c'est à la demande du Comité du Congrès qu' elle a commencé à publier ces rapports. Je n'ai rien publié dans la Revue de Droit Pénal spécialement consacré aux tribunaux indigènes, mais bien un article sur la réforme judi-ciaire en général. Je vous l'envoie, mais j'aimerais que vous me le retourniez, parce que c'est à peu près le dernier exemplaire qui me reste. J'écris à Mr Coppens (3) pour les rapports. Bien cordialement à vous. A. Sohier
NOTES 1. cfr. lettre n°34, note 2 2. Hulstaert en reprend de larges extraits dans Aequatoria 12(1949)110-111. 3. Paul Coppens (1892-1969), Secrétaire Général du Comité Permanent du Congrès Colonial National. BBOM VII, B, 67-86
[Lettre 44]
Heverlee, 16 mars 1949
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement pour votre lettre et l'amabilité avec laquelle vous m'avez communi-qué un tiré à part de votre intéressant article. J'en ai fait un résumé avec extraits que je vous soumets ci-joint (1). Si vous marquez votre accord, nous aimerions le publier dans un de nos prochains numéros. Voulez-vous alors avoir la bienveillance de me renvoyer cette copie? Mer-ci. Je viens également de recevoir un exemplaire du Rapport du Congrès Colonial 1947. Je vous suis reconnaissant d'avoir bien voulu me le procurer. Quelle est l'adresse de Mr Coppens pour que je puisse le remercier? J'espère que tout va bien pour vous-même, pour Madame et Mademoiselle, que je vous saurais gré de vouloir saluer de ma part. Veuillez croire, cher Monsieur Sohier, à mes sentiments cordiaux. G. Hulstaert
NOTE 1. Aequatoria 12(1949)110-111, Hulstaert y résume l'article de A. Sohier publié dans la Revue de Droit Pénal et de Criminologie de juin 1947, 761-773
[Lettre 45]
13 IX 49
Cher Père Hulstaert
Me voici de nouveau à Bruxelles, et j'ai immédiatement réexaminé à la lumière du décret votre lettre du 1er septembre. En somme, ce que vous désirez, c'est un exposé pratique à l'usage des missionnaires du décret sur la protection du mariage monogamique. L'idée est en soi excellente. Il serait fort utile, après chaque loi de ce genre, qu'un exposé de vulgarisation en soit publié à l'usage des non-juristes. Cependant, je me demande si sa place est bien dans Aequatoria, qui est avant tout une revue scientifique. A cela vous me répondez sans doute qu'il faut faire le bien quand on le peut et qu'Aequatoria pour sa diffusion est indiqué en l'espèce. . q Et vous avez sans doute raison. Mais je n'aimerais pas me charger de ce travail, parce que si j'écrivais sur ce décret (ce qui n'arrivera sans doute jamais), je voudrais le faire d'une façon cri-tique en discutant de certaines dispositions. Ce serait un tout autre travail que celui que vous me demandez. Je pense que n'importe quel magistrat colonial pourrais faire celui-ci. Vous pourriez par exemple le demander à Mr Mineur (1). Ou si vous le désirez, je pourrais le de-mander à mon fils Jean qui, combinant les expériences du magistrat et du territorial, verra cela d'un oeil pratique. Et je pouvais lui -demander de m'envoyer ce texte avant de vous le faire par-venir, pour éventuellement voir si une mise au point est nécessaire. J'espère que votre séjour en Belgique se poursuit agréablement. Pour nous, nous venons de pas-ser en Ardenne un mois avec notre fils d'Élisabethville, sa femme et leurs sept enfants et je n'ai pas besoin de vous dire quel bonheur nous en avons eu ! Veuillez croire, cher Père Hulstaert, à tous mes sentiments amicaux. A. Sohier
NOTE 1. G. Mineur (1900). Hulstaert ne fera pas appel aux personnes suggérées par Sohier, mais il publie dans Aequatoria 13(1950)31-32, le texte divulgué par Congo Presse.
[Lettre 46]
Heverlee, 14. 9. 49
Cher Monsieur Sohier,
Merci bien pour votre aimable lettre. Je comprends parfaitement votre point de vue. Personnel-lement, je préférerais aussi une étude critique, mais vous savez comment ces questions sont dé-licates pour notre revue. Si votre proposition de demander à votre fils est une excellente idée! Si vous vouliez me rendre ce service, j'en serai très heureux. En revoyant vous-même le travail, votre fils pourra en outre y apprendre beaucoup (1). Je suis heureux d'apprendre que vous avez passé en Ardenne un excellent congé avec votre fils et sa belle famille: 7 enfants devient rare à notre époque facile! Je comprends votre bonheur et votre fierté. Mon congé se poursuit bien, mais J'ai un peu trop de travail à mon goût. . . Je ne vois pas com-ment je pourrai ter miner tout ce que j'ai projeté. Enfin, nous verrons. Et à chaque jour suffit sa peine. Veuillez présenter mes hommages à Madame et à Mademoiselle, cher Monsieur Sohier, et croire à mes sentiments amicaux, et à ma reconnaissance pour ce que vous voudrez bien faire pour l'étude demandée.
NOTE 1. Ce Projet n'a pas eu de suite
[Lettre 47]
Heverle 9. 11. 49
Cher Monsieur Sohier,
Puis-je encore venir vous demander un service? Je viens de recevoir pour recension dans notre revue le livre C. B. (Larcier). Or, il me de ORBAN: Louage de services au ferait g rand plaisir si vous pouviez faire pour nous une recension de cet ouvrage. Je suppose que vous possédez le livre. Comme. nous n'avons reçu qu'un seul exemplaire, nous préférons le conserver dans notre bibliothèque. Je n'ai pas encore reçu la recension de votre traité, Mr Malengreau qui m'a promis de le faire est sans doute très occupé, mais un de ces jours, je vais le lui rappeler (1). Veuillez croire, cher Monsieur Sohier, à mes sentiments amicaux. G. Hulstaert
NOTES 1. La recension paraîtra dans Aequatoria 13(1950)75-78.
[Lettre 48]
15 XI 49
Cher Père Hulstaert,
j'ai téléphoné à Mr Brossel pour lui demander d'envoyer un exemplaire de son livre à Aequato-ria. Il m'a promis que l'éditeur le ferait, mais en l'adressant directement à Coquilhatville. Voici en conséquence mon article, que j'excuse de vous remettre en brouillon. Espérons qu'il échappera cette fois à la censure. Vous remarquerez que je n'ai pu m'empocher d'y soutenir une thèse en matière indigène. Avec tous mes sentiments bien cordiaux.
A. Sohier
P. S. Je vous retourne le petit livre - pas fameux - de Mr Orban (1)
NOTE 1. P. Orban et P. de la Croix d'Ogimont,. Louage des services au Congo Belge, F. Larcier, Bruxelles, 1949, 128 p., recensé par Sohier dans Aequatoria. 13(1950)36-38.
[Lettre 49]
16. 11. 49
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie beaucoup de votre lettre et du compte-rendu. Je le trouve excellent et je n'y vois rien qui puisse choquer ceux qui facilement s'offusquent des opinions d'autrui au sujet des questions indigènes. A ma connaissance, d'ailleurs nos chefs ne se sont pas prononcés sur cette matière. N'ayez crainte: je trouverai bien quelqu'un pour dactylographier votre manuscrit. Encore un grand merci, et croyez-moi bien cordialement vôtre,
G. Hulstaert
[Lettre 50]
24 janvier 1950
Cher Monsieur Sohier,
Puis-je encore venir vous demander un service? J'aimerais beaucoup avoir pour notre revue une recension de l'ouvrage de F. Grevisse sur: La grande pitié des juridictions indigènes (Inst. Colonial) (1). Comme l'auteur a surtout travaillé au Katanga où vous avez instauré ces juridictions, je pense que nul serait mieux qualifié que vous. Ce doit pas être long. Si donc vous pouviez vous dis-traire quelques moments pour ce travail, vous nous rendriez un réel service. Veuillez agréer, Monsieur Sohier, avec mes remerciements anticipés, l'assurance de mes senti-ments cordialement dévoués. G. Hulstaert
NOTE 1. F. Grevisse, La grande pitié des juridictions indigènes, IRCB, Bruxelles, 1949, 128 p.; recen-sion par Sohier dans Aequatoria 17(1950)78-80.
[Lettre 51]
27-I-50
Cher Père Hulstaert,
Voici la recension que vous m'avez demandée. Je m'excuse de sa forme: j'espère que vous sa-vez me lire. Je m'excuse aussi de sa longueur: cependant de mettre mes idées sur le papier m'en fait naître d'autres et un de ces jours, je pourrais bien me mettre à consacrer à l'étude de Mr Grévisse une note beaucoup plus étendue encore, que je ferais paraître dans une autre revue. [illisible] vous donne pour que la vôtre ait la priorité. Bien cordialement à vous. A. Sohier
NOTE 1. J. T. O. 1950, p.13-15; 25-27; 38-39.
[Lettre 52]
29. I. 1950
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement de la recension que vous avez bien voulu faire pour nous. Elle est très intéressante. Je la ferai copier ici. Cependant j'aimerai avoir un éclaircissement sur 2 points: deux mots que j'ai difficile à lire: 1. reprenant un argument souvent. . . . ? donné?? pour faire des juridictions un instrument d'administration. . . 2. des juges improvisés. . . rendent des décisions dépourvues de principes, des??? ordres?? plu-tôt que des jugements. Dans ces deux phrases, les mots soulignés sont-ils bien ceux. que vous avez écrits? Je n'en vois pas d'autres qui soient possibles dans le contexte ou cadrant avec votre écriture. Un petit mot d'explication me rendra service. Il suffit répondre brièvement en répétant un mot à mettre, et reprenant les numéros que je donne. Pour le reste je n'ai aucune peine à lire le texte: depuis les années que vous m'écrivez, je suis très habitué à votre écriture que je lis très couramment. J'ai récemment encore reçu un mot d'un indigène de notre mission, qui, précisément, parle de cette question. S'étant rendu au tribunal du C. E. C. avec un ami qui avait une affaire de ménage (méconduite de la femme, avec menace de divorce), donc accompagnant à titre de témoin et en même temps d'avocat, il voulait expliquer le cas et plaider en partant du DROIT INDIGENE. Ce qui lui fut refusé par les juges qui prétendaient que le droit indigène n'avait rien à voir là-dessus, et puisque les justiciables faisaient appel au tribunal à cause de leur propre bêtise, il n'y avait pas question de rechercher re droit (1). Si la question est telle au Katanga où les tribunaux ont été organisés solidement et sérieusement et puis contrôlés comme il faut pendant au moins de longues années, que dire du reste du Congo? Chez nous, le contrôle a été pratiquement NUL (un ou deux voyages de Possoz, puis lorsque Mr de Rode a été désigné pour Boende, quelques contrôles encore dans certains terri-toires. . . L'organisation a été le fait des territoriaux. Un nombre important de jugements provient, chez nous, cas soumis DE FORCE aux tribunaux. Il y a eu assez bien de menaces (si pas davantage) à des indigènes qui préféraient trancher eux-mêmes (selon l'ancienne juridiction familiale) ou par arbitrage. Maintenant tous pensent qu'ils sont OBLIGES de soumettre tous leurs cas au tribunal. D'où augmentation importante de RECETTES. Si la situation est ainsi triste, je pense qu'une grande responsabilité incombe aussi au Parquet de Léopoldville qui, à juger par sa carence en la matières, s'est totalement désintéressé des tribu-naux indigènes. Veuillez croire, cher Monsieur Sohier, à mes salutations cordiales. .
NOTE 1. Fr. De Thier, Le Centre Extra coutumier de Coquilhatville, Solvay, Bruxelles, 1956, p. 91-109. Il y décrit le fonctionnement de ce tribunal et conclue: "Il se dégage de l'étude de cette ju-ridiction une impression d'ensemble assez favorable". Un nombre important de jugements, d'inspection des tribunaux dans les Territoires de Basankusu, d'Ingende et de Bikoro, par Mr R. Van Egeren, est conservé dans nos Archives. Voir Charles Lonkama, "Le Fonds Van Egeren dans les Archives Aequatoria", Annales Aequatoria 10(1989)321-328.
[Lettre 52b]
Coq., 10-6-51
Cher Monsieur Sohier,
J'ai bien reçu votre aimable lettre pour me souhaiter bon séjour etc. Après quinze jours d'accli-matation aggravée par la chaleur assez spéciale qui a régné au Bas-Congo et ici lors de mon arrivée, je suis de nouveau bien acclimaté comme auparavant. Mon séjour prolongé en Belgi-que, et sans doute aussi l'âge qui commence à avancer. . . Ont commencé cette difficulté spé-ciale d'acclimatation. Entretemps, j'ai également reçu les deux numéros de votre revue. Je la trouve bien intéressante et ne manquerai pas d'y consacrer une petite note pour le prochain n° d'Aequatoria. Il est tou-jours bon de faire connaître ainsi les travaux de nos amis. A moins que vous-même aviez sous la main une note qui pourrait servir à cet effet. . . J'ignore si vous avez encore disponibles d'autres numéros (précédents), sinon je vous propose-rai de me les envoyer. Il y aurait ainsi possibilité d'en extraire l'un ou l'autre passage à résumer et à soumettre à nos lecteurs. Nous avons ici un Gouverneur qui n'est pas un ami spécial des missions: Breuls de Tiecken. Et par dessus, avec les inspections actuels de l'enseignement, depuis Léo jusque dans les provin-ces, l'œuvre missionnaire n'est pas particulièrement soutenue. . Je trouve rien que ces deux années d'absence de grands changements économiques, qui ont évi-demment des répercussions sociales. La question des salaires se pose avec acuité. Et ici du moins aussi celle de l'alimentation. L'exode des campagnes continue plus vivement que jamais. L'installation des ''paysannats indigènes" qu'on a inaugurée dans le nord et qu'on vient d'entre-prendre dans la Haute Tshuapa, n'est qu'une nouvelle forme de travail "obligatoire" et les indi-gènes (ici du moins) tâchent de prendre la fuite. . . La culture du riz imposée est une autre mi-sère dans cette région. Surtout maintenant que les prix de divers produits sont si élevés, il est anti-économique de poursuivre la production du riz et même du coton. . . Mais il y a des inté-rêts investis. Nous reviendrons sans doute sur ces questions une prochaine occasion. J'espère que vous conti-nuez à aller bien. Veuillez présenter (….)
[Lettre 53]
17. VII 51
Cher Père Hulstaert,
j'ai reçu vos deux lettres précédentes avec grand plaisir d'avoir de vos nouvelles, mais aussi grande perplexité en lisant les abus dont vous me parlez. Pour mon édification personnelle, ils m'intéressent vivement. La première fois, j'en ai fait une note confidentielle pour un ami du mi-nistère aussi intéresse que nous à la cause des Noirs. Il a recherché dans les dossiers, interpellé des fonctionnaires revenant de Coq, et n'a rien trouvé ni appris qui pouvait donner l'occasion d'intervenir. Il m'a dit, hélas, il n'y a rien à faire. Il faut ou que votre correspondant saisisse of-ficiellement les autorités locales, ou que vous saisissiez officiellement le département, ce qui implique que vous dévoiliez vos sources, ou en tous cas on les fera découvrir. J'en ai parlé avec le P. Van Wing et nous sommes arrivés au même. N. G. P a ajouté comme je le pensais d'ail-leurs: "Vous ne pouvez faire usage des renseignements du P. Hulstaert officiellement que s'il vous y autorise, car, même si vous ne le citez pas, on se doutera qu'il est votre informateur". Récemment le P. Van W., ayant fait à l'Institut une très intéressante communication sous le titre courageux "Le Congo déraille"', j'en ai profité pour citer une partie de vos lettres, en ayant soins de ne citer aucun lieu, ni aucun nom. Si Mr Laude est intervenu dans la discussion pour signaler que tout ce qu'il avait dit, le P. Van Wing lui [texte coupé dans la copie photocopié] Cela aura-t-il un résultat? Le ministre est extrêmement bien disposé, mais que de résistances obscure n'avalisent! Si vous voyez pour moi un autre moyen d'intervenir, je le prendrai volontiers. J'ai la satisfaction que, si les promesses sont tenues, les décrets sur l'immatriculation, l'assimila-tion répressive et la propriété individuelle seront bientôt déposés. Il y a là un train d'une dou-zaine de décrets qui marqueront une date dans l'histoire de la colonie, et seront un immense pas en avant. Hélas, comment seront-ils exécutés, et jusqu'à quel point les mêmes forces, réagiront-elles? Entre la question si grave du combat d'emploi si heurté à l'incompréhension des syndicats chrétiens. Je prépare un grand article pour Zaïre de novembre et aimerais que vous aidiez à faire un mot, à attirer l'attention (1). Je ne vous ai pas encore demandé de vos nouvelles personnelles. J'espère qu'elles sont excellentes que vous avez aussi des satisfactions du côté d'Aequatoria. Je suis content pour que de son cote mon fils Jean semble faire bon ouvrage dans le Bulletin des Juri-dictions Indigènes et auprès des évolués d'Elisabethville. Mon fils Jacques fait de bon ouvrage d'une autre façon: il attend son neuvième enfant! Enfin mon fils Albert va revenir de Chine. Les autorités ont commencé à persécuter la Legio Mariae, dont il s'occupait, et il se voit privé en fait de toute activité, si bien que ses supérieurs ont estimé qu'il valait mieux qu'il rentre en Belgique. Il a demandé l'autorisation aux autorités chinoises et nous pouvons croire qu'il sera ici fin août , ou plus vraisemblablement dans le cou-rant de septembre. Pour moi,. bien que l'état de ma femme ne soit pas très brillant, je pars en vacances pour quel-ques semaines en Yougou-Slavie. J'ai été heureux de votre appréciation favorable de mon Journal des Tribunaux. Je ne vous en ai plus envoyé parce qu'il ne contenait rien de nature à vous intéresser spécialement. (2) Mais il réussit, et si je ne parviens pas à y traiter autant de questions indigènes que je le vou-drais, il fait cependant de bonne besogne. Je termine, mon cher Père, vous priant de croire à tous mes sentiments amicalement et respec-tueusement dévoués. A. Sohier
NOTES
* Probablement un lapsus calami pour "justice" 1. "La politique d'intégration", Zaire (1951)899-928 2. X., Le Journal des Tribunaux d'Outre-Mer, dans Aequatoria 1951, p. 120, avec une impor-tante réplique de E. Boelaert, dans Problèmes d'Afrique Centrale, 1952, p. 3-7.
[Lettre 54]
Bamanya 6. 8. 51
Cher Monsieur Sohier,
Un grand merci pour votre aimable et encourageante lettre. J'ai fait entre-temps un article sur votre Journal des Tribunaux (1). Et vous aurez lu avec beaucoup de satisfaction le discours du G. G. (2), où vous êtes cité à l'ordre du jour, fait rarissime si même pas unique! Mes félicita-tions! Vous y voyez comment les hautes autorités estiment votre dévouement et vos travaux (3). C'est pour vous une légitime satisfaction de voir que vous n'ayez pas travaillé en vain. Le G. G. va cependant fort dans certains paragraphes surtout là où il prend à corps ceux qui ne sont pas d'accord avec cette politique de assimilation et qui doutent de la possibilité de concilier les deux points de vue, comme essaie de le faire le G. G. à la suite de Ryckmans et comme le fait la politique coloniale. Pour ma part aussi, je suis convaincu qu'il est impossible de faire accor-der ces points de vue. Théoriquement tout cela est très bien faisable, mais dans les faits, les hommes étant ce qu'ils sont, les Belges étant les colonisateurs du Congo, les Noirs étant ce qu'ils sont, travaillant dans la seconde moitié du XXe siècle dans des données politiques, éco-nomiques etc. bien déterminées et connues, je ne vois pas comment concilier. Je ne doute nul-lement dans la bonne volonté de X ou Y. Mais j'avoue ne point comprendre comment on peut désirer et vouloir l'assimilation des élites et en même temps vouloir qu'ils restent fidèles à leurs valeurs culturelles propres. On peut devenir assimilé lorsque et parce que on a assimilé dans un degré suffisant la civilisation européenne. Et comment cela ne signifie pas: devenir Européen culturellement, dépasse mon entendement. . . comme aussi je ne parviens pas à comprendre comment on peut, je ne dis pas sincèrement mais raisonnablement (vu les circonstances de fait de tout ordre) croire que la barrière de couleur (réelle, sociale) peut être évitée au Congo avec un colonat important. Aucune colonie anglaise n'a pu le faire malgré Londres. Le Colonial Of-fice et ses représentants sont aussi opposés au colour bar que Mr Jungers, mais ils n'ont pu em-pêcher sa constitution et ses progrès dans les pays à colonat. Je ne vois pas le gouvernement belge plus capable de le faire. Mais ce me semble bien possible pour notre peuple dans une co-lonie d'encadrement, comme le voulait Ryckmans. Mais même Ryckmans n'a à la longue pu arrêter l'invasion du colonat; il est d'autant plus regrettable qu'il a cru devoir affirmer un jour qu'il ne croyait pas à l'opposition des intérêts entre Blancs et Noirs . . . c'est de sa part une dé-sertion; il m'a fait l'impression qu'il ne croyait pas lui-même, sincèrement à ce qu' il avançait et qu'il ne le faisait que par politique (haute politique, si vous voulez, et nécessaire, etc) mais poli-tique où la haute moralité me semble avoir reçu un coup que je n' avais pas attendu de cette di-rection. . . Mais cela nous écarte du sujet de nos dernières lettres. Je comprends parfaitement que votre honnêteté est choquée par ce que j'écrivais et que vous voudriez faire quelque chose pour re-médier aux situations. Mais seulement, je vous écrivais ces faits pour votre propre édification. Car vous savez que nous ne pouvons susciter aucune intervention contre les abus existants. Cette action est réservée aux évêques et ils n'interviennent pas pour des questions pareilles qui ne touchent pas à leur ministère. Le domaine politique ne les laisse pas indifférents, loin de là, mais ils estiment qu'il ne est pas à eux d'intervenir ou d'attaquer. Il y a l'un ou l'autre plus com-batif et vous en avez connu. . . mais ce n'est pas commune mesure. Il ne peut donc être question qu'officiellement ces choses soient lancées. Je ne peux pas m'en mêler et mon évêque me désa-vouerait instantanément. . . D'ailleurs ces abus seraient suivis par d'autres abus. Aussi long-temps qu'on se contente de faire des lois et ne pas veiller à ce qu' elles soient appliquées par les représentants de l'autorité (la plupart sont évidemment obéies, mais elles devraient l'être toutes, agréables ou désagréables, estimées même nuisibles pour l'intérêt immédiat de l'administration. . . ), je ne vois pas qu'on puisse éviter de graves abus. On n'est pas des anges. . . Et quel contrôle existe là-dessus? A mon avis ce n'est pas le, ministre qui pourra changer. Il est au Congo (4). Il passera en trombe. Que verra-t-il? Beaucoup de belles réalisations, à tout point de vue. Il parlera à certai-nes personnalités importantes. Il aura l'impression officielle. Et même s'il savait tout, que peut, en réalité, faire un ministre? Déjà en Belgique sur place, si peu de choses. . Ce sont les direc-teurs généraux, souvent quelque obscur secrétaire, qui sont maîtres après les partis politiques. A fortiori dans la lointaine Afrique sans opinion publique (comme on dit). Et si par exemple nous attaquons ici un abus, que pensez-vous que serait le résultat? Persécution larvée contre laquelle nous serions désarmés totalement. . . Pensez à notre gouverneur très anti-mission (5); pensez aux inspecteurs de l'enseignement, fruit du ministère de Godding (6) et Front populaire. . . Non je ne vois pour réagir que quelques courageux substituts ou procureurs, mais eux aussi, hélas, doivent faire carrière. Et que peut-on compter sur le procureur général de Léo (7)??? Il parait qu'il est très honnête et très disposé (je ne le connais personnellement pas), mais sait-il ce qui se passe? Va-t-il jamais contrôler quelque part? Je n'ai jamais entendu qu'il est venu dans ces parages. Demandez à Mr de Rode en congé actuellement, à Louvain, et vous serez édifié sur les situations. . . Je devrais continuer mon reportage des abus (8), mais je vois que je pourrai plus aller loin dans cette lettre. Petit fait: des indigènes de la mission par intermédiaire du recteur, demandent per-mis d'achat pour poudre de fusil. Refus mais obligation de payer et permis de port d'arme et de chasse! Le P. proteste, et l'on admet quand même que certains spécialement méritant en achè-tent. Et on parle d'assimilation. . . Chose plus grave, le territoire (chefs et agents) estiment qu'une tractation matrimoniale entre indigènes n'est valide que si elle a passé par le tribunal, aussi bien donc versement de dot que divorce. L'union ou sa rupture ne sont reconnues comme valides par notre territoire que si elles ont eu lieu devant le tribunal indigène! C'est la doctrine officielle publique, et non une opinion personnelle, elle est donnée comme officielle par le ter-ritoire. Je réserve les autres notes p.ex. sur le décret contre la polygamie pour une autre occasion[7 li-gnes illisibles].
NOTES
1. Aequatoria 14(1951)120 2. Aequatoria 14(1951)95-101. Hulstaert en publiait des extraits et un commentaire principale-ment sur l'immatriculation. 3. "Qu'il me soit permis au moment de me référer aux travaux de cette commission de rendre hommage à la compétence et au désintéressement des personnalités qui en font partie et spécia-lement de son Président, Monsieur le Procureur Général Honoraire Sohier". 4. A. Dequae au Congo du 2 août au 16 septembre 1951 5. L. Breuls de Tiecken, à Coquilhatville de 1951 à 1953. 6. R. Godding (1883-1953). Membre du Parti Libéral et Ministre des Colonies (1945-47); BBOM, VII C, 174-181. 7. Jusqu'en août 1952, c'était L. Guébels (1889-1966);
cfr. Bulletin des. Séances de 1'ARSOM, 1966, 193-200. 8. Hulstaert rapportait régulièrement sur les abus de l'administration à Mr N. Decleene (1899-1979) et au Père J. Van Wing, tous les deux membres du Conseil Colonial.
[Lettre 55]
22. VIII. 51
Cher Père Hulstaert,
Votre lettre m'a rejoint à [illisible] où nous étions venus pour un mérité grand repos. Or ma femme a été prise d'une très forte crise rhumatismale, puis obligée à garder la chambre face aux Pyrénées. Et nous avons appris que les communistes ont arrêté notre fils Albert avec deux Scheutistes sous l'accusation d'avoir fait mourir 142 enfants. Accusation d'autant plus absurde qu'aucun d'eux ne s'est jamais occupé d'orphelinat ni de pensionnat. Nous ne sommes donc pas trop inquiets quant à l'issue finale, mais quel traitement subit-il? Cela ne nous fait pas de très belles vacances. J'ai évidemment été très heureux du discours du G. G. d'autant qu'il exprime les idées du gou-vernement. Vous exprimez divers objections. Je compte écrire dès mon retour à Bruxelles deux articles, un très long qui paraîtra en novembre dans Zaïre sous le titre la politique d'intégration -où je montrerai notamment que l'assimilation juridique est compatible avec le maintien de le originalité bantoue sur de nombreux points, et l'autre destiné à l'Institut où je présenterai une étude de mon fils Jean sur la population d'Elisabethville où il montrera l'importance de la popu-lation blanche stabilisée, devenue congolaise. Et dans mes commentaires, j'indiquerai la solida-rité d'intérêts entre elle et la population indigène. Vous voyez que ce sont précisément vos pré-occupations. La question d'assimilation est actuellement posée sur le plan pratique, dans la mesure où le dé-veloppement des Noirs le permet. Pour donner un exemple rudimentaire, les oeuvres musicales de compositeurs noirs doivent être protégées par la loi sur les droits d'auteurs comme celles des compositeurs blancs. Cela n'oblige à aucune assimilation artistique, et leur musique n'en sera pas assurée à cesser d'être bantoue, s'ils ne sont pas enclins à la musique européenne par leur propre goût. Il faut de même une certaine assimilation sociale. Les commerçants indigènes doivent pouvoir sur pied d'égalité faire partie des chambres de commerce. Cela ne les empêche pas de vendre de la farine de manioc plutôt que du blé si tel est le goût de leurs clients. Quant à une certaine opposition d'intérêts entre colons et indigènes, elle existera toujours, comme ici entre ouvriers et patrons, entre ouvriers et paysans, car il y a à côté de cela entre eux une solidarité d'intérêts bien plus forte encore. La prospérité de chaque classe de la société dé-pend avant tout de la prospérité générale. Les colons qui réussissent [illisible] les Noirs sont satisfaits. Et cela n'est-elle pas la plus belle des politiques, et vous doutez de son succès à cause des exemples étrangers et de la nature humaine. Mais cela ne vaut-il pas d'être tenté? L'expérience des autres ne nous instruira-t-elle pas? Je vous remercie de l'article que vous m'envoyez pour mon Journal des Tribunaux; je vous en ai envoyé deux numéros avant mon départ de Bruxelles. En ce qui concerne les abus, je comprends parfaitement votre position, mais il m'en coûte de ne pouvoir rien faire. Je ne vous cache pas que je trouve la politique des évêques souvent trop pu-sillanime, et je me demande comment un jour le clergé indigène la jugera. Elle m'a plus d'une fois indigné dans ma carrière de magistrat. Je me souviens d'un Monseigneur (pas Mgr de H. ) venant faire en faveur d'un administrateur accusé de graves abus et me donnant son assurance personnelle que les accusations étaient fausses. Or une heure avant l'administrateur avait fait des aveux complets. Quand je le dis au Mgr, il me répondit: "Vous devez comprendre la situa-tion des missions, si je n'avais pas fait cette démarche, l'administrateur aurait pu amorcer des représailles". Or si au contraire il m'avait dit ce qu'il savait parfaitement, il n'y aurait aucune représaille possible, l'administrateur allant en prison. Vous me dites avec raison à quoi servent les lois si on ne les applique pas. Et c'est là le drame: le ministre, les directeurs généraux désirent sincèrement leur application. Mais comment vou-lez-vous qu'ils sachent qu'on les enfreint puisque ceux qui y manquent sont précisément qui de-vraient surveiller en leur nom? Quel contrôle est possible si les contrôleurs sont les délin-quants? Quant à la magistrature, que de choses elle ne sait pas, et que de choses sont en dehors du champ de son action? Enfin, je vous lirai toujours volontiers, et quand je le pourrai, j'essaierai d'agir! Je fais ce que je puis. Vous me direz que ce n'est guère; mais peu est plus que rien. En réalité personne n'est libre. Si je disais tout ce que je pense, personne m'écouterait. Si j'écri-vais dans mon Journal tout ce que je voudrais y écrire, il cesserait d'exister. Alors il faut bien se modérer. . . et j'ai peut-être tort de critiquer les évêques. Excusez-moi ce griffonnage. J'ai cassé mon porte-plume en Yougo-Slavie et en attendant qu'il soit réparé, j'use d'un moyen de fortune (mon écriture n'est d'ailleurs guère plus claire quand j'ai mon vieux compagnon:) Quand les deux articles dont je vous parle plus haut paraîtront, signalez-les (même pour les cri-tiquer) car beaucoup d'articles restent sans effet uniquement parce qu'on ne les lit pas. Et croyez, cher Père Hulstaert, à tous mes sentiments très amicaux. A. Sohier
[Lettre 56]
Bamanya, 11 septembre 1951
Cher Monsieur Sohier,
Le jour de l'arrivée du Ministre des Colonies me trouve juste avec quelques loisirs. Non que cela ait quelque chose à faire avec cette visite, qui ne change rien à mes occupations journaliè-res; mais que c'est une coïncidence. Il y a dit-on, un garden-party chez le Gouverneur où Mgr et le Cure des Blancs seront invités. Il y aura une visite à Eala, à 1'hôpital, à l'assistance sociale, à l'école (sans doute des garçons, je suis fort curieux de savoir si l'école des filles indigènes sera visitée. . . . Il parait que le Gouverneur y porte beaucoup d'intérêt . . . ). Arrivé à 10h30, il repart demain matin pour Léo. Je suis affligé des nouvelles peu joyeuses que vous me donnez tant au sujet de la santé de Ma-dame que des événements de Chine concernant votre fils. Oui, on ne sait jamais ce que ces communistes feront le lendemain. Une chose ne devrait plus faire de doute: qu'ils persécutent l'Eglise toujours quand ils le peuvent facilement et par tous les moyens qui leur semblent dans les conditions données utiles et intéressantes. Aucun missionnaire des régions occupées par eux ne peut être estimé en sécurité. Mais je pense aussi que pour ces missionnaires, c'est une occa-sion de fortifier la foi et le courage surnaturel, et que pour ces nouveaux pays, c'est peut-être l'occasion providentielle de se former à une vie chrétienne très profondément enracinée. Ce qui se passe en Chine p. ex. est l'européanisation, pour une Eglise chinoise enfin, une Eglise au-tochtone qui puisse contribuer sa part à l'édification du Christ complet. Vous connaissez ma position indigéniste jusqu'à l'extrême, et je vois donc les événements également sous cet angle. Aussi longtemps que les missionnaires étaient plus ou moins reliés à leur patrie, ils ne pou-vaient de fait presque pas s'adapter à la mentalité etc. chinoise. Ce n'est pas seulement au Congo que cela est difficile. Evidemment ici nous avons des excuses, et nous en usons large-ment. ) Mais même en Chine on parvenait à s'en fabriquer. Maintenant il semble bien que cette ère est révolue définitivement. Des tribulations actuelles, du sang versé maintenant germera sans doute une chrétienté authentiquement chinoise. Et je pense que les communistes commen-cent à craindre les vrais missionnaires, totalement dévoués aux Chinois tels qui ils sont, des missionnaires totalement détachés, et qu'ils tachent aussi pour ces motifs de les écouter. J'es-père en tout cas que tout se termine à souhait dans l'affaire de votre fils. Et vous comprenez que je suis très curieux pour apprendre des nouvelles ultérieures. Je vous remercie d'avoir répondu à mes objections concernant l'assimilation. Je sais très bien combien la situation est difficile pour le Gouvernement. Mais je sais ainsi que les objections et les difficultés ne parviennent pas à changer mon opinion. Il faudra pour cela des arguments net-tement contradictoires. J'estime d'ailleurs que les difficultés sont la conséquence logique et fa-tale de la politique suivie par le gouvernement. Je ne trouve donc ces difficultés ni étonnantes ni une raison pour changer mon opinion. Mais je puis admettre que le gouvernement doive maintenant chercher à résoudre les difficultés. Bien que je n'estime pas nécessaire ni utile de s'engager dans la passe dans laquelle on s'est engagé maintenant. Je sais que la politique gou-vernementale et la mentalité générale des Européens tend à l'assimilation. Mais je sais aussi que l'égalité est un leurre et même une chose regrettable en elle-même. Et je persiste à penser que une fois admis le colonat comme institution-classe, la lutte des races devient inévitable à moins qu'on ne vise à une fusion ce qui me parait absolument exclus. Ce sont précisément les colons qui s'y opposeront le plus fort! Je suis heureux de lire que c'est un idéal, qu'il vaut la peine de le poursuivre. Mais je ne crois pas à la possibilité de cet idéal. Pour moi c'est une utopie. Mais j'estime d'autant plus une action comme celle que je lis dans 1es deux derniers numéros de vo-tre Journal que je viens de recevoir, la réforme du pénal (1), et non seulement pour les évolués, mais pour tous les indigènes. Et en général, j'applaudis toute mesure qui donne de meilleures garanties de droit, plus de respect pour la personne humaine, plus d'humanité dans les relations, surtout dans l'administration, un plus grand effacement du système léopoldien (et ici, à Coq, hélas nous avons un Gouverneur encore très léopoldien) (2) à tous les indigènes. Même le plus humble pygmée devrait avoir quelques droits humains. Mais nous sommes encore loin de cause… J'aurais beaucoup aimé trouver dans votre lettre votre appréciation au sujet des théories juridi-ques du territoire de Coquilhatville au sujet du divorce et de la restitution de la dot. Votre opi-nion pourrait servir dans l'un ou l'autre cas pour aider un indigène à obtenir justice. Vous avez fait observer d'ailleurs à plusieurs reprises, encore maintenant dans votre Journal, que les A. T. se font facilement législateur, et que leur ignorance du droit indigène est grande; ou plutôt: qu'ils font de fait très peu de cas du droit indigène, qu'ils jugent selon ce qu'ils estiment être l'équité, c'est-à-dire selon leurs vues personnelles ou les facilités (pas même les besoins) de leur administration. Voici encore un cas intéressant qu'on vient de me signaler: une chefferie constituée de deux fractions d'une même tribu qui vivaient longtemps séparées depuis l'arrivée des Blancs, avaient été réunie et unifiée (avec certains trucs, mais hélas!) Mais on vient de nouveau de les scinder en parce que cela est plus utile pour la politique routière. . . Partout c'est le règne de l'utilité immédiate. Et cela se fait maintenant quand les communications permettent leurs contrôles. Le Ministre vient de passer de Stan à Boende par voie de terre, ce qu'aucun grand chef colonial n'avait encore fait. Ryckmans est allé une fois à Basankusu et à Boende. Jungers a passé ré-cemment à Boende (où il y a une plaine d'aviation maintenant); mais le voyage par la forêt par la route, il fallait un Ministre pour l'entreprendre. De Boende, il est venu ici par l'avion. Conjointement à cette scission de la chefferie, on a déplacé de nouveau d'autres groupements, on les a REMIS LA OU ILS SE TROUVAIENT PRECEDEMMENT. . . Que de travail et de misères infligées pour quoi ou qui? Vue personnelle d'un Commissaire ou d'un A. T. Et si l'on doit se soucier des évolués, j'estime qu'on ne devrait pas négliger les ruraux. On donne l'impression qu'on donne satisfaction aux premiers parce qu'ils savent crier très fort, parce qu'ils savent écrire en français, et qu' ainsi l'étranger (UNO, Angleterre, USA) pourraient entendre leurs cris et qu'on en a peur; tandis que les basenji ne savent pas se défendre. Je dois: on fait l'impression*. Il se peut que les gouvernants aient d'autres motifs, mais sur nous, spectateurs, c'est l'impression qu'on ne parvient pas à chasser. Est-ce que l'INCIDI (3) publie des comptes rendus de ses congrès? Ne serait-il pas possible que quelqu'un me les envoie? Nous pourrons d'ailleurs en donner des comptes rendus dans Aequa-toria. J'espère que cette lettre trouvera Madame complètement rétablie et que tout va bien maintenant et que vous avez reçu de meilleures nouvelles de Chine. Avec mes salutations cordiales, et une prière spéciale dans vos peines familiales.
NOTES 1. Journal des Tribunaux d'Outre-Mer, 15 janvier 1951 "La réforme de la justice repressve". 2. Il s'agit toujours de Mr L. Breuls de Tiecken (voir lettre n.54, note 5). 3. INCIDI: Institut pour l'étude des Civilisations Différentes. On y publiait la revue "Civilisa-tions".
* Phrase telle dans l'original.
[Lettre 57]
Bamanya 4 novembre 1951
Cher Monsieur Sohier,
Votre aimable lettre m'apporte de bonnes nouvelles au sujet de vos enfants et petits-enfants. Je comprends que pour Madame ce n'est guère agréable que tous les enfants soient si loin; pour elle ce serait une grande consolation que d'en avoir au moins quelques-uns près d'elle. Et puis l'incertitude qui continue à peser sur vous au sujet de votre missionnaire chinois. . . Nous ne pouvons que continuer de prier à cette intention, et croyez-moi, je n'y manque pas. C'est la moindre (et en même temps la meilleure) chose que nous pouvons faire. Au sujet du village déplacé, si vous vous rappelez ce que j'écrivais dans une lettre précédente sur ces affaires, il est extrêmement délicat pour nous d'intervenir et je ne pourrais le faire sans l'assentiment de Mgr. Et dans le présent cas, il n'y a aucun espoir, qu'il voudrait marcher. Le P. v. d. Heuvel (1) auquel le cas a été soumis a répondu qu'il était impossible de faire quelque chose, puisqu'il n'y a pas eu d'ordre écrit, et si l'affaire est portée plus loin, il y aura peut-être enquête mais menée PAR L'ADMINISTRATION (ou ce qu'on nomme en flamand: se confes-ser au diable) et l'affaire sera classée sans suite; ou plutôt avec la suite que l'A. T. et d'autres encore chercheront à tirer vengeance de l'ennui que nous leur avons causé, et résultat final: pour les indigènes, rien du tout et pour la mission, un accroissement d'ennuis contre lesquels nous serons d'autant plus désarmés que le Gouverneur actuel est on ne peut plus anti-missionnaire. L'administration est assez prudente que pour ne pas donner dans ces domaines aucun ordre écrit; elle fait agir les chefs. . . Un moniteur, actuellement à mon service, voulait construire dans son village natal une maison en briques et tôles, avec l'aide de certains parents e. a. d'un matelot de CMB. D'abord il demande par écrit à l'A. T. si le village est assez stable, s'il sera déplacé. On répond par lettre que l'A. T. ne déplacera point le village si la grande majorité du village s'y oppose, qu'il y aurait cependant intérêt pour le village à se mettre sur la grande route; ou qu'à la rigueur on pourrait faire une bretelle. N. B. le village est écarté de la route d'environ 2 km sans marais. Entre-temps le chef essaie toutes sortes de pression pour les faire déloger et il a commis la bêtise de leur assigner un emplacement éloigné d'une dizaine de Km, ce qui a accru l'opposition des villageois. Mais je conseille à mon moniteur de ne pas commencer les travaux avant d'avoir une nouvelle lettre autrement précise; car si par des intrigues etc. , on par-vient à faire admettre le déménagement par une forte minorité, il faudra bien s'en aller. Vous voyez comment l'insécurité continue de freiner des progrès dans les habitations et les planta-tions. A la fin de la guerre, le Procureur enjoint à l'A. T. d'abolir la livraison et le portage forcé de vi-vres aux territoires pour les travailleurs, la troupe, la prison; désormais on ne devrait plus ap-pliquer des sanctions pour les infractions à cette livraison. L'A. T. est évidemment fort ennuyé, car comment pourrait-il du jour au lendemain trouver les vivres nécessaires sans contrainte et sans préparation? Il ne lui reste comme expédient que d'envoyer une lettre à tous les chefs, leur communiquer la circulaire du parquet, et les enjoignant d'y conformer strictement leur conduite. Puis il les convoque et leur explique encore verbalement la teneur de la circulaire. Il ajoute qu'ils doivent comprendre que le poste ne peut rester sans vivre et qu'il doit en arriver comme auparavant, mais qu'ils ne peuvent punir personne pour manquement, que si le marché flanche ils auront à quoi se tenir. Le résultat était merveilleux tout le monde était content et rien ne fut changé [la suite manque]
NOTES 1. Le Père Alexandre Van den Heuvel, Scheutiste (1899-1987), était membre de la Commission pour la Protection des Indigènes. Il a parcouru la région de la Tshuapa fin 1951 pour enquêter sur la "dénatalité mongo"
[Lettre 58]
Bamanya, 24-2-1952
Cher Monsieur Sohier,
M. Mayné (1) m'a apporté votre aimable mot. J'ai été heureux de faire sa connaissance. Mal-heureusement il n'est pas revenu comme il l'avait promis si il en avait encore le temps. Il aura certainement été trop occupé de cette malheureuse histoire. Je suppose qu'entre-temps il est re-tourné en Belgique. Il n'est pas resté longtemps. On n'a pas pu parler beaucoup, sinon de géné-ralités. Je comprends parfaitement que notre correspondance a langui un peu après ce que vous avez souffert les derniers temps. Entre-temps j'ai reçu une lettre de votre fils Jean demandant quel-que collaboration pour les jurisprudences (2), où cependant je ne puis l'aider. Car les tribunaux indigènes sont tabous pour nous autres, profanes. Il parle aussi de l'assimilation et est assez violent contre Aequatoria pour les articles publiés sur la question. . . Il en veut aussi à Maus et à Rubbens. . . ; je n'ai pas encore répondu (3). Il me semble prendre la même position que vous, et c'est toujours très beau quand un fils tâche de ressembler à son père. J'ignore même s'il sera utile que je réponde et que nous entamions une discussion sur ce sujet. Je vois d'avance que nous ne sommes pas d'accord et que nous partons de principe différents. Et alors. . . il faudrait commencer par les principes éthiques, et relire St Thomas, Vittoria, Grotius. . . Sinon nous resterons chacun sur ses positions et alors je ne vois point l'utilité à discuter. . . on se comprendra souvent de travers: ce qui serait peu grave dans un entretien de vive voix, mais est toujours regrettable dans la correspondance où il est impossible de rectifier un lapsus ou de ré-expliquer si l'on voit que l'autre a mal compris. Il me semble que nous avons des théories opposées sur la colonisation et le droit de colonisa-tion. Il y a évidemment une grande différence sur la question de l'assimilation si l'on se place sur le plan des principes ou sur celui de la pratique; si l'on considère la colonisation comme juste ou comme injuste, ou selon qu'on justifie cette colonisation sur tel ou tel principe éthique; si l'on assigne à la colonisation comme but: l'émancipation du peuple colonisé ou la constitu-tion d'une dixième province belge ou le terme intermédiaire d'un dominion dans l'empire belge. Je pense d'ailleurs que si entre nous, nous ne parvenons pas bien à nous mettre d'accord sur cette question, c'est encore pour cette même raison que nous partons de principes différents. J'avais toujours cru comme sincère la politique d'administration directe et le désir d'une coloni-sation dans l'intérêt primordial des autochtones. J'ai ensuite constaté qu'on joue une double po-litique. Cela ne m'a pas changé de principes et je ne puis considérer la colonisation comme MORALE que dans ces principes. Autre chose est la situation de fait. Or, ces faits sont contrai-res à mes principes. Je ne renierai pas pour cela mes principes, mais je ne refuserai point de voir les faits. Sera-t-il possible de les accorder? Je l'ignore, mais je crains que non, il faudra alors reconnaître ma défaite et essayer de sauver ce qu'on pourrait sauver dans les circonstances données. Et pour le moment tout est contraire aux principes que je maintiens dans cette ques-tion de colonisation, nationalisme, racisme, etc. etc. Le racisme est posé au Congo dès le moment que le gouvernement a voulu le colonat. Sera-t-il résolu par l'assimilation? Je crains que non. Aux E. U. il y a même assimilation culturelle totale autrement importante, me semble-t-il, pour l'entente entre les races qu'une assimilation juridi-que, si utile qu'elle puisse être ou si bien qu'elle puisse répondre aux aspirations des indigènes évolués (et ainsi être politiquement utile). Malgré cette assimilation culturelle totale, où donc les barrières les plus fortes n'existent pas puisque les conceptions de vie, la culture, la langue sont identiques de part et d'autres, le racisme est violent aux E. U. Comme disait une dame américaine un jour: la question noire est insoluble parce que les Noirs ont un complexe d'infé-riorité, ils veulent à tout prix être égaux des Blancs, et c'est pourquoi il n'y a pas de solution. Je crois que cette dame a vu très juste et que nous allons vers une situation semblable au Congo. Vous me direz que nous ne sommes pas des Anglo-saxons (des Américains bien?). Mais nous ne sommes pas des Portugais non plus qui peuvent résoudre peut-être leur question racial, du moins pour l'instant. . . Les colons vous ont sérieusement pris à parti pour votre article de Zaïre (4). Votre réponse est très digne et je crois qu'elle aura désarmé beaucoup (5). Mais la position des colons restera in-changée. Avez-vous lu la discussion sur la question racique au Kenya publiée pendant la guerre sous le titre de "Race and Politics in Kenya" (6)? Les deux thèses en présence sont défendues de main de maître; mais la discussion n'aboutit A RIEN; chaque parti reste sur ses positions. . Et le gouvernement essaie de se tenir en équilibre sur la corde tendue. . . comme le gouverne-ment anglais en Rhodésie, au Kenya, etc. . Mais il ne pourra continuer et à la fin il devra choisir pour les colons. Et lâcher les indigènes. C'est la conséquence fatale de sa double politique. Choses et nouvelles. Le père voyageur de Bamanya ( 7) vient de signaler quelques cas flagrants d'infractions aux dernières dispositions au sujet de la monogamie et de la protection de la fille pubère. Nous verrons ce que cela donnera. L'administration n'a pas voulu marcher, et elle ne marchera pas dans cette voie. Le parquet dit qu'il s'en occupera; nous verrons. On refuse maintenant des permis de mutation aux catéchumènes ou aux gens qui doivent se mettre en règle pour le mariage. Motif: ils sont engagés pour le chantier routier (ce qui n'est pas vrai; ils sont OBLIGES de travailler sur le chantier ), donc passibles des sanctions prévues par la loi sur les contrats. . . qu'aucun n'a signé. Le père ne marche pas et refuse de renvoyer les hommes . . . Nous verrons. Il faudrait voir aussi ce qu'on paie à ces travailleurs réquisitionnés pour les travaux routiers . . . Vous avais-je déjà raconté qu'il a été créée ici une coopérative de scieurs de long? Organisation par l'administration et sous sa direction. On est membre obligatoirement. Prix imposé par la coopérative. Défense de vendre séparément; tout doit passer par la coopérative. Cela créa des difficultés pour le ravitaillement en bois puisqu'il y a ici (pays de grande forêt) pénurie des bois . . . Les Européens acheteurs se voient menacés de sanctions et de saisies (camion et bois trans-portés). Un entrepreneur va au Territoire, demande X mètres cubes; on lui refuse. Il en a un be-soin urgent. Il déclare donc qu'il va outre au règlement et qu'il va offrir le double du prix offi-ciel et qu'il ne craint pas les procès. On lui donne alors ce qu'il demande. Depuis lors, fraude. sur grande échelle. Morale: l'autorité de l'Etat a de nouveau sérieusement pâti de par sa propre faute. Le règne de la dictature léopoldienne est donc loin d'être terminé à l'Equateur. Merci d'avoir bien dit ces abus à l'Institut et dans des termes pesés, j'espère qu'on pensera au Conseil Colonial à la nécessité de faire observer les lois qu'il fait. . . [suite de la lettre absente]
NOTES
1. Mayné, Conseiller juridique au Gouvernement Général. 2. Jean Sohier lui avait écrit le 27-1-1952 (Archives Aequatoria, CH n.201, B, p. 204-205) pour s'informer sur les articles de portée juridique dans Aequatoria en vue de la publication de son "Répertoire général de la jurisprudence et de la doctrine coutumier du Congo et Rwanda-Burundi jusqu'au 31 décembre 1953", Lacier, Bruxelles, 1957. 3. Il s'agit de la lettre du 17-2-52. Hulstaert y répondra par les lettres du 5-4-1952 et 11-5-1952 avec réplique de 6 pages de Jean Sohier au 13 avril 52 (Archives Aequatoria, CH n. 201, p. 204-213) 4. A. Sohier, La politique d'intégration, Zaire, 1951, p. 899-928 5. Je n'ai pas pu identifier avec certitude cette réaction mais la réplique de Sohier est certaine-ment contenue dans son article "En marge du décret sur l'immatriculation" dans J. T. O. du 15 juin 1952, p. 73-75. Boelaert réagissait en s'y opposant dans "Politique d'intégration et forma-tion politique des indigènes", Problèmes d'Afrique Centrale, 1952, p. 3-7. Il s'y oppose vive-ment au décret sur l'immatriculation, oeuvre de Sohier. 6. E. Huxley et M. Perham, Race and Politics in Kenya, Faber and Faber, London, 1954. 7. A cette époque: Jef Jacobs (°1924). Au Congo 1952-1995. Il était le père "itinérant" de la mission Bamanya et jouait le rôle d'informateur de Hulstaert pour ce qui se passait à l'intérieur jusqu'à environ 100 Km au sud de Coquilhatville.
[Lettre 59]
1. III. 52
Cher Père Hulstaert,
Je regrette que mon fils Jean dans l'impétuosité, d'ailleurs généreux, de son caractère se soit montré violent en parlant d'Aequatoria (1) et de l'assimilation! Il a cependant en ce qui concerne les coutumes, une position bien plus rapprochée de la votre que celle de la majorité. Il est parmi les magistrats un de ceux qui les étudie avec le plus de sympathie. Mais il prend feu aussi pour certaines de mes idées et je vous avoue que ce n'est pas déplaisant pour un papa d'être un peu prophète dans sa famille! Je me demande si nos positions de principe sont aussi différentes que vous le pensez. Lorsque vous assignez avec raison à la colonisation le but d'amener le peuple colonisé à l'émancipation c'est-à-dire après l'avoir rendu en fait capable de régir lui-même sa vie, de lui donner la capacité de droit, le pouvoir de la régir pourquoi cela exclurait-il que librement, il use de ce pouvoir pour rester politiquement notre associé, dans l'intérêt des deux partis? Je ne vois pas que ma thèse soit contraire au principe. Il faut ajouter que l'on doit tenir compte des faits. Poussés avant tout par les événements, beau-coup plus que par un dessein [mot illisible], nous avons fait au Congo d'immenses investisse-ments à demeure, qui sont nôtres, et une population belge s'est incorporée au sol, établie. Cela est particulièrement visible au Katanga; [mot illisible] disent peuplés uniquement de quelques villages faméliques qui est notre création. C'est un fait qui modifie la solution du problème au point de vue moral. Nous avons acquis là des droits qui ne sont pas uniquement ceux qui déri-vent d'une position toute théorique du problème de la colonisation tel qu'il se posait au début de celle-ci. Je crois que nous pouvons demander aux Noirs d'en tenir compte et qu'il est de leur intérêt comme de nôtre de poursuivre librement la coopération commencée, à condition que nous apportions un esprit de collaboration et non d'impérialisme. Que la colonisation doive avoir comme but principal, primordial, l'intérêt et le respect des droits des autochtones ne me parait pas signifier qu'elle doive et puisse faire fi complètement des autres intérêts et des autres droits, ce qui d'ailleurs ne serait, ni l'intérêt ni le droit des natifs. Quant à la protection du nationalisme indigène, j'ai tous mes apaisements. Les Noirs sont de plus en plus conscients d'eux-mêmes. Prêtres et évolués agissent fortement pour le maintien de leur originalité, et, que nous le décidions ou non, ils maintiendront les caractéristiques essen-tielles de leur organisation et de leur peuple. Leur réaction parfaitement consciente est irréver-sible. Elle est d'ailleurs approuvée et aidée par le gouvernement - je ne dis pas pour tous les fonctionnaires. Mais avons-nous le droit de leur imposer le nationalisme et une civilisation cou-tumière? N'est-il pas préférable que cette évolution se fasse progressivement et en accord avec nous? Malgré tout, je crois que l'esprit des Blancs évolue beaucoup plus qu'il ne semble. Même les colons sont amenés à admettre des principes et des évolutions contre lesquels ils auraient violemment réagi autrefois. Dans le conflit qui m'a récemment opposé à eux, le fait qu'ils m'aient répondu par des injures et des à côtés n'est pas sans intérêt (2). Il montre qu'ils sont in-capables de défendre leur position sur le terrain des principes et des idées. Et cela est remarqué par certains d'entre eux, par des dirigeants, et aussi par les Noirs d'ailleurs. Quand on parle d'assimilation juridique, il ne faut pas oublier que si elle consiste à mettre (dans certaines matières au début) les Noirs sous les mêmes lois que les Blancs, elle consiste tout au-tant à mettre les Blancs sous les mêmes lois que les Noirs. En d'autres termes la législation, par le fait qu'elle s'appliquera aux deux, ne sera pas, dans certaines matières, tout à fait la même que si elle s'appliquait aux Blancs seuls, et cela est très utile. Il est certain que tout en proclamant une politique d'administration indirecte, on a en fait prati-qué, d'une façon exagérée l'administration directe. Mais, chose curieuse, l'esprit d'administra-tion indirecte fait des progrès notamment sous l'influence du Ruanda-Urundi. Je ne sais si vous avez lu la note sur la formation politique des Congolais dans Problèmes d'Afrique Centrale (3). J'y disais notamment que les membres du service territorial devaient agir par voie de discussion, conseil et délibération ce qui est l'administration directe. Il est intéressant que la direction m'a demandé une série d'articles pour développer ce point de vue, preuve d'un accord de la thèse. J'ai malheureusement dû refuser, n'en ayant pas le temps. Vous terminez votre intéressante lettre, mon cher Père, par cette phrase: "J'espère que le conseil colonial poussera à la nécessité de faire observer les lois qu'il fait". D'abord, il ne fait pas les lois. . . il discute les projets qu'on lui présente, mais n'a pas le pouvoir d'en présenter d'autres. Ensuite il est absolument sans pouvoir de surveillance, et les ministres (je le dis au pluriel pour ne pas paraître viser celui-ci qui est un des plus réalisateurs que j'aie vu à l'œuvre)sont bien souvent impuissants en face des administrations notamment de celles d'Afrique. Ce qui est terrible, c'est que la dictature léopoldienne que vous signalez, est enviée, non par les chefs, mais par les comparses. Enfin, on essaie de faire ce qu'on peut; j'espère que vous aurez l'occasion de suivre l'action re-nouvelée des parquets en matière d'annulation des jugements des tribunaux indigènes. Le nom-bre de décisions et de commentaires publiés par le Bulletin et mon journal des Tribunaux, est en augmentation et beaucoup de décisions sont fort intéressantes. Mais tout cela donne beau-coup d'ouvrage! J'ai assumé un peu trop et il faudra que je me délivre de l'un ou l'autre côté. Pour le reste tout va bien. Ma vie matérielle s'est très bien organisée et j'ai repris ma vie nor-male. Mes trois ménages d'Élisabethville prospèrent. Hélas pas de nouvelles de Chine!. Croyez, mon cher Père, à tous mes sentiments respectueusement cordiaux (4). A. Sohier
NOTES 1. Lettre de Jean Sohier à G. Hulstaert, Elisabethville 17-2-1952. 2. Le conflit auquel Sohier fait allusion m'est inconnu. 3. 1951, 172-174 4. Hulstaert a fait lire la lettre à Boelaert qui y réagit par une petite note du 27-4-52 Corr. 115 B, 248 "Il (Sohier) veut bien un Etat des Noirs mais il ne voit que la voie qui y mène tue d'abord la Négritude (de zwartheid) ou l'affaiblit".
[Lettre 60]
Bamanya 6. 4. 52
Cher Monsieur Sohier,
Je regrette avec vous que vous n'avez pas encore de nouvelles de Chine. La situation de ce pays est bien alarmante pour ma famille et les amis des missionnaires. Et l'on ne sait pas comment tout cela tournera. Il faudra laisser travailler la divine Providence, qui cherchera à faire triom-pher. l'Eglise. Comme me disait un ami missionnaire en Chine c'est peut être le seul moyen pour l'Eglise de se désolidariser de l'Occident et de s'enraciner dans l'Orient. . . Et il semble bien que malgré Lebbe (1) et ses RARES disciples, les missionnaires ne parvenaient pas (même ceux de bonne volonté) à se faire Chinois; pas plus que nous n'y parvenons au Congo. . . Ils ont bien été forcés durant les dernières années de condescendre beaucoup; mais c'était de la condescendance; très Peu de conviction réelle à Comme au Congo et en Afrique en général, les missionnaires (ne parlons pas mieux des laïcs) condescendent aux indigènes; mais ne les consi-dèrent ni traitent REELLEMENT comme ils considèrent et traitent leurs compatriotes. Et c'est ce que je pense que DEVRAIT être, pour être réellement dans l'esprit du missionnaire tel que le demande l'Eglise et tel que nous le devrions être pour être conforme au plan divin. Et voilà en même temps la base de toute mon attitude dans les questions indigènes. Quant aux applications, elles sont très. influencées par les jugements que nous portons sur les phénomènes avec les-quels nos principes entrent en contact: civilisation, culture, nation, état, pouvoir, communauté, droit, autorité, etc. Et là-dessus, il y a parmi les sociologues beaucoup d'opinions. Et dans le public beaucoup aussi. Nous n'avons pas tous entre catholiques voire entre prêtres, des concepts identiques sur l'Etat, par exemple, sur ses droits et ses devoirs, sur le gouvernement; sur le peu-ple et la nation et la culture et civilisation. Il y a des dictatoriaux, des libéraux, des démocrates, des anarchistes chrétiens. . . Il y a la conception de l'Etat et de la nation en honneur surtout dans les pays germaniques et la conception latino-romaine; il y a la conception chinoise et la concep-tion primitive; il y a la conception anglo-saxonne et la conception communiste. Et je pense que c'est dans ces points que votre fils Jean diffère tellement de moi que d'abord j'avais cru ne pas devoir lui répondre, car des discussions par correspondance ne donnent ,que peu de résultats lorsqu'on doit commencer AB OVO, par les grands principes du droit des nations et de l'éthi-ques naturelles (à laquelle se rattachent ces questions). Je me suis cependant décidé de répondre pour lui montrer ma bonne volonté mais sans commencer une discussion ordonnée Cela m'en-traînerait d'ailleurs trop loin et me prendrait trop de temps. Non que j'hésiterai si je voyais une issue ou un sérieux espoir d'arriver à un résultat substantiel en un temps prévisible. Votre fils Jean est favorable à l'assimilation et à la constitution d'un Congo-noir; mais il ne m'a pas détaillé le tableau de cette société future (genre E. U.? Brésil? Caraïbes? Afrique du Sud? Cette dernière éventualité est cordialement détestée par lui. . . ) Mais il ajoute qu'en même temps, il faudra renforcer les autorités et les juridictions indigènes (que je suppose il considère comme rouage de l'administration et justice européenne; car sinon on ne voit pas comment pouvoir parler de renforcement en tant qu'indigènes). Or, de fait, pour ce qui concerne la région que nous connaissons, nous nous éloignons toujours davantage. Les secteurs se multiplient comme je l'ai déjà écrit; on essaie tout pour en créer. L'intervention de l'administration dans la justice croît. Surveillance des tribunaux indigènes aussi inexistante qu'auparavant. Voici un cas récent très curieux. Un secteur est créé. On demande au chef (non coutumier) d'une des chefferies constituantes de devenir chef de secteur et pour ce faire de renvoyer ses 13 épouses (dont la majorité femmes mariées coutumièrement et religieusement; mais les maris n'ont pu rien contre cela, puisque c'est le chef) et que ce chef (comme c'est l'habitude dans ces régions) tranche les palabres (2); il est juge unique ou le juge président (ailleurs, les chefs ne président pas toujours les tribunaux, mais ils sont quand même juge-président de fait; rappelez-vous que je vous ai écrit jadis que tel tribunal de chefferie ne travaille pas si le chef est absent pendant deux ou trois mois en voyage dans une partie éloignée de son secteur. . . (en voyage, ou bien surveillant des travaux comme la construction d'une route qui peut prendre de longs mois). Donc, pour revenir à notre argument, le chef est posé devant le choix. Il préfère sa poly-gamie, comme c'était à prévoir (un collègue avait précédemment été plus fin en se désistant de ses femmes pour conserver sa médaille, et en même temps aussi ses femmes qu'il mettait dans les villages environnants, et puisqu'il restait chef, personne n'osait réclamer. . . ) et l'administra-tion ne croyait pas les missionnaires prétendant que la polygamie continuait. . . l'administration était d'ailleurs très heureuse de ne devoir pas croire les missionnaires puisqu'elle tenait à ce chef pour divers services). Donc dans sa franchise, il se désiste de la chefferie. On nomme alors le greffier (polygame aussi; mais à 3 femmes seulement) . . . Pourquoi? Oui, je sais que le Conseil Colonial ne légifère pas et à fortiori ne veille pas à l'observation des lois. Ce n'était de ma part qu'une façon de marquer mon mécontentement et celui de nombreux missionnaires. A quoi bon faire de belles lois si au Congo ne se croit pas obligé de les appli-quer et si personne ne peut obtenir leur application? Ne vaudrait-il pas mieux alors de s'abstenir de faire des lois non appliquées? Ne serait-ce pas mieux pour le sens de la justice et pour le prestige de l'autorité et donc aussi pour le respect des indigènes envers la Belgique? Tout le monde voit maintenant que 1 e gouvernement n'est pas sérieusement opposé à la polygamie; par ex. son hypocrisie en devient plus manifeste aux yeux des indigènes. Le Père missionnaire itinérant a déjà signalé et accusé plusieurs infractions tant au décret sur la polygamie que à celui sur la fille non pubère. L'administration territoriale ne réagit pas. Il s'adresse au parquet pour la polygamie (pour la protection il attend l'autre question): on lui ré-pond qu'on a autre chose à faire et qu'on ne peut s'occuper de ces BAGATELLES (mot dit tel que par le chef du Parquet). Que le Père s'adresse au Commissaire de Police. . . On ose encore refuser des permis de mutation temporaire à des catéchumènes pour se faire ins-truire ou mettre leur . union en règle (cas pourtant sporadiques). Motif: X est fuyard du chantier routier et donc passible des peines prévues pour rupture de contrat. . . Alors que tous ces indi-gènes sur le chantier routier sont OBLIGES sans contrat de travailler X mois (je crois que c'est SIX dans le cas sous examen), bien qu'ils soient payés à un taux inférieur, mais quand même payés. Et c'est ce même gouvernement qui impose aux employeurs privés des salaires élevés (je ne dis pas: trop élevés, car ils ne le sont pas à mon avis; seulement ils sont mal arrivés à point, juste au moment où débute la crise que le gouvernement POUVAIT prévoir: ils ont un service économique pour quelque chose -- et pour les allocations familiales disposées malencontreu-sement.) Tout cela m'a écarté du sujet qui aurait dû être repris dans cette lettre: nationalisme indigène, droits des populations noire et blanche, avenir de la colonisation , administration indirecte - en progrès grâce au Ruanda (mais ici c'est le contraire). Ce sera donc là prochaine fois, si vous voulez bien. J'allais oublier que récemment je me suis rendu compte des rumeurs persistantes dans les mi-lieux indigènes que la corruption ne règne pas seulement dans les tribunaux indigènes, mais que même des fonctionnaires européens de l'administration se laissent corrompre par des indi-gènes. . . On me cite des cas nets. . Figurez-vous l'influence sur les primitifs, et surtout sur les évoluées??? Un interprète du parquet est ici en [la suite est absente]]
NOTES 1. Le Père V. Lebbe, Lazariste (1887-1940), grand défenseur de l'intégration de l'Eglise dans la culture et la nation chinoise. Lebbe était fondateur de la Société des Auxiliaires des Missions dont faisait partie le fils de M. Sohier. 2. Problème incompréhensible comme il est ici posé par Hulstaert.
[Lettre 61]
Bamanya 28-7-52
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement de m'avoir envoyé l'image photo souvenir de votre fils martyr en Chine. Oui, on a bien fait d'y marquer: à la GLORIEUSE Mémoire. . . S'il est archi triste pour vous (et pour nous tous) de devoir se séparer d'un fils et (pour nous) d'un confrère dans le sa-cerdoce et l'apostolat, il est aussi encourageant et consolant de savoir que sa mort est vaillante, utile, glorieuse: Pretiosa in conspectu Domini mors sanctorum ejus. Il demande de nous juger de sa mort comme lui en a jugé lui-même. Et pour ceux qui restent provisoirement, c'est un en-couragement. Cet héroïsme porte en lui même ses fruits de salut. S'il n'est pas donné à tout chrétien de sacrifier sa vie au Christ, au moins cet exemple nous incite-t-il à nourrir en nous L'ESPRIT qui rend ce témoignage possible. Le sang des martyrs actuels doit certainement vivi-fier l'Eglise de Chine dont l'influence sur l'Eglise universelle s'avèrera (c'est du moins ma conviction personnelle) prépondérante dans les siècles à venir lorsque l'Europe aura cessé d'être primordial dans l'Eglise et dans l'humanité. Car si actuellement encore l'Europe avec son enfant américain est le membre le plus actif)avancé, civilisé, le principal membre de la communauté des peuples et des civilisations humaines, il n'y a dans mon esprit pas le moindre doute que ses années comptées (quels que soient les avatars de la POLITIQUE). Il y a quelques jours, j'ai reçu aussi le n° du Journal des Tribunaux où j'ai lu le petit extrait sur l'attitude de certains dirigeants devant le décret sur la polygamie et l'article de votre main sur l'immatriculation et les abbés indigènes (1). C'est très bien rédigé et je pense que vous ferez des conversions; mais pas chez moi jusqu'ici. . . Il est très bien de distinguer LE DROIT d'avec les FAITS et de dire le droit doit s'adapter aux faits qui, eux vont dans le sens de l'européanisation. Mais du point de vue INDIGENE ces progrès qui nécessitent la nouvelle législation que les ab-bés n'acceptent pas, sont aussi bien le FAIT des BLANCS que de la LOI. Cette distinction très juste en elle-même n'a aucune valeur pour les indigènes, ni DANS LA PRATIQUE pour moi-même. C'est toujours NOUS qui imposons ou introduisons l'une comme l'autre. Il est beau de dire: nous sommes forcés par des circonstances de faire de nouvelles lois parce que l'évolution les exige, mais c'est tout de même nous, les Blancs, qui avons causé ces circonstances. C'est comme quelqu'un qui mettrait le feu à une paillote (pour n'importe quel motif ou sans motif) et qui ensuite prétendrait pour cela avoir le devoir de construire une nouvelle maison qui ne plait pas au propriétaire. Ses explications seront très mal reçues, je crains fort. C'est comme les mé-decins se vantent (à bon droit, derechef) des efforts en finances et en hommes (jusqu'à l'hé-roïsme parfois) faits pour combattre les maladies endémiques et épidémiques mais ils ne pen-sent pas au fait que presque toutes ces maladies, et certainement les plus graves, ont été intro-duites soit par nous soit sous notre régime par nos auxiliaires et nos protégés (ce qui revient au même) soit qu'elles ont été propagées d'un endroit très isolé jusque sur toute l'Afrique. Essayez de faire comprendre à l'indigène l'immense bienfait de notre médecine après tout cela. . . Facile peut-être pour un service d'information ou pour un journal ou la radio, mais très difficile pour celui qui s'adresse à l'indigène d'homme à homme. . . Il est vrai que maintenant, admettons-le, la situation exige une double législation: statut, etc. Mais c'est NOUS qui avons introduit cette dualité et continuons à l'introduire et à la raffermir. que doivent faire les abbés indigènes? Avec quelle partie de la population doivent-ils se grou-per? L'intérêt de leur ministère est-il de se grouper avec les civilisés européanisés? N'a-t-on pas reproché à satiété au clergé européen de s'être groupé avec la bourgeoisie et s'être éloigné du menu peuple? Vous dites à raison que pour un tas de choses la question n'a pas d'importance pour les abbés qui ne fondent pas famille et ne se consacrent pas à des activités rémunératrices. Ce n'est donc surtout qu'un geste et quelques privilèges surtout pour les tribunaux. C'est d'ail-leurs pour cela que j'avais cru que les abbés auraient beaucoup aimé le nouveau statut et il est certain que les évêques ont poussé dans le sens du nouveau statut, immatriculation, etc. pour soustraire leurs abbés et religieux aux juridictions indigènes et il semble bien que certains abbés (pensons à ceux qui siègent dans les conseils du gouvernement) y sont très favorables (discours de l'Abbé LOYA pour répondre à Jungers l'an dernier, e. a. (2) Il est à MES YEUX d'autant plus réjouissant qu'il y a plusieurs abbés qui refusent ces privilèges et préfèrent rester avec les moindres de leurs frères. Ils auront à mon idée le grand avantage de rester soumis à la justice et au pouvoir indigènes, ce qui les encouragera à souffrir avec les plus simples basénji des injusti-ces, des brimades, etc. et les incitera à prendre leur défense et à travailler à obtenir des condi-tions sociales meilleures pour les pauvres broussards de la colonie toujours encore taillables et corvéables à merci. . . Pourrait-on rappeler ici la situation des missionnaires en Chine p. ex. qui pendant longtemps ont joui de la protection des pays européens; ce qui a certainement aidé leur apostolat, mais qui a aussi contribué puissamment à les lier à l'impérialisme européen. Si pas toujours de fait (et ces, dernières décades certainement PAS de fait), du moins aux yeux de la masse chinoise. Cette situation est en partie responsable des victimes de la guerre des Boxers et même de ce qui se passe actuellement. Elle a pour tout le moins retardé énormément l'adaptation, l'enracine-ment dans la civilisation et la vie chinoise de l'Eglise catholique. Ce sont du moins mes opi-nions personnelles. Qu'on tâche de rendre l'administration indigène (qui n'a pratiquement plus d'indigène que le nom ou l'origine des dignitaires... ) acceptable et respectable pour la masse de la population, abbés et civilisés inclus; qu'on essaie de rendre la justice indigène convenable et je pense que la grande masse des difficultés de fait tombera. Il restera certes les adaptations du statut au point de vue succession, et bien que je continue d'opiner qu'une adaptation du droit indigène serait du moins partiellement possible ... Mais tout cela sont des vues de l'esprit qui ne changeront en rien l'œuvre du législateur. Ni non plus la tendance actuelle de l'européanisation (ou plutôt : d'américanisation) de l'Afrique (com-bien de temps durera-t-elle, même si la soviétisation ne se trouvait pas dans les plans de la Pro-vidence)? Une question de fait: on vient de réorganiser ici les circonscriptions indigènes en créant le SECTEUR DE L'EQUATEUR (3). Les chefferies préexistantes ont été abolies. On a divisé des chefferies en GROUPEMENTS. Ces secteurs se composent donc d'un certain nom-bre de groupements plus nombreux que les anciennes chefferies. Ce qui a permis de changer, également les chefs. Comme chef de secteur, on a pris l'ancien greffier de la chefferie des Ntomba, ancien élève de NOUVEL ANVERS, homme très intéressant, ayant de la poigne. Sa qualité de polygame ne semble nullement avoir arrêté l'administration (4). Un chef de groupe-ment nouvellement nommé (groupement de riverains ici tout près) habite simplement la cité indigène (C.E.C.) de Coquilhatville... (5). Il vient de donner à un colon un terrain appartenant à un indigène que je connais spécialement bien, qui habite la mission et dont les enfants et petits-enfants sont maintenant au service des Blancs à Coq, mais avec espoir de retourner chez eux. Le brave homme est venu se plaindre à moi. Notre nouveau chef a donné le terrain (il faut évi-demment que le Blanc demande encore la concession à l'administration... ) (mais entre-temps il a commencé à débrousser et préparer pour son installation) sans demander l'avis du proprié-taire, des notables, etc... J'écrivais un petit mot au chef de secteur qui a demandé des explica-tions au chef. J'en ignore le résultat. Mais je voudrais aider les propriétaires à défendre leurs droits. Je sais qu'en justice, ils sont impuissants puisque la loi ne reconnaît pas les droits fon-ciers indigènes, sinon des droits de chefferies (inexistants ici dans le droit foncier) ou des droits d'usage ou sui generis. Mais je pense qu'on pourrait obtenir quelque chose en protestant auprès de la Commission pour la Protection des Indigènes, évidemment si l'occupation du terrain continue, ce que je dois d'abord encore attendre. Mais à Coq on n'a pas l'habitude de s'embras-ser beaucoup de droit. POLYGAMIE. Dans le territoire voisin de Bikoro, il y a déjà de nombreux cas d'application du décret. L'administration y est gagnée au décret. Ici à Coq, rien du tout. C'est pourtant le même district et les chefs-lieux des territoires sont distants de 120 Km l'un de l'autre. Donc cela veut dire qu'en haut lieu on ne s'en soucie pas, mais que c'est une question à l'arbitraire de l'adminis-trateur. Je viens d'apprendre aussi le retour dans les villages de polygames expulsés de Léo-poldville. Il y a beaucoup d'arrivées tant dans la mission d'Imbonga (territoire Ingende) que dans celle de Bolima (territoire Bolomba) selon que me communiquent les Pères. A Coq aussi on continue d'engager comme travailleurs des polygames; on a l'excuse de man-quer de main d'œuvre spécialisés, ce qui est vrai. Mais on évite d'engager des Pères de familles. Maintenant, la première question posée est: es-tu marié? as-tu des enfants? Combien ? Résultat de législation sur les salaires familiaux. On dirait que nos dirigeants n' ont rien appris et ne ré-fléchissent pas plus loin que les basénji... Voulez-vous un autre exemple de la compétence législative? Ici à Coq on voulait fixer le prix maximum de la viande (le motif est très mesquin, personnel, mais cela ne figure pas dans le dé-cret ni dans les justifications, s'il y en a... ) On demande aux commerçants de la place les prix, facture,s, etc. On refuse. Le gouverneur (6), là-dessus, prend le prix de Léo, le majore du prix de transport jusqu'ici et fixe le prix de la viande congelée argentine à 120 fr., celle conservée au Tchad à 110 et la viande locale, fraîche, excellente, la meilleure, à 95 fr. Résultat : toute la viande vendue à Coq est désormais congelée, et c'est le consommateur qui paie de sa poche... il n'y a plus de viande fraîche à Coq, exceptée celle qu'on peut à certains jours trouver à la mis-sion. Ces quelques anecdotes peuvent vous égayer un peu. J'espère que le Bon Dieu vous aura lui-même consolé abondamment dans les coups terribles que vous avez reçus les derniers temps. Tout concourt finalement à notre bonheur bien que nous ayons très difficile à voir à travers les brumes des événements. Je ne manque jamais de penser à vous dans mes prières et Messes. Avec mes salutations cordiales.
NOTES 1. Le numéro du 15 juin, p. 73-74. Selon Sohier les Abbés devraient se faire immatriculer les premiers. Hulstaert par contre pense qu'ils ne le feront pas et que c'est mieux ainsi pour ne pas s'aliéner le peuple. 2. L'abbé Jean Loya (1914), ordonné prêtre et 1944, était membre du conseil du Gouvernement Général. Mort en juin 1960. 3. Secteur de l'Équateur érigé en 1952 comprenant les régions rurales autour de la ville dans le territoire de Coquilhatville. Chef-lieu: Inganda. 4. Chef du secteur Joseph Tswambe (+1954).
cfr. G. Hulstaert:Tswambe notable, Annales Aequatoria 7(1986)167-171. 5. Le groupement des Boloki avec chef Nsaka, originaire de Boyeka. La palabre en question en 1952. 6. Toujours L. Breuls de Tiecken.
[Lettre 62]
Bamanya 16. 12. 52
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie de votre aimable lettre et des vœux. De même je vous souhaite les meilleures choses pour la Noël et la nouvelle année; tant pour le corps que pour l'âme. Je vous souhaite surtout optimisme et persévérance dans le bon combat, malgré toutes les oppositions, malgré toute s les désillusions, malgré la constatation de l'inutilité (toujours APPARENTE ou plutôt UNILATERALE, PARTIELLE seulement) de vos efforts. Et pour nous chrétiens, les souhaits sont des prières que Dieu exauce d'autant plus volontiers qu'ils sont issus de l'amitié: là ou deux ou trois sont assemblés en mon nom, je suis au milieu d'eux, et le reste du texte. Que souvent nos efforts nous paraissent inutiles, sous formes d'enseignements, d'articles, etc, qui de nous ne l'a pensé souvent? Et cela devient plus fréquent en progressant dans la vie. On s'achoppe à tant d'obstacles, etc. que c'est très normal. Je n'y vois aucun mal. C'est naturel dans notre monde déchu, et c'est doublement naturel dans une civilisation comme la nôtre: sophisti-quée comme disent les Anglais et atomisée. Mais que la bonne semence ne rencontre point QUELQUES centiares de bon terrain et que là elle ne produise 100% serait une insulte à Dieu, non pas seulement pour la parole évangélique, mais encore pour toute bonne parole venant d'un cœur sincère et uni à Dieu pour atteindre le prochain et lui faire du bien. C'est là l'envers de la médaille que souvent nous n'apercevons pas, qui n'en existe cependant pas moins. Nous serons agréablement surpris au jugement, en voyant le bien qui a été fait par nos modestes efforts à des personnes et dans des lieux où nous n'avions jamais pensé atteindre. . . Les bonnes idées que vous communiquez à vos élèves resteront certainement sans effet (si pas pire) dans le cœur de plus d'un. MAIS. il y a toujours quelques âmes d'élite. Voyez l'état de l'Eglise dans le monde moderne, en Europe ou en Afrique. Extérieurement, statistiquement, c'est la régression sur de grandes étendues. Mais d'autre part quel approfondissent spirituel dans de nombreuses âmes qui sans doute restent la minorité, mais sont quand même plusieurs et cela dans les milieux les plus divers. Prenez les ménages d'E'ville que vous citez. Quel courage ne suppose pas cette réunion interra-ciale? Et quel dévouement ne faut-il pas à votre fils Jean pour son action social à E'ville? Non, nous ne prêchons pas dans le désert. Et même si les hommes se cachent ou se bouchent les oreilles, le bon Dieu trouvera moyen à la rigueur, de quand même faire pénétrer sa parole, [ne] fût-ce que par d'autres canaux, mais grâce en partie à notre effort, qui atteindra les âmes par des détours qu'il nous est impossible de suivre. C'est là aussi la fécondité du sang des martyrs. Le sacrifice de votre fils et de tant de missionnaires et de Chinois peut sembler signifier la fin de l'Eglise en Chine; ils sont forcés au silence total: mais comme disait le petit Macchabée: le sang a une voix très pénétrante. . . Et tout cela nous devons l'appliquer, mutatis mutandis, à l'action sociale, juridique, etc. Si elle est faite dans la ligne de la volonté divine et sous l'influence de la grâce et de la charité. Et c'est votre cas. Il ne faut pas non plus que nous nous étonnions des contradictions de nos amis, de nos collabo-rateurs, etc. Nous sommes des chrétiens, et une grande liberté règne toujours dans nos idées, quoiqu'en disent les autres (ce n'est que sur des points essentiels que l'autorité ne badine pas, et cela ne nous gène pas dans notre liberté de pensée puisque nous sommes intimement d'accord avec ces doctrines et cette discipline ecclésiastique). Vous verrez toujours dans l'Eglise les ca-tholiques sont souvent très divisés sur des questions non essentiellement dogmatiques, ou sur les applications ou sur les moyens pour obtenir le but sur lequel ils sont bien d'accord. Cela fait partie de la diversité des âmes, et cela est un élément de beauté: diversité dans l'unité. Le bon Dieu lui-même respecte scrupuleusement nos idées, opinions, notre tempérament voire nos dé-fauts. Voyez les oppositions entre St Pierre et St Paul; ils étaient loin d'être d'accord et s'atta-quaient violemment sur certains points (comme du racisme juif. . . et de l'adaptation voyez la querelle des rites chinois ou hindou.) Voyez Newman et son action pour la réunion des Angli-cans. J'estime que cela DOIT être ainsi. Mais cela doit rester dans le plan divin, et dans la chari-té. Vous savez comment je suis loin de toujours partager vos idées, parce que nous voyons cer-taines choses sous des angles différents, ou parce que nous avons une appréciation différente des situations, ou parce que nous partons d'autres principes sociologiques, ou parce que nous avons des idées différentes sur la politique, etc. Nous avons reçu des formations différentes, etc. etc. Entre missionnaires d'un même vicariat, d'un même poste, élevés ensemble souvent depuis les humanités jusqu'à la prêtrise, croyez-vous qu'on est toujours d'accord? Heureusement que nous ne sommes pas encore arrivés à la dictature. Je sais que certains chefs (évêques, p. ex) regrettent cette absence de dictature. Et je sais que souvent il est pour eux ennuyeux d'avoir des missionnaires ou des laïcs indépendants de caractère et d'esprit; cela les gêne souvent dans leur organisation et leur action; mais malgré tout il paraît qu'eux aussi ont l'intérêt à respecter cette diversité voulue de Dieu et que Lui aussi respecte. Moi, je n'y vois aucun inconvénient à ce qu'on se chamaille EN FAMILLE. . . Et les autres peuvent constater que les catholiques sont parfois désunis sur les questions les plus diverses: preuve de notre liberté de pensée, preuve aussi de la richesse de l'Eglise, preuve encore de sa solidité essentielle et donc de sa divinité, preuve enfin de l'amour de la vérité qui règne parmi nous. J'aurais aimé connaître l'adresse de votre fils Jean. Dommage qu'il est à Jadotville. Mais c'est là le lot du colonial: il recommencera donc dans sa nouvelle résidence. J'espère qu'il m'écrira en-core. Il me parlait un jour de la nécessité pour les catholiques congolais, Blancs ou Noirs, de s'unir pour résister à l'attaque de la Franc Maçonnerie. Je voudrais lui dire: eh bien, commen-cez. Car il est vrai que ,depuis quelques temps la Franc Maçonnerie a relevé la tête et ses atta-ques sont maintenant violentes contre l'enseignement libre On fait tout pour obtenir l'enseigne-ment officiel et retirer les catholiques de l'enseignement chrétien. On profite de la puissance de l'Etat pour ce faire et du moins ici, on réussit sur une grande échelle, malgré le ministère catho-lique, mais grâce à la présence d'un gouverneur très anti. Et les gouverneurs sont actuellement de vrais dictateurs. Ici règne un véritable esprit de terreur vis-à-vis du gouverneur; arrêt dans la carrière, relégation à l'intérieur, etc. Votre fils Jean dit que les catholiques n'ont qu'à n'en pas tenir compte et à la rigueur à se défendre; mais rares sont ceux qui sont assez courageux pour le faire. Croiriez-vous qu'ici plus d'un agent catholique est membre de la Ligue du S. Coeur, mais demande qu'on ne lui donne pas de carte de membre pour rappeler la communion du premier dimanche. . . il viendra, mais pas de preuve écrite de son appartenance à ce groupement. . . Pour plus d'un de ces personnes plutôt faibles quoique de bonne volonté, il serait bon d'avoir un groupement qui les soutienne au cas de besoin. Nous avons eu des questions de terrains récemment. Il y a d'abord la palabre d'évacuation d'un village indigène près de Coq (1). Le long de la rive. Le gouvernement a besoin de ce terrain pour l'extension de la ville européenne (cela ne presse pas, mais on la prévoit quand même). Les indigènes seront indemnisés. Des magistrats sont ennuyés parce qu'il est difficile d'estimer la valeur des indemnisations à faire. Les indigènes ne sont pas trop exigeants, car ils ont assez peur. Ils perdent surtout leurs droits de pêche, mais de cela ils ne savent encore rien. Ils ne le sauront que le jour que la nouvelle ville existera. Car alors la rive occupée par des maisons eu-ropéennes, dont les habitants ne permettront plus que les indigènes passent devant eux vers la rive et qu'ils amarrent leurs pirogues; qu'ils ne pourront d'ailleurs plus surveiller. Les indigènes peuvent s'établir soit dans le quartier indigène de la ville soit dans un autre village indigène as-sez éloigné, se trouvant à l'étroit lui-aussi et également menacé de devoir disparaître après. Ce cas ne donnera sans doute plus aucune difficulté, puisque tous souhaitent l'extension de la ville le long du fleuve et que cela semble bien une expropriation parfaitement légitime. Nous avons eu un autre cas récent. Un indigène évolué (2), ancien-moniteur d'ici, commerçant à Stan (2b), possédant magasins, camion, voiture, 20 vaches, etc. revient ici dans sa famille et veut installer dans son village un magasin de vente. Le terrain existe, il est reconnu terre indi-gène par l'enquête de l'A. T. La famille est d'accord. Elle ne veut pas l'indemnisation que lui offre l'A. T. parce que la permission de la boutique est donnée à leur propre enfant. Mais celui-ci doit payer la location au territoire. M. De Rode que vous connaissez, procureur à Coq, m'ex-plique que c'est conforme à la législation actuelle qui a été ainsi conçue pour ne pas favoriser les indigènes sur les colons. Mais il parait à moi cependant très étrange qu'un indigène doive louer sa propre terre et payer le louage. . . Je comprends la raison qui a poussé le conseil colo-nial à cette législation. Elle a l'air de barrer la route à la discrimination en faveur de l'indigène. Mais que fera-t-on le jour qu'un fils de colon, propriétaire, voudra sur la terre héritée de son père construire un magasin de vente? Devra-t-il aussi payer la taxe de location pour une terre qui lui appartient, et cela pour le motif de ne pas pouvoir le favoriser sur les autres? Moi, j'y vois quand même une discrimination. Je trouve très normal qu'un indigène soit favorisé par les circonstances. Pourquoi veut-on par ces moyens freiner la mise en valeur économique par les indigènes? Je préfère cela à l'association entre colons et indigènes, qui selon moi, ne peut tour-ner qu'au désavantage des indigènes: non en théorie, elle est très belle, et généreuse, mais dans la pratique réelle actuelle du Congo dont vous avez eu déjà plusieurs échos et que les événe-ments du Kenya vont encore empirer (alors qu'ils devraient juste pousser dans l'autre sens, mais qui connaît le fond de ces événements et qui se rend compte quel grave problème agraire et po-litique est à la base. . . le communisme a bon dos !!) Récemment un confrère voyageait avec un Commissaire de District (3). On parlait de la polygamie et de filles impubères. Le père lui a fait des doléances que le territoire refuse froidement de s'occuper des plaintes portées sur ces ques-tions. Le commissaire estime que l'A. T. devrait au contraire faire appliquer la loi et que le père pouvait réclamer au district. Ce qu'il ne fera pas, parce que ce serait attaquer l'A.P. et avec un gouverneur de province comme le notre nous serions de grandes victimes. . . Un des cas dont il s'agisait est celui-ci. Fin 1951 un homme prend une deuxième femme, qui est inscrite au livret d'identité par le chef investi qui, en 1952, touche l'impôt supplémentaire pour cette femme, le tout bien inscrit dans le livret avec étiquette de preuve. . . Le territoire ne VEUT pas marcher, quoiqu'il condamne cette façon d'agir. Elle n'est pas contraire à la loi, mais on a quand même, il y a quelques mois, communiqué aux Chefs et juges indigènes la teneur du décret sur la poly-gamie. Pour cette association de colons et d'indigènes,(4) je n'ai aucun apaisement sur le sort des indi-gènes. Ce sont les colons qui mettent à brouille et qui sont les pires racistes. Cela est très natu-rel. Comme vous dites, c'est un fait. C'est d'ailleurs le cas dans toutes colonies, et la lutte raciste en est encore causée surtout par les "colons'' car c'est eux qui sont le plus et le plus directement menacés dans leur avenir économique et dans leur suprématie politique, voire comme ils disent culturelle. La guerre entre Nordistes et Sudistes en USA repose encore en ordre principal sur cette situation du colon agricole sudiste, l'industrialiste du Nord étant partisan de l'abolition. Je crains donc beaucoup pour les Noirs dans cette association. Il y a la loi, oui. Le gouvernement, évidemment. Mais j'ai maintenant plus de 25 ans d'expérience congolaise. Et j'ai beaucoup lu ces questions dans d'autres colonies, et je constate que EN DERNIERE ANALYSE le gouver-nement prend toujours la défense du BLANC avec plus ou moins de ménagement pour l'indi-gène, naturellement. Et avec l'avancement du développement, les Blancs coloniaux prennent de plus en plus de pouvoir politique. Il n'y a d'exceptions que dans les colonies sans colonisation. Partout d'ailleurs, c'est le même schème qui se déroule, avec des divergences de degrés et de manières, seulement. Puisque le Congo devra former un Etat de population mélangée et mixte, sans groupes raciaux, que les Noirs se fassent vite les égaux économiques de Blancs. S'ils veulent collaborer, qu'ils collaborent individuellement, mais pas de groupe à groupe ou de race à race. Le colon bourg-mestre d'une chefferie indigène ne me sourit guère. Pas plus d'ailleurs que le paysannat indi-gène tel qu'on l'organise ici et qui fait trop penser aux kolkhozes. . . Assez bavardé. J'espère que vous trouverez quand même le temps de m'écrire parfois. Je suis heureux que vous avez d'excellents amis qui vous tirent de votre solitude. Encore mes meilleurs vœux et un souvenir tout spécial dans les Messes de ces jours prochains.
NOTES
1. Boyela établi d'abord à Bonkena (résidence officielle du gouverneur), par après sur le terrain de Boloko wa Nsamba, devra le quitter encore pour faire place aux Blancs.
cfr. G. Hulstaert, Mbandaka Traditionnel, dans Mbandaka Hier et aujourd'hui, (Etudes Aequatoria-10), Bama-nya, 1990, p. 30-55. 2. Allusion à l'affaire Efale.
Voir la correspondance entre E. Boelaert et le Procureur du Roi à Coquilhatville en 1952 (Arch. Aeq. , F. B., 1660-1662). Ce dernier évoque le décret du 12-6-1951 qui interdit l'exploitation des terres indigènes pour d'autres buts que ceux traditionnels, sans qu'il y ait un acte de l'Administration (vente, etc. ). Ainsi un indigène ne pouvait exploiter un commerce sur sa propre terre ancestrale. 2b. Stan = Stanleyville = Kisangani. 3. Le Commissaire de District de l'Équateur en 1952 fut M. Wilens. Le "confrère en question", est probablement G. Léonet. Voir sa lettre à G. Hulstaert le 25-2-1954. L'A.T. de l'époque était Mr Brausch. 4. Allusion à une question probablement soulevée dans une lettre précédente absente.
[Lettre 63]
Bamanya, 3 octobre 53
Cher Monsieur Sohier,
Mes félicitations pour le succès de votre Droit coutumier (1) épuisé plus vite que prévu. Bon signe que cette matière intéresse encore nos coloniaux ! En effet, la ligue des familles nombreuses a eu une section ici; et je m'en suis un peu mêlé de très loin. Quelques jours après la réception de votre lettre, je passai chez le P. Curé pour une question de rédaction du bulletin paroissial PAX. Les quelques messieurs qui étaient là sont pères de familles plus ou moins nombreuses et je leur ai posé la question de recommencer le mouvement. Oui, mais. . . tout le monde, est surchargé, ce qui est évidemment vrai, car tout re-tombe toujours sur les mêmes. . . Et puis; que peut-on répondre aux ménages qu'on pourrait tâ-ter sur ce sujet, si l'on demande: quels avantages? Il y a une section à Léo: ne serait-il pas inté-ressant que cette section essaie de fonder une branche nouvelle ici à Coq? par exemple lors-qu'un de leurs passerait par ici pour service, mutation ou vacances? J'ai lors de cette réunion cité votre nom. Il n'est donc pas nécessaire de cacher mon nom. Peut-être pourriez-vous écrire au P. Curé afin de soumettre la question à quelques-uns de ses paroissiens fervents et dévoués (car il y en a, Dieu merci!) Si j'avais quelques détails je pourrais le faire moi-même en me met-tant d'accord avec le P. Curé. Il y a dans le petit groupe prêt à aider le curé pour des questions de ligue du S. Cœur, chorale, fêtes à organiser, PAX, quelques messieurs bien actifs, qui pour-raient faire le travail si l'on savait exactement ce qu'on attend d'eux, et pourvu qu'ils en aient le loisir. Il est particulièrement douloureux pour vous de voir comment vos lois, réformes, etc. sont in-terprétées et appliquées ici. Vous savez que je suis loin d'être toujours d'accord avec vous sur ces questions de pratiques. Le cas que vous citez d'E'ville ne fera certainement aucun bien. Mais à parler franchement, il ne m'étonne aucunement. Il est au contraire dans la ligne de l'évo-lution. Vous avez bâti votre beau système législatif dans le but d'aider à l'ascension totale et chrétienne des indigènes. Mais c'est là le but noble de vous personnellement et de vos amis du conseil. Mais j'ai toujours (c'est-à-dire, depuis d'assez nombreuses années) douté si cela est bien l'intention du gouvernement. J'y crois de moins. Le gouvernement veut faire des civilisés qui se rapprochent le plus de la mentalité du Belge, pour se l'attacher politiquement, militairement et économiquement. Tout le reste n'est que moyen. Or pour ce but la moralité ne compte pas. Un Blanc est excellent belge et utile à son pays qu'il soit divorcé, concubinaire, etc. La moralité n'entre pas dans les soucis de l'Etat. Il n'y a de ressemblant avec la moralité que l'ordre exté-rieure qui l'intéresse. Dès lors il est normal qu'un indigène civilisé, mais divorcé et (demain aussi), croyez-moi, polygame reçoive le brevet d'assimilation. Polygame, non évidemment offi-ciellement mais de FAIT. Ne continue-t-on pas de nommer des polygames comme chefs de secteur ou de chefferie malgré le décret. Et croyez-vous que les fonctionnaires (gouverneurs non exclus) sont acquis à ce décret? Et si leur conviction est contraire, leurs inférieurs feront-ils du zèle pour l'appliquer? Ce sont des gens qui doivent faire leur carrière. . . Et celle-ci dépend exclusivement de leurs chefs (gouverneurs, commissaires aussi en partie). Il est triste pour vous, et pour nous missionnaires pas moins, que cela est ainsi; mais je pense qu'il est inutile de nous cacher la vérité désagréable. Un cas comme celui que vous citez d'E'ville ouvrira, je l'espère, les yeux aux missionnaires et d'autres sur les intentions réelles du gouvernement. Trop, hélas, croient encore au gouverne-ment comme une organisation voulant sincèrement la modernisation sur une base chrétienne. Les abbés qui ne sont pas partisans de l'assimilation, trouveront là-dessus un argument pour leur attitude. Vous n'ignorez pas que je suis de leur avis. Et partisan à ne pas vouloir se ranger parmi les privilégiés. de l'Etat, je pense qu'ils feront beaucoup plus pour le relèvement de la masse des Congolais et pour assurer aux simples basenji de la brousse un peu plus de justice et des traitements plus humains. Le gouvernement sera bien forcé un jour, pour éviter d'appliquer ses brimades etc. . . à des civilisés et à des universitaires de céder dans ses règlements pour la masse. . . Ce sera la justification de l'attitude actuelle des abbés. On a reproché aux curés d'Eu-rope de s'être éloignés de la masse travailleuse. Et c'est un fait. Ils ont profité des privilèges de la bourgeoisie. Et je pense qu'un CORPS professionnel ne peut dans ce cas ne pas s'éloigner de la masse. . . J'ai pensé l'autre jour en lisant des enquêtes sur la moralité des E. U. combien au fond ces juges d'E'ville sont à la tête du progrès de la civilisation. Car c'est dans les milieux et les classes et les pays les plus civilisés que les divorces sont plus nombreux et le plus facile. Il serait donc assez illogique de refuser le brevet à un civilisé authentique à cause de ses divorces réitérés. . . D'ailleurs, puisqu'il s'agit de reconnaître tant le fait de l'assimilation de fait d'un indigène à no-tre façon de vivre et de penser de civilisés européens, que celui de sa séparation des lois coutu-mières, pourquoi le divorce serait-il un obstacle? Le divorce n'est-il pas admis par notre législa-tion? De nombreux Européens comptant aux yeux de TOUS comme étant très civilisés, consi-dérés comme faisant partie de l'ELITE de notre société, ne sont-ce pas des divorcés à deux ou trois fois? Refuser pour ce motif ne serait-ce pas provoquer chez les indigènes des réactions très vives et des réflexions très désagréables pour les Européens? Vous me trouverez bien révo-lutionnaire et bien étrange, mais réellement si l'on considère les choses dans leur réalité pro-fonde et non dans leurs apparences ou telles que nous voudrions qu'elles soient, y a-t-il une au-tre explication? Je vous serais fort reconnaissant si vous me montriez les défauts de mon rai-sonnement. Ici, si l'on accuse un indigène comme polygame, comme certains missionnaires l'ont essayé, la preuve doit être faite. Et la preuve c'est l'inscription au livret. Or on n'inscrit plus de nouveaux polygames au livret, puisque la polygamie est abolie. Les femmes supplémentaires seront donc nommées concubines ou plutôt servantes et domestiques. Vous comprenez que c'est intéressant pour le prestige du Blanc et de ses lois. . . Vous rappelez-vous qu'un jour je vous écrivais qu'il serait préférable de faire observer les lois existantes avant d'en faire de nouvelles? Et que vous me répondiez que c'était le métier de l'ad-ministration et le votre de faire les lois? Et cela est parfaitement vrai. Mais qu'elle est la réac-tion psychologique de l'indigène devant des lois éludées continuellement, non observées par l'administration elle-même, discréditées sinon ridiculisées par certains fonctionnaires? Dans ces conditions, ces lois ne font-elles pas plus de tort que de bien? Avez-vous lu ce que dit le gros volume de l'Institut Africain de Londres sur le MARIAGE EN AFRIQUE au sujet de la loi sur la polygamie? (2). Je n ai pas donné des nouvelles agréables, cher Monsieur Sohier, mais je sais qu'à vous je puis parler ouvertement et cela me soulage le cœur. C'est un précieux service d'ami que vous me rendez. [la suite est absente].
NOTES 1. Traité élémentaire du droit coutumier du Congo Belge, Larcier, Bruxelles, 221 p, 1949. 2éd: 1954, 206 p. 2. A Phillip's, Survey of African Mariage and Family Life, Oxford Univ. and Int. African Insti-tute, 1953, (recension par G. Hulstaert, Aequatoria, 1953, p. 194-196).
[Lettre 64]
26-I-54
Cher Père Hulstaert,
Vous avez eu l'amabilité de m'adresser des vœux de Nouvel An. Vous savez de votre côté tous les souhaits que je formule pour vous et pour vos oeuvres. Merci de votre souvenir et croyez que si je ne vous envoie pas plus souvent l'expression des miens, ce n'est pas faute d'amitié. Ici tout va bien pour moi. Je. viens d'avoir mon 17e petit-enfant à Jadotville, un bébé que mon fils Jean a appelé Antoine! Tous les autres ménages vont bien. Mon Journal des Tribunaux d'Outre-Mer est plein essor, bien que la matière, qui a longtemps été surabondante soit actuel-lement plus mesurée. Je n'avais donc-pas à me plaindre, mais j'ai l'impression très nette, tant au Congo qu'en Belgi-que, s'opère une grande régression très nette de l'esprit officiel et de l'esprit public dans les questions indigènes. Des gens qui continuent simplement à avoir l'esprit qui était à la mode il y a trois ou quatre ans sont brimés sous l'accusation d'être trop "indigénophiles" ou même "sohié-rophiles". De petites réformes qu'on pouvait réaliser aisément sont rejetées aux calendes grec-ques. Certains de nos gouvernants n'ont pas la culture voulue pour comprendre les questions. On se heurte à une certaine étroitesse d'esprit du capitalisme et a l'égoïsme des syndicats. . . J'exagère sans doute le tableau. J'ai des craintes cependant quant à la politique: une école à la mode va jusqu' à soutenir qu'il n'y a pas de droits fonciers indigènes (1), mais de simples tolé-rances! J'entends souvent parler d'abus, mais hélas! de sources qui, comme vous l'avez déjà fait vous même, demandent le secret, si bien qu'il est impossible d'intervenir. Bref, les progrès très nets que, à mon avis, on avait enregistrés après la guerre sont arrêtés, et même déviés. Heureusement que l'Eglise semble continuer avec persévérance son mouvement de maintien d'une certaine chrétienté. Avez-vous lu, il y a quelques mois, dans lé Bulletin de l'Institut, le mémoire de l'abbé Kagame "Premier contact avec la civilisation" (2). Je suis en train de m'en servir pour un petit ouvrage que je viens de commencer (3). On m'a proposé de rééditer une partie des récits que j'ai publiés dans mon roman et mes livres de nouvelles: ceux qui font le portrait de Noirs encore sauvages - en y ajoutant une seconde série de récits qui présenteraient des Noirs évolués. Ce m'est assez difficile, puisque faute de me trouver dans la colonie je n' ai pas d'histoire à conter pour ces derniers. Cependant je crois que je m'en tirerai, et pourrais attirer l'attention sur des aspects peu connus des évolués. J'aurais voulu présenter un des types les plus élevés de notre nouvelle so-ciété noire: Les religieuses indigènes, mais je ne sais pas comment les montrer sur la forme lit-téraire, romancée, que réclame l'ouvrage. Si les promesses qui m'ont été faites se réalisent, ce-lui-ci sera un petit opuscule fort bien édité et à assez fort tirage (4) Voilà, mon cher Père, quelques nouvelles hâtives: je ne vous parle que de moi, cela nous amè-nera à parler de vous. Je vous envoie encore mes bonnes amitiés A. Sohier
NOTES 1. "Une école à la mode" qui soutient que les indigènes n'ont pas de droits fonciers. 2. A. Kagame, Bulletin de Séance de l'I.R. C. B. (1953), p. 851-862. 3. L'avenir du droit coutumier en Afrique, Universitaire Pers, Leiden 1954, 1 pages 4. Rien de tel m'est connu.
[Lettre 65]
Bamanya 10-2-54
Cher Monsieur Sohier,
Merci de votre bonne lettre du 26/1. Je suis heureux d'apprendre que votre santé est bonne, que la situation de votre déjà très vaste descendance est excellente, et que les travaux avancent. Je suis particulièrement curieux au sujet de vos "romans et nouvelles". Car là vous avez vraiment le moyen de répandre la bonne doctrine. Et de redresser le nouvel esprit dont vous vous plai-gnez avec beaucoup de raison. Nous reculons. Lorsque je prétendais il y a des années que la tendance pro-indigène, la justice et l'équité ont perdu la bataille au Congo, on me traitait de pessimiste. Selon moi, c'était fatal puisque le colonat augmente de plus en plus et l'influence anglo-saxonne y joue sa part. Mais aussi: notre position, comme je l'ai dit plus d'une fois, n'est pas autre, ce n'est qu'un moyen et fatalement la fin prend le dessus. Jungers (1) n'a-t-il pas dé-claré que la nouvelle politique est la continuation de celle de Léopold II? Oui a protesté? Dès lors, nous assistons à une évolution TRES NORMALE. L'esprit officiel en déclin? Evidem-ment. Chaque institution est sujet à la dégradation. Nous avançons à grands pas à la dégrada-tion de la démocratie. Nazisme, fascisme, communisme sont des point avancés mais nullement des anomalies. Tous nous allons à l'étatisme dictatorial. Cette hérésie ancienne et toujours re-naissante n'a pas été condamnée par l'Eglise; ses martyrs en sont morts. Continuent d'en mourir derrière le rideau du fer en attendant qu'ils fassent de même dans nos pays. Avez-vous lu "La 25e Heure" de Gheorgiu? "Tu combattras seul" de T. Cardwell (2), c'est bien cela, et ici l'on s'en rend mieux compte qu'en Belgique, parce que la colonie est par définition la négation de la dé-mocratie et l'emprise de plus en plus totale de "l'Etat c'est moi", pense chaque fonctionnaire. Et dans les indigènes cet esprit trouve de grands protagonistes, comme dans nos socialistes. L'Etat providence devient de plus en plus le Dieu des Noirs. Non qu'il y ait quelques-uns qui réagis-sent. Heureusement; il y en aura toujours; où sinon (veut-on que Dieu (3) ses martyrs? Vous en savez quelque chose puisque l'un des vôtres y a passé. Puisque vous parlez de droits fonciers, je joins copie d'une note que je transmets au Procureur Général de Léo; puisque étant membre de la Commission pour la Protection des Indigènes, j'ai soulevé la question à la réunion de Bukavu, mais on m'a demandé de la retirer parce que cette question est trop complexe et que les membres n'ont pas eu le temps de l'étudier. Ce qui est peut-être vrai, mais il ne fait pour moi aucun doute qu'on veut esquiver la question qui fait PEUR (4). Croyez-vous que Mgr de H. était favorable à cette intervention? Evidemment non. Mais ce qui m'a réellement étonné chez lui, c'est son opposition à la propriété individuelle du Noir, qu'elle soit coutumière (ce qu'il ne croit évidemment pas possible, puisqu'elle n'existe pas au Katanga, dit-il) ou même accordée par la loi aux indigènes des centres. . . J'ai chargé un peu l'exposé et fait un peu de rhétorique; c'est que je voudrais forcer la note pour susciter la réaction de M. Dumont et surtout de Dewaersegger l'auteur de la note (5). Signaler les abus est réellement difficile, car avec l'étatisme et le fonctionnarisme nous sommes vraiment exposés aux représailles et contre ces V. 1 et V. 2 (6) la mission reste désarmée dans l'état actuel du gouvernement. Nous simples missionnaires sommes donc obligés de nous taire. . Les cas auxquels je fais allusion dans la note sont arrivés ici tout près; je vais en parler au Gou-verneur (7) qui lui est bien disposé, mais ses fonctionnaires. . . Heureusement nous avons en-core le Substitut De Rode (je suis heureux qu' il vous a enfin écrit et que vous en avez profité pour le Conseil Colonial) mais il n'est plus procureur ff. Je vous laisse cette fois-ci, Cher Monsieur Sohier, mais je vous tiendrai à la hauteur des résul-tats de mes démarches auprès du Gouverneur pour les derniers cas survenus. Avec mes salutations toutes cordiales.
NOTES 1. E. Jungers (1888-1958), Gouverneur Général du 31-12-1946 à 31-12-1951 (BBOM VI, 562-566). Dans son discours au Conseil du gouvernement de 1951 (30-7 au 2-8) parlant-du décret de l'immatriculation, il souligne la continuité avec la politique de l'Etat Indépendant (Immatri-culation prévue depuis 1895): "Il n'est pas sans intérêt de souligner, en se référant à cette légi-slation de 1895, la continuité, quant aux principes de la politique Coloniale Belge" (Discours 1951, p. 6). Hulstaert publiait un long commentaire, s'apposant aux principes et aux législations avances par le gouverneur, qui finalement reprenait tout le raisonnement et théories de Sohier (Aequatoria 14(1951)95-102.) 2. Hulstaert fait allusion à Taylor Caldwell's, Tu combattras sans aide (Never victorious, never defeated). De longs extraits de "La 25e heure", copiés par Hulstaert se trouvent dans les Achi-ves Aequatoria. 3. Un mot semble manquer ici. 4. Dans une note (non datée), Hulstaert fait l'historique du refus systématique à partir de 1953 du Président de la Commission pour la Protection des Indigènes, Mr Dumont, de lui laisser pré-senter sa note. Mr Dumont avançait l'argument selon lequel les membres de la Commission n'étaient pas suffisamment préparés pour en discuter. (Arch. Aeq. 32.373-374 et 32.898). Dans une lettre-memoradum du 29-9-1955 à Dumont, il proteste contre cette attitude. (Arch. Aeq . 1082-1085). Dans sa lettre à Hulstaert Mr Dumont argumente comme suit: "Contester cette thèse, c'est mettre en question toutes les cessions de terres consenties par les indigènes jusqu'à présent, c'est ouvrir la porte aux plus vives réclamations des indigènes. Discuter dès lors devant les membres indigènes de la Commission les fondement même de notre conception du droit foncier, c'est mettre en doute l'honnêteté des transactions passées" (Arch. Aeq. 32.908-909). Hulstaert avait préparé une note pour la session de 1953 qui était retirée. Dewaersegger y a ré-pondu par une note "Droits fonciers" (Arch. Aeq. à laquelle Hulstaert a répliqué par le mémo-randum cité.) 5. Mr Léon Dewaersegger était à cette époque le substitut du Procureur général à Léopoldville. 6. Allusions à 2 types de bombes téléguidées, utilisées par les Allemands à la fin de la guerre. A cette époque, le Gouverneur était Mr. M. Deryck ami de longue date de Hulstaert.
[Lettre 66]
Bruxelles, le 26-VI-54
Cher Père Hulstaert,
J e tiens à vous féliciter vivement du dernier numéro d'Aequatoria, avec ces trois excellentes études sur le régime foncier qui se complètent (1). La vôtre tout spécialement approfondit et éclaire le sujet d'une façon qui lui donne pour le droit foncier (2) une importance égale à celle de votre livre pour le droit matrimonial. Je ne peux dire qu'elle renouvelle, parce que les don-nées essentielles subsistent, mais évidemment elle le complète par l'apport d'une importance primordiale, et analysées comme vous savez le faire. Pour l'étude de M. Mignolet dans le der-nier B. J. I. , avec aussi certaines notes de Jean, nous arrivons vraiment à une vue claire de ce problème si analysé. Pour moi, je vais, en vous citant comme source, ajouter cette année beau-coup a mes enseignements. Votre numéro et le tiré à part du P. Boelaert me sont arrives au moment où j'écrivais le deuxième d'une série de petits articles que je vais publier; dans le J. T. O. sur la question des terres indigènes, pour continuer l'action qui a commencé par l'article de M. Louwers. J'y exa-minais précisément les textes de 1885-86, et c'est dire que l'article du P. Boelaert venait à point nommé! Je l'ai cité, mais sans me rallier à son avis. Le P. mêle un peu les questions. Il faut trai-ter séparément 1885 et 1906 (4). A mon avis, la prise de possession par l'Etat en 1885 des terres qui, quoique propriété des communautés indigènes, n'étaient pas exploitées par eux de façon complète, est une expropriation, ou plus exactement une nationalisation, d'intérêt public. Ce principe de l'expropriation, ce droit supérieur de l'Etat dans l'intérêt général, est parfaitement légitime, c'est un droit naturel, pour employer cette expression consacrée. Mais le droit naturel apporte à ce droit deux limitation: d'abord une indemnisation, ensuite l'expropriation ne peut porter sur ce qui est nécessaire pour assurer l'existence des expropriés. Au lieu d'écrire un long article, je fais aussi une série de petites articles dont chacun n'examine qu'une seule question, pour mieux attirer l'attention à celle-ci. J'admire que vous combattez toujours avec énergie votre combat. M. Louwers auquel je les ai communiquées, a tenu à conserver lui-même vos lettres précédentes pour ses dossiers person-nels! Moi, je combats de mon côté; et je crois qu'on arrive malgré tout à des résultats, malgré les murs d'indifférence, d'intérêts, de mauvaise volonté, que l'on doit successivement franchir. Toute activité est freinée, mais il faut quand même garder le pied sut l'accélérateur. Malgré mes idées différentes sur bien de points, nous allons quand même au même but - et nous avançons, si lentement que soit! Je suppose que vous voyez le P. Boelaert: pour m'épargner une lettre, voulez-vous le remercier de son tiré à part et l'assurer de mes meilleurs sentiments.? Et vous cher Père Hulstaert, vueillez me croire, votre tout dévoué, A. Sohier
NQTES
1. Aequatoria 17(1954) n. l. Etudes de E. Boelaert, G. Hulstaert et R. Philippe. 2. Ibi, "Sur le droit foncier nkundo". 3. J. J. Mignolet, "Note relative à la tenure de la terre dans le groupe Munene de la Chefferie des Bakongolo, Territoire de Manono", B. J. I. 22(1953-54)189-99. 4.
cfr. Correspondance E. Boelaert - A. Sohier, lettre du 1 juillet 1954 (Archives Aequatoria CH nO 201).
[Lettre 67]
Bamanya, 4-7-54
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie beaucoup de votre aimable lettre et suis heureux d'apprendre que vous êtes toujours plein de vitalité et d'ardeur pour le bon combat. Et avec le nouveau gouvernement (1) ce ne seront plus uniquement des discussions scientifiques, nous irons au fond des choses et s'ils ont un peu la chance pour rester au pouvoir des années nous aurons ici les luttes sociales installées définitivement en attendant bientôt les partis politiques. C'est à cela qu'ils aspirent depuis longtemps. Dès le ministère Godding la question a été lancée et elle a continué à faire des progrès. Des fonctionnaires dirigent déjà des journaux politiques comme ici à Coq. Je serai avide de lire vos nouveaux articles sur le droit foncier. J'ai fait lire votre lettre au P. Boelaert (2). J espère qu'il reprendra la question que vous soulevez au sujet de la nature du texte de 1885. Je pense qu'il ne sera pas d'accord avec vous; ni moi-non plus jusqu'ici. J'ai l'im-pression que toute cette législation au fond se complète. Et quant au premier texte le législateur de l'époque pensait à mon avis sans aucun doute qu'il y avait en réalité de grandes étendues de terres réellement non appropriées par les indigènes etc. ce sont ces terres qu'il s'approprie, non celles qui tout en étant propriété des autochtones n'étaient pas exploitées par eux dans notre sens. Il faudra, je crois trouver dans les textes, les exposées de motifs etc. Les indications pour l'une ou l'autre explication. Enfin, nous attendrons le sujet des études et j'espère surtout que le P. Boelaert s'attellera à cette étude d'interprétation. L'article de M. Louwers sur la question me parait profondément regrettable (3) car fort dange-reux pour les indigènes. Sa thèse conduit directement à parquer les indigènes dans des réserves, ce que de nombreux coloniaux désirent de tout cœur. On continue de s'éloigner des organisations coutumières. On ne parle maintenant plus de sec-teurs composés de GROUPEMENTS. L'époque des chefferies est révolue. . . il faut que tout devienne un tissu de rouage administratif. Heureusement que Mr Dewaersegger au Conseil du gouvernement a défendu la thèse que la tutelle des indigènes doit rester au parquet. Dans les journaux ses arguments n'étaient pas fort brillants; mais enfin jusqu'ici on n'a pas transféré aux territoires. On y a beaucoup de partisans pour cela. . . Pauvres indigènes . . . Ce sera le retour à l'époque léopoldienne, ils ne seront plus protégés du tout. . . Car ce sont les l'A.T. qui doivent obtenir des résultats immédiats des indigènes au point de vue routes, cultures, prestations, cor-vées divers. . . Déjà maintenant il est ici difficile aux indigènes de voir un magistrat. . . que se-ra-ce alors? Chez qui pourra-t-il trouver protection? On parle aussi de dissoudre la Commission pour la Protection des Indigènes comme étant plus nécessaire maintenant qu'ils y a les Conseils de province, d'entreprises, TEPSI (4) etc . . . A une inspection à Ingende, 100 Km de Coq, on renvoie la bonne part de prisonniers et malades; quitte à les reprendre après l'inspection. . . Cela peut se faire près du chef-lieu de la Province. . . J'aurais beaucoup aimé que vous m'auriez donné quelques remarques au sujet de la note en-voyée et destinée à la Commission pour la Protection Indigène. Du moins l'avez-vous reçue il y a de nombreuses semaines? Peut-être à sous peu, si j'ai le temps. Et avec mes salutations cor-diales.
NOTES
1. Le gouvernement des socialistes-libéraux avec Buisseret aux Colonies restera au pouvoir en Belgique de 1954 à 1958. 2.
cfr. lettre du 1/7/1954 de Boelaert à Sohier (CH. 201, p. 61) 3. O. Lauwers, Le problème des terres indigènes, J. T. O. 15 mai 1954. Boelaert y répond dans Zaire, 1955, 133-142 avec le titre: Faut-il créer des réserves pour les indigènes? 4. TEPSI: Commission pour le travail et le Progrès 'Indigènes.
[Lettre 68]
Bamanya 19-1-55
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie des nos de votre Journal contenant les articles sur le droit foncier. Je vous fé-licite de ce bel aperçu et de la position courageuse sur un tas de détails dans cette matière si dé-licate. La défense des droits indigènes vient à son heure. Mais je ne suis pas d'accord avec votre tentative d'explication de la déclaration de la vacance des terres et domanialisation (1). Je com-prends mieux vos élèves souriant. La jeunesse est radicale et sent immédiatement une justifica-tion post factum, fabriquée pour le besoin de la cause. Nationalisation est à mon avis un ana-chronisme. Puis il me semble que même si le législateur avait à cette époque pu y penser, on ne pourrait appliquer ici ce terme tel qu'on l'emploie en France, en Angleterre et que les collègues socialistes voudraient l'installer partout. Au Congo, et ailleurs en Afrique, je crois plutôt qu'il s'agit d'une appropriation des terres par l'Etat, soi-disant pour le bien commun, donc expropria-tion camouflée sous le manteau d'appropriation de bien sans maître. On peut maintenant discu-ter sur la légitimité de cette expropriation, mais si l'on veut éviter le terme de spoliation, c'est à mon avis le seul qui pourrait convenir. Je pense d'autre part que le législateur croyait de bonne foi à la vacance d'immenses terres au Congo. De fait, il s'est trompé. Il a alors dû inventer la distinction de terres indigènes sous qua-lification de l'occupation; en y ajoutant "de quelque façon" en s'appropriant celles dont l'indi-gène ne tirait pas un profit permanent. Ces terres, comme il appert, étaient propriété des indigè-nes, il y a de nouveau expropriation, sans procédure. Invoquer le bien public ne peut valoir se-lon moi, puisqu'il n'y avait pas nécessité publique pour la nation congolaise ni même nécessité pour l'Etat de procéder de telle façon. L'Etat a besoin de terres; il a donc le droit d'exproprier ce qu'il faut et dans le respect de certaines procédures; mais de fait, il a exproprié en bloc plus qu'il n'y faut et souvent dans un but nettement commercial. Mais aussi je pense que cela n'était pas nécessaire et qu'il y avait un autre moyen pour concilier les besoins de l'Etat et les droits. Les doléances et les oppositions contre la politique foncière de l'Etat augmentent rapidement; et même des évolués des centres commencent à être gagnés à l'indignation (2). Et cela est grave pour l'avenir. Un commissaire de District me disait récem-ment que ce sont les missionnaires qui suscitent ces problèmes; je lui rétorquai que de fait les missionnaires sont presque les seuls Blancs à encore avoir des contacts avec les indigènes et donc à entendre leurs doléances. Ce qui est rigoureusement exact. Tout le personnel de l'Etat est éloigné de plus en plus de l'indigène et aucun discours ni aucune "revalorisation" n'y chan-gera rien. C'est phénomène d'évolution inévitable dans les circonstances données, il faut en prendre son parti, mais en contrebalancer les mauvais effets par une plus grande souplesse en-vers l'indigène et une indulgence pour ses réactions SI par hasard on les aperçoit. Il y a une af-faire en cours dans ce domaine (3) je vous joins les documents. Le prononcé de l'arrêt doit se faire dans 8 ou 15 jours en première instance. Je crains la condamnation de l'indigène, mais au-cune action indemnité ou au pénal n'est intentée, après les 3 mois d'incarcération au territoire. Je ne pense pas que l'indigène aura le courage de continuer plus loin; je n'en vois pas l'intérêt. J'ai l'impression qu'on cherche tous les moyens pour le débouter; car non seulement l'affaire est ancienne mais aussi on craint que d'autres indigènes ne se mettent à réclamer. Car pareils cas ne sont pas isolés dans la région en question; j'en ai connu personnellement où aucun des proprié-taires n'était présent à l'enquête et où malgré la remarque d'un des notables (un féticheur en-core) qu'eux tous n'avaient aucun droit sur le terrain et qu'il fallait appeler les propriétaires, ceux-ci n'ont pas été appelés et tous les notables ont mis le pouce pour cession de cette terre. Le cas en question ici est identique. Seulement, il est très vieux. L'indigène spolié prétend n'avoir pas eu connaissance de cette cession, ce que je peux fort bien croire, mais ce que les Blancs n'admettent pas puisque théoriquement il doit en avoir eu connaissance. On a trouvé encore une objection contre lui: il appartient à la lignée féminine. Cela sert bien dans les tribunaux. . . mais en droit indigène cela ne dit rien du tout. La question est: quelle est la famille ou l'indigène propriétaire (qu'il soit féminin ou masculin etc. n'a aucune importance, sinon pour la préséance et l'ordre entre les familles), deuxièmement: est-ce que ce clan ou famille a fait la cession; c. à. d. est-ce que le représentant (ou gérant dans votre théorie) coutumier a consenti à la cession? Dans le cas en jugement, le tribunal (j'y assistais) a déclaré, selon enquête de l'administrateur, que c'est la seule qui est faite, dans le territoire même des HCB. . . Pour autant que je puis juger du cas ayant en mains les dossiers et les déclarations du tribunal, l'indigène est dans son droit. Le seul point difficile est, selon moi, que le délai de réclamation est passé. Il prétend avoir tout ignoré, ce qui est bien possible vu son âge et l'absence de publicité réelle donnée à ces actes dans les régions de l'intérieur. On sait quelque chose de cessions mais on chasse tous les jeunes et on n'admet que certaines personnes triées. Puis on ne connaît les terrains cédés qu'au moment de l'exploitation. On écarte souvent les propriétaires et l'on évite donc qu'ils aient connaissance de ce qui s'est passé en réalité. Quelle est la valeur juridique de ces actes??? Notez qu'un magistrat me disait au sujet de cette affaire, que les indigènes étaient représentés par les chefs etc. . . et que ce n'étaient pas nécessairement leurs chefs coutumiers, mais n'im-porte lesquels, et que si le chef ou notable etc. . . consentait à la cession, elle était valide même en l'absence ou en l'opposition du chef du groupement propriétaire. . - ord. 26.1. 35. (4). Je joins toute la documentation (en copie) que je possède; elle me parait instructive et pourrait vous servir, pour votre documentation et pour les considérations dans votre journal. Vous avez là toutes les données, et comme il s'agit d'une affaire de justice, donc publique, vous avez toute liberté d'en traiter. Il en est de même du cas suivant, encore en cours. WIJIMA a été autrefois, après la guerre 45, relégué pour s' être opposé à une cession de terre à Coq. Le tout a été agencé par son ennemi personnel, le chef de secteur d'alors (5) qui voulait en profiter pour favoriser son parent, chef du clan apparentée ETOO qui ne possède plus un pouce de terrain, tout PRIS par l'Etat. Ce parent EANGA a reçu évidemment l'hospitalité du clan JOMOTO de Wijima, mais là il veut, s'impo-ser comme chef du groupement . MBANDAKA INKOLE, comprenant les deux clans ou famil-les. Il y a donc une affaire indigène, favorisée par l'administration, jointe à la question de jus-tice écrite. Revenu de relégation après x années, l'A. T. enjoint à Wijima de se tenir désormais tranquille et ne plus s'occuper des questions foncières, sinon. . . Il se tient tranquille et quand, peu de temps après, les TSF demandent un terrain dans le patrimoine de JOMOTO (terre ENTIEREMENT OCCUPEE au sens de la loi, donc terre indigène sans contestation) l'affaire est arrangée entre le chef de secteur, le chef de groupement et EANGA. Wijima n'est pas invité et, sur la menace de l'A. T. s'abstient de se présenter d'office. . Un an passé et les difficultés augmentent entre les deux indigènes, il s'y ajoute d'autres questions foncières (carrières etc.) Wijima se plaint à M. Brausch, A. T. connu pour sa connaissance des affaires indigènes et l'in-térêt réel qu'il y porte. Celui-ci fait renvoyer l'affaire au tribunal de secteur (il n'y pas ici de tri-bunaux inférieurs). Eanga cité 4 fois refuse de se présenter (pas de sanction évidemment) et exige l'affaire devant le tribunal de territoire (dont le greffier est son gendre) . . . Après exposé des plaidoyers des deux parties, l'A. T. intervient pour arrêter la procédure, et enjoint aux par-ties et au chef de secteur d'examiner l'affaire selon la procédure coutumière, sous la présidence du chef de secteur (donc pas coutumier, d'ailleurs le chef dans la coutume nia rien à voir dans ces affaires et le tribunal coutumier en dehors de la juridiction familiale était d'arbitrage sans juges fixes). Grande assemblée de toute la chefferie sur le terrain, mais position fixée d'avance; aucun examen des limites, refus d'appeler les vieux témoins membres des clans en litige, parole donnée à des patriarches d'autres familles habitant à 15 et 20 Km en ignorant les limites, des domaines si éloignés, etc. Il y a presque 2 mois de cela, et aucun verdict n'a été prononcé. Ma-nifestement on tire l'affaire en longueur espérant sans doute la disparition des vieux témoins. J'ai réclamé au Comm. Distr. qui a enjoint à l'A. T. de s'occuper de cette affaire. Celui-ci envoie son adjoint, auquel j'expose le cas et demandant que l'affaire se poursuive au tribunal. En même temps Wijima a porté l'affaire au parquet, qui attend le jugement du territoire. Après un mois, rien ne se fait. La réclamation de Wijima est dans le délai de 2 ans prévus. Que va-t-on faire? L'extension nouvelle prévue à Coq (avant qu'on ait bâti la première) se heurte à l'opposition du village à déloger. . . On parviendra à vaincre la résistance. Car aussi longtemps qu'existe la re-légation, l'arbitraire règne et jamais la justice ne sera assurée pour l'indigène. Croyez-vous qu'il aurait intérêt pour le premier cas HCB-LOKONDO, que celui-ci aille encore en appel? Il risque la relégation et le sait, mais voudrait essayer tout pour sauvegarder pour sa famille et les descendants assez nombreux un peu de terrain à eux. Il me serait agréable de re-cevoir une brève réponse à cette question de détail, afin de pouvoir conseiller en bonne connaissance et au mieux de ses intérêts cet indigène sans autre défense. Cet appel doit-il être introduit immédiatement après le jugement ou reste-t-il quelque temps pour réfléchir?
J'ai essayé personnellement auprès du directeur des HCB pour obtenir un compromis, puisque les HCB ne manquent pas de terres ni de moyens pour obtenir un échange en cas de rétroces-sion, mais ils ne veulent rien entendre. Il se font ainsi un tort moral certain, mais s'abstiennent quand-même. TSF vient de demander un nouveau terrain, cette fois, à LOLIFA. Là le capita et les deux juges sont favorables à la cession, mais les autres patriarches s'opposent. Le terrain demandé 125 ha (ou éventuellement 100) et appartient à plus d'une famille; les non officiels ne s'opposent pas à l'installation des TSF sur le terrain, qu'ils veulent délaisser, bien qu'ainsi il leur restera juste le strict minimum nécessaire, mais ils ne veulent pas accepter de l'argent; donc en français, ils permettent l'usufruit et l'usage pour un temps indéterminé, mais ne veulent pas vendre leur terre, dont ils veulent conserver la propriété. De nombreux indigènes sont ici partisans de cette formule de collaboration entre Blancs et Noirs. Quand je suis allé mardi au tribunal pour l'affaire LOKONDO, j'ai invité avec moi deux indi-gènes, dont un juge du tribunal du territoire qui s'intéressent fort aux questions foncières. Ils n'ont d'abord pas voulu, puisque aucun INDIGENE n'y est admis, ils sont systématiquement refoulés par la police. Je leur rétorquai que les audiences sont publiques et que donc personne ne les chasserait. Nous avons fait parti et évidemment, on ne les a pas chassés (à cause de ma compagnie, évidemment. . . ); j'estime qu'il est une bonne chose que des juges indigènes assis-tent aux séances de tribunaux européens. Et j'espère que l'exemple portera et que d'autres es-sayeront de s'y rendre; ce sera difficile au début, à cause de l'attitude générale des Blancs et de la police. On verra. Voilà de quoi vous ravir les modestes moments de loisir dont vous dispo-sez. Je suis disposé à fournir de plus amples détails sur ces questions. Cette fois-ci au moins j'ai fait autre chose que vous ennuyer par mon bavardage et je vous apporte des faits nets et publics sans que je doive vous demander de taire noms et circonstances. Une petite réponse pour les points pratiques directs et immédiats pour l'affaire LOKONDO me fera plaisir; le reste ne presse pas. Excusez mes nombreuses fautes de frappe: c'est toujours en hâte; mais je pense que le texte sera plus lisible que si j'avais écrit à la main. Avec toutes mes meilleures salutations.
NOTES 1. A. Sohier, Les terres indigènes, J. T. O. 1954, p; 115-116 ss.
cfr. lettre 66, note 5. A ce pro-pos Hulstaert écrivait à Van Wing le 25-12-19-54: "Il s'agit d'une circulaire citée par Sohier dans son étude regrettable sur les droits fonciers dans le Journal des Tribunaux d'Outre-Mer. Il s'agit du paiement des indemnisations à la caisse du Secteur à la place des propriétaires.
2. L'indignation dont parle ici Hulstaert est celle exprimée par les correspondants de la revue
dirigée par Boelaert, "Etsiko", ainsi que les considérations de ceux qui avaient répondu à
l'en-quête sur la question et publiée en lomongo-français: Bomeko wa ngonda ikiso. Le problème de
nos terres. N° spécial de Etsiko; s. d. 16 pages avec liste et résumé des 32 réponses. De l'au-tre
côté Mr Justin Bomboko publie une série d'articles dans le périodique du service de l'infor-mation:
Mbandaka (20-11-54; 27-11-54; 4-12-54; 11-12-54; 18-125 ) Il y défend servilement l'opinion de
l'Administration: "D'ailleurs, après explications fournies par Delrue, chef du bu-reau de l'A. I. M.
O. tous ont dû connaître que l'indigène était suffisamment protégé. La polé-mique continuera dans
Lokole Lokiso sous la plume de Augustin Elenga, Paul Ngoi et beau-coup d'autres jusq'en 1958. 3. Il s'agit ici de l'affaire Huileries du Congo Belge (H. C. B. ) contre Lokondo à Flandria (Bo-teka). 4. Ordonnance du 26-1-1935. L'interprétation donnée par le magistrat évoqué ici, est en contra-diction évidente avec les termes de l'ordonnance. 5. Tswambe (lire G. Hulstaert), Tswambe, notable", dans Mbandaka, hier et aujourd'hui, Etudes Aequatoria 10, Bamanya, Mbandaka, 1990, p. 112-115.
[Lettre 69]
24. I. 1955
Mon cher Père Hulstaert,
En hâte, je vous remets copie de la lettre que il adresse au Ministre des Colonies (1). Lokondo a délai d'un mois après que le jugement lui aura été signifié pour interjeter appel. Qu'il ne dise donc pas qu'il renonce à interjeter appel. Et même s'il lui est interjette, il pourra toujours se désister si un compromis lui est offert. Cette affaire est un test. Evidemment, la. juridiction à première vue doit donner l'ordre de déguerpissent puisque la terre est enregistrée. Si on veut faire de la procédure, pour laquelle il faudrait un excellent avocat, on s'engage dans un véritable guêpier. Mais il me semble que le gouvernement doit intervenir devant les conséquences Politi-ques possibles de l'affaire. Cordialement à vous. Mon fils est revenu samedi de Chine et après, [illisible]
A. Sohier
NOTES 1. Voir annexe n°2 dans Annales Aequatoria 18(1997)206-207
Bamanya, le 15. 2.55
[Lettre 70]
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement pour votre aimable lettre du 24 et pour les bons conseils que vous m'y donnez. Je suis particulièrement heureux d'apprendre le retour de Chine de votre fils Al-bert. Au début, je ne savais que conclure, puisqu'il était annoncé il y a des années comme décé-dé en prison communiste. Mais le lendemain de votre lettre, la radio annonça ici la même nou-velle. Je comprends parfaitement votre grande consolation à avoir retrouvé votre fils après tant de souffrances et combien vous rendez grâce à Dieu (et moi avec vous). Sa mère aura assisté du ciel au spectacle réconfortant (1), mais elle l'avait déjà suivi de plus près, et ni est sans doute pas étrangère aux événements. Je viens d'envoyer à votre fils Jean des documents commentés pour le Bulletin (2). Je n'ai guère de loisirs, mais comme j'ai eu à m'occuper de certaines affaires de justice sur le mariage, j'en ai profité pour collaborer encore une fois au bulletin. Quant à l'affaire Lokondo, j'apprécie énormément la peine que vous vous êtes donné e à ce su-jet et jusqu'à écrire au ministre. Nous allons voir ce que cela donnera. Entre-temps la sentence a été rendue et évidemment Lokondo a été condamné. J'ai assisté à l'audience et la condamnation est fortement motivée: enregistrement du terrain, enquête faite par l'A. T. et le géomètre Untel, où l'on a constaté des droits de chasse, de cueillette etc. plus deux petits champs dont les cultivateurs (Lokondo n'est pas du nombre) ont déclaré vouloir cé-der leurs droits mais pas question des JACHERES. Le jugement relève la plantation d'une pe-tite palmeraie (en fait plus de 3000 palmiers au dire du propriétaire et de son fils), mais il ne dit rien sur une indemnisation. L'ignorance de Lokondo sur la cession n'est pas acceptée par le juge, car l'enquête est publique et de ce petit village au moins 3 hommes ont été convoqués; mais il n'est pas question d'ignorer l'enquête, mais que la terre LOKONDO est inclue dans le bloc cédé; il ne nie pas avoir connaissance de l'enquête, au contraire, mais n' ayant pas été convoqué et n'ayant jamais vu de bornes près de son terrain, mais bien plus loin, il estimait qu'il n' était pas dépossédé (il y a donc une certaine méprise du juge, cf. mes documents annexés à ma lettre précédente). Pour infirmer ses droits coutumiers, une réunion a été tenue dans la chef-ferie avec les notables de la chefferie ou du secteur (je l'ignore exactement) sous la présidence de l'A. T. et il y a été déclaré que LOKONDO n'avait pas droit direct et que l'indigène du vil-lage qui a signé la cession représentait le clan. J'ignore ce qui a eu lieu exactement, mais cela ne peut pas être en règle. Je sais qu'il est possible de faire une réunion pareille et d'obtenir déclara-tions de VIEUX intéressés et ne parlant que chacun pour son petit groupe. Le cas s'est encore récemment présenté ici à Coq même pour un cas semblable (mais où les deux ans pour l'opposi-tion ne sont pas encore écoulés. . . N. B. entre-temps l'indigène a porté son cas devant le tribu-nal de territoire qui ne tranche pas et est maintenant talonné par le substitut pour s'occuper de l'affaire dont il a été saisi; on y voit donc les manœuvres; je vous tiendrai au courant de ce nou-veau cas fort instructif). Je n'ai pas de copie de jugement sinon je l'aurais incluse. Les HCB ont demandé la signification officielle du jugement au condamné; ce qui se fera sans doute d'ici 10 ou 15 jours. Il aura encore ensuite 30 jours pour l'appel, PLUS me dit-on ici, un bon mois à cause de la distance de son domicile d'ici. Seulement l'ordre de déguerpissement est exécutoire même en cas d'appel. L'indigène devra payer environ 100 fr de frais, s'il interjette appel cela lui coûtera encore 2000 fr d'inscription, plus 1000 fr frais de début. Plus il DOIT me dit-on ici, prendre un avocat. A moins, ajoute-ton que le Procureur général comme tuteur offi-ciel des indigènes, fasse lui-même l'avocat ou qu'il demande un PRO DEO à cause de la pau-vreté (réelle) de l'indigène. Voilà des difficultés de fait pour l'appel. Je pense que je vais écrire à Mr Dumont pour lui demander si ces solutions d'aide et d'exception pourraient être envisa-gées sinon pas question d'appel ultérieur (à Léo). Vous voyez d'ailleurs de ce qui précède sur le jugement de Coq, qu'il y a eu peu de chance que Lokondo gagne son affaire à Léo où le droit coutumier est encore plus ignoré. Nous connais-sons d'ailleurs les théories du Parquet général dans cette question, malgré un grand degré de condescendance pour les indigènes. Voilà l'état actuel. Dès que LOKONDO aura reçu la copie officielle lors de la signification, je lui demanderai de me l'envoyer et je vous en ferai une copie; cela sera toujours fort instructif, je crois. Je vais écrire à Lokondo (par intermédiaire sachant lire; un parent à lui; son fils sait lire et écrire lui aussi, mais il travaille à l'IRSAC au Lac Tumba) pour lui demander l'envoi de la copie. L'an prochain finit le contrat tripartie HCB dans la région et il y a beaucoup de chance que le gouvernement ne admettra plus le renouvellement dans la forme présente. Nous verrons, mais les HCB feraient bien d'écouter mieux l'opinion indigène. . . [la finale manque]
NOTES 1. La femme de Sohier était décédée fin 1951. 2. Jugement de l'Équateur, B. J. I. 23(1955)49-68. La question des juridictions indigènes était débattue dans une vive correspondance entre Hulstaert et Jean Sohier (3 + 2 lettres entre 23-2 et 24-6-1958). Entre 1946-1967 ils échangèrent 11 + 16 lettres, défendant avec verve chacun sa position parfois totalement opposée en matière de colonisation.
[Lettre 71]
25. II. 55
Cher Père Hulstaert,
Je doute en effet que l'appel soit utile. Etant donné l'attitude prise par le parquet, il est peu pro-bable que parquet général de Léopoldville soutienne à fond notre protégé et comprenne l'af-faire. D'autre part, le Noir a certainement le droit d'obtenir la procédure gratuite et un avocat d'office. Mais qu'est-ce que cet avocat comprendra à l'affaire? Bien que je sois convaincu du bon droit de votre homme en équité, il me paraît certain que dans l'état où sont les choses, la terre étant enregistrée, il est extrêmement difficile d'obtenir une autre décision de la cour d'ap-pel. Je vous ai dit que j'avais saisi M. le Ministre en insistant sur ce fait que, quel que soit le droit d'après notre législation, cette affaire pourrait un jour faire l'objet d'une propagande commu-niste ou anticolonialiste, et qu'il fallait à tout prix essayer de l'arranger. Je sais que M. Van Hove (1) et M. Staner (2) l'ont examinée. A quoi pourront-ils aboutir? Je l'ignore! Des cas de ce genre doivent être nombreux, et on se heurte à la double résistance des intérêts et de certains juristes qui ne voient que le droit, en ignorant tout des réalités indigènes. Je vous ai recommandé de ne pas renoncer trop tôt au droit d'appel, parce que la crainte d'un arrêt d'appel dont s'emparerait la propagande peut jouer un rôle. Mais je ne puis conseiller d'al-ler au-delà, et d'interjeter l'appel. Evidemment, on a toujours agi dans ces questions, d'une part en accordant aucune importance au droit indigène, d'autre part, en ignorant complètement ce qu'il était. D'où des erreurs [illisi-ble] de bonne foi, qui créent des situations inextricables. Puisse la crainte des Mau-Mau, de l'ONU et de l'URSS être parfois le commencement de la sagesse. Bonnes amitiés, mon cher Père. Mon fils est beaucoup mieux qu'on ne pourrait le craindre, mais je ne parviens pas à obtenir de lui qu'il prenne le repos que le médecin lui prescrivait.
Sohier
NOTES 1. J. L. J. Van Hove, Inspecteur Royal des Colonies et Directeur général du Ministère des Co-lonies. 2. P. J. Staner. , Inspecteur Royal des Colonies.
[Lettre 72]
[sans date; mi-mars 1955]
Cher Père Hulstaert,
Voici votre article (1). Jean l'a lu, vous en remercie, et pas plus que moi ne vous demande de changement et d'addition. C'est très bien. Je suis submergé de travail par la commission de réorganisation judiciaire, sans compter les au-tres. Une petite histoire, mais ne la racontez pas. Brausch (2) désirait un cours de plus à l'Unutom (3). Mais trois autres professeurs plus anciens le désiraient aussi, et il était impossible de faire passer avant eux. Alors qu'a décidé le conseil à la suggestion du cabinet (4)? De créer quatre nouveaux cours afin de pouvoir les nommer tous les quatre. N'en dites rien, mais cela vous dit où on en est. Le Ministre fait retirer de toutes les bibliothèques le fameux rapport sur les écoles (5) !
NOTES 1. Il s'agit de: Jugements de l'Équateur, dans B. J. I. 23(1955)3, 49-68 (en collaboration avec Jean Sohier quant aux commentaires). 2. G. Brausch, (1915-1964). BBOM VII-B, 35-36 et correspondance Hulstaert n. 27 (microfi-ches 26 et 97), Archives Aequatoria. Il enseignait à l'Inutom de 1954 à 1958. 3. Inutom: Institut Universitaire des Territoires d'OutreMer à Anvers. 4. Ministre des Colonies à cette époque était A. Buisseret (1888-1965),cfr. BBOM VI, 136-144. Le ministre voulait y favoriser un collaborateur de cabinet qui était Brausch à cette époque. 5. Il s'agit du fameux rapport de la Mission pédagogique Coulon-Deheyn-Renson. La réforme de l'enseignement au Congo-Belge, décembre 1954, Ministère des Colonies, Conseil Supérieur, de l'enseignement, publication n. l, 364 pages. Le rapport qui est très négatif pour les écoles des missions (surtout catholiques) avait provoqué une réaction véhémente de la part de celles-ci.
[Lettre 73]
Bamanya 3. 4. 55
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie de votre lettre du 25/11. Entre-temps j'ai pu obtenir copie du jugement LOKONDO par lui-même. Je l'ai fait copier et vous joins une copie de la lettre que j'ai adressée au Procureur Général Dumont de Léopoldville. Mais dans la capitale on paraît être TOUJOURS surchargé de besogne et plus on augmente le nombre de personnel pour suffire à la besogne et plus grand devient le manque de ce personnel; c'est à Léo en grand ce que nous constatons en petit p. ex. à Coq. De sorte que l'augmentation du personnel ne résout rien au contraire, cela fait l'effet dans l'administration d'un cancer qui se mange lui-même, s'étendant toujours davantage jusqu'à la consommation par auto-destruction. Dans la copie de jugement deux points à remarquer p. 3 al. 3 comme exposé précédemment Lokondo ne prétend pas que l'enquête est ignorée, mais ce qui est ignoré c'est l'inclusion de telle ou telle terre, puisque les propriétaires ne sont pas présents à l'enquête; et souvent les vieux qui sont admis ne vont pas regarder sur les lieux; ils sont vite fatigués et se contentent de faire signe de consentement de fort loin. P. 3 al. 4 enquête contradictoire. . . les patriarches ré-unis là ont, en effet, donné tort à Lokondo d'après des témoignages d'autorités sérieuses qui étaient présentes, p. e. parce qu'il arrive beaucoup trop tard pour sa palabre, et pour d'autres motifs encore, me dit-on, mais j'ignore les détails, mais de toute façon il n'y a pas été dit que Ntando Ilengu représentait coutumièrement les deux clans ce qui serait une hérésie juridique trop flagrante dans le droit nkundo; c'est proprement impensable, mais c'est bien en accord avec l'opinion que se fait l'administrateur et l'Européen en général du droit indigène. . . Mais évi-demment le tribunal doit ajouter foi à ce document administratif. Al. 7 l'ignorance des indigè-nes au sujet de la loi écrite est et reste entière, le juge joue sur les mots. Al. 10 aucune autre mention n'est faite de cette palmeraie que l'indigène prétend dépasser les 3000, p.e. pour la pos-sibilité d'indemnisation en invoquant la bonne foi (comme je l'ai suggéré dans la lettre au Pro-cureur Général). Pourquoi? Je sais seulement que l'A. T. au début de l'affaire a promis à Lo-kondo de lui obtenir indemnisation des palmiers s'il se tenait tranquille mais Lokondo a voulu conserver et sa terre et les palmiers et l'A. T. n'a plus fait d'efforts pour lui obtenir des HCB l'indemnisation. On ajoute que nombre d'indigènes de la région ont poussé Lokondo à maintenir ses droits et à aller en justice, par malveillance envers la Cie mal vue. Entre parenthèses, le contrat tripartie expire l'an prochain et dans les milieux administratifs on prétend qu'il ne sera plus renouvelé dans la même forme. Il a déjà été grave qu'il l'ait été en 39 (il avait une forte opposition au Conseil Colonial pour des motifs que je viens de relire et qui sont fort pertinents, ayant été confirmés par les faits. . . Mais je pense que les HCB ne désireront plus ce renouvellement puisqu'elles ont tout obtenu tout ce qu'elles voulaient et que pour le reste, la loi sur les zones huilières suffira à la protection de leur monopole). Je doute fort que la crainte des MAUMAU, UNO etc. agisse efficacement sur nos chefs politiques. Ils sont comme nous tous: c'est pour les autres, nous autres Belges, avons le bon sens traditionnel etc. (le commentateur de la Radio ne citait-il pas ces paroles à propos de la manifestation du 26-3 comme les Français le citent à propos de chacune de leurs crises gouvernementales, c'est toujours le bon sens traditionnel qui sauve le pays mais dont on ne voit jamais trace chez les dirigeants. . . ) On continuera donc ici comme auparavant. On essayera tous les arguments pour maintenir le statu quo. . . n'avez-vous pas essayé un nouvel argument dans votre étude sur la matière comme Louwers a fait le sien? Tout cela évidemment pour essayer de sortir de l'impasse sans cesse. . . Mais plus on attend plus grave et violente sera la réaction. Si les évolués dans leurs organes officiels en parlaient, il y aurait peut-être moyen d'obtenir quelque chose, car d'eux on a réellement PEUR. Mais ce sont des gens pour la majorité au ser-vice du gouvernement, qui ont rompu les liens avec l'intérieur, qui n'ont aucun besoin des terres et ne sentent pas en paysan; plus d'un parmi eux est ancien esclave ou descendant de clans assu-jettis sans propriété foncière; d'autres, comme notre rédacteur général de Mbandaka (1) sentent bien le danger mais sont liés à l'administration pour leur "carrière". . . Et cependant, au jour J ces mêmes évolués en révolte, brandiront ce slogan, tout comme les communistes emploient déjà la question foncière dans leur propagande congolaise (cfr. Eur-Mag. ) (2). Les indigènes ne sont opposés à l'installation parmi eux des Blancs même en nombre, mais ils ne veulent pas se voir spoliés de leur terre, et souvent ils ne veulent même pas la céder mais seulement la louer, ou en céder l'usufruit. Pourquoi n'a-t-on pas recouru à cette formule si sim-ple, tout comme maintenant le colon loue à l'Etat? Et s'ils cèdent leur terre, ils veulent en conserver une bonne part pour eux-mêmes et céder l'autre partie volontairement et dans les rè-gles du jeu. . . A la prochaine réunion de la Commission pour la Protection des Indigènes, je reviendrai à la charge pour cette question; je sais que cela me fera courir le risque très réel de ne pas être re-nommé pour un deuxième quinquennat; tant pis ou tant mieux, selon les points de vue; mais j'estime cette question de toute première importance pour l'avenir pacifique du Congo tout comme la question de la relégation (3), mais là j'ai été battue sur toute la ligne, et il ne faudra pas songer à revenir à la charge. Mais je maintiens mon point de vue qu' il faudrait abolir la re-légation ou bien en faire une sanction adoptée par le code pénal, donc soumise aux règles de la justice, soustraite à l'arbitraire administratif. Vous ai-je dit que des magistrats haut placés interprètent l'article 2 du décret du 26 janvier 35 comme si la présence des chefs et notables DESIGNES et NOMMES par l'administration plus des anciens ayant droit etc. (ayant droit ne qualifiant que ANCIENS) suffit pour aliéner juste-ment des terres, et que la présence des propriétaires coutumiers n'est pas requise selon ce texte, puisqu'ils sont légalement représentés par ces chefs, notables et anciens? De fait les enquêtes dans cette région ont toujours été faites selon cette interprétation. Donc le texte est EQUIVOQUE sinon en lui-même, du moins dans la mentalité et l'administration qui veut abso-lument garder les mains libres vis-à-vis des simples indigènes pour les diriger selon ses propres vues pour leur. . . bien. Le P. V. Wing a une copie de ma note pour le Procureur Général sur la question. Avec mes salutations très cordiales,
NOTES 1. Titulaire de cette fonction: Justin Marie Bomboko. 2. Allusion à un texte que je n'ai pas contrôlé. Dans le n. 4 d'Aequatoria 18(1955)151-152, il cite un texte aux arguments semblables tirés du livre de G. D'Iterren et André Villers, L'Afrique Mouvante, 1954, 232-237. 3. L'intervention de Hulstaert sur la question de la relégation en 1953 et 1955. Voir Annales Aequatoria 13(1992) 538-545.
[Lettre 74]
[sans date]
Cher Père,
Un mot en vitesse: si vous écrivez sur la part qui revient au droit et à l'ethnographie quant à l'application et à la recherche du droit coutumier, de grâce lisez d'abord mon compte-rendu du Symposium d'Amsterdam (1) dans le J. T. O. 1955 pp. 108 et 137 et le vœu adopté par la conférence de Bukavu, J. T. O. p.153. Vous verrez qu'il est toujours question de coopération entre juristes, ethnologues pour le relevé et la codification des contenus. Puis lisez l'article sur le même sujet du très dangereux Brausch, Problèmes d'Afrique Centrale, 1955 p. 198. Essayez de ne pas tomber trop dans le panneau qu'il tend à la fin, et dans sa cam-pagne pour réserver à son petit groupe de l'U. L. B. le monopole de ce qu'il appelle le droit cou-tumier (Brausch a assisté au symposium sans y ouvrir la bouche et son mémoire n'à été inséré dans les actes du symposium comme n'ayant aucun caractère juridique). Cordialement à vous et merci pour votre lettre.
NOTES 1. Il s'agit du symposium de l'Afrika Instituut de Leiden mais organisé à Amsterdam du 12 au 16 avril. J. T. O., 1955, p. 108-109 et 139-140.
[Lettre 75]
Bamanya, 25-10-55
Cher Monsieur Sohier,
Il y a une éternité que je n'ai plus donné signe de vie. Excusez-moi; je suis toujours très pris. . . comme tout le monde, au fond. Je vous annexe quelques notes qui peuvent vous intéresser. Le grand format est la note que j'avais destinée à la Commission pour la Protection des Indigènes et que M. Dumont m'avait demandé de retirer, comme vous le verrez dans ma réponse. En discutant avec lui de ces questions, il m'arriva de citer l'explication donnée par le Conseil Colonial sur l'article 1 du décret du 12. 6. 51, sur l'occupation illégale des terres lors de l'amen-dement 15. 12-53. Le Procureur Général répondit qu'une explication ou interprétation du Conseil ne fait pas loi et que par conséquent c'est le texte tel quel qui fait loi, donc dans sa gé-néralité; la restriction faite en faveur des indigènes sur leur propre terre ancestrale ne compte donc pas pour lui. De fait, il y a deux semaines un indigène ayant été tout près d'ici réprimandé par l'administration parce qu'il exploite une carrière de limonite pour la vente aux entrepreneurs européens et avec l'emploi de main d'œuvre, sans qu'il verse une partie de ses bénéfices à la caisse du secteur, a demandé l'autorisation (après refus d'une concession de 10 HA sur sa pro-pre terre parce que le secteur est réputé sursaturé depuis un an) d'exploiter la limonite. Il a dû la faire dans la forme comme les Européens et avec les mêmes conditions (rapporte relevé trimes-triel, payement d'impôt, etc. ); mais le conservateur des titres fonciers prétend que ce n'est pas légal et que l'indigène est dispensé de toutes ces conditions; nous verrons si l'A. T. changera d'avis après cela. Il semble donc que l'administration congolaise maintienne son point de vue qu'un indigène ne peut utiliser sa terre indigène (occupée) que pour des activités "coutumières" au sens le plus strict. Je suis très heureux de vous féliciter pour votre nouvelle étude (J. T. O. ) (1) reprise dans Cou-raf. (2). Je pense qu'elle fera faire des progrès énormes à la solution du problème; quoique je sache que NOMBREUX sont les coloniaux de tout ordre qui craignent réellement de reconnaî-tre les droits indigènes; il règne ici une sorte de peur instinctive devant le geste franc de com-préhension et de collaboration, lancé par le G. G. ou par d'autres. D'ailleurs le G. G. vise surtout les relations personnelles et sociales; il semble que perdre de vue que la JUSTICE est un point au moins aussi important (mais il ne peut le connaître, vivant loin de l'intérieur et des indigènes ordinaires, tandis qu'aucun de ses services ne le renseignera). Cela ne veut pas dire que je suis convaincu de votre position, mais le point important est, selon moi, que vous envisagez la question dans son ensemble, politique compris, donc la réaction de l'indigène. Il faut absolument qu'on arrive à le contenter de la solution qui sera donnée; ses ré-actions doivent donc être l'un des points essentiels du problème. Donc il faut, selon moi, avant tout trancher le débat en stricte justice et morale: ensuite seule-ment chercher avec lui des solutions aux cas pratiques souvent impossibles à résoudre en pure justice. C'est d'ailleurs la procédure coutumière des Noirs, on dit la justice, désignant gagnant et perdant, puis on les "sermonne", on tache de réconcilier, on cherche une solution mitoyenne d'apaisement mais cet apaisement n'arrive jamais, pour autant que je connais au moins les MONGO, aussi longtemps que le débat n'a pas été clairement tranché selon le droit. Vous avez d'ailleurs fait des remarques identiques au Katanga (rappelez-vous le cas de la chèvre que les deux antagonistes ont dans la suite mangé ensemble en toute amitié). Pour faire accepter aux indigènes votre troisième solution: sorte de nationalisation avec com-pensation = bienfaits apportés par nous, j'ignore quelle serait la réaction indigène; il faudrait soumettre le cas à un examen spécial et sérieux. Si elle peut être acceptée par eux, ce sera un grand pas fait en avant. Mais il faudra alors qu'avant tout ils soient convaincus de notre bien-veillance et de notre sincérité et de la pureté de nos intentions. Or je crains fort que nous nous en éloignions toujours davantage Ce n' est pas la démagogie actuelle (quel qu'en soit d'ailleurs le motif qui est peut être excellent, je l'ignore) qui y changera rien, bien au contraire me sem-ble-t-il. Aussi longtemps que l'indigène se croira constamment victime de la spoliation par des Blancs, surtout par l'Etat, je crains que nous n'arriverons nulle part. Il faut donc absolument que cesse "l'état de guerre" latente (encore actuellement les indigènes d'ici ont le sentiment que l'Etat leur veut du mal et n'ont pas confiance du tout dans ses intentions, et ils parlent encore de la "guerre des Blancs" comme actuelle). Toute injustice (en leur idée, s'entend) au sujet des ter-res doit disparaître; les fonctionnaires doivent apprendre à observer les lois qu'ils imposent aux sujets (vous l'avez heureusement et finement fait remarquer dans votre étude, sub fine). Des faits comme ceux signalés dans ma lettre au Procureur Général doivent cesser, et cela non seu-lement près des centres, mais au fond de la brousse. Sinon reviendront constamment les souve-nirs de tous les actes de spoliation même les plus reculés comme ceux de l'Etat Indépendant (qu'on ne manque jamais de rappeler quand un cas récent est discuté entre indigènes); même les cessions volontaires mais sous la pression de la peur ou de la ruse du Blanc. Seulement lorsque, par l'absence des actes critiquables la paix et la confiance seront revenues, pourrons-nous son-ger à faire un effort pour leur faire accepter votre thèse. C'est du moins mon opinion person-nelle. S'agit encore de voir, ensuite, si les indigènes, évolués ou ruraux, sont tellement convain-cus des bienfaits que nous leur avons apportés. Ils savent évidemment qu'il y a de nombreux bienfaits; mais sont-ils relativement dans leur idée supérieure à ce qu'ils ont perdu ou croient avoir perdu? Puis supportent-ils qu'on leur rappelle leur devoir de gratitude? En général, les hommes, Blancs ou Noirs, et surtout LES PEUPLES n'aiment pas du tout pareils rappels. . . C'est une arme à manier. . . Autre cas qui se posera dans certaines régions: tripartite HCB. Il y a des difficultés ici. Ailleurs aussi, me dit-on. Le contrat est à renouveler l'an prochain pour cette région. En fait, ce sont le Chef administratif (je rappelle qu'ici il n'y a pas des chefs coutumiers, et des chefs n'ont aucun droit sur les terres, exc. sur celles de leur propre famille) et les capitas nommés et les notables (qui ne représentent en droit indigène chacun que sa petite famille et qui ne comprennent géné-ralement pas ce dont il s'agit) qui décident de ce contrat et qui prennent donc des engagements au nom de personnes au nom desquelles ils n'ont rien a engager coutumièrement; des indigènes sont soumis à des obligations imposées par ces "autorités" soi-disant coutumières mais de fait non-coutumières, sinon, par fiction de l'administration. D'où le mécontentement des indigènes économiquement progressistes qui sont continuellement freinés mais qu'on ne consulte pas. Pa-reilles situations doivent donc également disparaître si l'on veut arriver à une solution qui pèse toujours comme épée de Damoclès sur les indigènes qui voudraient réclamer ou défendre leurs droits fonciers ou exprimer leur mécontentement de l'agissement de l'administration. En un mot, il faut absolument préparer une clarification de l'atmosphère générale régnant dans les mi-lieux indigènes. Quelques points de détails: 1. Le Concessionnaire aurait à payer au groupement un loyer ainsi qu'une sorte de tribut à l'au-torité politique indigène. Il faudrait spécifier ce qu'on entend par autorité politique indigène. 2. Inaliénabilité. Vous connaissez les "découvertes" que j'ai faites ici à ce sujet; que pensez-vous du raisonnement qu'elles m'inspirent, et des opinions exposées dans ma lettre annexée? 3. Avez-vous pris connaissance de l'article d'un abbé noir Mukongo dans CourAf un peu avant celui qui reprend votre étude? 4. Danger de mainmorte ne devrait pas nous empêcher de faire justice aux droits indigènes; quitte à trouver une solution si nécessité s'impose en nous basant sur d'autres droits primant ceux des indigènes; d'ailleurs d'ici là, la mentalité aura évolué il ne faudrait pas que les Blancs (et une grande partie ne manquera pas de le faire) se rattache à ce danger pour refuser de solu-tionner le problème, comme Mgr de H. s'oppose à la propriété privée des indigènes parce qu'il y aurait des difficultés quand il faudra construire un jour un chemin de fer ou ouvrir une mine. En effet, vos considérations sont un pas CONSIDERABLE dans la voie de la solution. J'espère que vous continuez à agir comme la bonne demoiselle du LAROUSSE. Les têtes coloniales sont dures, il faut frapper continuellement. Beaucoup n'entendent pas les leçons des autres co-lonies en Afrique ou ailleurs. . . Il y a surtout beaucoup d'incompréhensions, et non le moins dans le service territorial. . . qui craint surtout la perte de son "prestige et qui d'ailleurs se croit "docteur en Israël". L'étatisme est une maladie insidieuse mais extrêmement grave. . . Vous avez connaissance du nouveau règlement FOBEI (3) refusant tout crédit ou subside aux oeuvres éducatives ou médicales des missions, parce qu'elles ne sont pas en milieu coutumier. Bien que les missions soient soumises au chef "coutumier", au tribunal indigène, etc. . . Donc il faut que les écoles etc. soient construites sur terres indigènes. . . Comment procède-t-on? Enquêtes préalables? Puis, on construit sur une terre X. A qui appartient-elle en droit cou-tumier? Ici pas à la chefferie comme on le suppose au FOBEI, comme ministère, comme sou-vent à l'administration. . . Résultats pour l'avenir??? Personne ne semble se poser la question; tout se passe comme s'il suffit de nuire aux missions, le reste n'ayant aucune importance. Je crois d'ailleurs qu'il vaut mieux ne pas réveiller ce chien et de laisser marcher les affaires; il y aura là peut-être une solution pour redresser biens des situations avec un changement (éven-tuel? Possible?) des forces politiques. Avec mes salutations les meilleures et mes vœux sincères pour un excellent résultat de votre action.
NOTES
1. A. Sohier, Le problème des terres indigènes, J. T. O. 1955; 125-128 dans Le Courrier d'Afri-que du jeudi 22 septembre 1955, p.13-14. 2. CourAf: Courrier d'Afrique Je n'ai pas pu identifier l'article de l'abbé Mukongo. 3. FOBEI: Fonds du Bien-être indigène, organisme de l'Etat créé après la guerre, favorisant le développement rural.
[Lettre 76]
17-XII-1955
Très cher et Révérend Père,
Votre lettre du 13-XI m'arrive alors que je n'ai pas encore répondu à la précédente! C'est que à cause de la commission de réorganisation (et un peu, ce qui est plus agréable, de la présence de deux de mes fils avec leurs familles), je suis extrêmement occupé et fatigué. Laissez-moi commencer par vous souhaiter de tout cœur joyeux Noël et heureuse année - je crois de bons combats, mais qu'ils soient au moins parfois victorieux. Que je vous dise d'abord que j'ai reçu du ministre il y a 8 jours une lettre à propos du "cas mal-heureux de Mr Lokondo Simon". Le ministre dit, et c'est à prévoir, qu'il n'y a rien à faire. Il ajoute qu'il le regrette et qu'il espère trouver les moyens de prévenir à l'avenir semblables situa-tions. Ce n'est pas eau bénite [illisible]. Je crois Mr Buisseret sincère - je doute qu'il arrive à des résultats. Ce que vous écrivez des redevances de chasse me paraît tout à fait juste, c'est misérable. Où le publier? Quelle revue vous le prendra (1)? Je ne vois que Zaïre. Je pense que Malengreau et De Cleene l'accepteraient. Je voudrais mettre mon Journal des Tribunaux à votre disposition, mais je crains que le comité de rédaction ne m'objecte que votre article n'a pas un caractère juridique assez accusé. Si vous voulez le présenter à l'Académie, je me charge de le présenter et le lire. Il y aura sans doute un remous dans quelques milieux, mais l'administration suit son chemin en se moquant des critiques. Ni le ministre et son cabinet, ni le gouverneur général, ni la majorité des services de Bruxelles n'y peuvent rien. Quelques-uns poursuivent leur chemin et mettent devant le fait accompli. Ils méprisent le droit autant que l'intérêt des populations! Ne pourriez-vous faire insérer votre article dans le "Courrier d'Afrique"? En le récrivant de fa-çon à expliquer la question même aux plus profanes. C'est par la presse qu'on a le plus d'in-fluence. Un fonctionnaire qui se désintéresse devant un article de revue s'émeut en se voyant pris à partie par la grande presse. En ce qui concerne les terres indigènes, merci de votre lettre et de son annexe, si intéressantes. Si je ne vous ai pas répondu plus tôt, c'est en réalité parce que j'attendais les premières réunions de la commission des terres indigènes (2) pour vous en dire un mot. Malheureusement la pre-mière réunion a été retardée par une indisposition de Mr Louwers et maintenant voici l'interrup-tion de la période des fêtes. Et il en restera encore longtemps aux généralités. Cette commission, vous le savez sans doute, est constituée au sein du Conseil Colonial, ce qui lui donne une certaine indépendance et assure l'impression de ses vœux. Dirigée par Mr Lou-wers (moi je suis trop occupé pour y être autre chose qu'un comparse), elle ira certainement courageusement son chemin. Mais que de difficultés de trouver une solution nette dans cet em-brouillement où nous a conduit l'action désinvolte de l'administration! Espérons cependant. Il y a beaucoup de bonne volonté: parviendra-t-on toujours à la rendre sté-rile? Pour moi, je suis en ce moment en plus de tous mes autres travaux, à la tête d'une commission de réforme judiciaire qui siège elle aussi avec dévouement, bonne volonté, dont les séances sont multiples. Mais j'en sors chaque fois fourbu! qu'il est difficile de travailler! Je m'excuse de me montrer ainsi pessimiste dans une lettre où je vous souhaite joyeux Noël. Espérons une protection supérieure et ne négligeons pas les progrès réalisés malgré tout. J'aurai bientôt 21 petits-enfants! J'ai oublié de vous dire que je compterais sans vous dévoiler, faire bon usage de vos notes sur les terres indigènes et que j'en ai déjà lu plusieurs passages à des amis. Mais que d'ignorances parmi ceux qui s'intéressent le plus à certaines choses qu'on considère comme fort importantes, de constater que personne ne les a lues! Enfin! Bonnes amitiés, cher Père. Et comme disent les scouts, bonne chasse!
NOTES
1. Zaire, 10(1956)283-289. 2. La commission des terres indigènes du Conseil Colonial en 1955 n'a jamais abouti à un ré-sultat.
[Lettre 77]
Bamanya 29. 12. 55
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie vivement de vos deux dernières lettres et spécialement de bons vœux pour l'année nouvelle. Je vous envoie de mon côté mes meilleurs souhaits pour une année nouvelle bénie, heureuse, fructueuse dans vos travaux pour le bien du Congo, je ne manque pas d'y join-dre mes prières et souvenir au St autel afin que Dieu lui-même continue de vous donner la force, les lumières, la persévérance malgré tout, dont vous avez besoin dans votre lourde mais importante tache juridique. Je suis particulièrement heureux que vous avez avec vous vos enfants et petits-enfants. Au Congo vous auriez déjà pu former un "clan" important. . . Cette nouvelle année est pour moi l'année du congé régulier. Normalement je dois quitter ici au courant d'avril prochain. J'espère bien trouver l'occasion de vous voir quelques fois. Merci aussi pour la nouvelle concernant LOKONDO. Entre-temps j'ai essayé de travailler les HCB et j'ai bon espoir qu'ils n'exécuteront pas l'ordre de déguerpissement. Jusqu' ici en tout cas rien n'a été fait dans ce domaine. Evidemment en droit, il n'y a rien à faire, comme le répond le Ministre. Mais en fait, il aurait pu conseiller aux HCB de laisser l'indigène tranquille et de pro-céder à une compensation en donnant p. ex. à la Cie le nombre de HA cédé à côté du même bloc mais dans une direction: solution de compromis que Lokondo a dès le début proposé lui-même, et solution très facile vu l'existence d'une forêt continue, faisant partie du même bloc et dont les indigènes n'ont pour l'instant aucun besoin direct. Quant à l'article, je vous remercie de l'avoir proposé à M. Malengreau, mais je vous prie de ne pas le lui remettre . J'ai remanié certaines parties soit après discussion avec des magistrats sur place, soit après réflexion, notamment du TRIBUT coutumier visé de fait ici. Voici les modifi-cations pour la p. 1 qui me semble être plus claire et plus expresse, et une page supplémentaire 3 A, le dernier al. de la p. 2 primitive étant enlevé et repris ici sur 3 A. Avant de décider quelque chose au sujet de la publication, je voudrais envoyer le texte à mon confrère P. Boelaert (1) à Louvain, pour qu'il en prenne connaissance, et lui demander ce qu'il estime le meilleur moyen de publication: Zaïre ou Académie, au point de vue effet pratique. Je veux dire, je lui demanderai en même temps s'il voit la possibilité de l'utiliser en forme rema-niée évidemment pour un article de Journal. Car votre remarque au sujet de l'influence de la presse est bien pertinente. J'ajoute encore ici des copies des cas récents, qui peuvent vous servir pour vos études et votre BON COMBAT. N. B. lettre 12. 12 vise l'utilisation d'une terre cédée par les "chefs et capita" pour la T. S. F.; malgré la protestation introduite, il y a plus d'un an (lorsque il apparaissait que des Blancs allaient occuper la terre et avant même la 2e proclamation) on continue les travaux... c'est le même service et le même directeur que ceux qui, il y a 2 ans, ont occupé une terre indi-gène (avec démolition de cases, destruction de champs, abattage de bananiers, palmiers etc. ) sans la moindre enquête de cession, permission etc . . . Pour l'article, si le P. Boelaert préfère Zaire, il remettra lui-même le texte que je lui envoie, s'il opte pour l'Académie, je lui demande de vous remettre le texte remanié afin que vous puissiez l'introduire et répondre aux objections etc. Oui, j'ai bien remarqué dans vos dernières études que vous avez fait usage de mes données, re-marques etc. et j' en suis très heureux. Il vaut mieux de conserver l'anonymat de vos correspon-dants - je crois, vous obtiendrez beaucoup plus de renseignements de cette façon. Il est étrange qu'il est si difficile à certaines personnes intelligentes de comprendre des ques-tions qui sont pourtant de leur domaine d'études, comme les questions de droit indigène pour un magistrat. Les confusions dans les révisions de jugements et autres pièces sont parfois d'une grossièreté attristante. Votre fils Jean vient de réprimander le P. de Sousberghe (2) et j'en suis content car les affirmations du brave père sont un peu choquantes; mais je ne serais pas aussi catégorique que Jean sur le fait que la connaissance du droit est suffisante pour comprendre le droit coutumier; je vais essayer une note pour essayer de sauver un peu l'ethnographe lui aussi et de faire admettre qu'on travaille en équipe ce que je crois absolument indispensable. Dès que j'aurai terminé la note, je la lui enverrai, et on verra s'il faut la publier. Il y a longtemps que j'ai reçu sa dernière lettre. J'ai l'impression qu'il fera un fameux juriste qui pourra reprendre le flambeau paternel, pour le bon combat colonial. Avec mes salutations cordiales, G. Hulstaert
NOTES
1. Le Père E. Boelaert avait quitté la Colonie en 1954 pour un congé régulier, mais pour des raisons que je n'ai pas pu élucider totalement, il n'est plus. retourné au Congo. 2. L. de Sousberghe, "L'étude du droit coutumier indigène. Méthodes et obstacles", dans Zaire, avril 1955, p. 339-358 avec la réaction de Jean Sohier dans B. J. I. , 1955-56, p. 108-121, et celle de Hulstaert, dans Aequatoria 20(1957)121-124.
[Lettre 78]
Bamanya le 8-1-56
Cher Monsieur Sohier,
Merci de votre bonne lettre au sujet de l'affaire étude Droit-Ethnologie. Voici le texte que j'ai composé (1) et tel que j'aurais voulu le soumettre à votre fils Jean. Je viens de recevoir ses vœux de Belgique; je lui ai répondu à votre adresse, car j'ignore la sienne. Veuillez donc lire le texte annexé et le passer ensuite à Jean. Je vous serais reconnaissant pour toute suggestion. Il est évident qu'il nous faut une prudence spéciale surtout à présent avec tout ce qui se trame au-tour de nous. Si vous croyez utile que j'ajoute l'une ou l'autre phrase à cause du Symposium d'Amsterdam dont vous parlez et eu égard à l'article de Brausch dans Problèmes d'Afrique Centrale, dites-le moi franchement et proposez l'une ou l'autre phrase. Il s'agit à mon avis de ne pas donner des armes à l'adversaire tout en respectant la vérité et la droiture scientifiques. Il y aurait à dire contre Brausch que les A. T. ne sont pas spécialement placés pour étudier ces questions car précisément il leur manque de plus en plus ce que Brausch exige comme condi-tion: la connaissance indigène, le contact avec lui. Il devient de plus en plus rare. L'A. T. ne voit plus qu'un chef et un policier et souvent plus personne sinon pour donner des ordres brefs. Le contact est perdu. En outre de moins en moins il connaît la langue des autochtones, parfois sous la forme sabir. Je n'ai pas encore le numéro dont vous parlez de Problèmes d'Afrique Centrale. Le dernier que j'ai est le 28. Il y a un article de Brausch; je l'ai résumé comme documentation sans tirer beau-coup de conclusions (2). Dès que le suivant arrive, j'essayerai d'en tirer aussi un document avec commentaire; mais donnez-moi quelques idées si vous voulez. Dommage que le Ministre n'ait pas voulu trouver de solution au cas LOKONDO. Non, pas en droit; car il n'y a rien à faire. Mais il aurait pu demander aux HCB de trouver une solution de fait à l'amiable. Entre-temps les HCB n'ont pas exigé le déguerpissement, tout reste comme au-paravant; il n'y a pas beaucoup de chance qu'ils se contenteront d'une victoire théorique sans l'exploiter contre l'indigène. La situation reste donc douteuse pour Lokondo qui ne sait que faire, je lui conseille le simple entretien minimum de palmiers. Le ministre a raté une belle oc-casion pour poser au bienfaiteur REEL de l'indigène sans difficultés et sans frais; car il est bien certain que les HCB auraient accepté la transaction de laisser à Lokondo sa terre et prendre l'équivalent et dans une autre direction tout en maintenant le bloc uni. Oui, à Bukavu (3) partout le vœu était à la collaboration quoique Malengreau y ait jeté une pierre dans la mare. . . Heureusement Olbrechts a sauvé la situation. Mais entre la collaboration désirée et la collaboration réelle et totale, il y a de la marge et je crains qu'elle ne sera pas aisé-ment franchie par manque de temps et de spécialisation. Il faudrait que des hommes comme votre fils Jean puissent être en disponibilité pour disons un terme de TROIS ans, au service de l'IRSAC, selon la formule que j'ai toujours préconisée, la carrière continuerait à courir comme sans interruption, seulement l'IRSAC payerait au lieu du gouvernement; le rang dans la hiérar-chie et l'avancement seraient garanties. Il ne faudrait pas de longues années pour obtenir des résultats importants dont le gouvernement profiterait le premier. Avec mes salutations cordiales, G. Hulstaert.
NOTES 1. Je n'ai pas pu identifier ce texte ou s'agit-il de sa note: "A qui payer?", CourAf 8-6-55, ou "Notes sur les redevances de chasse" Zaire 10(1956)283-289. 2. Voir Aequatoria 19(1956)70-72 sous le titre: Ethnographie et administration. Il s'agit de la collaboration entre ethnologues et juristes. 3. Conférence Interafricaine des Sciences Humaines, Bukavu du 23 août au 3 septembre 1955. Hulstaert y avait assisté, voir Aequatoria 18(1955)96-97.
[Lettre 79]
Bamanya, 30-1-56
Cher Monsieur Sohier,
Bien merci de vos deux dernières lettres. Je suis content que vous ne trouvez rien à redire à ma note sur le rapport P. de Sousberge et que Jean l'approuve lui aussi. Car comme vous le dites surtout dans les circonstances présentes, il s'agit d'être circonspect en ce qu'on écrit, car on a vite fait d'interpréter et d'utiliser malveillamment certains textes. Je suis heureux d'apprendre le retrait d'une circulaire au sujet du payement aux C. A. C. I. (1) que j'avais critiquée. Cependant je crains de mal comprendre et j'aimerais voir la circulaire ou l'instruction à ce sujet. Parlez-vous des indemnités pour cession de droits fonciers, ou visez vous les "impôts" sur la chasse dont traite l'article envoyé au P. Boelaert? Je pense ce dernier, puisque je me rappelle pas d'autre qui soit prêt à la publication. Mais dans cette question de droits à payer pour la chasse, il ne faudrait AUCUNE INDEMNITE, mais laisser simplement continuer la coutume de PARTAGE de butin selon l'ordre hiérarchique. Il 'y avait là aucune question d'indemnité, mais tout autre chose. Ou serait-ce le retrait des instructions exigeant le payement des indemnisations pour "perte de droits fonciers" aux CACI? Ce serait plus utile que la question de redevances de chasse. Vous ai-je envoyé la lettre où il est fait mention du fait que des 20.000 fr. payés seulement 1000 sont arrivés à la famille concédante. On continue à payer des sommes assez importantes aux CACI, plus abondantes encore aux locataires, très minimes aux propriétaires fonciers. On a indemnisé des habitants du C. E. C. de Coq pour perte de droits de chasse, cueillette, etc, sur les terres de familles indigènes situées près de Coq. . . Comment les citadins pouvaient-ils comme tels avoir ces droits coutumiers sur des terres indigènes ou "vacantes" ? J'attends donc vos explications qu'il s'agit bien des redevances de chasse; vous avez bien fait de demander au P. Boelaert de tenir la publication en suspens. Car si l'affaire est officiellement réglée mon article n'a plus de raison d'être, et tant mieux. Pour affaire LOKONDO-HCB, la Cie veut bien laisser à l'indigène l'exploitation des palmiers plantés par lui, et cela durant toute sa vie moyennant payement d'un fr. annuel de reconnais-sance de droits de propriété et obligation de vendre les fruits à la Cie. J'ai conseillé à Lokondo d'accepter ces conditions, puisqu'il n'y a pas d'autre issue. Quant à la perte de terres par les in-digènes pour leur plantation vivrière, je leur ai dit que tout cela est trop tard. Ils maintiennent l'affirmation du déplacement des limites primitivement assignées. . . et le placement récent de bornes par la Société personnellement, sans géomètre officiel. . . En vitesse. . .
NOTE
1. C. A. C. I. : Caisse Administrative des Circonscriptions Indigènes. Pour la circulaire voir note à la lettre suivante.
[Lettre 80]
Bamanya 17. 2. 56
Cher Monsieur Sohier,
Merci beaucoup pour la communication de la correspondance que je vous renvoie ci-jointe (1). Il est heureux que votre campagne et vos discussions etc. portent des fruits. Il y a dans la lettre de très bonnes choses, et d'abord la question du principe. Ensuite la sugges-tion pour éviter des gaspillages de sommes considérables à payer aux indigènes et dont ils ne feraient pas l'usage que nous ferions à leur place. Importante est la remarque: pourvu qu'il n'y ait aucune apparence de vexation. Or si l'on laisse l'appréciation à l'échelon local, c. à. d. en pratique, Commissaire ou A. T. c'est la tracasserie, ils n'ont aucun sens du caractère vexatoire de certaines de leurs mesures et leurs conseillers (chefs notables, policiers juges) ne les averti-ront pas, au contraire abonderont dans le sens de leurs propositions, CAR ils doivent leur posi-tion avantageuse uniquement à la faveur de l'A. T. et du C. D. Des conseils bienveillants et bé-névoles sont repoussés d'office, car ils ont souci (c. à. d. C. D. et A. T. ) de faire triompher leurs vues et dans cette affaire de remplir les CACI. . . On n'en sortira pas. Il faut donc soustraire ces mesures au CD et AT. Mais ne pourrait-on proposer que ces sommes CONSIDERABLES sont EN PARTIE versées par annuités, ou sous forme de participations (obligations, etc.) sous la garantie de l'Etat par le truchement s'il le faut de CACI ou caisse dl épargne, etc? ou n'importe quelle formule pratique? Ou en pourcentage sur les bénéfices. Il en est un peu violent, vous l'avez fait remarquer de ne verser que de petites sommes sous le prétexte que la plus-value d'une terre provient disons de la proximité d'un centre, comme ici. Plus fort est que l'Etat va vendre ou concéder à prix fort des terrains, qu'il n'a pas ou presque rien payé. . . On me dit qu'il lotit à présent des terres proches de Coq pour lesquelles il n'a, ce semble bien clair, rien payé. Lorsqu'il lotira l'ancien BOYELA (grand et beau plateau près du fleuve) dont l'étendue m'est inconnue; mais qui était occupé par plus de 500 hommes (adultes), il en retirera des millions de bénéfice net après avoir payé 30.000 fr. pour le terrain (plus les indemnisations pour habitations, plantations, etc. démolies, pas pour perte de pêcheries. . . qui montent à plus de 4 millions, cela vous donne une idée de l'importance du village). Cela devra nécessairement révolter les indigènes quand ils en prendront connaissance (et cela se fera fata-lement par les commis de bureaux. . . ). Mais un autre point de la lettre: indemnités pour droits d'occupation continueront à être versées au CACI. . . Pourquoi cela? Ces droits n'appartiennent pas (du moins ici) à la chefferie mais aux familles (et sans doute en est-il de même dans la plus grande partie des tribus bantoues. . . ). Cette exception est donc en contradiction avec le principe que voudrait respecter le ministre. Les doléances soumises au Parquet n'avancent guère. On se plaint de manque de personnel et dans le gâchis actuel des budgets causé par l'interventionnisme insensé de Bruxelles la situation semble devoir encore s'empirer. . . Entre-temps l'occupation de ces terres continue évidemment. Que fera-t-on si le jugement cons-tatait (malgré les efforts qu'on fera certainement pour débouter les indigènes plaignants) le bien-fondé des plaignants? Comment leur restituer la terre s'ils y tiennent absolument? Je conseillerais un compromis, mais dans le cas de Coq les chances diminuent de mois en mois parce que l'état possesseur de grandes terres dont une partie provient [suite absente]
NOTE
1. Gouverneur Général aux Gouverneurs de provinces 3-6-1954 et Ministre au Gouverneur Gé-néral 25-7-1954 (Arch. Aeq. , 32- 365-372).
[Lettre 81]
Borgerhout, 5-4-57
Cher Monsieur Sohier,
Merci beaucoup pour votre bonne carte. Entendu donc pour lundi 15 après la séance. Seulement j'ai une entrevue vers 4h 1/2 à l'IRSAC, mais comme c'est tout près du Palais des Académies, et que l'entretien ne devra pas durer plus d'un quart d'heure (ou demie heure au grand maximum) je pourrai soit quitter la séance une demie heure à l'avance et vous retrouver à la sortie, soit al-ler à l'IRSAC et ensuite vous retrouver chez vous à l'avenue Churchill. Voici donc toute la documentation que je possède au sujet de cette affaire. Je la crois complète, du moins pour l'essentiel, c. à. d. depuis qu'elle est officiellement engagée Les pourparlers "d'approche" n'ont au fond pas d'importance et même une partie des pièces que j'envoie est su-perflue, faisant une sorte de double emploi, p. ex. lettre du 7-11-54, celle du 20 mars 1956 (elle était mal arrangée puisque traitant de deux questions à la fois, c'est pourquoi j'ai conseillé aux intéressés, sur l'avis d'un magistrat ami, de faire deux lettres, chacune traitant de son propre ob-jet, et voilà une nouvelle cause de confusion; on aurait mieux fait ces deux lettres à deux dates un peu espacées. . . La documentation annexée comprend donc (1) 1. -La correspondance entre plaignant et parquet: 9 feuillets comprenant la copie de 10 lettres. 2. -Ma lettre au Procureur Général avec sa réponse (et notes explicatives sur cette réponse), avec en annexe la copie de la proclamation et de mon mémoire demandé par les intéressés. 3. -Une convocation récente pour nouvelle cession de terres de la part des mêmes. . . on ne leur laissera rien à la fin. . . Evidemment ils sont trop proches de Coq. . . Mais on oublie que les in-digènes n'ont pas comme nous le moyen d'acquérir d'autres terres. . . Cette note a ceci de spé-ciale qu'elle convoque cette fois-ci et c'est la première fois, les intéressés et non seulement les capitas et chefs. . . On dirait que notre action a quand même quelque effet et qu'on craint les difficultés réitérées. 4. Correspondance avec l'Administrateur Territorial pour montrer comment ces gens sont cons-tamment rebiffés et comment se conçoit à l'Equateur la juridiction indigène. . . Ici manque la lettre du 21 oct. 55: plainte contre occupation illégale terres, dont je n'ai pas copie. Je l'ai vue, en son temps. Il y est question de la plainte, avec noms, et en se référant à une décision du conseil de secteur concernant cette matière. Car la base du droit coutumier n'est plus fort recon-nue par les juridictions (bien par les juges. . . ) J'ai encore un gros document, destiné au territoire. (cfr. note explicative à la lettre du Procureur Général) mais je crains qu'elle ne vous avancera guère. Je l'apporterai à Bruxelles dans ma mal-lette. Merci d'avance pour votre amabilité et avec mes salutations cordiales.
NOTE
1. Une copie du dossier complet aux Arch. Aeq., Boite 97, MF 3/33.34.
[Lettre 82]
24 avril 1957
Cher Monsieur Sohier,
J'espère que vous avez passé un agréable congé à Paris et que ces quelques jours vous auront reposé des fatigues et tracas causés par vos récents travaux. Je dois m'excuser d'un oubli lors de ma visite si agréable chez vous. J'ai oublié de vous remettre un document important que j'avais glissé dans ma mallette à votre intention et que j'ai retrouvé en revenant ici. . . Je le joins donc à cette lettre à toute fin utile. Vous verrez que c'est impor-tant. Malheureusement il ne s'agit pas d'un tribunal OFFICIEL, mais d'un jugement de groupe-ment secondaire (il n'y a chez nous que des tribunaux de chefferie ou de secteur). Vous y verrez aussi que le chef de secteur qui a constamment méconnu les droits de Witsima, savait mieux. . . Ce document (copie de lettre dont l'original est au Congo, je l'y ai vu, et c'est sur cet original que les copies ont été faites par mon secrétaire) a été annexé par mes soins au document remis au Territoire de Coq concernant cette affaire et auquel se réfère un point de mon mémoire. Je joins encore une copie d'une lettre récente où vous verrez qu'il y a plus d'une affaire contre ces gens et tout un peu dans le même sens. Cela vous donne une idée de la situation générale dans cette région. Après ma visite chez vous, je me suis posé la question s'il était utile que je tache d'intéresser d'autres personnes à cette affaire. Soit dans le monde des fonctionnaires soit dans le monde po-litique. C'est une simple question qui m'est venue. Parmi les fonctionnaires, p. ex. serait-il utile d'essayer Mr Brausch? ou M. Bolamba (1)? ou qui? Pourrais-je faire oeuvre utile? ou non? Car j'ignore toutes ces influences et l'intérêt ou le danger d'y avoir recours? Dans le monde politi-que, je ne connais personne, mais s'il était utile je pourrais essayer de toucher l'un ou l'autre PSC ici (mais cela avancerait-il le cas?) ou le socialiste HOUSIAUX avec qui j'ai déjeuné un jour chez M. le cinéaste Cauvin??? Enfin, ce sont de simples pensées, pas même des suggestions. . . Mais si vous croyez que je pourrais encore faire oeuvre utile, dites-le moi. De même, s'il vous faut encore une ou autre copie supplémentaire d'un ou autre document. Avec mes remerciements réitérés et mes salutations pascales les meilleures.
NOTES 1. Roger Bolamba, Mongo d'origine, Rédacteur en chef de La Voix du Congolais. De septem-bre 1956 à octobre 1957, il était attaché de Cabinet du Ministre des Colonies, Mr Buisseret.
[Lettre 83]
27-4-1957
Cher Père Hulstaert,
Je viens de rentrer de Paris et commence à m'occuper de votre affaire. Il faut avouer que c'est très ardu d'y voir clair et de l'exposer, car tout est fort embrouillé. Mais je vais m'y employer. Répondant à votre dernière lettre, évidemment vous pouvez essayer d'intéresser d'autres per-sonnes à cette affaire. Si Mr Housiaux (dont je ne sais rien moins que c'est un sénateur socia-liste) intervenait, au moins obtiendrait-il qu'on réexamine l'affaire. Mais alors il faudrait lui re-mettre un exposé simple et clair de l'affaire, sinon je doute qu'il la comprenne. Je ne vois ce que Bolamba pourrait faire. Brausch? Qui sait? Vous savez son anticléricalisme virulent, mais qui sait? Mr Van Hove du ministère (ou son adjoint Mr Halleux (1) ou Mr Paulus (2). Parmi les P. S. C. , je ne sais. Enfin, je vais essayer, mais je crois que je devrai m'en tenir au ministre. Bien cordialement à vous.
A. Sohier
NOTES 1. D. Halleux, Directeur à la 1e Direction, Affaires Indigènes. 2. J. Paulus, Conseiller-adjoint, à la 1e Direction, Affaires Indigènes.
[Lettre 84]
30-4-57
Cher Monsieur Sohier,
Merci beaucoup de votre aimable lettre. J'ai fait une note constituant un petit résumé de l'af-faire. Je vous présente une copie ci-jointe. Vous verrez si elle peut servir utilement pour expli-quer le cas à telle personnalité que vous estimeriez pouvoir contribuer à la réussite de votre démarche. Peut-être Mr Van Hove pourrait-il aider. Vous le connaissez et vous pouvez facilement lui donner un coup de téléphone pour voir s'il serait disposé d'aider. D'ici c'est un peu loin. Et le P. Van WING. Si j'ai parlé de Mr Brausch et Bolamba, c'est parce que je suppose que le Ministre les consulte-ra. J'ignore évidemment le procédé, mais je m'imagine qu'il prendra l'avis de ses conseillers culturels, et particulièrement de ces deux puisqu'il s'agit d'une affaire indigène. Je pourrais donc si vous l'approuvez, leur envoyer la note après votre démarche. L'accompagnant au besoin d'une petite explication à titre personnel. Je n'ai pas l'adresse de M. Housiaux mais je vais essayer de me la procurer; si vous estimez qu'on pourrait faire appel à son intervention, je pourrais lui envoyer la note, peut être compren-dra-t-il ainsi. Mon idée était évidemment que je m'occupe personnellement de ces messieurs, tandis que vous vous adressez au Ministre, avec, si faire se peut, une note pour sa Majesté. Il faudrait arriver à arranger cette affaire de sorte que la répercussion malheureuse soit anéantie et l'impression dé-sagréable sur les indigènes effacée, en attendant votre nouvelle législation (dans laquelle je'n'aime cependant pas l'intervention du chef. . . vous en constatez à nouveau le danger dans le cas sous litige). Avec mes remerciements et mes salutations cordiales.
[Lettre 85]
4. V. 57
Cher Père Hulstaert,
J'ai envoyé au Ministre une lettre dont je vous remets copie (1), qui ne se borne pas au cas spé-cial actuel, mais à toute l'affaire Wijima. Je lui transmets maintenant votre excellente note qui expose le cas présent avec précision. Je suis certain que le Ministre fera donner une suite à l'af-faire et que à son cabinet MM Brausch et Cuypers en auront connaissance. Inutile sans doute d'aller spécialement leur en parler. La lettre sera certainement communiquée à Mr Van Hove pour exécution. Je lui en parlerai de temps en temps. Tout cordialement à vous.
A. Sohier
P. S. Vous pouvez évidemment communiquer utilement votre note à d'autres personnalités, no-tamment à Mr Housiaux. Vous pouvez toujours écrire à celui-ci au parlement, si vous n'avez pas son adresse.
Cher Monsieur Sohier,
Je vous remercie infiniment de votre lettre avec la copie de votre lettre au Ministre. Je suis heu-reux d'apprendre que ma note vous a plu. Evidemment le mémoire est trop long et donc diffi-cile à lire pour les non-initiés, bien qu'il soit plus circonstancié et donne une meilleure vue de la situation. En lui-même le cas me semble fort simple et clair, mais vous avez sans doute donné la qualifi-cation de "confus" parce que pour un Européen, il est en effet compliqué. J'espère que le Ministre fasse examiner le cas d'une façon adéquate et donne une solution satis-faisante. Mais d'autre part, j'espère qu'il verra combien est urgente la nouvelle législation que vous avez élaborée (où cependant il reste une phrase dangereuse donnant des pouvoirs non cou-tumiers aux chefs et ainsi ouvrant une porte de derrière pour le renouvellement de cas comme celui de Wijima, dû en premier lieu à l'exagération administrative des pouvoirs attribués de fait aux autorités constituées dans une matière qui n'est pas administrative, mais de droit privé). J'ai écrit au Sénateur Housiaux et également à Brausch pour le gagner si possible, car le Minis-tre se fera certainement conseiller par lui et d'autres membres de son cabinet. Avec mes remerciements anticipés pour toute votre amabilité et mes salutations cordiales.
[Lettre 87]
9-5-57
Cher Monsieur Sohier,
Ce mot seulement pour vous dire que je viens de recevoir de Coq une lettre m'annonçant que l'administration va s'occuper de l'affaire des terres Jomoto. Le Commissaire de District a convoqué Wijima pour le 9 dernier et lui a demandé dans les détails les raisons qu'il avait de se plaindre. Il s'en occupe sérieusement. Si c'est lui (M. Brebant, je crois que je vous en ai parlé) qui s'occupe entièrement de cette affaire, il là mènera à bonne fin et en parfaite justice. J'ai difficile à croire que ce serait déjà le résultat de votre démarche. Je pense plutôt que c'est une suite de la lettre écrite par Wijima au Gouverneur de Province (1) et dont je crois vous avoir donné copie avec tous les documents. Nous attendrons la suite des événements et je ne-manquerai pas de vous tenir à la hauteur. Entre-temps j'ai envoyé ma courte note à Mr le Sénateur Housiaux, et également j'ai soumis le cas à Mr Brausch (2) le priant à titre d'ancienne connaissance et d'ancien A.T. de Coq d'inter-venir pour le mieux des intérêts indigènes. Il m'a gentiment répondu et promis de parler au Mi-nistre et de faire de son mieux pour les indigènes lésés. J'espère que vous aurez de votre côté réussi à faire parvenir à sa Majesté copie de votre lettre. Bien que mon congé courre vers sa fin, j'essaie d'assister encore à la séance de l'Académie de la semaine prochaine. D'ici là, veuillez agréer mes salutations cordiales, et 'veuillez saluez également Madame votre nièce.
G. Hulstaert
NOTES
1. Lettre de Wijima au Gouverneur de Province (A. De Valkeneer) du 1 avril 1957. Il lui adres-sera une autre le 19-1-1959 à laquelle le Gouverneur répond par lettres du 25-2 et du 1-4-1959 pour repousserdéfinitivement les réclamations de Wijima (À. De Valkeneer (Arch. Aecf 32.927; Arch. Aeq. 32. 878-879). 2. Hulstaert à Brausch, lettre du 7 mai 1957, Arch. Aeq.
Bamanya 5/l/58
[Lettre 88]
Cher Monsieur Sohier,
Permettez-moi d'abord de vous présenter mes meilleurs vœux pour une nouvelle année pros-père, heureuse, abondamment bénie. J'y joins une prière spéciale. Je vous serais reconnaissant si vous vouliez présenter mes souhaits également à Madame votre nièce, et à Monsieur l'Abbé. Pour le reste il n'y a pas grand'chose de neuf. Concernant l'affaire de terres pour laquelle vous avez écrit au Ministre, j'ai eu des échos ré-cemment lors de notre dernière session de la Commission pour la Protection des Indigènes. Mr le Procureur Général Dumont m'a dit avoir reçu une lettre du ministre et avoir tranquillisé ce-lui-ci que ce n'est pas un cas grave, puisqu'il ne concerne qu'une quinzaine d'indigènes. C'est tout ce qu'il m'a dit. Ici sur place l'affaire est passé sur le plan administratif. Puisqu'il n'y a pas de solution possible au Parquet qui tient à l'ancienne politique contraire à la reconnaissance des droits de propriété à l'indigène (tant à l'échelon provincial que chez le Procureur Général. . . ), j'ai conseillé une let-tre au Gouverneur de Province qui a transmis pour examen et exécution au Commissaire de District (1). Heureusement nous avons pour le moment (malheureusement seulement pour une année encore) quelqu'un qui est favorable aux indigènes et veut leur donner dans ces questions la plus ample satisfaction. Ne pouvant revenir sur les enquêtes et sur les décisions du Parquet adversaire, il a fait l'examen de toute la question, fait rare dans l'histoire au Congo, où l'on se contente d'un examen superficiel pour une solution de facilité, et a décidé de compenser le manque de paiement au clan propriétaire. Pour le terrain de 24 HA p. ex. il n'y a plus rien à faire, mais puisqu'on demande 6 HA supplémentaires, ces derniers seront payés à raison de 6o. ooo fr. l'HA. Il admet votre théorie que les indigènes doivent profiter de la plus-value des terres aux abords des centres. Alors que pour le terrain de 24 HA. on a royalement donné quelques milliers dont 1.800 aux propriétaires (car une grande partie, généralement une petite moitié passe aux familles apparentées, coutume moderne sur la même base que le partage des animaux royaux, mais plus étendu pour en faire bénéficier le plus possible d'individus). J'essaie maintenant d'obtenir une rétrocession de terres actuellement délaissée mais ancienne-ment propriété de cette famille JOMOTO. Le Commissaire de District est favorable mais les titres fonciers sont évidemment opposés. On pourra y arriver par simple occupation après le délai de 5 ans puisque cette terre avait été cédée à un colon (malgré le dépouillement de la fa-mille ancienne propriétaire Jomoto et sa demande de réintégration dans le domaine familial -- ce qui montre une nouvelle fois combien peu on est disposé à satisfaire l'indigène et combien on est toujours tenté du côté de prendre aux autochtones le plus de terres possibles à noter que les terres pour colons ne manquent pas à Coq et environs. . . ) Les étrangers qui s'étaient établis sur les terres et dans le village Jomoto ont été délogés aussi. Il ne reste que deux qui sont établis près de la fraction Etoo. On a constaté encore une terre oc-cupée par un quartier du C. E. C et pour laquelle il n'y a jamais eu une cession. [suite manque].
NOTE
1. Mr. Victor Brebant (1911)
[Lettre 89]
Bamanya 9/3/58
Cher Monsieur Sohier,
Je me permets de vous envoyer le dossier complet sur un cas de terres dont j'ai eu connaissance récemment (1). Il vous servira peut-être pour vos travaux et votre documentation sur les situa-tions réelles en Afrique, ainsi que pour vos études personnelles et votre revue Journal T. O. Vous y verrez que nous sommes toujours loin de la protection effective des droits fonciers in-digènes. A mon avis, malgré toutes les études, on n'avancera pas d'un pouce, aussi longtemps que nous conservons l'ancienne législation, plutôt l'actuelle législation. Il m'est de plus en plus clair que non seulement l'administration -- ce qui est normal parce que pour elle c'est une ques-tion administration donc de solution de facilité -- mais aussi la magistrature ne connaît que la propriété foncière à l'européenne (code napoléon) et fait tout ce d'elle peut pour nier les droits des autochtones. On n'en sortira pas, comme nous l'avons vu dans le cas Wijima Bokilimba. Le présent cas est difficile à comprendre à distance. Pour autant qu'on puisse réussir à y voir clair, je pense que l'affaire se présente comme ceci. L'administration prétend qu'il y a eu une seule enquête et bien en 1952, plus aucune depuis lors. Les indigènes parlent d'une enquête en 1954 et disent ignorer une précédente. Il n'y a pas confusions d'années. Je comprends donc ceci: il y a eu une enquête au sens administratif en 1952 avec consentement de cession par le chef, le capita et un chef de famille (Bcfenda et Lokondo) plus des notables divers, témoins (non ces-sionnaires). les propriétaires d'ITUMBE sont ou bien totalement absents ou bien ignorant que leur terre est englobée dans le bloc demandé par Nogueira. (N. B. ces enquêtes doivent se faire sur le terrain, mais souvent ou bien on ne sort pas du gîte d'étape ou bien on va aux environs du terrain et y pénètre un peu - n'oubliez pas que nous sommes en région de forêt et de marais -- on ne va pas faire le pourtour (ceci se fait extrêmement rarement) ou on désigne d'un large geste la terre à céder; les vieux marmonnent quelque chose, et l'affaire est dans le sac. Il se peut que BOTULI ait donc été présent à l'enquête 1952. De toute façon il a ignoré la cession. Son consentement est-il inscrit sur le P. V. d'enquête? Nous l'ignorons, ceci n'est dit nulle part; le Procureur, sur témoignage sans doute de l'A. T., se contente de dire que BOTULI a été présent à l'enquête; il n'affirme pas son accord. . . Est-ce que le nom BOTULI est inscrit au P. V. d'en-quête? Nous l'ignorons évidemment; ce n'est pas impossible; mais les faux en écriture de la part de l'A. T. peuvent être admis aussi, j'en ai connu des cas improuvables puisque ne s'appuyant que sur des témoignages d'indigènes, donc toujours impunissables, puisque n'étant jamais objet d'un contrôle sérieux. Le paiement des indemnités minimes vous en conviendrez avec moi - et le début des travaux par le colon sur le terrain datent d'après la mort de Botuli. Il est facile de faire une enquête un peu. . . brumeuse, puis d'attendre au delà du délai prévu par la loi pour les réclamations et seu-lement exécuter les clauses de paiements après, et commencer les travaux quand le temps utile du délai a passé . . . Ce qui semble avoir été le cas ici. Aussi longtemps donc que la législation actuelle reste de vigueur, nous ne sortirons pas de ces injustices contre lesquelles même de bonnes volontés éventuelles du parquet seront impuissantes, car il ne peut aller contrôler le fond de tout dans les milieux ruraux intéressés souvent fort éloignés de tout centre. Comme vous le voyez je suis décidé de communiquer le dossier à M. le Proc. Général à titre de Commiss. Protect. Indig., car il ne peut évidemment pas intervenir et n'ira pas à l'encontre du Pro Roi local et ne peut évidemment exiger une enquête approfondie pour laquelle la magistra-ture manque absolument de personnel. Nous sommes là devant une impossibilité matérielle. Vous vous rappelez le cas Wijima où une enquête sur le fond était possible, puisque les dos-siers comme les personnes se trouvent à Coq même; mais pour tout le parquet a soigneusement évité, car comme me disait le Subst. on ne pouvait quand même aller à l'opposé de l'administra-teur et il ne faut pas que les droits fonciers indigènes arrêtent le développement de la ville ou le progrès du Congo. . . Un autre cas, bien différent, m'a été communiqué de ces jours. A INGENDE on construit une digue dans le marais. Le soubassement doit être en sable de rivière. Il existe une société hollan-daise à Coq qui pompe le sable pour remblayer les marais. La drague est transférée à Ingende et installée dans une CRIQUE ou une sorte de LAC qui est une pêcherie (N. B. toutes les criques ou petits lacs de la région sont aménagées comme pêcheries et sont la propriété des diverses PETITES familles ou même individus -- appropriation plus spécialisée et individualisée même que les terres). Voilà donc que dans quelques jours on va pomper le sable; chasser les poissons, empêcher la pêche, et détruire sans doute pour de longues années la pêcherie. L'administration n'a rien demandé aux propriétaires et a chassé et menacé ceux-ci lorsqu'ils réclamaient. L'A. T. doit donc être sûr de son droit d'agir - sans demander les indigènes. Peut-être considère-t-il l'eau comme "cours d'eau" appartenant à l'Etat? Est-ce que le cas est prévu par la loi? Je vais un de ces jours soumettre le cas au Commissaire de District pour voir si on peut faire quelque chose. Sans doute, pas beaucoup, car la machine installée on ne voit pas l'A. T. faire demi-tour et chercher son sable ailleurs! Pourtant la grande rivière est sur place, aussi proche de la digue -- plus proche même que la crique et il ne manque pas des bancs de sables qu'on pour-rait utilement enlever. Toute l'immense rivière (qui doit bien à Ingende avoir 1 Km de large) peut utilement être draguée. . . on pourra construire plusieurs digues. J'ignore pourquoi on est allé chercher le sable dans les pêcheries des indigènes. Je ne manquerai pas de vous tenir à la hauteur de la réponse du Commissaire de District. Ne fallait-il pas une enquête? Et si on a procédé à une expropriation, ne devait-on pas: 1) aver-tir les indigènes, 2) les indemniser? J'espère que pour le reste vous allez bien et que la santé reste bonne. Veuillez saluer de ma part votre fils Albert et votre nièce. Une petite réponse m'obligerait. Si vous remarquiez quelque point à corriger ou omettre etc. dans les lettres du Proc Roi et au Président de la Commission pour la Protection des Indigènes, veuillez m'en avertir à votre plus prompte convenance. Vous remarquerez que j'ai omis la date, précisément en prévision d'éventuels changements à apporter après avoir reçu votre réponse et modifié selon vos conseils. Si tout est bon comme maintenant, je me contenterai d'ajouter les dates. J'ai aidé l'indigène à la traduction et à la tournure de ses lettres, mais le fond est de lui. C'est un clerc à Coq. Avec mes excuses pour le temps que je vous prends et mes salutations cordiales. Est-ce que votre fils Jean s'intéresserait à ces questions?
NOTE
1. Il s'agit d'une affaire qui se situe au village Ifuto, Territoire de Monkoto. L'affaire date début 1954 et est encore en cours en 1958. Arch. Aeq. 32. 486-498.
[Lettre 90]
Bruxelles, le 27-III-58
Mon Cher Père Hulstaert,
Excusez-moi d'avoir, malgré votre demande, tardé quelques jours à vous répondre. Ce n'est pas seulement que je suis extrêmement occupé - j'ai un important rapport pour le Conseil Colonial en plus de ma besogne ordinaire, et je viens d'être nommé président à la Cour - mais surtout je ne vois pas quel conseil vous donner. Les retards, les difficultés de comprendre exactement la situation, les textes actuels, ne laissent guère d'espoir d'aboutir si on ne trouve pas un magistrat animé d'un véritable esprit de tutelle et d'indépendance pour la prendre en main. Or, je vous l'a voue, je ne trouve pas cet esprit dans toutes les correspondances que, à plusieurs reprises, vous m'avez communiquées. Je ne peux que vous dire "continuez, envoyez les lettres que vous projetez !" En ce qui me concerne, je conserve ce dossier et dans quelque temps je ferai un nouvel article (1) sur la ques-tion des terres. Mais en ce moment je suis débordé! Tout cordialement-à vous
A. Sohier
NOTE
1. J.T.O., 9(1958)80, Sohier y fait allusion aux cas lui soumis par Hulstaert et dénonce la mau-vaise volonté de l'Administration bureaucratique et de l'hypocrisie éventuelle de la justice. Déjà en 1955, le même auteur avait écrit dans le Courier d'Afrique du 22-9-55, page 14 "Beaucoup de difficultés ne viennent-elles pas déjà d'un refus persistant des fonctionnaires de se soumettre à la loi, refus comme dans bien d'autres matières implicite mais presque général?"
[Lettre 91]
Bamanya, 15-11-59
Cher Monsieur Sohier,
Il y a longtemps que je vous ai écrit. Mais cette fois-ci, je ne puis l'omettre. Car un jeune doc-teur en droit, marié et père d'un petit enfant, ayant jusqu'ici été au service territorial, voudrait passer à la magistrature (1). Il s'est d'ailleurs surtout occupé de questions de droit et est l'un des deux fonctionnaires qui a dû s'occuper des questions politiques au milieu de la population indi-gène de Coq. Ceci dit que pour les milieux autochtones, il est excellent élément. Je me permets d'ajouter quelques extraits de ses notes de service, qui vous montreront qu'il est de bonne quali-té. Il a introduit sa demande il y a longtemps pour pouvoir passer dans la magistrature, en suivre les cours préparatoires à la session prochaine au début de l'année. Il vient de m'apprendre que les nominations sont sorties. Trois pour cette Province, mais il n'est pas du nombre. Est-il trop catholique? (ne s'occupant cependant pas de politique mais à l'échelon local. . . ). Il me dit que cependant tout espoir n'est pas perdu et des nominations peuvent encore sortir jusqu'au dernier moment. Aussi serais-je fort heureux si vous pouviez intervertir pour lui auprès des autorités compétentes. On me dit que c'est en définitive M. Willaert qui a ces choses en mains. Vous pouvez éventuellement me citer comme appuyant cette candidature. J'ai rencontré M. Willaert à une réception à Bukavu lors d'un congrès scientifique ou une séance de la Commission pour la Protection des Indigènes (qui semble maintenant enterrée sans musique. . . ) Au moment des cours préparatoires, ce monsieur sera Précisément en congé en Belgique; il n'y aurait aucune difficulté extraordinaire. Ajoutons que depuis à peu près un an ce jeune fonction-naire est l'unique juge de police en titre de la ville de Coq et qu'il est en même temps le notaire de la ville. C'est dire qu'il a un peu de pratique. . . Enfin je serais très heureux que vous puissiez quelque chose pour lui. Faudrait-il que je m'adresse à d'autres personnes et lesquelles? J'espère que mon ami de Rode vous aura écrit au sujet de son cas de déplacement. Ce me sem-ble fort instructif et significatif de l'évolution des mœurs politiques. Un deuxième cas que je voudrais vous soumettre est le suivant: au Code Civil, Livre II, art. 44 il est dit que le droit de propriété tel qu'il est constaté au certificat d'enregistrement est inatta-quable. Cela vaut-il même pour un certificat PROVISOIRE, concernant une cession NON ENCORE DELIMITEE NI BORNEE (dont donc les indigènes ne peuvent pas connaître les li-mites) comme il y en a beaucoup ici (cessions datant d'avant la guerre et non encore bornées, objet d'un simple certificat provisoire); ce qui donne évidemment lieu à des contestations où les indigènes ont évidemment le dessous; puisqu'ils n'ont aucune preuve, tandis que le Blanc se base sur le certificat que l'indigène ignore même s'il sait le français. Que peut-il faire pour em-pêcher des empiètements du Blanc au-delà des limites de la concession propriété, limites qu'il ne peut connaître??? Veuillez saluer votre fils Jean et sa famille, et croire. . .
NOTE 1. Il s'agit de Mr Lauwereys.
[Lettre 92]
23-XI-1959
Mon Cher Père,
A la réception de votre lettre, j'ai écrit une recommandation en termes pressants à Mr le Minis-tre (1). C'est ce que je puis faire: les fonctionnaires ont changé et n'ont d'ailleurs plus aucune influence auprès du Ministre, et je n'ai plus aucune occasion de voir celui-ci ou son cabinet. Je suis relégué loin du combat. D'autre part excusez-moi de ne pas répondre à votre question qui fait le [mot illisible] objet de votre lettre. Il me faudrait là toute une étude dont je n'ai pas le temps! Si j'avais encore le cher Mr Jentgen que je pouvais consulter. Par suite de retraite de Mr Wouters, Premier Président de la Cour de Cassation, je remplis ainsi ses fonctions et ai ainsi beaucoup plus d'ouvrage que précédemment. Je vais d'ailleurs d'ici deux ou trois mois être nommé 2er Pt (2) pour ensuite [illisible] être précipité dans la retraite. Ma santé n'est pas parfaite et j'ai plusieurs gros travaux urgents! Tous mes regrets! J'espère que votre santé est excellente. Il me semble que votre Aequatoria est fort intéressant, s'il n'est pas toujours de ma compétence. Très cordialement à vous en hâte.
A. Sohier
NOTES
1. Le Ministre des Colonies à cette époque: De Schryver. Réponse par J. Wertz, chef de cabinet adjoint s. d. (copie Arch. Aeq. C. H., 201, p. 94). 2. Premier Président.
[Lettre 93]
2. XI.60
Cher Père Hulstaert,
Je viens de recevoir il y a peu de semaines le n. 2 d'Aequatoria de 1960. Je suppose qu'il était composé, peut être imprimé, avant les événements, mais de toute façon publier dans la conjoncture actuelle est une performance dont je vous félicite sincèrement. D'autant plus que ce numéro est particulièrement intéressant. Il arrive que votre revue ne soit pas à ma portée à cause des études linguistiques ou en flamand. Mais c'est avec une grande sa-tisfaction que j'ai lu votre article sur l'adoption et celui de M. M. Possoz et Philippe sur le droit clanique. Et j'ajoute que les documents et la bibliographie étaient particulièrement heureux. Le numéro m'a d'autre part causé un plaisir particulier en me donnant indirectement de vos nouvelles. J'ai. bien souvent pensé à vous lors des événements, et je vois, comme je l'ai toujours espéré, que vous êtes en bonne santé et avez pu continuer vos activités apostoliques. J'ai donc lu vos études avec intérêt, mais hélas, cela ne me servira plus ! [illisible] retraité, je suis complètement en dehors de la circulation, et les événements m'ont retiré toutes les activités que ne supprimait pas ma mise à la pension. Je n'ai pas besoin de vous dire quel poids ils ont fait peser sur mes épaules, combien ils m'ont déprimé! Dans un article liminaire du n. du 15 juillet du Journal des Tribunaux d'Outre-Mer, écrit avant les événements, je dirai que l'indépendance s'opérait dans l'impréparation, dans la hâte d'une improvisation qui multiplie pour le nouvel état les difficultés et les périls: Hélas, mes craintes trouvaient leur justification avant même que le numéro paraisse! Mes deux fils cependant sont toujours à Elisabethville, avec leurs femmes et une partie de leurs enfants. Mon gendre avec ma fille et ses sept enfants, sont rentrés en congé régulier, ils étaient en mer pendant les événements, mais par suite de la suppression des C. S. K., il se trouve sans emploi. Cher père Hulstaert, laissez-moi vous répéter mon contentement, vous dire mon espoir que vo-tre santé est parfaite et que votre activité pourra se poursuivre à votre satisfaction, et vous assu-rer de mes sentiments très amicaux.
PRÉSENTATION
Les indices qui suivent veulent rendre la correspondance Hulstaert-Sohier plus efficace pour l'historien de la colonisation. Nous n'y avons pas repris des mots d'utilisation fréquente comme: noirs, blancs, Congo, Congolais, Europe, Européen, Afrique, Africain, Belgique, Belge, Bruxelles. Les Index n'incluent pas les notes ni l'introduction ni même les annexes. Les chiffres après les entrées renvoient aux numéros des lettres.
ABRÉVIATIONS
A.R.S.O.M: Académie Royale des Sciences d'Outre Mer A.T.: Administrateur de Territoire Aeq. : Aequatoria An. Aeq. : Annales Aequatoria B.J.I.: Bulletin des Juridictions Indigènes et du Deoit Cout. BBOM: Biographie Belge d'Outre Mer C.P.I.: Commission pour la Protection des Indigènes CH: Correspondance Hulstaert dans les Archives Aequatoria Cie: Compagnie Coq: Coquilhatville CTC: Caoutchouc E'ville: Elisabethville FOBEI: Fonda du Bien-Etre Indigène HCB: Huileries du Congo Belge ill..: illisible IRCB: Institut Royal Colonial Belge IRSAC: Institut de Recherche Scientifique en Afrique Centrale Mgr de H.: Monseigneur Félix de Hemptinne P. Van W.: Père Van Wing
INDEX THÉMATIQUE
A
Abandon domicile 7, 8 Abbés (indigènes) 61, 63, 75, 88 Abolition (esclavage) 62 Abonnés 23, 24 Abus 54, 55 Académie (royale) 76, 77, 81, 87 Action sociale 62 Adages juridiques 19 Adaptation 24, 26, 61, 62 Administrateur (du Territoire/A.T.) 7, 10, 14, 18, 19, 20, 21, 24, 31 1 32, 35, 55, 56, 57, 62, 63, 67, 68, 70, 73, 75, 78, 80, 81, 87, 89 Administration 19, 29, 31, 32, 52, 56, 57, 59, 61, 68, 73, 75, 76, 87, 89 Administration directe 58, 59 Administration indirecte 59 Adolescents 14 Adoption 93 Adultère 1, 13, 14 Aequatoria, 18, l8, 20 21, 22, 23, 25, 26, 27, 28, 30, 31, 32, 34, 35, 37, 39, 40, 42, 45, 48, 52b, 53, 56, 58, 59, 66, 92, 3 Affaire indigène 68, 84 Afrique du Sud 23, 60 Agent sanitaire 14 Agents du Cadre indigène 14 Agents territoriaux 21 Agronomes 31 Aliéner 73 Alimentation 52b Allocation familiale 60 Amende 8 Américains 58 Américanisation 61 Anglais 22 Anglicans 62 Anglo-saxons 58, 60, 65 AnticolOnialiste 71 Appel 69 Appropriation 68 Arbitrage 52 Assimilation 53, 54, 55, 56, 59, 60, 63 Assimilation culturelle 58 Assimilation juridique 55, 58, 59 Assimilation sociale 55, 58 Astreinte 7 Aucam (revue) 4, 8, 10 Autochtone 59, 67, 78, 88 Autocratique 31 Autorité 14, 22, 23, 31, 54, 60 62, 86 Autorité coutumière 75 Autorité gouvernementale 14 Autorité indigène 31 Autorité locale 53 Autorité paternelle 19, 20 Autorité politique indigène 75 Avocat 52, 69
B
Bantou 55, 80 Basenji (indigène) 61, 63 Bénéficiaire réemploi de la dot 8 Bibliothèque 23 Bien public 68 Bilinguisme 18 Blessure (Coups et) 13, 14 Bourgeoisie 61, 63 Bourgmestre 62 Boxers 61 Britanniques 23 Brousse (revue) 22 Bulletin de CEPSI 28 Bulletin de la Société dl Bulletin de l'Institut (colonial) 64 Bulletin des Juridictions 12, 13, 15, 18, 22, 23 Bulletin Juridique 14
C
C.A.C.I. 79, 80 C.S.K. (Comité spécial du Katanga) 93 Cadre étatique 12 Caisse de secteur 75 Caisses de chefferie 14, 31 Caisses d'épargne 80 Capita 68, 75, 81, 89 Capitalisme (iste) 31, 64 Catéchumènes 58, 60, 71 Catholique 19, 60, 62 Cause coloniale 31 Causes médicales 14 Censure 25 Centres Extra-Coutumiers (CEC) 19, 61, 65, 79, 88 Certificat d'enregistrement 91 Cession (des terres) 68, 70, 75, 79, 80, 88, 89 Chantier routier 58, 60 Chasse 79 Chef 19, 68, 75, 81, 84 Chef administratif 75 Chef de famille 89 Chef de groupement 61 Chef de secteur 61, 68 Chef investi 62 Chef politique 22 Chefferie 14, 22, 31, 56, 60, 61, 63, 67, 70, 75 Chefs coutumiers 75 Chicotte 31 Chinois 56, 60 Christianisme 31 Cinéma 19 Circonscriptions indigènes 61 Citadin 79 Cité chrétienne 17 Cité indigène 61 Civilisation 12, 15, 22, 23, 31, 60, 61, 62, 63, 64 Civilisation coutumière 59 Civilisation européenne 54 Civilisé 12, 61, 63 Clan 14, 22, 68, 73, 77 Classe de la société 55 Clergé indigène 8 Code Napoléon 89 Code pénal 73 Colon .55, 58, 59, 73, 88 Colonat 54, 56, 58 Colonial (aux) 13, 22, 27, 29, 62, 67, 75, 77 Colonial Office 54 Colonie 12, 17, 21, 25, 27, 28, 30, ;31, 32, 33, 53 61, 62, 65 Colonie anglaise 22, 54 Colonie de peuplement 23 Colonie d'encadrement 54 Colonie française 22 Colonisateurs 54 Colonisation 31, 32, 58, 59 Colonisé 59 Colour bar 54 Comité Colonial 8 comité du Congrès 43 commerçants 61 Commercial 68 Commis de bureaux 80 Commissaire 31, 63 Commissaire de district 32 56, 62, 68, 80, 87, 88, 89 Commissaire de police 60 Commission 10 Commission de réforme Judiciaire 76 Commission de réorganisation judiciaire 72, 76 Commission des mulâtres 30, 32 Commission des terres indigènes 76 Commission des Tribunaux indigènes 42 Commission pour la Protection des Indigènes 61, 65, 67, 73, 75, 87, 89, 91 Commission provinciale pour la dénatalité 28 Commissions coloniales 29 Communauté 60 communisme (iste) 55, 56, 60, 62, 65, 70, 73 Compagnies 12 Compensation 75 Compétence législative 61 Concession 61, 7, 5, 91 Concessionnaire 75 Conciliation 14 Concubine 63 Condamnation 70 Congo (revue) 1, 4, 5, 8, 20, 23 Congrès Colonial 21, 31, 33, 43, 44, 62 Congrès de missiologie 27 Congrès National Colonial 42 Conscience individuelle 31 Conseil Colonial 129 15 58, 59, 60, 63, 65, 73, 75, 76, 90 Conseil de Province 67 Conseil de Secteur 81 Conseil du Gouvernement 61, 67 Conseil Général 14 Consentement 73 Contrainte (par corps) 7 Contrat de travail 10, 58 Coopératives de scieurs de long 58 Copal 31 Cor rection paternelle et maritale 14 Correction paternelle 13 Corvées 67 Coups et blessures 13, 14 Cour de Cassation 25 Courrier d'Afrique (CourAf) 33, 75, 76 Cours d'appel 71 Coutume (s) 7, 8, 27, 31, 59, 68 Coutumes indigènes 15, 20, 23 Coutumes matrimoniales 5 Coutumiers 38 Coutumiers juridiques 18, 19 Cueillette70, 79 Cultivateur 70 Culture 60, 67
D
Débiteur 8 Décret 10 Décret sur la polygamie 60, 62 Décret sur la protection de la fille non-pubère 14, 60 Décret sur la protection du mariage monogamique 45 Décrets sur l'immatriculation 53 Déguerpissement 70, 77 Délégation Apostolique 24, 26, 28 Délinquant 55 Délits 14 Démocratie 20, 65 Dénatalité 14, 28 De Rode (29), 30, (31), 52, 54, 62, (81), 91 [De Schrijver] 91 Despotisme 31 Dette 7 Dictateurs 62 Dictature 62 Dictature léopoldienne 58 Dictature royale 22 Dictionnaire (lomongo/français) 31 Dictionnaire français 20 Directeurs généraux 54, 55 Discipline ecclésiastique 62 Discrimination 62 District 14, 29 District 62 District de l'Equateur 14 Divorce 4, 6, 7, 52, 54, 63 Docteur(s) en droit 21, 31 Doléances 62, 63 Domanialisation 68 Domestique(s) 63 Domicile 7 Dominica potestas 19 Dominium 19 Dot 3, 5, 6, 7, 8, 14, 22, 32, 54 Droit 20, 35, 52, 60, 61, 71, 73, 75, 89 Droit ancestral 19 Droit clanique 93 Droit coutumier 25, 30, 35 Droit d'appel 71 Droit de chefferie 61 Droit de colonisation 58 Droit de pêche 62 Droit de propriété 79, 88 Droit des autochtones 89 Droit des nations 60 Droit d'occupation 80 Droit du père 7 Droit d'usage 61 Droit européen 13 Droit familial indigène 14, 35 Droit foncier 35, 61, 64, 65, 67, 68, 75, 79, 89 Droit humain 56 Droit indigène 13, 14, 17, 20, 22, 23, 26, 52, 56, 61, 68, 71, 73, 75, 77 Droit international 13, 14 Droit islamisé 19 Droit matrimonial 66 Droit naturel 66 Droit nègre 19 Droit nkundo 7, 8, 73 Droit pénal coutumier 39 Droits de chasse 70, 79
E
Ecole 75 Ecole coloniale 25 Ecole du gouvernement 14 Ecole primaire 22, 28 Ecole technique 22 Ecoles libres 14 Economie 31 Economique (11) 19, 20, 21, 52b, 54, 62 Education 22 [Efale] 62 Effort de guerre 31 Eglise 19, 31, 56, 60, 61, 64, 65 Eglise au Congo 26 Eglise autochtone 56 Eglise chinoise 56 Ekonda 1, 2 Elites indigènes 10, 63, Emancipation 58, 59 Emprisonnement femme divorceuse 5 Enseignement 17, 22, 52b Enseignement chrétien 62 Enseignement libre 62 Epoux 7 Equateur 12, 14, 58, 81 Esclavage/Esclave 7, 8, 73 Etaka (fourche) 7, 8 Etat 19, 60, 66, 68, 75 Etat Indépendant 75 Etatisme 31, 4o, 65, 75 Etats-Unis 23, 56, 58, 60, 62, .63 Ethnographe 77 Ethnographie 30, 74. Etoo (lignée masculine) 68, 88 Etude de droit 23 Etudes Camerounaises 23 Etudes coloniales 22, 23, 31 Etudes linguistiques 17, 20, 37 Européanisation 24, 56, 61 Européanisme 35 Evangélisation 20 Evêques 26, 54, 55, 61 Evolués 23, 29, 56, 58, 62, 64, 68, 73, 75 Evolution du droit 19 Exploitation 68, 79 Expropriation 66, 68, 89
F
Famille indigène 19, 33, 68, 80 Fascisme 65 Femme (parent de la) 7 Femme de l'amant 2 Femme divorceuse 5 Femme indigène 15 Filles impubères 62 Finances publiques 21 Fiscal 21 Flamand l7, 18, 19, 21, 23, 24, 30, 93 Flamingant 18 Fonctionnaires 20, 31, 33, 37, 59, 63, 65, 67, 75, 76, 82, 91, 92 Fonds de recherches scientifiques 22 Fonds du Bien-être Indigène (FOBEI) 31, 33, 75 Foreami 40 Franc Maçonnerie 62 Français 17, 23, 24, 73, 91 Francophiles 18 Front populaire 54 Fuite 7 Ful 19 Fulfulbé 19
G
Géomètre'70, 79 Gouvernement 71 12, 20, 22, 23, 27, 40, 55, 56, 58, 59, 60, 62, 63, 69, 70, 73, 78, Gouvernement belge 54. Gouverneur de province 32, 52b, 54, 56, 57, 61, 63, 87 Gouverneur Général 14, 21, 54, 55, 75, 76 Greffiers 31, 60, 61, 68 Groot-Nederland 17 Groupements 56, 61, 67, 68, 75, 82 Guerre 20, 23, 27, 31, 58
H
H.C.B. 28, 40, 41, 68, 73, 75, 77, 78, 79 Haya 38 Heyse 35, 36 Hindous 62 Hollande 19; 21
I
IFAN 23 Immatriculation 10 Impérialisme (iste) 31, 59, 61 Impôt 21, 79 Impôt de capitation 10 Impôt de chefferie 31 Impôt supplémentaire 62 Imprimerie 20, 23 Impubères 14 Inaliénabilité 75 Incarcération 68 INCIDI 56 Inconduite des indigènes 8 Indemnisation 14, 66, 70, 73, 80 Indemniser 89 Indemnité 68, 79, 89 Indépendance 17, 93 Indigène 14, 22, 28, 29, 31, 33, 42 148, 52, 52b, 54, 55, 56, 57, 60, 61, 63, 65, 67, 68, 70, 75, 78, 80, 88, 89, 91 Indigène chrétien 15 Indigène civilisé 10 Indigénisme 23, 24 Indigénophile 64 Industrialiste 62 Infractions 10, 58 Inspecteur des écoles 28, 54 Inspection(Judiciaire) 67 Institut Africain, de Londres 63 Institut Colonial(Royal) 10, 12, 15, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 31, 32, 53, 55, 58 Intégration 55 Intérêt général 66 Intérêt public 66 Interraciale 62 INUTOM 72 IRSAC 78, 81 Itinérant 14
J
[Jans] (MSC) 23 Jachères 70 Javanais 19 Jésuites 8 Jeunesse Catholique Ouvrière 19 Jociste 19 Jomoto (lignée féminine) 68, 88 Journal des Tribunaux d'Outre-Mer 53, 54, 55, 56, 59, 61, 64, 66, 68, 74, 76, 89, 93 Journaux politiques 67 Juge de police, 91 Jugement 14, 52, 59, 68, 70, 73, 77, 80, 82 Juges 52, 68, 73, 80 Juges indigènes 68 Juges investis 62 Juridictions familiales 52 Juridictions(indigènes) 7, 8, 10, 12, 13, 14 15, 17, 21, 22, 33, 34, 50, 52, 61, 81 Juridisme 37 Jurisprudence 7, 58 Jus soli 19 Justice 14, 19, 31, 32. 56, 60, 61, 63, 73, 75 Justice écrite 68 Justice indigène 31, 32, 35, 61 Justiciable 31
K
Kholkozes 62
L
La Lanterne (quotidien) 32 La Libre Belgique 13, La Meuse (quotidien) 32 Latino-romain 60 Législateur 56, 61, 67 Législation 62, 67, 71 Législation matrimoniale 22 Léopoldien 56 Libertinage 14 Lignée féminine 68 Ligue des familles nombreuses 32, 63 Ligue du Sacré-Coeur 63 Linguistique 20, 22, 35, 93 Lit indigène 11 Livret d'identité 62 Loi coutumière 63 Loi écrite 73, 15, 23, 83 Loi superstitieuse 14 Loi(s) 55, 62, 63, 65, 75, 89 Louage de services 47, 70, 71, 76, 77, 78, 80 Lovania (revue) 24, 82, 84, 85, 86, 87, 88 Loyer 75, 92
M
Magie 37 Magistrat 13, 25, 30, 31, 32, 45, 55, 59, 67, 68, 73, 77, 81, 90 Magistrature 13, 25, 29, 55, 88, 91 Magistrature belge 21 Main d'œuvre 75 Mainmorte 75 Majesté 84, 87 Maladies vénériennes 14 Malais 19 Mari 7 Mari lésé 2 Mariage 13, 14, 70 Mariage coutumier 24 Mariage en Afrique 63 Mariage Nkundo 20 Mau-Mau 71, 73 Médaille 60 Médecins 14. Mère-patrie 17 Mesures d'exécution 7 Ministère des Colonies 6 Ministre 21, 22, 59 Missiologie 8 Mission(s) 7, 12; 23, 24, 32, 55, 57, 61, 65, 75 Missionnaires 8, 20, 22, 34, 35, 37, 28, 45, 56, 57, 59, 63, 65 Missionnaires du Sacré Coeur 8 Missionnaires-philosophes 26 Moeurs indigènes 13 Monarchie absolue 20 Mongo 2 19, 75 Monogamie 26, 58 res 67 Monseigneur(Hilaire Vermeiren) Mukongo 75 Mulâtres 30 Musée de Tervuren 23
N
Natalité 40 p Natifs 59 Nation 6o Papes 19 Nation congolaise 68 Nationalisation 66, 67, 75 Nationalisme indigène 59, 60 Naturalisation 10 Nazisme 65 Nkundo 1, 2, 7, 8, 13, 20, 22 Nkundo-Mongo 14 Notables 61, 68, 70, 73, 75, 80. Novelles 21
O
Occupation 68 Occupation des indigènes 61 Occupation des terres 80 Oeuvre missionnaire 52b ONU(UNO) 56, 71, 73 Opinion publique 8 Ordre 14 Organisation indigène 22 Organisation politique 8 Organisations coutumière 67 Otage 8 Ouolof 18, 19 Ouvrages juridiques 40
P
Paiement mari lésé 2 Palmerais 70 Parents de la femme 7 Parquet 7, 12, 32, 58, 60, 67, 71, 80, 81, 88, 89 Parquet de Léopoldville 52 Parquet général 12, 70 Parti Catholique Social 21, 22 Partis politiques 54, 67 Paternalisme 40 Patriae potestas 19 Patriarche 68, 73 Patrimoine 19, 22 Pays germaniques 60 Paysannat indigène 29, 52b, 62 Pêcherie 89 Peines préventives de la liberté 8 Pénal 56, 68 Pensée coloniale 33 Pénurie des vivres 31, 14 Père voyageur 58 Permis de mutation 58, 60 Petite immatriculation 10 Peuplade 22 Peuple 60 Philophisme 37 Philosophe 26 Philosophie 30 Philosophie bantoue 23 Plantation 70, 79 Police 68 Policiers 80 Politique nationale 23, 89 Politique 19, 27, 28, 31, 54, 55, 62, 64, 73, 75, 82 Politique coloniale 20, 21, 54 Politique de guerre 27 Politique d'intégration 55 78 Politique foncière 68 Politique indigène 21, 22 Politique papale 8 Politique routière 56 Polygame 61, 63 Polygamie 32, 60, 61, 62 Population blanche 23 Populations indigènes 23 Populations patriarcales Portugais 58 Pouvoir 60 Président de la commission pour la Protection des indigènes 89 Prestations 67 Prêtre indigène 10 Prêtres 60 Prêtres noirs 10, 59 Preuve en droit mongo 19 Prison 55 Prisonnier 67 Privilèges 63, Prix des vivres 31 Problèmes coloniaux 17 Problèmes d'Afrique Centrale (revue) 59, 74 Procédure 68, 69 Procédure coutumière 68, 75 Procureur 7, 54, 57, 62 Procureur du Roi 89 Procureur général 32, 54, 65, 70, 73, 75, 81, 88, 89 Propriétaire(s) 61, 68, 73, 98, 89 Propriétaires coutumiers 73 Propriétaires fonciers 79 Propriété 67, 68, 91 Propriété foncière 89 Propriété individuelle 65 Propriété privée 75 Protection de la femme indigène 10 Protection de la fille non pubère 58 Provicaire 28 PSC 82 Punition 14 Punition domestique 13 Pygmées 56 Quartiers indigènes 62 Question des terres 90 Question flamande 18, 19 Question(à) indigènes) 14, 22, 25, 49, 64, 68 Questions coloniales 6, 27 Questions foncières 68, 73 Questions juridiques 35 Questions linguistiques 20
R
Race 58 Racisme(iste) 58, 62 Rapport sur les écoles 72 Recension 40, 47, 51 Récidive 8 Redevances de chasse 76, 79 Réemploi dot 8 Réforme(s) 63 Régime coutumier 10 Régime foncier 66 Reich 17 Relégation 68, 73 Relégué 68 Religieuse indigène 64 Remboursement (dot) 7 Représaille 55 Responsabilité financière 7 Restitution dot 8 Rétrocession 68, 88 Révolte 22 Révolution 23 Revue de droit pénal 42, 43 Revue juridique 15 Rhodes Livingstone Institute 23 Rideau de fer 65 Rites chinois 62 Riz 52b Roi 17
S
Saint Siège 8 Salaires 52b SAM 25 Sanction 7, 58, 68, 73 Sanction pénale 14 Sanction superstitieuse 14 Sanctions domestiques 8 Sauvages 64 Secteur 22, 31, 35, 63, 67, 70, 75, 82 Secteur de l'Équateur 61 Service médical 14 Simon Deharre (roman) 25 Socialistes 65, 68, 82, 83 Société 14 Société indigène 8, 14, 64 Société nkundo 23 Société patriarcale Sohierophiles 64 Soldats 12 Solidarité d'intérêt 55 Soviétisation 61 Spoliation 68, 75 Substitut 14, 32, 70, 89 Substitut à la justice 29 Sui generis 61 Symposium d'Amsterdam 74 Syndicats 64 Syndicats chrétiens 53 Système léopoldien 56
T
T.S.F. 68 Tels qu'en eux-mêmes (roman) 25 TEPSI 67 Terrains 62 Terres ancestrales 29, 75 Terres indigènes 66, 68, 75, 76, 79 Terres-73, 88 Territoire 23, 54, 56, 58, 61, 62, 67, 68, 81 Territoire de Coq 82 Territorial(aux) 34, 45 Territoriale(la) 13, 19, 29, 31, 75 Théocratie 20 Titres fonciers 75, 88 Totalitaire 35 Travailleurs 31 Travaux routiers 31 Tréfonds (roman) 25 Tribu(s) 22, 56 Tribunal (européen) 12, 68 Tribunal de secteur 68 Tribunal de territoire 70 Tribunal du C.E.C. 52 Tribunal officiel 82 Tribunal(aux) de chefferie 14, 31, 60 Tribunal(aux) de famille 13 Tribunal(aux) domestiques 14 Tribunal(aux) indigènes) 7, 8, 10, 12, 13, 14, 15 17, 18, 19, 21, 22, 30, 32, 35, 42, 52, 54, 58 59, 60, 61, 68, 73, 75 Tribut 75 Tribut coutumier 77 Tshuapa (Haute-) 52b Tutelle 67 Tuteur(s) 14
U
U.L.B. 74 Union minière 13 Unité politique (mongo) 14 Universitaires 63 Université Coloniale (d'Anvers) 19, 21, 22, 23, 25 Université de Louvain 25 Usufruit 68, 73
V
Vacance des terres 68, 79 Vengeance 8 Verdict 68 Vicaire apostolique de Coq Vicariat (de Coquilhatville) 14, 20, 22 Vie indigène 7 Village agricole 29
W
Wallons 17, 18, 19
Y
Yahtea (roman) 25 Yansi (Ba-) 10
Z
Zaire (revue) 36, 42, 43, 55, 58, 76, 77
INDEX ONOMASTIQUE
Les chiffres entre parenthèses renvoient aux lettres qui font allusion à une personne sans la nommer. Les noms entre crochets [ ] renvoient aux personnes nommées de leurs noms ou iden-tifiées.
B
Boelaert 22, (28), 37, 66 67, 77, 79 Bofenda 89 [Bomboko] 73 Bolamba 82, 83, 84 Botuli 9 Brausch (62) 68, 72, 74, 78, 82, 83, 84, 85, 86, 87 Brébant 20, 87, (88) Breuls de Tiecken 52b, (54) (54), 56, (61) Brossel 48 Buisseret 76 (83), (84), (85), (86), (87), (88)
C
Cardweil 65 77, 79 Carrell (Alexis) 19 Cauvin 82 Charles (Père s.j.) 27 China (Père MSC) 9 Colin 15 Coppens 43, 44 Cory 40 Cuypers 85
D
de Beaucorps (Père s.j.) 10 De Boeck Jules (Père CICH) 1 De Cleene (Nathalis) de Hemptinne(Mgr) 24, 25, 26, 55, 65, 75 De Jonghe 10, 13, 14, 15, 20, 21, 22, 25, 26 De Rode (29), 30, (31), 52, 54, 62, (81), 91 De Ryck M. 14, 17, 20, 22, (65) [De Schrijver] 91 de Sousberghe (Père s.j.) 77, 79 de Waersegger L. 65, 67 Devaux 15, 22 Deven 27 Dumont 65, 70, 73, 75, (81), 88, (89)
E
Eanga 68 [Efale] 62 Engels A. 32
G
Gheorgiu 65 Godding .54, 67 Grevisse F. 50, 51 Grootaerts 30 Guébels 40, (54)
H
Halleux 83 Hartnoll 40 N Heyse 35, 36 Housiaux 82, 83, 84, 85, 86, 87
J
Jamoulle 5 Jentgen 35, 36, 37, 92 Jungers 54, 65
K
Kagame Alexis 64
L
Lauwereys (91) Lebbe (Père CM) 60 Leclercq (Abbé) 17, 19 Léopold II 65 Lodewyckx 40 Lokondo Simon 68, 69, 70, 73, 76, 77, 78, 79, 89 Louwers 15, 66, 67, 76 Loya (Abbé) 61
M
Malengreau G. 31, 35, 36, 47, 76, 77, 78 Maus .58 Mayné .58 Mignolet 66 Mineur 45 Mottoulle (Dr) 29
N
Newman 62 Nogueira 89 [Nsaka[ 61 Ntando Ilengu 73
O
Olbrechts 78 Orban 48
P
Paulus 83 Philippe 93 Possoz 12, 14, 15, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 26, 30, 31, 37, 52, 93
R
Rubbens 58 Ryckmans Pierre 31, 32, 56
S
Sand 17 [Schwers, Dr] 14 Sohier (Mme) 41, (70) Sohier Albert (Abbé) 15, 25, 27, 31, 53, 55, 70, (88) Sohier Jacques (13), 25, 30, (93) Sohier Jean 25, 27, 30, 55, 58, 59, 60, 62, 64, 66, 70, 72, 77, 78, 79, 91, (93) Staner 71
T
Tempels 23, 25, 26, 27, 28, 37
V
Van Arenbergh 15 Van den Heuvel (Père CICM) 57 Van der Kerken (Mme) 10 Van der Kerken 26 Van Goethem (Mgr) 28 Van Wing (Père s.j.) 31, 53, 73, 84 Vanhove 71, 83, 84, 85 [Vermeiren, Mgr] 28
W
Wijima 68, (81), 82, 85, 86, 87, 89 Willaert 91 Wouters 92 [Wilsens] 62
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