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CORRESPONDANCE KAGAME - HULSTAERTNotice biographique: Kagame; Hulstaert Règles d'édition-Les originaux des documents publiés ici se trouvent dans les Archives Aequatoria à Bamanya, Mbandaka, R. D. du Congo (microfiches CH 4 et 5); des copies dactylographiées sous la supervision de Hulstaert, se trouvent dans les archives MSC-Congo-Borgerhout, Belgique. AbréviationsBBOM = Biographie Belde d'Outre-Mer, éditée par l'Académie Royale des Sciences d'Outre-mer de
Belgique, Bruxelles, en plusieurs volumes
N° 240 Bokote (route),10 Mai 1944 A Monsieur l'abbé Alexis, Par l'entremise de Son Excellence Mgr Déprimoz (1)Coadjuteur du Vicariat Apostolique du Rwanda. Monsieur l'abbé, Le R. P. J. Moeyens, mon confrère qui pendant son congé de convalescence au Rwanda a eu le grand bonheur de faire votre connaissance, m'a dit tant de bien de la vie indigène et de vos études, que je me permets de m'adresser directement à vous pour vous demander de bien vouloir collaborer à notre revue. Vous avez certainement des choses fort intéressantes et utiles à faire connaître au public colonial, pour le guider dans son oeuvre, et pour faire avancer notre connaissance des populations que nous désirons amener totalement au Christ (2) et dans le giron de son Eglise. Le choix du sujet (des sujets) ne vous sera pas difficile et vous demandez au R.P. Cleire (3) communication des numéros parus antérieurement. Le P. Moeyens m'a encore dit que vous publiez une revue d'études en kinyarwanda. Je ne connais pas votre langue et il serait difficile de faire publier dans une langue indigène dans notre revue. Mais je crois qu'il serait utile de faire connaître au grand public l'existence, la teneur, l'objet, le but, etc. de votre revue. Une note là-dessus serait, nous semble-t-il, utile dans notre revue. Que pensez-vous de cette proposition? En tout cas nous voulons espérer que vous examinerez notre double proposition. Dans l'espoir que nous pourrons recevoir une réponse favorable, nous vous prions, Monsieur l'Abbé, de croire à nos sentiments fraternels in C.J. Le rédacteur en chef, G. Hulstaert NOTES 1. Laurent Deprimoz, 13-6-1884 à Chindrieux (F). Missionnaire le 10-8-1908. Evêque coadjuteur sacré le 19-3-1943 (par Dellepiane). Vicaire apostolique du Rwanda de 1945 à 1955. 2. Omnia instaurare in Christo était la devise du Pape Pie X. Voir des considérations plus amples à ce sujet par G.Hulstaert dans sa lettre à Mgr De Boeck (Annales Aequatoria 15 (1994) p. 557: lettre du 27-6-1944) 3. Richard Cleire (né en 1900). Vicaire apostolique du Kivu de 1944 à 1952, puis de Kasongo de 1952 à 1962. Correspondance avec G. Hulstaert sous n° 36, de 1939 à 1942. Trois publications dans Aequatoria (1941-42). Kabgayi, le 16 Juin 1944 Très Révérend Père, C'est avec une grande surprise, comme Vous pouvez bien le penser que j'ai reçu votre lettre du 10 Mai, me demandant de collaborer à votre Revue "quatoria". De fait, le R.P. Moeyens a passé quelques jours ici à Kabgayi, et sa curiosité semblait ne rien négliger qui put lui servir plus tard. Mais, les Artistes du genre P. Moeyens, Vous savez, n'ignorent pas le secret de Vous "façonner leurs hommes". Et que leur importe si leur "homme" est inanimé? Le geste de l'artiste ne remplace-t-il pas le reste? Et je crois bien que c'est le cas pour le R.P. Moeyens! Ne parle-t-il pas flamand, en effet, mais de façon à se faire comprendre des non initiés, grâce à l'action qui lui sert d'interprète? S'il Vous racontait deux choses à mon sujet, divisez-les par quatre, et je pense que Vous serez alors prêt du quart de la réalité! Mais enfin.... parlons sérieusement, Mon Père! Ce qu'il Vous a dit de ma connaissance de la vie indigène est vraie, non seulement de moi, mais encore de plusieurs autres de mes Confrères. Nous avons vécu cette vie, pendant de longues années, pour la plupart. Une fois mis en contact avec le monde extérieur, par la formation reçue au Séminaire, le goût de chacun peut "souder" les "Nova et vetera" pour l'utilité des Missionnaires et autres, en vue de faciliter, "pro modulo suo", la christianisation de nos compatriotes, jusque dans leurs coutumes et dans leur mentalité. Je m'occupe donc de quelques travaux spéciaux sur le Rwanda, auxquels je consacre une bonne partie de mon temps libre. Il est vrai que mon principal devoir d'état (Rédacteur en chef de notre Kinyamateka) me facilite singulièrement la tâche. Toutefois, je ne suis pas isolé dans ces modestes études particulières. Dès le Grand-Séminaire, nous avons formé un petit "Comité d'Art Indigène", dont le Président (disons le mot à voix basse, car sa modestie...) est le R. P. de Decker, Professeur de Philosophie (1). On s'est partagé les diverses branches de l'Art Indigène du Rwanda. Aux plus capables échut la Musique; au R.P. de Decker, la plus dure besogne: les Arts Plastiques; et enfin à moi, "à brebis tondue, Dieu ménage le vent!"... la Poisie, dont je m'occupais déjà auparavant. Comme Mgr Déprimoz n'y trouve pas d'inconvénient, je ne refuse pas de collaborer à votre Revue, bien que votre proposition, Mon Révérend Père, contrarie beaucoup ma méthode, comme je Vous le dirai prochainement. Mes matériaux sont vastes et non encore mis en ordre. Je vais tâcher de trouver un plan convenable, selon lequel quelques branches de mon travail pourront être présentées aux lecteurs de Aequatoria. Quant à cette revue publiée en Kinyarwanda, elle est tellement liée à mon travail, que je ne saurais en parler séparément. Vous en aurez connaissance dans l'Introduction à mes articles. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux. Abbé Alexis Kagame NOTE 1. Vincent de Decker, professeur au grand séminaire, d'abord à Kabgayi, puis à Nyakibanda Kabgayi, 7 Octobre 1944 Mon Très Révérend Père, Après ma lettre du 16 Juin dernier, Vous avez dû attendre l'exécution de ma promesse de collaborer à votre Revue. Mes nombreuses occupations ne m'ont pas permis de m'en acquitter aussi rapidement que je l'aurais voulu. J'ignore si mon article va Vous convenir; je ne suis sûr que d'une chose: c'est que sa longueur va Vous effrayer! Il Vous est loisible, en revanche, de réduire, au strict minimum, les deux Poèmes débutant respectivement en page 8 et 12. Vous sera-t-il possible de publier l'article entier, au même Numéro de votre illustre Revue? La chose serait souhaitable, car cela rendrait un service immédiat dans les temps où nous sommes. Je ne sais pas combien de foi; votre Revue paraît l'année. Est-elle mensuelle? En tous les cas, puisque je vais y collaborer, je voudrais la lire d'une façon suivie. C'est pourquoi je Vous prie, Mon Révérend Père, de bien vouloir m'envoyer tous les Numéros de cette année 1944; cependant en lieu et place du 1er numéro que j'ai déjà, Vous aurez la bonté de m'envoyer le dernier numéro de 1943. Le montant de l'abonnement sera versé dès la réception des numéros commandés. Je voudrais également savoir à quelles conditions on peut obtenir les numéros des années précédentes; j'ignore en effet si l'abonnement rétroactif est réglé dans les mêmes conditions que l'abonnement ordinaire. Je Vous prie, Mon Révérend Père, de bien vouloir me dire, et franchement, l'effet que produira en vous la lecture de cet article. Et je Vous demande d'avoir même la bonté de provoquer les critiques et de me renseigner. Je suis toujours en voie de formation personnelle, et c'est pour la première fois que je vais communiquer le fruit de mon travail à un public Européen. Le travail est entièrement mien; je ne l'ai montré à personne autre que Mgr Déprimoz, en vue d'obtenir l'approbation; il en a amélioré seulement 7 phrases, dont la correction est reproduite sur la présente copie (1). Dites-moi donc l'impression qu'il produit sur Vous, ainsi que votre appréciation sur le sérieux du fond et la sûreté de l'expression! Et grand merci d'avance. Il serait peut-être mieux que Vous me présentiez aux lecteurs. Voici les renseignements que Vous arrangeriez à votre manière: je suis dans ma 32ème année; ordonné Prêtre en 1941, j'ai été employé dès le début au travail de la Presse, et suis Rédacteur en chef de notre mensuel Kinyamateka. Arrangez tout avec sobriété et mesure, et que la vérité n'en soufre pas, ce qui ne ferait aucun bien. Soulignez au besoin la formation du Clergé Indigène dans le cas où son premier représentant Munyarwanda, en collaboration à votre Revue, semblerait y faire honneur. Ne sera-t-il pas à propos de mentionner délicatement l'approbation de Mgr Déprimoz? Il ne faut pas qu'on me prenne pour un extravagant, faisant passer des écrits en contrebande! Ne le trouvez Vous pas? Veuillez agréer, Très Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux en Notre-Seigneur. Abbé Alexis Kagame NOTE 1. Cette première version de l'article n'a pas été retrouvée dans nos archives. N°348 Bamanya, le 21/10/44 Cher Monsieur l'Abbé, Je vous remercie cordialement pour votre bonne lettre du 7 dernier et pour l'étude annexée sur le Rwanda pèle-mêle (1). Je suis très heureux et reconnaissant pour votre collaboration. Je trouve votre article extrêmement intéressant, et je regarde avec avidité la suite. Je me propose de donner donc une introduction sur l'auteur. Ce sera, comme vous dites, une bonne occasion pour souligner la valeur du clergé indigène de votre pays, et de remercier Mgr Déprimoz pour vous avoir encouragé à écrire. L'introduction de votre étude est écrite en forme de lettre: je vais me permettre de la changer pour en faire une introduction pour les lecteurs; question d'omettre la forme personnelle à mon adresse (2). J'ai été particulièrement heureux de constater les idées très saines au sujet de l'évolution des peuples africains. C'est tout à fait selon mes idées personnelles. Votre définition du progrès, incluant nécessairement un point de départ, est très pertinente. Malheureusement, elle est fort oubliée non seulement par les laïques, mais aussi par des missionnaires qui rêvent de faire table rase des institutions, arts, philosophie, etc. Indigènes. Comme si tout cela n'existait pas! Souvent on se méprend sur la portée exacte des termes employés par les indigènes et on voit le mal où il n'y a que du bien, ou encore des défauts où il y a simple imperfection, dans le sens étymologique. Des abus de pouvoirs quel peuple et quel gouvernement en est indemne? Des erreurs, des vices, qui oserait jeter la première pierre? Qu'il y ait des erreurs et des choses à changer dans les institutions, droit, etc. des indigènes, je ne songe pas un instant à le nier. Mais encore, qu n'en a pas, individu ou peuple. Les institutions et mentalité des indigènes, même primitif, ont le grand défaut de n'être pas chrétiens et catholique. Je crois que c'est presque tout qu'on peut leur reprocher, du moins pour autant que je les connais. Des fautes contre la loi naturelle existent; mais là encore, qu'on ne jette pas la pierre trop vite, et qu'on se regarde personnellement au miroir! Et puis, est-ce que les institutions, lois, etc. des pays civilisés, sont si chrétiens que certains le prétendent? Vous faites remarquer très bien que le progrès matériel ne va pas de pair avec le développement spirituel: intellectuel, moral, esthétique. Souvent même on constate que avec l'avancement de la civilisation matériel les valeurs spirituelles entrent en décadence: lutte perpétuelle entre la matière et l'esprit, où le premier prend si aisément la prépondérance. C'est pourquoi es peuples orientaux se croient supérieurs aux Occidentaux. Ceux-ci, plus développés matériellement mais en mauvaise posture pour le fond des valeurs humaines. Ou encore dirais-je: quantitativement la civilisation occidentale moderne est incontestablement supérieure, mais je ne vois pas sa supériorité spirituelle, non seulement sur les hautes civilisations mentales, mais même sur les cultures primitives. Je mets la religion chrétienne à part. Si elle est un facteur indiscutable de civilisation, c'est comme stimulant, comme levain, non comme élément. Elle est au dessus des contingences main elle doit les englober toutes. Elle n'est pas la civilisation. Elle est supra-culturelle comme supra-nationale. Elle est catholique dans le sens plein, dans tous les domaines. Mais si elle est au-dessus de la mêlée terrestre, la religion chrétienne est indispensable à tout peuple, à toute civilisation comme à tout individu du pour atteindre la perfection telle qu'elle est voulue par Dieu. Heureux les peuples qui peuvent se christianiser, non seulement comme individus mais comme groupes. Vous avez encore raison de vous attaquer à la doctrine de l'égalitarisme qui est une véritable peste en Afrique (comme d'ailleur aussi en Europe!). Cette fille de l'individualisme nous léguée par le protestantisme et sa fille la révolution française, a fait déjà des ravages formidables. Pas tant chez vous, mais ici dans ce que vous nommez les tribus émiettées. Mais ne croyez pas que ce qui est bon pour le Rwanda ne le soit pas encore pour ces tribus émiettées, comme celles qui constituent la grande partie du Congo. Vous avez un véritable royaume. Nous avons des peuples divisés en petits états monarchiques, démocratiques ou plutôt: constitutionnels. Unité de culture, de langue, de peuple, mais pas d'état politique. Comme l'Allemagne d'avant 1941, si l'on peut comparer, ou comme l'Europe presque entière, au Moyen-Age. Formule qui n'est pas si malheureuse, malgré tout. A part actuellement. Car les colonisateurs respectent moins facilement les petites tribus sans grande autorité centralisée, que les grands royaumes, qu'ils doivent épargner pour ne pas savoir créer une opposition contre leur gouvernement. Le fonds des peuples émiettés en petits clans est identique à celui du Rwanda comme de la Chine, etc. Seulement l'autorité étant restée plus petite, n'a pas connu le développement comme chez vous. Nous n'avons ici des poèmes glorifiant les rois, parce qu'il n'existe pas de rois. Il n'y a pas d'histoire authentique, parce qu'il n'y avait pas de grand peuple avec une cour, etc. Les gens d'ici estimaient "heureux les peuples qui n'ont pas d'histoire". Les poèmes sont partout sur la nature, quoique il y ait des louanges de grands guerriers, etc. En outre, ces poèmes sont d'auteurs anonymes, comme au Moyen Age primitif chez nous; arts formés réellement par le peuple, évoluant spontanément, se partageant en bribes agglomérées de nouveau ailleurs. De sorte même que les poèmes ne forment presque jamais une unité d'idées. Mais ce qui importe ici davantage, c'est lé rythme et la beauté de la forme. Nous avons d'importantes collections de "récitatifs", de chants, de fables, d'épopées, etc. Mais pas de moyens pour les éditer ni le temps pour les traduire et annoter. (3) Moi je n'hésite pas de donner le nom de peuple à tout groupement culturel étendu, même divisé en plusieurs états. Le mot peuplade a un peu un sens péjoratif. Or j'estime hautement les peuples indigènes. Je suis heureux de lire que vous mettez l'accent sur le rôle de la religion et la place de Dieu dans ces poèmes, etc. Les mots font souvent penser à une remise de Dieu à l'arrière-plan. Cela trompe beaucoup d'Européens. Comme les Protestants nous accusent de vénérer la Ste Vierge à l'égal de Dieu. Connaissance trop superficielle. Aussi, j'espère que vos contributions suivantes vont encore aider à dissiper pas mal de malentendus (et Dieu sait si il y en a, sur les points les plus essentiels!) et à mieux faire estimer votre peuple et tous les Africains. Je ne puis vous dire comme je suis heureux de ce que le Rwanda, sous la conduite des missionnaires, surtout sous celle de son Roi, de ses chefs, de ses prêtres indigènes a trouvé la bonne voie: christianiser tout, ne détruire rien de ce qui est bon, élevé, noble, comme dit St Paul, mais Omnia instaurare in Christo. Et nous ici, pauvres malheureux, nous nous réchauffons à votre bonheur et espérons que l'exemple du Rwanda aura des répercussions heureuses sur les peuples moins favorisés qui ne sont que trop enclins à jeter toute leur tradition pour poursuivre une chimère moderne. Par vous j'espère que Dieu leur fera la grâce d'ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard. Je vous souhaite bon succès dans vos entreprises pour le bien de votre peuple et croyez-moi bien, [fin]. NOTES 1. Titre original de l'article? 2. Elle se présente en 4 règles(Aequatoria 8 (1945)41). 3. Tout cela a été publié plus tard dans les périodiques locaux édités à Coquilhatville et par Hulstaert dans Poèmes Mongo Anciens, Tervuren 1978 et Poèmes Mongo Modernes, ARSOM, Bruxelles, 1972. Voir H. Vinck: "Essai de bibliographie sur la littérature orale mongo"dans Annales Aequatoria 9(1988)257-268; voir aussi Bio-bibliographies ainsi que H. Vinck et Ch. Lonkama, Tradition et modernité Mongo. Bio-bibliographie de Paul Ngoi, dans Annales Aequatoria 19(1998)335-391 Kabgayi, le 18 Décembre 44 Mon Révérend Père, J'ai la joie de pouvoir répondre enfin à votre lettre du 21/10/1944, par laquelle Vous me faites savoir que mon article est arrivé à destination. Je Vous remercie beaucoup de m'avoir dit franchement votre appréciation. Elle concorde avec celle des Pères d'ici auxquels, après l'envoi de l'article, je l'ai montré. Espérons que cela pourra faire quelque bien ici! Pourrais-je Vous demander, Mon Révérend Père, si un autre article de moi trouverait place dans votre Revue dans le Numéro suivant? Je pense que celui que Vous avez déjà reçu, pourra paraître au n° 4 de 1944. Vous me rendriez service en me faisant savoir si le n° de 1945 est prêt à recevoir donc un autre article. Je Vous demande cela, parce que j'ai tellement de livres à traduire et à composer à l'heure actuelle, qu'il faut recourir au plus pressé. Ne Vous étonnez pas, Mon Révérend Père, d'entendre parler de livres à traduire et à composer simultanément : quand l'esprit est saturé de tel effort déterminé, il est disposé pour un effort différent! Et ainsi on se repose d'un travail à faire un autre, jusqu'à ce que celui-ci devienne fatiguant et qu'on reprenne le premier pour lequel on est dispos à nouveau. C'est une méthode comme une autre! Peut-être l'avez-vous employée également? Je serais très heureux aussi de savoir la date ultime à laquelle Vous voulez recevoir l'article. Je Vous apprends en plus que mon article a été l'occasion, pour votre Revue, de gagner un Collaborateur autrement sérieux: le R.P. De Decker, Professeur de Philosophie au Grand-Séminaire Intervicarial de Nyakibanda. Je Vous en ai précédemment parlé; c'est lui qui, dans notre Comité d'Art Indigène du Rwanda, dont il est l'animateur, s'occupe des Arts Plastiques! Vous comprendrez combien il est compétent dans la matière, quand je Vous dirai que sa Thèse de Doctorat en Philosophie (thèse qu'il prépare) est "Comparaison entre le Vrai et le Beau" Ceci soit dit entre nous! Il en fait modestement mystère, mais on en parle quand même à part soi! Il m'a dit dans sa lettre du 16 novembre, qu'il va préparer un article pour votre Revue. Je Vous renvoie le numéro 1 de 1944, car j'en avais reçu 2, et que Vous le désirez. Je Vous envoie 200 frs pour mon abonnement de 1944 et de 1945. Ne pourriez-Vous pas m'expédier mon numéro par avion? Il arrive ici froissé, malgré vos avertissements en trois langues! Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux. Abbé Alexis Kagame N° 403 Bamanya le 9 janvier 1945 Cher Monsieur l'Abbé, Merci beaucoup pour votre bonne lettre du 18 décembre et pour les 200 frs pour abonnements. A propos, ne craignez-vous pas le vol de billets? Heureusement ce n'est pas arrivé, mais il me semble que c'est dangereux! Ne vous étonnez pas trop si les articles envoyés ne paraissent pas immédiatement. C'est tout un arrangement pour chaque n° dans lequel on tâche de mettre un peu de variation. Puis divers auteurs doivent être servis. Il y en a qui attendent parfois longtemps. C'est parce que les circonstances (difficulté d'impression) ne nous permettent pas de donner davantage de texte, comme nous voudrions le faire. J'espère cependant que votre article trouvera place dans le n° 2 de cette année (le 1° est voué à la Polygamie), si pas entièrement, du moins en partie. Tout cela dépendra des circonstances. De la sorte, des articles attendent parfois dans nos fardes. Ne vous en faites pas! La patience reste la grande vertu chrétienne! Mais cela ne doit pas vous arrêter de rédiger pendant que vous en avez le temps. On ne sait jamais ce qui arrivera plus tard. Travaillez donc cher Monsieur l'Abbé, et envoyez; on placera au fur et à mesure. D'autre part, si vous avez des travaux pressant sur le métier, ne vous hâtez pas trop pour Aequatoria. Nous ne sommes, grâce à Dieu, pas à court de copie! Donc aussi: pas question de fixer un terme pour votre copie; quand vous l'avez achevée, envoyez-la, et nous la placerons d'après l'opportunité. Nous ne pouvons actuellement rien fixer d'avance. Je serais certainement très heureux de recevoir la collaboration d'autres Rwandiens comme le P. De Decker. Votre beau peuple est trop peu représenté dans la littérature spécialisée d'Afrique! Ce que j'aimerais beaucoup de la part d'un professeur de Philosophie, serait une étude sur les questions philosophiques par rapport aux conceptions indigènes du Rwanda ou d'ailleurs. Quels sont p.ex. les principes métaphysiques des indigènes? Ou des questions de détail! Je crois que nous pourrons publier sous peu des articles sur ce sujet. Le n° 4 de cette année contient quelque chose dans ce genre, en flamand (1). J'ai demandé à l'administration (le P. Moeyens) de vous envoyer dorénavant vos n°s par avion. Votre Roi avait payé un abonnement l'an dernier (1943); mais je crois qu'il n'à plus payé 1944. Il y a sans doute trop peu sur le Rwanda dans Aequatoria. Une chose qui me parait intéressante serait une notice sur la nature, le but, le sujet, etc. de votre Kinyamateka. Voudriez-vous y penser? Je vous souhaite une heureuse et sainte nouvelle année et beaucoup de grâces sur vous, vos confrères du Rwanda et toutes vos oeuvres. Et que le bon Dieu épargne à votre peuple les misères matérielles de l'an passé.(2) Avec mes salutations fraternelles in C.J. NOTES 1. Placied Tempels, Moeten we op zoek naar een Bantu-Filosofie?, Aequatoria 7 (1944) 143-151 2. Allusion aux famines qui ont sévi au Rwanda en 1942-1944. Voir J.P. Harroy, dans: Rwanda…(O.C. p.97). Kabgayi, le 3 février 1945 Mon Révérend Père, J'ai bien reçu votre lettre du 9 Janvier. Je Vous remercie beaucoup pour les bons sentiments que Vous m'exprimez. Pour l'envoi de l'argent (en billet de banque),je ne crois pas qu'il y ait danger! Vous n'avez peut-être pas remarqué que la lettre était recommandée. De cette façon, je crois, il n'y a pas danger! J'ai pris ce parti, parce que les Postiers d'Usumbura ne nous servent toujours fidèlement! Quant à la date de la publication de mon article, ne croyez pas, Mon Révérend Père, que cela pouvait m'inquiéter autrement! Mais je vous en ai parlé, parce que Nous attachions une grande importance à sa publication. Ceux auxquels je fais lire, attendaient impatiemment le Numéro, car ici tout ne va pas bien! Et la confusion ne fera que s'augmenter par incompréhension! Mes prévisions ont été dépassées! Il ne m'appartient pas de Vous raconter toutes ces manifestations! Vu donc les derniers événements, la publication de cet article sous cette forme, ne viendrait plus rien éclaircir, et serait mal interprétée. Je Vous prie donc, Mon Révérend Père, d'en suspendre la publication, jusqu'à nouvelles retouches. D'autre part, ici on est d'accord que la série d'articles que je destinais à Aequatoria soit publiée en une monographie destinée aux Dirigeants, vu que votre illustre Revue, paraissant seulement quatre fois an, n'était pas à même de donner des renseignements utiles en temps record! Le temps est précieux spécialement en ce moment au Rwanda. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux. N° 438 Bamanya (Coq) 9/2/45 Cher Monsieur l'Abbé, Merci beaucoup pour votre bonne lettre du 3 dernier que je viens de recevoir. Je suis un peu contrarié de votre annonce que vous préférez avoir l'article en retour pour retouches. Je vais donc vous l'envoyer. Vous y verrez que j'y ai travaillé au crayon rouge pour rayer toute indication trop personnelle. Dans une revue comme la notre, nous devons conserver le plus possible même la forme impersonnelle, objective (je ne dis pas que le subjectif n'est pas objectif, mais sous un autre angle, évidemment ... ). Je comprends parfaitement votre point de vue. Nous ne connaissons pas bien les situations d'ailleurs. Comment voulez vous? Beaucoup de choses ne sont pas racontées dans la presse... Et celles qui le sont, le sont encore d'une façon toute spéciale. 0 amour de la vérité!!! Je regrette énormément que vous ne puissiez pas dire ce dont il s'agit. Vous en aurez de bons motifs. Je comprendrai peut-être mieux lorsque vous renverrez l'article avec vos retouches. Car je compte que vous renverrez cet article. Mgr de Hemptinne m'écrit justement qu'on lui a parlé d'un article d'un abbé indigène du Rwanda: il désire vivement le lire (1). Et moi-même je désire aussi vivement le publier. Si cela ne va pas, envoyez quelque chose d'autre. Il faut à mon avis, que les plus beaux peuples de l'Afrique centrale ne restent plus absents de notre revue! Et il faut que les indigènes se mettent à publier à l'intention des blancs. Vous connaissez mes opinions qu'on me reproche souvent, même dans nos milieux ecclésiastiques, comme trop indigéniste. Je ne suis pourtant plus jeune: à la fin de l'année j'ai 20 ans de Congo. Non que je m'érige en connaisseur approfondi. Mais j'ai beaucoup réfléchi et cherché. Je ne saisis pas pour cela tout. Un proverbe Mongo dit: le manioc doux ne devient jamais pareil à l'igname: un étranger ne peut jamais pénétrer à fond les choses du nouveau pays. C'est exact. C'est une des raisons pour lesquelles j'insiste à ce que vous-mêmes écriviez. Il y a énormément d'incompréhension et de malentendus qui peuvent conduire aux pires conséquences. Chez beaucoup d'Européens, il y a de la bonne volonté, mais elle est handicapée par l'incompréhension alimentée surtout par notre complexe de supériorité. Et je puis vous assurer qu'elle est dure la lutte pour s'en défaire, pour se mettre à l'humilité, même en questions nationales et culturelles, pour vouloir voir la vérité malgré tout! Experientia constat! Nous avions l'intention de donner votre article dans le n° 2 de cette année. Le n° l est à l'impression. Nous ne pourrons pas commencer le 2 avant mars. Vous avez donc un peu de temps. Comme je vous disais: nous avons beaucoup de copie; de sorte que cet article sera peut-être donné en deux parties. Si vous voulez publier tout en monographie, excellente idée. Mais rien n'empêche de donner l'un ou l'autre chapitre pour notre revue. Si vous voulez assurer à votre monographie une large diffusion, il me semble que la parution d'un chapitre avec annonce de l'ouvrage entier, ne peut que faire du bien. Notez que Aequatoria a déjà une large diffusion et est de plus en plus demandé à l'étranger. Nous expédions presque 400 exemplaires; ce qui n'est pas mal pour une revue pareille et une colonie comme celle-ci. Et puis, si vous-voulez bien, n'oubliez pas un article concernant votre Kinyamateka, ne fut-ce que une note. Il faut faire connaître les travaux que nous entreprenons. Il faut montrer que vous savez faire quelque chose, même dans ces domaines: Omne honestum, omne bonum, omne pulchrum, etc. comme dit St Paul. Même accessoires, ils valent ce qu'ils valent: et toute valeur est respectable et désirable à sa place, n'est-ce pas? J'aimerais connaître votre opinion sur l'article d'un indigène d'ici sur la "Grossesse et l'enfantement". C'est un homme marié qui a écrit cette étude, que j'ai simplement traduite en français. En français il n'aurait jamais su écrire si bien; ce n'est pas un as dans cette langue (2). Il est vrai que notre revue ne parait que 4 fois, comme presque toutes les revues de ce genre. Elle a en outre le malheur de ne pas disposer d'une bonne imprimerie pour donner plus de texte et imprimer plus rapidement. Quand disposerons nous de mieux? En effet, le temps est précieux! Tout va si vite changeant! Venez voir ici! Et nous sommes si faibles! Le courant matérialiste est si violent! Là civilisation marche à grands pas! Vous m'en donnerez des nouvelles plus tard! On verra ou tout cela nous a conduits! Mais ce sera trop tard! Malheureusement, beaucoup de missionnaires ne remarquent pas ce qui est en jeu! Si on réfléchissait! Si on avait le tempe de lire ce qu'écrivent sur ces problèmes, les sociologues et penseurs européens: on serait édifié! Que je regrette que vous ne vous exprimiez pas plus clairement! Ces problèmes me hantent et me tracassent! Notre responsabilité pour l'avenir est si lourde. Et nous sommes si peu nombreux ceux qui regardent vers l'avenir et ceux qui pourraient ou voudraient faire quelque chose! Et nos moyens limités! Et toute l'emprise moderne!!! Si Dieu ne nous vient pas spécialement en aide, où, irons-nous? Ah! si nous avions déjà un puissant clergé indigène, qui puissent prendre en mains les destinées de l'Eglise dans leurs peuples! Et s'ils comptaient dans leurs rangs assez de guides pour leurs peuples dans tous les domaines. Car l'Eglise ne peut être absente nulle part: Elle a son mot à dire partout. Sinon nous vivons des situations comme l'apostasie massive que l'Europe a connue et continue de connaître! Mais tout cela ne peut nous décourager, doit plutôt nous inciter à mieux prier, mieux nous sanctifier, mieux travailler, opportunes, importunes! Je compte donc sur vous, cher Monsieur l'Abbé, et essayez de faire quelque chose pour notre revue. Et si possibles, racontez-moi un peu. Un jour tout percera quand même. Et s'il s'agit dé situations générales, qu'on n'ait pas peur: ici et ailleurs on en a vu tant! Je ne pense pas qu'on réussira facilement à m'offusquer ou scandaliser.La publication est autre chose parce beaucoup d'autorités soit laïques soit religieuses, n'aiment pas rendre publics certains faits. Surtout que notre revue passe aussi à l'étranger. Allons loin… et au plaisir de vous lire bientôt! Croyez-moi toujours vôtre, et sincèrement et fraternellement dévoué in C.J. NOTES 1. En voici un extrait "Un Père Blanc me dit que vous publiez un article d'un prêtre indigène sur le Rwanda. Je désire lire cet article (de Hemptinne à Hulstaert 25-1-1945). 2. Paul Ngoi, secrétaire de G. Hulstaert. Article publié dans Aequatoria 7(1944)14-24; 63-70; 117-124. Kabgayi, le 3 Mars 1945 Mon Révérend Père, Je Vous remercie beaucoup des beaux sentiments que Vous m'avez exprimés dans votre bonne lettre du 9 Février. Voici votre article profondément retouché; j'ai supprimé autant qu'il m'a été possible, tous les passages pouvant prêter flanc à de mauvaises interprétations, ainsi que tous ceux qui présentait quelque brin "d'humour"; c'est qu'en effet la situation est fort délicate! Vous désirez en savoir quelque chose! Et bien, Mon Révérend Père, je suis embarrassé, car la censure ne laisserait probablement rien passer! A voir les mesures prises à la suite de quelques articles de notre mensuel, au sujet de ces incidents, il semble que les Autorités [veulent] "flamber une hutte et cacher la fumée", comme dit un proverbe! Tout s'est cependant limité, grâce à la discipline des Hamites, qui en dirigeaient le mouvement, à des manifestations pacifiques, auxquelles le Gouvernement semble s'intéresser! Le Roi, d'accord avec le Résident, a indiqué une prochaine réunion de tous les Grands-Chefs, et aussi (fait significatif qui ne s'était jamais vu) les non-chefs qui en auront la possibilité. La Réunion devra avoir lieu vers la mi-Mars. En attendant de plus amples informations, voici cet article. Vous me dites que ce ne sera peut-être pas possible de le publier en entier dans votre 2ème Numéro! Ce sera dommage! Je comprends maintenant que votre proposition de collaborer à la Revue fut providentielle: On remarque actuellement que toutes les difficultés résultent d'une ignorance profonde des aspirations indigènes! On est trop superficiel pour faire des plans convenables de notre progrès! C'est pourquoi, a l'heure où nous en sommes, en ce tournant vital de notre histoire, la vraie cause de tous ces déboires devrait être exposée! Il faudrait que les Dirigeants se doutent de quelque chose! Cet article n'aura pas tout exposé, mais au moins il aura levé un coin du voile! Vous avez beaucoup d'articles en fardes, je le comprends; comme moi du reste! Mais je vous assure que, s'il était possible de publier cet article en entier, dans le même numéro, c.à.d. le plutôt possible, vous pourriez contribuer grandement à gagner l'esprit du Rwanda à la Belgique! Vous êtes si loin vous autres, et vous ne pouvez voir le travail d'une propagande anti-belge en action! Vous ne pouvez pas vous imaginer l'effet que la soi-disante indépendance du Buganda (1) produit ici! Je vous suggère donc de ne considérer que ceci: notre bien, et le bien de la cause Belge ici! Savez-vous que le mot de "plébiscite" n'est plus inconnu ici? Voyez si un article d'une actualité si pratique ne passerait pas avant des écrits purement scientifique! Pour le reste, je pense maintenant publier les articles semblables qui me restent (je les prépare) voire même dans la presse quotidienne! Les Dirigeants responsables ignoreraient peut-être la cause véritable de cette préjudiciable "belgophobie", car le contact entre le Gouvernement et l'Indigène n'est pas des plus compréhensifs. Tout ceci soit dit entre nous, Mon Révérend Père! Vous aurez bien la bonté de n'en faire communication à personne, car je ne suis pas qualifié pour divulguer des événements de ce genre! Bien que le Kinyamateka de Janvier et Février en ait publié l'essentiel! Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments filialement respectueux. (signature) P.S. [en ms et en marge] Le n° 4 de la Revue m'est parvenu le 2 Mars. On a écrit dessus ''Par Avion" mais avec franchise ordinaire. Auriez-vous la bonté d'avertir? En plus des 25 tirés à part que Vous m'adressez, envoyez 150 autres avec facture, et le tout par Avion. NOTE 1. Indépendance de l'Ouganda. Cher Monsieur l'abbé Kagame, Merci beaucoup pour votre bonne lettre du 3 dernier et pour l'étude retournée. Vous ne m'éclaircissez pas beaucoup. Je ne vois pas en quoi la censure interviendrait. Du moins aucune lettre de vous n'est censurée. Et puis: il parvient quand même certains bruits ici. Vous ne pensez tout de même pas que des voyageurs ayant passé par chez vous et revenant ici, ne parlent pas de certains problèmes qui me semblent fort apparentés à des questions pareilles d'autorité etc. Y a-t-il un lien? Je l'ignore. Vous parlez d'articles dans votre périodique. Et de réactions? Manifestations pacifiques auxquelles le gouvernement semble s'intéresser. Evidemment, il s'intéresse à tout. Tout comme l'église s'intéresse à tout ce qui la touche. L'état est un absolu. C'est pourquoi les indigènes ici ont un nouveau dicton: Dieu est Dieu au ciel, mais c'est l'Eétat qui est dieu sur terre." Et ce n'est pas un simple dicton. Si jamais ils étaient mis devant le choix entre l'état et l'église, nous n'avons aucun doute sur l'issu, salva gratia speciali. Maintenant pour votre article. Le n° 1 est sous presse. Et même si cela traîne, il n'y a plus moyen d'y mettre votre article. Je vais donc le mettre en entier dans le n° 2 qui paraîtra …quand? De toute façon il aura ainsi le plus d'effet comme vous le désirez. Croyez-bien que je n'ai pas de plus grand bonheur de faire ainsi plaisir à nos amis et à contribuer à protéger, dans la mesure de nos moyens archi-restreints--- songez à l'obéissance ecclésiastique et à l'attitude de nombreux missionnaires, chefs non exclus vis-à-vis de toutes questions indigènes --- la cause des peuples indigènes. Et je dis peuples non seulement dans votre sens, mais dans le sens général; une peuplade est un peuple aussi, mais c'est un mot péjoratif. Un peuple se définit par quoi? Qu'est-ce qu'une nation? Un état? Un empire? Pourquoi le Rwanda est-il un peuple et p. ex. les Mongo pas? Question de définition: status questionis voilà où nous devons toujours revenir d'après la méthode scolastique... Il y aura plus de troubles politiques chez vous qu'ici: mais le trouble moral est plus grave à mesure d'absence de troubles politiques. L'abandon, le désespoir d'un peuple est plus grave que sa révolte!! L'ignorance profonde des aspirations indigènes! Evidemment! Comment voulez-vous que les Européens du XXe siècle y comprennent quelque chose! C'est une impossibilité, à part pour quelques rares esprits exceptionnels (mais qui, par définition historico-psychologique, n'ont rien à dire). Mais il y a des personnes qui sont assez fins politiciens pour flatter, faire de la démagogie et ainsi donner satisfaction aux aspirations indigènes qu'ils donnent l'impression de comprendre et qu'ils comprennent effectivement si l'on comprend le mot aspiration dans le sens de "désir, convoitise, concupiscentia", etc: Je n'aime donc pas que vous dites que cette connaissance, cette responsabilité du gouvernement, du Blanc, ou cette attitude morale devant les problèmes coloniaux, varie selon qu'il s'agit de "peuples" ou de "tribus émiettées." La morale est une. Mais je comprends moins la propagande faite chez vous. Ou plutôt: je sais que cette propagande n'a jamais cessée (ni ici!!!) mais d'une façon plutôt sournoise... O.K. pour l'expédition par avion. Et pour les tirés à part spéciaux. Voudriez-vous me faire le plaisir de penser à me faire parvenir des timbres oblitérés du Rwanda et de demander à vos postiers de mettre comme ce dernier? Vous devez recevoir des correspondances... Pensez aussi à votre note sur le Kinyamateka... Et croyez-moi bien, cher Monsieur l'Abbé, votre fraternellement dévoué in C.J. Kabgayi, 14 Avril 1945 Mon Révérend Père, C'est avec joie que j'ai reçu votre dernière lettre, par laquelle vous m'apprenez votre décision de publier mon article en entier au deuxième Numéro de la Revue. Par une heureuse disposition de la providence qui mériterait d'avoir été voulue, la Réunion des Grands notables du pays qui aurait du avoir lieu en Mars, a été ajournée, elle aura lieu probablement à la mi-juin. De cette façon, l'article arrivera peut-être à temps, pour faire réfléchir les responsables. Le Roi y attache une grande importance et s'est réjoui à la nouvelle de cette publication prochaine de l'article en un même numéro. Vous me dites que mes lettres ne sont pas censurées! Il arrive parfois que les censeurs aient cette idée en tête! En tous les cas nous avions à craindre la chose, vu la situation d'ici, et l'animosité créée par ces troubles! Pour vous le dire en quelques mots: il y a bien des années que le Gouvernement à organisé des marchés obligatoires de bétail! Or, cela se réduisait pratiquement à des vols officiels, dont le Gouvernement n'est pas responsable, mais tout de même pas excusable! Il ne pouvait pas se faire que l'intérêt personnel de certains agents y restent étrangers! Finalement la guerre mit le comble à ce que les indigènes appelaient "brigandage" belge! Ajoutez à cela cette famine qui vient de ravager le pays! Les indigènes affirmèrent que cette famine vient de l'organisation défectueuse du Service agricole! Les Agronomes ne surent pas en effet sortir de leur méthode livresque pour s'adapter au climat et aux cultures indigènes! Cela est évident pour quiconque connaît la région: depuis Usumbura (altitude 700 m) jusque dans les régions des volcans (2800 m), les cultures étaient les mêmes, et devaient s'exécuter dans la même semaine! De là une pénurie de vivres qui se fit sentir 2 ans avant le fléau; celui-ci ne se fit voir brusquement qu'à la grande sécheresse! Exode en Uganda bien avant le fléau, pour échapper à ces "vexations belges"! Le comble fut que les responsables, pour se justifier, accusèrent les Batutsi d'être la cause de la famine! Ceux-ci, spécialement dans la grande réunion des Chefs à Kigali en Mai 1944, montrèrent clairement que le Gouvernement ne les consulte pas, et qu'ils ne peuvent pas être rendus responsables des suites de ces mesures dictatoriales prises à l'encontre du bon sens le plus élémentaire! De là, lutte ouverte entre "Européens et Propriétaires Vachers"! Survient l'indépendance de l'Uganda, couronnant une propagande anti-belge bien menée! (Je dis propagande étrangère!) Les Banyarwanda disent qu'au lendemain de la victoire, un plébiscite sera provoqué pour se choisir un protecteur plus humain! (Disons que les dirigeants de ce mouvement à l'étranger, parce qu'ils vexent les mandatés belges, alors que ceux-ci ont sous le nez les traitements princiers dont les protégés dé l'Angleterre sont l'objet!) Le Roi est accusé également d'avoir trahi son pays, parce qu'il ne fait rien pour le protéger contre les Européens! (Mais la réalité est qu'il a été à l'écart du commandement, et que tout le mal est venu de là)! Finalement en Décembre dernier tout le pays se mit en branle! Ce fut une surprise peut-être pour les dirigeants Européens, mais cela était trop clair pour quiconque savait tout le dessous de ce mauvais esprit! Le Roi dut même avertir le Gouvernement du danger que courait les vétérinaires et marchands de bovidés! Plusieurs centaines de délégués venant de quelques territoires, se rendirent à Kigali pour déclarer au Résident Sandrart qu'on avait assez de ces tracasseries! Mais tout fut exposé en des termes modérés, pour voir si le moyen suffisait: Autrement il y aurait lieu de recourir à d'autres moyens, mêmes violents si besoin en était. Heureusement on n'arriva pas jusque là! Le Gouvernement se rappela que le Roi était là pour quelque chose! C'était une issue honorable, car cela coûte de battre en retraite devant la foule! Le calme revint avec le retour du Roi au pouvoir! Il suggéra lui-même au Gouvernement les arrangements qu'il jugeait justes vis-à-vis des intérêts indigènes; il rassura le Gouvernement qu'il en prenait la responsabilité, et maintenant les marchés de bétail réorganisés sont présidés par le Roi en personne. Il a donné ordre aux Chefs et Sous-Chefs de présenter d'abord leurs vaches (Notez que le Roi, pour ménager une retraite honorable au Gouvernement, a maintenu la vente au titre de "oeuvre de guerre", car la vraie raison n'était pas là; et il le savait, et il l'a démontré). Un exemple de ces marchés présidés par lui: dans celui du Territoire d'Astrida, en plus des vaches qu'il avait imposées aux 6 Chefs des Provinces il y a eu 12 vaches des volontaires; bien plus un Sous-chef fut frappé d'une amende de 5 vaches à présenter au marché prochain, pour avoir amené là une vache appartenant à un pauvre: ce qui retombait dans l'abus reproché aux organisateurs blancs; il va sans dire que le paysan rentra avec sa vache, en bénissant le Roi. Au marché du Territoire de Nyanza du 11 avril, les provinces convoquées devaient présenter 240 vaches! Eh bien il y en a eu 514! (Le Roi a donné l'exemple de ce sacrifice que les grandes doivent faire en faveur des petits propriétaires vachers, en donnant 84 vaches de ses propres troupeaux dont 40 furent achetées). Sur les 314 vaches, 251 furent achetées. Chose remarquable: des innombrables marchands de bétail convoqués à ce marché, comme d'habitude, UN SEUL se présenta et acheta toutes ces vaches. Les autres déclarèrent qu'ils avaient encore des vaches en réserve: Et le Roi me dit ce jour là: "Geste significatif! Ils craignent des marchés contrôlés"'. Actuellement le pays est calme: tout le monde est content; j'ai une lettre publique adressée aux Autorités, par le Conseil des Propriétaires Vachers (Conseil né spontanément dans ces circonstances des luttes pour la justice) remerciant le Roi et le Gouvernement d'avoir écouté leur plainte et fait justice à leur réclamation! Voilà une illustration de mon article; et on va le voir de plus en plus! Pendant ces jours troublés, le Conseil de la Province de Kabgayi (Conseil comme celui dont je viens de parler) m'envoya un article que j'eus garde de publier et dans lequel est dit: "Le Gouvernement est en train de s'étonner de ces troubles qu'il ne peut plus dominer!. Mais même les indigènes qui réclament contre ces injustices, ne savent pas au juste où gît le mal véritable! Il consiste en ce que le Pays n'a plus de tête! Le Roi a été dépossédé pratiquement, et les intérêts des particuliers se sont décharnés! Maintenant le droit du plus fort ravage le Rwanda beaucoup plus qu'il ne le faisait avant l'arrivée des Blancs! Le Roi ne protégeant plus les faibles, comment rester en paix? Enlever le bouchon d'un bidon d'essence en plein soleil, et l'essence resterait dedans?" Voilà le nœud!!! Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux. Abbé Alexis Kagame P.S. J'oublie toujours vos timbres, en voici une petite poignée. Je n'en ai pas de plus élevés, ma correspondance étant par principe indigène. Kabgayi, 19 Avril 1945 Mon Réverend Père, J'ai reçu aujourd'hui même votre petit mot, me suggérant un changement dans l'article sur LE RWANDA ET SON ROI. J'espère qu'entre temps ma dernière lettre vous aura été remise. Elle a croisé en effet la carte postale (1). Je crois que cette lettre vous aura fait comprendre combien cette introduction est importante et fort utile! C'est là, sans l'avoir dit en toute lettre, que gît l'âme de tout l'article d'une part, et puis dans la conclusion d'autre part. Si votre suggestion vient de la longueur de l'écrit, je vous proposerais plutôt de réduire les poèmes aux passages essentiels. Du reste j'ai relu l'article et ne vois pas trop comment remplacer cette introduction, dans le cas où il serait nécessaire de la supprimer. A cette considération s'ajoute le fait que Mgr Déprimoz est en tournée; et je sais très bien que c'est la partie de l'article qui l'intéresse pour les circonstances actuelles. J'ai découvert d'autres fautes d'impression (de dactylo); mais vous les redresserez sans peine; la plus compliquée serait peut-être celle de la page 9, dans le vers: POUR LES RACIENS DU ROI. Il faut RACINES du Roi. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux et bien reconnaissants. Je vous écrirai sous peu. Abbé Alexis Kagame Cher Monsieur l'Abbé, Merci beaucoup pour vos deux récentes lettres. Je comprends maintenant mieux votre insistance sur la publication de l'article! Quant à l'introduction, je parlais de la petite introduction AU LECTEUR, qui était plutôt personnelle et qui était un genre d'excuse. Je l'ai omise d'accord avec le P. Moeyens. Pourquoi vous excuser? Vous avez fait des études mieux que nombre d'européens. Vous êtes prêtre. Et surtout; vous êtes Rwandais. S'il y a des personnes capables de traiter de ces questions, n'est pas vous et vos confrères? Il n'y avait évidemment aucunement question d'omettre l'introduction telle que vous l'entendez. Je comprends qu'avec la conclusion, c'est la partie essentielle de votre article. Tranquillisez-vous donc entièrement. Qu'aurait était un crime que d'omettre cette partie essentielle dans les circonstances données. Vu ces circonstances, nous avons mis notre ardeur à vous aider le plus vite possible. Je viens de corriger déjà les premières épreuves jusqu'à la p.6 de votre MS. Donc vous voyez que nous ne laissons refroidir le fer. Il faudra du temps dans notre imprimerie pour achever tout. Mais le P. Moeyens qui est en congé à présent, m'a promis de faire tout ce qu'il peut. Je lui ai encore demandé de vous envoyer les tirés à part dès que tout l'article sera imprimé. Donc nous n'attendrons pas la parution du numéro pour tout vous expédier. Ainsi le texte pourra déjà servir à vos buts. Votre article sera là premier du n°. Nous ne pouvons prévoir la date quand le numéro sera entièrement prêt et expédié. Le P. Joseph pense cependant que cela pourrait se faire pour la mi-juin. S'il y avait des raisons plus spéciales pour activer, écrivez-lui personnellement; car je dois partir en route demain, pour le Tshuapa et Lomela et ce voyage me prend toujours un minimum de 2 mois. Entre-temps d'autres pères se chargent de la correction. Ouant à moi, continuez TOUJOURS à m'écrire à COQUILHATVILLE; le courrier me suit toujours. Ne faites donc pas attention à la localité d'où je date mes lettres! Maintenant encore un détail: Nous avons été obligés d'augmenter les prix des tirés supplémentaires. Mais pour votre cas nous nous tiendrons à l'ancien prix. Le P. Moeyens m'a promis de vous envoyer tout PAR AVION. Je vous suis très reconnaissant pour les timbres que vous avez bien voulu m'envoyer. Vous continuerez n'est-ce pas? Conservez-moi aussi les timbres qui seront sur les paquets avec vos tirés. Je comprends que votre correspondance intérieure ne vous apporte pas beaucoup de spécialités. N'importe! On ne demande tant! Tout est le bienvenu! A ce sujet une petite suggestion que vous pourriez aisément mettre en pratique: tâchez de mettre sur vos lettres etc. une VARIETE de timbre de toute valeur, petites et grandes, de la sorte, il en arrivera déjà plusieurs qui sinon ne seraient pas reçues par moi et mes amis: 0.10, 0.15, 0.25, 030, 0.50, 0.60, 0.75, 1, 1.25, 2.-, etc. aussi des timbres avion s'il en existe de spéciaux pour le Rwanda. Quant aux envois plus importants, tachez de me faire mettre les timbres de la plus haute valeur nécessaire. Donc s'il y a un envoi demandant 7 fr. qu'on mette un timbre de 7 fr. La poste d'Usumbura possède certainement toutes les valeurs. A la prochaine occasion donc, cher Monsieur l'Abbé, et croyez toujours à mes sentiments fraternellement dévoués in C.J. Cher Monsieur l'Abbé, Votre évêque vous a déjà communiqué tout ce qui s'est passé autour de votre article: Le Rwanda et son Roi. Je lui avais écrit d'abord, car je ne voulais directement vous mettre à la hauteur par écrit, le choc est plus dur, tandis que la parole paternelle de votre évêque pouvait beaucoup adoucir la peine. Il m'apprend maintenant qu'il vous a informé et que vous avez supporté l'épreuve chrétiennement et sacerdotalement, sans y perdre votre sans-froid. Je vous félicite de votre attitude digne. Mais je pense qu'intérieurement la peine doit avoir été très vive. Nous sommes tous hommes et nihil humani a me alienum puto, peut être dit par tous, qu'on soit prêtre qu'on soit noir ou blanc de peau, qu' on soit même Mututsi. Car d'après qu'on apprend à droite et à gauche, ce semble être un caractère des Batutsi de conserver leur dignité devant tout et tous. C'est là une qualité rare, vous le savez. Et vous n'ignorez point que c'est pas précisément une qualité que beaucoup d'Européens possèdent. De toute façon, soyez assuré que j'ai beaucoup compati à votre peine, causée par ce jugement impitoyable. Est-ce à cela que vous faisiez allusion quand vous m'écriviez que vous devriez souffrir à cause de cet article? .De toute façon, moi-même n'avais nullement attendu le coup de la direction où il nous est arrivé. Mais l'épreuve aguerrit et fortifie, et sanctifie si avec la grâce de Dieu, qui ne nous manque pas, on supporte. Personnellement tout cela m'a donné beaucoup de peine, je ne le cache pas, a suscité des tentations de découragement, m'a donné beaucoup de tracas et de perte de temps pour tâcher d'adoucir et de justifier nous mêmes et nos collaborateurs. Cela aurait-il servi dans les domaines de la revue et de son oeuvre? Je l'ignore, mais je pense que non. J'ai reçu quelques indications que des amis sont restés fidèles. On nous demande une mise au point des erreurs: on nous fournira un texte critique jusqu'à présent, je n'ai encore rien reçu. J'ai surmonté les tentations de découragement, grâce à Dieu. Et je suis resté assez calme, très calme, très peu bouleversé. Car ce n'est pas la première fois que je reçois des coups inattendus dans ce genre. Comme l'épreuve est la marque de succès pour plus tard et une preuve de ce que le bon Dieu ne nous délaisse pas, cela va très bien n'est-ce pas? On continuera donc l'œuvre très prudemment. Je regrette cependant que provisoirement vous ne pourrez plus collaborer. J'ai au moins demandé à votre évoque que le Rwanda ne reste pas absent de nos colonnes. Entre-temps obéissons parfaitement et inclinons-nous humblement devant les décisions de nos supérieurs. L'humilité est une vertu qu'on n'obtient que par les humiliations; sachons en faire notre profit spirituel et alors tout va bien! Vous nous avez envoyé le payement pour les tirés à part; vous aurez remarqué que nous avons fait un prix de faveur, ne correspondant nullement au taux indiqué sur la couverture de la revue. Vous y aviez ajouté 10 abonnements à commencer par le n° 2. Ici je dois vous faire remarquer que nous ne commençons pas les abonnements dans le courant de l'année, mais seulement au début. Que faire maintenant? Donnez-nous vos instructions, s'il vous plait bien. Et à propos, si vous avez conservé les timbres sur les paquets voulez-vous bien me les renvoyer; avec des timbres du Rwanda, comme je vous avais demandé et que vous en aviez envoyé déjà. Les timbres oblitérés me feront toujours plaisir, car mes amis m'en demandent tant, un peu de partout. J'espère que notre amitié et notre correspondance ne seront pas refroidies par l'épreuve, bien au contraire. Nous verrons plus tard, question de collaboration, selon la décision de votre évoque. Toutes ces difficultés vous seront une explication suffisante pour la non parution du n°3. Suspendu d'abord; puis après une longue attente permission de laisser paraître, sous certaines conditions, qu'il a pris du temps pour réaliser; pertes évidement de temps, et réimpression de la moitié du numéro; donc perte financière sensible déjà la deuxième de cette année (1) et la troisième dans notre existence... Pour le reste, je vous souhaite bon courage et que Dieu protège votre personne et votre pays. Et demandons-lui que l'épreuve nous serve à tous spirituellement et revienne en bénédiction sur votre peuple. Et croyez-moi, cher Monsieur l'Abbé, toujours votre bien dévoué in unione precum et sacrificiorum, dans le Cœur de Jésus et de Marie. G. Hulstaert NOTE 1. Première perte: le n° l de 1945 sur la polygamie, imprimé à 400 exemplaires et brûlé sur ordre de Hulstaert après opposition à sa parution par Dellepiane. Le numéro 3 a été partiellement refait. Quant à la "3ème perte": je puis affirmer n'être pas en connaissance d'un autre numéro refait ni en tout ni en partie. Peut-être est-ce une allusion à un article de Possoz, après interdiction en 1942 par Dellepiane de publier encore quoi que ce soit de cet auteur. Kabgayi, le 18/11/1945 Mon Révérend Père, J'ai reçu votre dernière lettre et je vous remercie beaucoup pour les bons sentiments que vous m'exprimez. D'abord les timbres oblitérés: ceux qui ont servi à affranchir les paquets de brochures que vous m'aviez expédiés, je les ai renvoyés à votre adresse, comme vous l'aviez recommandé. Il est vrai que vous étiez alors absents. Quant à ceux de ma correspondance, je vous avoue que je suis dévalisé, pour ainsi dire, d'une façon régulière. Ne croyez pas que j'étais inoccupé à ce point de vue; on me les demandait dès longtemps, surtout pour la propagande. Venons-en à notre grande affaire: j'ose vous dire sincèrement, Mon Révérend Père, que cela n'a fait sur moi aucune impression! Je l'ai su dès les premiers jours de l'incident, et j'ai craint simplement pour votre Revue. Je voulais vous écrire, mais Mgr a préféré que vous commenciez; et voilà pourquoi je n'ai pas pu vous en parler. Dans votre lettre vous semblez me consoler, en parlant de "ce coup inattendu", etc. Cela aura à me fournir l'occasion de vous dire mes principes là-dessus. Lorsqu'il arrive qu'on fasse une faute, une erreur, une action inopportune, il ne reste plus rien autre chose à faire que d'en tirer la leçon, et à se garder pour l'avenir. Et je trouve toujours superflu de dramatiser de reproches pour une action "faite". Il suffirait de faire remarquer la chose, pour qu'on se corrige pour les actions similaires à venir. C'est vous dire donc que la remarque ne perd pas son caractère de "correction" de n'importe quel côté qu'il vienne, et sous n'importe quelle forme qu'il se présente. Il doit y avoir sans doute d'autres cotés de la question que j'ignore, selon lesquels vous jugez de la décision des Supérieurs; quant à moi, quant à ce qui me concerne avec cet article, je ne trouve pas qu'il ait de quoi trembler! Il aurait suffi qu'un confrère me signalât tel passage qui ne lui plaisait pour que je supprime; que nos Supérieurs le disent, et je suis prêt, non seulement à marcher dans leur sens mais même à abandonner entièrement mon travail sur le Rwanda ancien! Voilà mon principe directeur dans mon travail de presse! Et comme je vous le disais plus haut : je n'ai pas pensé autrement, à cette nouvelle. Et je ne pense pas autrement, lorsqu'il s'en présente de la sorte. Je suis conscient de ce que je vous dis: le mensonge serait une abomination impardonnable devant Dieu, si j'osais mentir à cette heure. Vous me parlez du sang-froid des Batutsi; je me suis demandé comment vous avez pu apprendre la qualité de ma race. Mais je le constate de jours: les Européens nous sont inférieurs à ce point de vue, et en des points connexes, v.g. la discrétion, l'habilité dans la façon de mener un "torpillage" de cette espèce. Pour ce qui concerne cet article, je distingue deux choses: 1° l'appréciation philosophique qui laissait à désirer; je n'avais pas à tout dire dans un article si restreint, et je confesse les lacunes qui s'y rencontrent! La prochaine fois, je serais plus complet. 2° L'opposition à notre Roi! Je crois vous en avoir dit un mot précédemment. Ici l'opinion des blancs est partagée en deux camps au sujet de cet article; je possède des lettres de félicitation de la part de personnages qualifiés de l'Administration. Le Roi sait bien la chose et il est à souhaiter qu'il ne sache pas l'intervention ecclésiastique sur le fond doctrinal: il en serait offensé. Je n'ose pas vous dire davantage: retenez cela pour vous! Au fond, la Revue a bien mérité, à ce dernier point de vue, pour le bien du Rwanda; et au mien, pour le premier point. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments respectueux. Coq, 2/12/1945 Cher Monsieur l'Abbé, Merci beaucoup pour votre bonne lettre. Je suis heureux d'y lire de quelle belle manière, toute sacerdotale, vous avez pris ces événements qui auraient gravement choqué beaucoup d'entre nous. Car, outre la chose même, il y a les circonstances et les à-côtés. Enfin, passons et laissons le bon Dieu continuer d'agir à sa guise. Vous avez craint pour la revue. Il y a eu de quoi! Et soyez assuré que d'après moi, on nous analysera jusque dans les moindres détails pour voir s'il n'y a rien à réprouver. Nous attendrons patiemment les résultats de cette opposition. D'après tout ce que je sais, c'est surtout la position que nous avions adoptée vis-à-vis des questions indigènes qui nous a suscité tous les ennuis. Vous l'aurez sans doute aperçu vous aussi. Nous avions pensé que nous ne devions rien condamner avant d'avoir bien étudié les choses, convaincus que nous Européens savons si peu de l'indigène, de sa vie et ses pensées, que nous avons trop facilement dédaigné les choses que nous croyions connaître, grâce à notre complexe de supériorité culturelle, alors que nous ignorons tout l'essentiel et qu'encore maintenant nous devons nous déclarer en toute franchise ignorants. Quelques rares esprits ont commencé à s'apercevoir des fonds des choses indigènes; mais on les reçoit comme un chien dans un jeu de quille. La vérité ne peut être vue, et surtout ne peut être dite. Nous avions voulu contribuer notre modeste part à l'œuvre d'étude, de réhabilitation de l'indigène. Notre parole n'est pas acceptée. J'espère en tout cas que, aussi longtemps qu'on laissera vie à notre revue, le Rwanda ne restera pas absent. Jusqu'ici nous n'avons pas encore eu de défections dans nos abonnés, à part celles qui se présentent toujours surtout en Afrique. A part les Frères du Groupe Scolaire d'Astrida. Mais j'ignore si cela a quelque chose à faire avec votre article. Nous allons dans le n° 4 donner une rectification basée sur une critique qui a été faite de votre article. Ne vous en étonnez point! Le n° 3 vous a été envoyé il y a quelques jours par avion. Vous ne m'avez pas répondu à la question: que faire des 10 abonnements commandés il y a quelques mois? Nous n'avons rien expédié attendant vos explications. Car comme je vous le disais: l'abonnement commence toujours au début de l'année. Nous attendons vos instructions. Comment on sait un peu de chez vous? On lit, on étudie, on écoute et on réfléchit. Et quand on fait cela en esprit de vérité et de sincérité, on arrive. L'amour fait beaucoup pour comprendre! Et ceux qui n'aiment pas ne le sauront évidemment jamais. Je suis depuis de longues années débarrassé de mon complexe de supériorité nationale, culturelle et tout ce que vous voulez. La lutte a été dure, évidemment, mais enfin on triomphe quand même quand on s'y met sérieusement. On apprend ainsi à juger les autres, non selon les apparences mais selon la réalité. Tout n'est pas parfait en un jour; mais Dieu nous donne sa grâce. Votre lettre renvoyant les timbres des paquets ne m'est jamais parvenue. Même en route, le courrier me suit toujours régulièrement mais des lettres peuvent se perdre, surtout si elles ne sont pas adressées au nom personnel. Je ne savais pas que d'autres vous demandaient des timbres du Rwanda. En tout cas, j'espère que vous ne m'oublierez pas. Car j'avais déjà promis à des amis de leur en envoyer bientôt, comptant sur vous! Et si vous pouviez mettre sur vos lettres plusieurs variétés différentes on avancerait déjà un peu. En tout cas, je compte sur vous. Bien à vous cher Monsieur l'Abbé, et in unions precum in C.J. Kabgayi, 7/12/1945 Mon Révérend Père, Je viens de recevoir-votre lettre du 2 Décembre. Je vous en remercie beaucoup. J'ai lu également la brochure "News from Belgium and the Belgian Congo". Le résumé de l'article a été donné dans l'esprit qu'il aurait dû rencontrer chez tous. Je ne parle pas l'Anglais mais je le comprends dans les livres. Je l'ai appris en vue de mes renseignements à puiser dans les ouvrages de cette langue. Vous aurez certainement la bonté de leur transmettre mon petit mot de remerciement. Je suis en train de composer l'article demandé, il y a trois semaines, par le Rev. Smith, de Londres. Monseigneur est d'accord, et je penser l'envoyer dès la semaine prochaine (1). Quant à celui de Johannesburg, il ne m'a rien écrit. Dans le cas où vous le jugerez utile, vous pourriez l'en avertir: en s'adressant directement à moi, il aurait ce qu'il désire. Pour les 10 abonnements demandes, envoyez les numéros à l'adresse "R.P. Derson, Mission de Nyanza". Il les passera au Roi. Je vais lui expliquer la raison pour laquelle il n'a pas été servi cette année-ci. Quant à la rectification de mon article, je vous demande avec insistance de rien publier la-dessus, sans que j'aie vu l'article. J'espère que je vous en empêche à temps. J'ai lu cette critique, mais elle est entièrement à côté. Je suis en train de la réfuter. Le mieux serait de me remettre l'article en question, pour que je vois si le mieux ne serait pas de vous donner les explications nécessaires: j'ai une réponse péremptoire à tout. Cela ne vous coûtera rien de me l'envoyer, par le prochain courrier, même s'il est déjà composé vous le recevrez la semaine d'après. Je veux justifier par les faits, et non par des demi-mesures. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, avec mes remerciements anticipés, l'expression de mes sentiments de grand respect. Abbé Alexis Kagame [P.S. en marge]: Que pensez-vous de mes articles dans "La Voie du Congolais"? Les critiques verront bien que je ne rétracterai rien en matière monarchique, car il s'agit de cela au fond. Vive Mutara III et Léopold III. NOTE 1. "La voix de l'Afrique: un poème du Rwanda avec traduction" dans Africa 17(1947)41-46. Kabgayi, le 7 décembre 45 Mon Révérend Père, Je viens de-recevoir le "News from Belgium and the Belgian Congo", que vous avez eu la bonté de me faire parvenir, de la part du Belgian Information Center, de NewYork. C'est avec plaisir que je l'ai parcouru. Le résumé de l'article "Le Rwanda et Son Roi", donné sous le titre "Native Poetry in Ruanda" (en page 205) m'a fait plaisir; non pas en lui-même, mais à cause de la délicatesse qui a poussé à me l'envoyer. C'est un encouragement pour moi, de trouver de pareilles appréciations: la Belgique fait un bien immense ici. Elle en fera encore davantage, dès qu'elle nous connaîtra dans ce que nous avons de plus intime. Nous nous y emploierons de toutes nos forces. Auriez-vous la bonté de transmettre mes remerciements à ceux qui ont eu cette condescendance à mon égard. Veuillez agréer, Très Révérend Père, avec mes remerciements anticipés, l'expression de mes sentiments très respectueux. Abbé Alexis Kagame [au verso] P.S. A propos du "Groupe Scolaire d'Astrida", c'est là justement le centre vital de l'opposition à l'article. C'est donc à cause de cela qu'ils se sont désabonnés. Mais les 10 abonnements demandés par le Roi vous donnent une compensation plus équitable et beaucoup plus flatteuse. Si j'avais l'assurance que ma lettre ne rencontrerait pas des curieux, je vous dévoilerais quelque peu le dessous de cette attaque; ce n'est pas du tout louable, pour ce qui regarde les opposants d'ici. Je vous dirai toujours que le point de vue philosophique est du ressort des Autorité Ecclésiastiques, et que je ne dirais absolument rien si je savais le sentiment de Mgr Dellepiane là-dessus. Aussi la réponse que je prépare ne vise que le côté faux de ce théologien censeur, en matière de coutumes du Rwanda, et à propos des allégations injurieuses qu'il a imputées à ceux qui nous forment. S'il avait été question de moi, je me tairais. Cet article qu'il a voulu traiter en matière de contre-bande en ce qui regarde le Droit Canon (Imprimatur de l'Evêque) avait été lu en réalité par Mgr, par son Vicaire Délégué, par son Secrétaire, par Mgr Cleire, alors Recteur de Nyakibanda, par le R.P. de Decker, Professeur de Philosophie, et enfin le R.P. Langouche, (possesseur d'un Grade en Droit Canon de l'Université de Louvain et (je le sais par Mgr) par Mgr Grauls, Vic. Apostolique du Burundi. Ils n'ont rien trouvé de répréhensible, même après cette attaque. Vous comprenez dès lors que je ne puis diriger une affirmation si peu humble d'un "expert en magie congolais", qui déclare solennellement que l'article aurait dû être épluché par un homme compétent. Il est très fort, lui qui est plus compétent que tout ce monde d'experts dans nos régions. (Je leur ai fait lire cet article, il l'ont approuvé; mais ici il n'est pas reçu, comme le théologien en question semble l'affirmer, que les écrits des Abbés soient des plagiats, faits par leurs Professeurs). Dans tout cela je dois conserver le calme, comme il convient à un Munyarwanda, doublé d'un Prêtre; mais je défendrai ceux qu'il a outragés. Cher Monsieur l'Abbé, Un grand merci pour votre bonne lettre. Je vous joins, donnant suite à votre demande, une copie de la MISE AU POINT. Mais vous arrivez trop tard pour empêcher la publication ou la retarder: la chose est faite! Car cette rectification DEVAIT être publiée dans le n° 4 de cette année; et nous sommes déjà mi-décembre. La publication d'une rectification de toutes les erreurs signalées par le professeur en question nous est imposée: nous ne pouvons nous y soustraire. Nous croyons sincèrement avoir rectifié dans ces lignes tout ce qu'il a à rectifier en nous basant sur le document qui nous a été transmis. Nous avons fait cette mise au point la plus courte possible sans rien omettre d'essentiel selon les paroles et l'esprit de la critique qui nous a été envoyée. Vous pourrez d'ailleurs juger par vous-même que nous l'avons fidèlement suivie, à part les suspicions qui y sont émises. Et souvent nous avons emprunté les termes mêmes de la critique. Je ne pense guère qu'on puisse trouver quelque chose à redire à notre texte. Je crains seulement que les lecteurs qui n'auraient rien vu de spécialement alarmant dans les passages incriminés et qui, sans doute, sont l'immense majorité, ne se mettent maintenant à éplucher et à lire attentivement l'article avec le résultat probable que d'aucuns pourront laisser travailler leur fantaisie avec les conséquences. Mais cet effet ne nous sera pas imputable à nous. Nous devons faire confiance à nos chefs et leur faire crédit qu'ils ont prévu ces effets et qu'ils ont jugé mieux valoir les admettre que de laisser passer la chose sans réaction. Vous parlez d'une réfutation des critiques vous adressées. Je comprends très bien que vous pourrez le faire et mettre les choses au point. Mais cela rapportera-t-il quelque chose? En outre, j'ignore ce que vous allez faire de cette réfutation. Est-elle destinée à la publication? Je sais qu'il peut toujours exiger d'une revue qu'elle admette le droit de réponse, garanti même par la loi. Si vous aviez l'intention de nous demander la publication, nous ne pourrons la refuser devant la loi. Je me demande cependant quelle sera la réaction de nos chefs. Nous serions peut-être mis dans une impasse. Les conséquences graves pour la revue ne pourront pas nous arrêter de faire notre devoir et de pratiquer la vertu d'honnêteté. Mais il pourrait y avoir d'autres conséquences plus graves pour la bien général. Je vous soumets ces réflexions à titre d'ami et de confrère en N.S. Je crois qu'il est de mon devoir de le faire. Notez qu'il ne s'agit nullement de moi ni de la revue mais du bien général. Le bien des âmes et de l'Eglise reste toujours notre principal souci, à vous comme à nous. Vous verrez ensuite vous-même avec votre évêque ce qui convient d'être fait ou omis. Vous avez donc accepté l'invitation du Rév. Smith de collaborer. Quant au professeur de Jo'burg, je pense qu'il vous écrira personnellement. Votre évêque ne semblait d'abord pas disposé à ce que vous y donniez suite. Peut-être ne vous cherchera-t-on pas de difficultés si vous collaborez à des revues laïques ou neutres... Je regrette infiniment tous ces contretemps et surtout que la mise au point n'a pu vous être soumise avant publication. Le temps pressait vraiment. Ce serait trop long pour vous expliquer tout cela en détails. Mais je veux croire que votre charité ne nous en voudra pas, nous n'y pouvons vraiment rien. Transmets copie à votre évêque. Salutations... Cher Monsieur l'Abbé, Merci beaucoup pour votre bonne lettre du 7 dernier. Oui, ces gens ont mieux compris que d'autres la portée de votre article. Si vous croyez qu'il est utile de les remercier, je pense qu'il serait préférable que vous le fassiez personnellement. Il n'est pas de mise, généralement, de remercier pour un envoi pareil. C'est considérer comme politesse élémentaire d'envoyer à l'auteur un exemplaire ou une copie d'un texte qu'on lui emprunte ou d'une note qu'on fait sur ses travaux. J'ai beaucoup apprécié votre note en annexe concernant la fidélité à l'autorité spécialement à la monarchie. Hélas, elle est de plus en plus rejetée. Et si elle n'est pas la seule forme possible du pouvoir politique, elle peut être nécessaire dans certaines situations ou au moins fort utile. Elle donne un élément de stabilité et est un signe d'union. La force de l'Angleterre réside en grande partie dans sa fidélité à la monarchie et à ses anciennes traditions. Et les ennemis de la religion, regardez l'histoire, se sont toujours attaqués à la monarchie. Ils voient clair. Chez vous et en général dans les colonies l'opposition à ce qu'on nomme le pouvoir autoritaire des rois et chefs, a encore une autre raison; c'est un frein à la liberté d'expansion politique et économique du pouvoir colonisateur. Là où le pouvoir autochtone est fortement établi, il est difficile d'introduire tout ce qui plait à l'européen; il doit tenir compte du peuple. Entendu pour les abonnements au compte du Roi. Remerciez-le de notre part pour l'intérêt qu'il veut prendre à notre oeuvre; exprimez-lui, si vous voulez bien, notre dévouement au bien-être de son peuple comme de tous les peuples africains. Il comprendra le contretemps qui nous a été infligé et combien nous regrettons que tout cela nous a empêché de faire davantage et surtout de mettre nos colonnes au service de son peuple. Nous espérons cependant que vous et d'autres pourrez vite reprendre la série d'articles sur le Rwanda. Pour aimer, il faut qu'on connaisse! Vous connaissez assez mes opinions à ce sujet. Tout dépendra du degré de vie qui nous sera laissé! J'avais donc deviné juste à propos du Groupe Scolaire. Ne croyez pas que les échos n'arrivent pas jusqu'ici! Quand on s'intéresse à quelque chose, on finit toujours par apprendre beaucoup de ce qui ne se publie pas... Je ne comprends pas très bien comment vous allez faire votre réfutation du théologien ni à qui ou quoi vous la destinez. Vous n'aurez certes aucune difficulté pour éclaircir votre position de telle sorte que vous ne désapprouverez pas notre mise au point. Nous passons évidemment des questions de mots; comme quand il parle de "à l'infini". Il vous fait le crédit de ne pas posséder parfaitement le français. Comme si votre évêque n'avait pas le français comme langue maternelle! Et comme si le dictionnaire n'explique pas la locution: à l'infinitif, comme indéfiniment. Je viens de lire dans Garrigou-Lagrange (un théologien celui-là, je suppose) la même expression dans le même sens, et cela dans un ouvrage de théologie ascétique et mystique... Ou comme la réflexion (j'omets un qualificatif sur l'emploi du mot "sacré". Triste! La critique de votre article est un soufflet pour vos chefs et éducateurs, comme vous le dites. Seront-ils d'accord que vous les défendiez par une réfutation? Le geste est noble, autre chose est s'ils seront d'accord sur la réaction. Enfin, vous saurez cela mieux que moi ici à distance. Merci beaucoup pour la gentillesse des quelques timbres. Je me tiens recommandé surtout pour ceux du Rwanda que je ne vois ici que rarement. Mettez-en, s'il vous plait en variétés sur vos lettres. Vous pouvez conserver le tiré à part de la mise au point. Il a été spécialement fait à votre intention. Puis-je remarquer encore que la critique du théologien sur l'imprimatur ne vise nullement votre article, comme s'il avait passé en fraude; mais uniquement Aequatoria qui ne porte comme mention que "Cum permissu superiorum"? Nous avions cru que cela suffisait largement dans une revue scientifique. La plupart des revues de l'étranger ne portent aucune mention; pas même les revues de théologie ou des questions sociales, etc. Nous recevons Blackfriars (théologie, philosophie etc.) de O.P. Oxford; Month des S.J. anglais; Catholic World, Sing, Review for Religious (SJ) des USA. Seul l'Homilectic and Pastoral Review des O.P. américains porte la mention: "Cum permissu superiorum". Portugal em, Africa, Revue de culture missionnaire, ne porté aucune mention. Ni des revues scientifiques éditées par des prêtres religieux comme Anthropos. Enfin, passons. Retenez que vous n'êtes pas visé dans cette question. Je ne comprends pas votre remarque au sujet de l'impression que vous aurait donnée le théologien comme s'il considérait les écrits des abbés comme des plagiats par leurs professeurs. Je n'ai rien lu de pareil dans le texte qui m'a été remis. Ne noircissons pas le tableau plus qu'il n'est déjà... je ne pense d'ailleurs que cette corvée a plus ennuyé le brave homme que bien nous pourrions savoir! J'ai l'impression qu'il a été placé entre le marteau et l'enclume. Toute sa critique en porte la marque visible. Soyons charitables! Enfin, cher ami, bon courage et soutenons-nous mutuellement par l'union au Coeur de Jésus! Prions-lui qu'il nous éclaircisse tous et nous donne les grâces nécessaires, à nous inférieurs, comme a nos supérieurs pour le plus grand bien dé l'église.. Et croyez-moi toujours votre bien dévoué. Kabgayi, 26 Janvier 1946 Mon Révérend Père, Excusez-moi de n'avoir pas répondu plus tôt à votre bonne lettre. J'ai été absent, encore une fois, pour une retraite à prêcher aux catéchistes et Chefs d'Action Catholique d'une mission voisine. Mais lors de mon départ, Mgr Déprimoz m'a communiqué la lettre qu'il vous envoyait sur le même sujet. Je me respecte trop, Mon Révérend Père, pour engager une discussion dans une question où Mgr le Délégué a joué quelque rôle. La réponse dont je vous ai parlé, sera adressée à Mgr Déprimoz sous forme de lettre dans laquelle je réfuterai les allégations que le censeur m'a prêtées. Mais admettez tout de même que "la mise au point" est à notre honneur, Mon Révérend Père! Cela fait sourire! Avait-on jamais songé qu'un Poète païen d'il y a plus d'un siècle peut être témoin de la doctrine de l'Eglise? Enfin, si Mgr Déprimoz le veut bien, j'espère vous communiquer mes réflexions là-dessus. Le Roi remercie beaucoup pour le service que votre Revue lui a rendu! Cet article a fait perdre la tête à pas mal de ses adversaires, qui se sont trahis! J'espère vous expliquer la chose un jour! Vous croyez que l'attaque était dirigée contre la Revue? Je ne crois pas! On a cru que je parlerais de Mutara! N'oubliez pas que nous sommes sous le régime du Front Populaire! Ce jeune homme (pardonnez-moi l'expression au sujet de notre Roi!) n'a jamais voulu être entraîné "à gauche"! Et voilà tout! Vous m'aviez annoncé, il y a environ deux mois, que le 3e numéro de la Revue avait été expédié par Avion! J'avais cru que, par erreur, il aurait passé par le courrier ordinaire! Hier j'ai reçu le Numéro 4, et le 3 n'est jamais arrivé! Quid? Je vais demander à Mgr Déprimoz qu'il daigne lever la restriction imposée à ma collaboration à la Revue. Je voudrais vouer mon temps libre à seconder Aequatoria, dans la mesure du possible! Nous avons été attaqués ensemble, et nous devons montrer à tous que l'attaque est un stimulant pour bien faire! Le fait que l'Editeur de "Africa" m'ait demandé des Poèmes, me sera une raison de continuer à collaborer, sans interruption à votre Revue. Demandez à Dieu qu'il mette de bons arguments dans ma bouche. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux Abbé Alexis Cher Monsieur l'Abbé, Merci pour votre bonne lettre. Oui, vous avez beaucoup de besogne comme un peu nous tous. Vous êtes donc content de la mise au point. Je puis bien vous avouer que nous avons besogné là-dessus: afin de ne rien omettre d'essentiel des critiques et pourtant ne pas trop nous ridiculiser devant le public et en même temps ne mettre en cause directement aucun collaborateur. Cela a été assez difficile pour tourner de façon convenable et de ne pas dire des bêtises... Certainement j'aimerai beaucoup lire les réflexions que vous ferez sur cette question et sur la façon dont un païen parlait de ces choses. Vous vous rappelez de vos études comment les Pères de l'Eglise, e.a; St Augustin, cherchaient dans les auteurs païens grecs et romains les "pierres d'attente" (1) de la révélation. Vous et moi et d'autres avons pensé que nous pouvions faire là même chose ici. Car pourquoi les païens européens seuls auraient-ils quelques bonnes idées pré-chrétiennes, des restes d'une révélation primitive ou les signes du travail de la grâce que nous croyons que Dieu ne refuse à personne, païens non exclus? Serait-ce parce qu'ils sont Blancs? Et ne serait-ce pas bien ici, parce qu'on est parmi des Noirs? Ou serait-ce parce qu'on craint que les indigènes pourraient prendre conscience des bonnes choses qu'ils possèdent depuis leurs ancêtres et que cela pourrait diminuer le complexe d'infériorité qu'on pense (consciemment ou inconsciemment) devoir leur inculquer? Ou craint-on encore qu'ayant conservé ou reconquis une certaine fierté nationale (qu'on loue tant en Europe parmi les siens, mais qu'on traite de tous les noms chez les ennemis ou simplement chez les étrangers) ils ne soient plus ces agneaux dociles qui rendent plus aisée la tâche dont on a été investi (dans l'Eglise) ou que l'on pense devoir accomplir dans l'intérêt de la métropole ou des intérêts économiques? Je l'ignore. Tout cela dépend certainement des personnes en question. Mais le règne des deux poids et deux mesures est aussi ancien que le monde et il me semble que chez certains antagonistes il est très vigoureux. Je suis heureux d'apprendre que notre modeste revue a pu rendre quelque service à la cause du Roi et de son peuple. Et comme dans le paragraphe précédent, l'attaque peut avoir eu plusieurs buts; elle peut avoir été dirigée contre le Roi, mais elle a certainement été dirigée contre la revue et contre sa tendance que je vous ai expliquée plus d'une fois et que, je répète sous un autre angle dans l'alinéa précédent. Nous avons toujours cru que les belles paroles et les idéals proclamés étaient faits pour être mis en pratique. Si le patriotisme est une vertu pour le Belge ou le Français, pourquoi ne le serait-il pas pour un Noir. Rwandais ou Mongo ou tout ce que vous voulez? Et si une chose est bonne, jugée selon la vérité naturelle et révélée, pourquoi ne le serait-elle pas en Afrique comme en Europe? Et si un défaut est un défaut, il ne cesse pas de l'être parce qu'on le rencontre dans son propre peuple. Nous savions par nos études et notre expérience que l'on méprise trop les indigènes, qu'on en juge très mal, que l'on ne pratique pas la charité chrétienne en toute justice et objectivité et nous avions voulu réagir. C'est cela surtout qu'on attaque, croyez-moi. A Nazareth peut-il y avoir quelque chose de bon? Vous connaissez assez toutes ces généralisations, des slogans, ces demi-vérités etc. Puis il y a tous ces malentendus, ces incompréhensions, ces confusions dans les termes et dans les idées. Hélas, qu'il est difficile de réagir! Vous avez donc reçu le n° 4. Tant mieux. Le n° 3 avait été expédié par voie ordinaire, me dit le clerc préposé à la distribution, parce qu'on lui avait dit que l'avion ne prenait plus les imprimés, même affranchis spécialement. Je lui ai répondu qu'il devait quand même continuer à envoyer par l'avion. Si vous les recevez par cette voie rapide tant mieux; sinon, tant pis: on aura du moins fait ce qu'on peut. Je suis en tout cas content d'apprendre que cette fois cela a réussi. Si entre-temps le n° 3 n'arrive pas, écrivez-le la prochaine fois. Je vous suis très reconnaissant pour vos belles paroles d'encouragement et de votre promesse d'essayer de continuer la collaboration. J'avais d'ailleurs écrit à votre évêque que je regretterais énormément si rester absent de notre revue et que, s'il jugeait que vous ne pouviez collaborer pour l'instant, il daigne chercher quelqu'un pour le faire. Mais je préfère que vous le fassiez. J'estime que les prêtres indigènes doivent témoigner eux aussi. Nous devrons user de prudence dans le choix de nos mots, évidemment. Car vous aurez remarqué par certaines critiques qu'on cherche la petite bête. Si ce censeur devait lire le livre que je lis maintenant, par le P. Garrigou-Lagrange, un des meilleurs théologien de notre temps, il le condamnerait certainement lui aussi, je pense à la condamnation de votre expression: "à l'infini". Ce théologien écrit carrément que les essences sont infinies, que la volonté et l'intelligence humaines ont une amplitude infinie, etc... Cher Monsieur l'Abbé, il y a beaucoup de travail sur la planche, mais nous ferons ce que nous pouvons avec la grâce de Dieu. Il y a toujours des âmes de bonne volonté qui réfléchiront à ce que nous disons. Et un jour la semence lèvera et d'autres moissonneront ce que nous aurons semé dans les larmes. Si vous aviez encore des exemplaires disponibles des numéros de votre revue du séminaire dans lesquels furent publiés les textes en kinyarwanda des poèmes, j'aimerais bien les avoir pour ma documentation en langues indigènes. Merci beaucoup pour les timbres. Ils seront toujours les bien venus. Vous avez eu l'excellente idée de mettre sur votre lettre diverses valeurs. Puis-je vous demander d'en mettre encore d'autres, spécialement celles que je mets sur cette enveloppe? (j'aimerais si possible que vous me renvoyiez aussi ceux du Congo; ainsi que ceux que j'ai mis sur une enveloppe d'imprimés que je vous ai envoyée il y a quelques jours, avec des notes du service de l'information sur le Rwanda, ces textes vous intéressent peut-être, à titre de curiosité et si vous ne les utilisez pas, j'aimerais que vous mes les renvoyiez. Et si jamais vous auriez à m'envoyer un envoi plus important, je vous recommande de mettre des timbres de 3,50 fr. et de 5. fr. du Rwanda, qu'il est difficile d'obtenir ici. Cher Monsieur' l'Abbé, à une prochaine occasion! Restons amis dans la prière sacerdotale. Veuillez dire au Roi que je suis très heureux d'avoir pu rendre service. Le P. Moeyens est rentré en Belgique depuis quelques mois: sa vieille maladie d'estomac... Avec mes salutations fraternellement dévouées in C.J. NOTE 1. La théologie des "pierres d'attente" consiste en la conception que les religions "primitives" étaient une forme préparatoire au christianisme. Cher Monsieur l'Abbé, Avez-vous reçu ma lettre du 8 février? Je n'ai pas eu de réponse jusqu'à ce jour. Vous êtes sans doute trop occupé. Ci-joint je vous envoie 2 copies d'une traduction que j'ai faite d'une note publiée par Africa. Si vous le jugez opportun, un exemplaire est destiné au Roi; et vous voudrez bien le lui remettre. Je laisse tout à votre discrétion; car j'ignore les règles en usage dans votre pays. Je viens de voir dans la Croix du Congo un article sur un concours organisé par votre Roi. Je regrette n'avoir pas reçu communication de cette intéressante et généreuse initiative. Maintenant je dois quand même signaler cela dans Aequatoria. Il faut que le grand publie européen de la colonie et les milieux scientifiques étrangers sachent ce que votre Roi fait pour la conservation de l'art ancestral. Si vous y voyiez un inconvénient; écrivez-moi immédiatement; car c'est dans le n° 2 que je voudrais insérer la note. Une grande partie du texte est déjà prêt chez les typographes; mais il reste encore 4 pages à mettre; après quoi nous allons imprimer. Si vous répondez immédiatement, il y aura juste le temps pour m'avertir de l'opportunité ou de la non opportunité de publier une note à ce sujet. Je m'inspirerai, à défaut de texte reçu directement, de la Croix du Congo. A l'usage des indigènes d'ici, s'il y en avait qui voudraient participer au concours, j'aimerais à être fixé sur ceci: la langue dans laquelle l'ouvrage doit être écrit est le français? Je le suppose à lire le texte. D'ailleurs, il faudrait un jury composé de spécialistes, ou plutôt de missionnaires connaisseurs des langues indigènes, comme le fait l'Institut International des Langues et Cultures Africaines. Pour le reste, il n'y a rien de particulier. Nous continuons doucement notre oeuvre. J'espère cependant que le Rwanda ne reste pas absent de notre revue. Si vous connaissez quelqu'un susceptible et capable de collaborer, je vous serais reconnaissant si vous vouliez bien me mettre en relation avec lui. Je viens de recevoir une lettre du Professeur Doke de Johannesburg. Il a reconsidéré la question de publier vos poésies dans leurs Bantu Treasuries et il est venu à la conclusion que cela ne serait guère pratique actuellement, vu qu'il n'auraient que peu de lecteurs et que donc les frais seraient trop élevés. Il ajoute qu'il ne vous a pas écrit à ce sujet. J'espère que vous n'oubliez pas mes timbres du Rwanda (je dis: mes, car j'y compte: j'en avais déjà promis à un ami, pensant les recevoir bientôt, et me voila presque devenu menteur) si possible, tâchez de mettre sur votre correspondance une 30, 20, 10, 15, 60. Le Rwanda possède-t-il des timbres pour poste aérienne? Je n'en ai jamais vu mais j'aimerais si possible en recevoir aussi. J'espère que tout va bien chez vous! Au plaisir de vous lire, et avec mes salutations fraternelles in C.J. in unione precum G. Hulstaert Kabgayi, le 5 Juin 46 Mon Révérend Père, C'est avec joie et reconnaissance que j'ai reçu votre lettre du 29 Mai, ainsi que la copie d'un article traduit de "Africa". Je vous en remercie beaucoup. Je communique au Roi la copie que vous lui avez destinée; c'est un homme très simple, à l'encontre de certains potentats de notre voisinage, qu'on n'approche qu'avec mille cérémonies. Nous agissons à son égard comme avec un confrère. Sachez du reste qu'il est gagné à là cause de votre Revue; ce sera une nouvelle occasion pour lui de constater que vous êtes à l'affût pour ce qui touche notre pays. J'ai envoyé un bel article à "Africa" au début de février, et je n'ai aucune nouvelle jusqu'à présent. Du reste je ne lis pas cette Revue et j'ignore ce qui s'y traite. En plus, durant 1'exercice 1942-1943, j'ai pris part à un concours organisé par l'Institut dont "Africa" est l'organe et je n'ai rien entendu dans la suite (l). Un Père de Tabora vient de m'écrire qu'il a lu un numéro de cette Revue, dans lequel il était question du résultat de ce concours. Si vous la lisez, je serais heureux d'avoir de plus amples informations. Oui! J'ai du temps à répondre à votre lettre du 8 février! J'avais espéré vous envoyer en même temps une copie de ma réponse aux "Appréciations" dont mon article et votre Revue ont été l'objet. J'ai consciencieusement préparé cette réponse depuis Décembre, et l'ai achevée (tapée à la machine) en fin d'avril, en 12 pages. Je l'ai faite sous forme de lettre adressée à Mgr Déprimoz. Ceux qui en ont eu connaissance la trouvent vraiment péremptoire; mais Mgr (auquel je l'ai remise au début de Mai) ne semble pas encore décidé à la laisser communiquer, car craint-on ici, il suffirait d'une indiscrétion là-dessus pour allumer des querelles inutiles, surtout sur une question dans laquelle Mgr le Délégué a été invoqué: Ca sera donc la décision de Mgr Déprimoz que la réponse passera, et suivant les voies qu'il jugera opportunes. (Tout ceci soit dit entre nous). Il semble, j'allais l'oublier, que Mgr de Hemptinne aurait donné le point de départ à cette attaque! Il pensait que l'article était en faveur du "Kitawala" (ce mouvement protestant de désordre)! Il en a écrit ensuite à Mgr Cleire, Vicaire Apostolique du Kivu; celui-ci le rassura sur le sujet! Je sais la chose par l'intermédiaire d'un sympathisant qui est venu ici exprès, après avoir visité Mgr Cleire. Comme ce sympathisant vit au Katanga, il est rentré chez lui avec la conviction que vous pouvez supposer. Il est allé dire à Mgr de Hemptinne que l'attaque était sans objet! Pour le concours littéraire, j'ai lu également la "Croix du Congo" et "La Voix du Congolais". Dans ce dernier, le texte n'est pas complet. Dans la "Croix du Congo", il n'y a qu'à changer le titre. L'original porte: "Un Concours littéraire ouvert aux évolués". Vient ensuite: I. BUT. - et le texte. Il est inutile donc de vous faire parvenir une autre copie: celle-là publiée dans le dit journal est le texte même envoyé par le Roi (2). Je lui ferai savoir le contenu de votre lettre: il en sera heureux. Je lui demanderai également de se souvenir toujours de votre Revue, chaque fois qu'il aura une communication de ce genre à faire à la Presse. Et d'après ce que j'ai entendu, il a l'intention de continuer, voire même pour les Blancs si cette première initiative réussit. Il vient de me faire savoir que les Evolués d'ici, (le groupe le plus Evolué, celui de Kigali-Rutongo) lui a demandé de m'écarter du Concours, parce que, disent-ils, la partie ne serait pas égale. Mais il m'a fait savoir la chose, tout en ajoutant: "Si vous avez le temps de rédiger quelque chose, ne tenez pas compte de cette exclusivité." Oh! si j'avais un peu de temps, je pourrais peut-être y prendre part! Mais je suis si occupé avec le Kinyamateka et les cours au Noviciat, qu'il m'est difficile d'avoir un temps libre suffisant! Je vous envoie quelques images du Roi, tirés à part du KM (3) de Juin. J'ai reçu les deux numéros de votre Revue (le dernier de 45 et 1er de 46). Mais il m'a été impossible de retrouver le numéro 2 de 45, celui dans lequel se trouve inséré mon article. Je voudrais faire relier les fascicules en ma possession. Je vous serais reconnaissant de mien faire parvenir un, s'il en existe encore. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux. Abbé Alexis Kagame P.S. Comment trouvez-vous mes articles paraissant dans "La Voix du Congolais", et quelles appréciations auriez vous pu entendre? Je vous donne une variété de timbres: ceux de l'Est Africain Anglais ne seront-ils pas une véritable nouveauté pour vous? NOTES 1.Les concours d'Africa, cfr lettre de G.Hulstaert à Kagame 14-6-1946. 2. Le texte dans Aequatorla 9(1946)68. 3. KM = Katholieke Missieën Cher Monsieur l'Abbé, Un grand merci pour votre bonne lettre que je viens de recevoir. L'exemplaire du Kinyamateka est arrivé en même temps, avec le portrait de votre Roi. Il est très bien réussi. Merci beaucoup pour avoir songé à me faire ce plaisir. Evidemment, je ne comprends rien à cette revue, mais j'aime quand même avoir ainsi en main quelques textes en langues indigènes. Ceci à titre d'étudiant de langues indigènes. Puis, j'aime à voir comment d'autres font avec leur presse: format, présentation, etc. Avez-vous beaucoup d'abonnements? Dans quelle partie de la population? Dans quelles classes sociales? Parmi les évolués? Avez-vous beaucoup de collaboration en dehors du clergé et des catéchistes? Parmi la noblesse? Les gens ordinaires? Les "civilisés"? Quels sujets sont traitée? J'aimerais savoir tout cela. Je préférerais cependant que vous traitiez ces quelques points-- et d'autres peut-être, -- dans un articulet que nous pourrions publier dans Aequatoria comme Documenta ou Bibliographica. Ce ne doit pas être long: ce qu'il faut pour donner à nos lecteurs une idée du journal, but, sujets, abonnés, collaborateurs, lecteurs, succès (selon les classes sociales anciennes et nouvelle), etc. Puis-je y compter? Vous pourriez, si vous le jugez utile, y mentionner le supplément Ijwi Lya Shun. Vous avez parlé de L'écho du Séminaire. Je suppose que c'est en français. Vous y avez publié certaines choses sur le peuple et sa langue. Serait-il possible que je reçoive cette revue si elle peut, d'après vous, m'intéresser au point de vue indigène? Oui, nous avons encore quelques exemplaires du n° dans lequel paraissait votre article et nous vous faisons envoyer un exemplaire. C'est cependant le n° de cette année qui a le plus diminué: signe qu'il a été demandé plus que les autres. J'envoie (également aujourd'hui et par avion) un tiré à part d'un article à moi dans Africa (1). Il peut vous intéresser. Concours d'Africa: n°3, juin 45 (2) donne le résultat: Textes envoyée en kinyarwanda: 7; primé :1 Kristofu Kamangu: Imigani Y'Urukwavu"; textes en Kirundi: 2; primé E.T. Sibomana Ingaso z'Abarundi. Si j'avais su que vous aviez collaboré je vous aurais averti plus tôt. Vous savez que le rédacteur en chef est un ancien missionnaire protestant. Il est très gentil, et certainement vous écrira au sujet de l'article que vous avez envoyé; mais cela prend du temps surtout par voie de courrier ordinaire. Donc Mgr votre évêque ne veut pas vous laisser justifier. Je l'avais bien pensé. Il pense au proverbe du pot de terre et du pot de fer, sans doute. Et je crois que j'en ferais de même. On vous a mis dans les souliers des pensées et opinions que vous n'avez jamais eues; on a cru les lire dans votre étude comme on a cru les lire généralement dans Aequatoria; on me les a attribuées aussi, ce qui m'a mis en disgrâce à la Délégation Apostolique; ces erreurs ont été rectifiées ensuite par la rédaction d'Aequatoria, et la Délégation n'a plus insisté: l'incident est donc considéré comme clos. Il me semble que la rectification publiée est suffisante: elle explique qu'on vous a mal interprété et jugé; pour ceux qui savent lire elle est très claire. Que veut-on de plus? On vous a ainsi fait publiquement justice. Quant aux personnes qui ne savent pas lire un texte, tant pis pour eux! Le reste on le laisse au Bon Dieu! Abbé Kagame, Oui, l'affaire a été lancée par Mgr de Hemptinne qui nous a accusés auprès de la Délégation Apostolique et auprès de notre Ordinaire qui nous a défendus (mais en vain!) Que Mgr d.H. y ait vu du kitawala: je suis très sceptique et me permets d'en douter. En tout cas sa lettre d'accusation à mon évêque n'en souffle mot, mais invoque d'autres raisons: 1) Notre position vis-à-vis des questions indigènes: nous professerions une doctrine erronée à ce sujet, nous vouerions un culte à la coutume indigène à laquelle nous attribuerons une valeur absolue! 2) Votre article serait teintée de racisme! Je pense qu'il confond patriotisme et racisme. Je pense encore qu'il condamne tout patriotisme indigène. On dit également qu'il est opposé à ce qui est indigène. Non pas qu'il ne veuille pas défendre les indigènes, mais il est opposé à toute manifestation de culture etc.. indigène. On raconte encore qu'il n'est pas parti partisan du clergé indigène et qu'ainsi il aurait trouvé une arme dans votre article pour appuyer son opinion là-dessus. Voila ce qu'on raconte dans les régions où on est assez proche pour pouvoir le savoir, ici évidemment nous n'en avons que des échos et par conséquent je vous donne ces détails à titre personnel et pour autant que la marchandise m'a coûté à moi-même... Il doit y avoir encore d'autres choses en dessous de toute cette agitation, mais je n'en sais rien de positif. Mais cela s'accorde bien avec le fait que voue dites que Mgr. d.H. en aurait écrit à Mgr Cleire. Il reste aussi le fait que la Délégation a pris fait et cause pour Mgr de H. Ce qui doit donc laisser supposer qu'il y a autre chose encore que nous ignorons. Sans doute, comme vous disiez un jour, des questions rwandaises proprement dite: situations politiques et peut-être aussi, si j'en dois croire les rumeurs, divisions parmi les missionnaires au sujet de ces questions. Si jamais vous retrouviez le n° de Aequatoria avec votre article et que vous n'en avez besoin, j'aimerais bien le savoir pour compléter notre stock. Je ne m'étonne pas que votre Roi est très simple: c'est un des caractères de toute vraie noblesse. Vos articles dans la Voix du Congolais (3) sont très bien. Ces jeunes gens (car ce sont de jeunes gens à tout point de vue, surtout spirituel) feront fausse route. Que savent-ils de profond sur ces graves questions qu'ils agitent? La sociologie dans laquelle ils se lancent n'est pas un jeu! S'il est possible de les garder dans la bonne voie et de les faire éviter d'avancer vers le précipice, comme l'on fait et le font nos sociétés européennes modernes, ce ne sera que par l'influence de prêtres indigènes, sérieux et bien formés. J'estime donc que vous autres devez continuer de faire entendre votre voix. Votre article dans le n° 9 que je viens de lire est bien ad rem. Ces jeunes gens pensent que civilisé = européanisé; et c'est surtout le côté superficiel, extérieur qui les frappe. Ils semblent ignorer que si le Blanc, comme groupe culturel a beaucoup de bien, il a aussi beaucoup de mal; s'ils peuvent apprendre à discerner le bien et le mal; or cela ils en sont incapables pour l'instant. Ils ignorent que la civilisation moderne (à bien distinguer du christianisme ou de la civilisation chrétienne - qui est un idéal) (la civilisation moderne ne peut être dite chrétienne) a fait faillite. Ils oublient qu'on peut aussi avancer vers un précipice! Votre article est très bien pensé, excellent; comme je l'attendais de vous. Mais j'aimerais aussi connaître les réactions... J'estime cependant que la civilisation occidentale vous a apporté bien des choses essentiellement nouvelles, et précisément sa conception de la société (individualisme atomique), sa conception de l'autorité (issue du peuple, athée), sa conception de la personne humaine (détachée de ses liens avec la société et avec Dieu), son esprit de profit et de lucre, son matérialisme, sa confusion dans l'esprit, son esprit scientifique matérialiste, son rationalisme, etc. Il y a là des positions diamétralement opposées aux positions des primitifs africaine ou indous ou chinois etc… J'ai fait allusion dans mon article clans le n°1 de 46 (4). Je ne parle pas dés idées et des attitudes de tel Européen individuel, mais de notre société: des idées courantes qu'on voit exprimées dans nos lois, notre organisation politique, notre vie sociale, notre littérature, nos arts, etc. Il existe des vestiges d'une civilisation plus humaine, plus rapprochés des idées indigènes, il existe des auteurs etc.. isolés qui réagissent contre la position actuellement admise par la masse et par ses chefs; mais ce sont des isolés; ils sont en opposition avec la culture moderne d'Amérique et d'Europe, n'en sont pas des représentants. Vous savez que dans son Syllabus Pie IX a condamné la proposition que le Pape pourrait et devrait se réconcilier avec la civilisation moderne. Mais c'est une question si compliquée et si complexe qu'on ne peut la traiter convenablement dans une lettre. Mais il faut continuer d'insister qu'il est une classe d'indigènes qui émergent, évoluent sans compter parmi ceux qu'officiellement on nomme évolués et dont vous avez donné dans l'article quelques bons exemples. Tel catéchiste des environs n'est pas lettré, sait un peu lire et écrire; ne pratique pas un métier spécial; travaille très bien avec sa femme; a machine à coudre, s'est construit une meilleure maison aérée, avec toile moustiquaire, bons meubles, armoire, chaise pliante, fauteuil maurice simple, a des nappes de tables propres, a les ustensiles ordinaires de cuisine, peut vous offrir un lit propre pour Européen de passage, peut vous servir une tasse de café avec sucre (mais sans lait) peut vous servir un plat de riz, quelques patates, bananes, etc. Bref un homme simple qui a les éléments de l'évolution que nombre d'évolués ne possèdent pas. Le surplus de son agriculture va au marché et avec cela ils achètent ces objets élémentaires de civilisation matérielle, comme lampe, bicyclette, etc. Voilà quelqu'un que je nomme un évolué; c'est des hommes pareils qui pourraient construire une société évoluée et saine au Congo et ailleurs. Mais ils ne sont guère estimée par les évolués officiels et les Blancs (à part les vieux Blancs encore plus simples). Nous publions un résumé du Concours Mutara III dans notre n° 2 sous pressé (5). Je suppose que les textes doivent être en français ou est-ce que je me trompe? Si j'apprends des appréciations au sujet de vos articles je ne manquerai point de vous les faire connaître, évidemment. Je suis très heureux de la délicatesse que avez eue de coller sur l'enveloppée une variété de timbres du Rwanda. Merci beaucoup, aussi pour ceux que vous avez ajoutés. Ceux de l'Est Africain sont toujours les bienvenus aussi; vous m'en aviez déjà envoyé quelques-uns auparavant. Pour le Rwanda: j'aimerais que vous puissiez en envoyer d'anciens (petites et grandes valeurs diverses) et de la série actuelle les timbres de 0.30, 0.60 et 1,75 toujours rares. P.ex. sur vos lettres vous pourriez mettre 1,75 + 0.60 + 0.15. Ou encore 3 de 0.60, 2 de 0.30 et 1 de 0.10. Des timbres-taxes pour port insuffisant seront aussi les bienvenus. Quant aux timbres congolais de ma correspondance, vous pouvez toujours me les renvoyer si vous n'en avez pas besoin vous-même, ce que j'ignore (je peux d'ailleurs vous en envoyer s'il vous en faut pour des amis). Vous n'avez pas idée combien les timbres du Rwanda arrivent peu ici au Congo! Donc je continue de compter sur vous pour en recevoir de toutes sortes anciens et actuels. Cher Monsieur l'abbé, je crois que j'ai ainsi répondu à toutes les questions. Je vous souhaite bonne chance et bon succès dans toutes vos œuvres apostoliques. Voudriez-vous présenter mon respect et l'assurance de mon dévouement à votre Roi? Nous continuons aussi de compter sur des articles sur le Rwanda! in unione precum et SS. Sacrificiorum, tt. in C.J. NOTES 1. "Le problème des mulâtres", Africa 15(1945)129-143; 16(1946)39-44. 2. Africa 15(1945)157 3. "L'évolué réel de l'Afrique belge", La Voix du Congolais 1946, p.250-255 et 356-359 4. La propriété chez les Mongo, p.20-31v Aequatoria 9(1946). 5. Aequatoria 9 (1946) p.68. Kabgayi, le 14 Août 46 Mon Révérend Père, C'est avec joie que je me vois dans la possibilité de répondre à votre bonne lettre du 14 Juin. Entre temps j'ai été empêché par la préparation de mon examen de Théologie, suivi de notre retraite commune que nous avons terminée lé 3 Août. Mon désir serait de ne pas laisser nos relations épistolaires s'interrompre, ne fût-ce qu'un mois entier. Mais les circonstances y mettent souvent obstacle. Je vous remercie beaucoup pour les renseignements que vous me donnez sur les concours de Africa. Je pense que-celui qui a gagné pour le Rwanda n'avait pas mieux arrangé son affaire; je le connais: il est de la mission protestante (C.M.S.) de Gasaka! On m'avait bien averti que le manuscrit venant d'un catholique en l'absence d'un représentant connaissant la langue, n'avait pas de chance d'être accepté! Cela ne me surprend donc pas! Cependant j'attends avec curiosité ces "Migani y'urukwavu" (Fable du Lièvre), car notre supplément destiné aux Ecoliers (actuellement supprimé) avait publié ces fables durant des années! Qu'arriverait-il si notre conçurent les avait reprises pour son compte? Il est à remarquer que les deux gagnants du Burundi sont également protestants! Pour les renseignements que vous désirez sur le Kinyamateka et Ijwi Lya Shun ("Kinyamateka": le Nouvelliste; "Ijwi lya Shun": La Voix de la Shun, ayez la bonté d'attendre un peu. Ce n'est pas encore le moment pour moi de publier un article quelconque avant d'arranger encore une affaire. C'est qu'en effet des précisions nouvelles sont venues me faire comprendre en quoi votre Revue est visée, et pourquoi mon article a été attaque! Mon article paru dans "La Voix du Congolais", et dont vous m'avez parlé dans votre lettre, a fourni l'occasion d'une nouvelle attaque, venue cette fois-ci de Mgr Délégué en personne. Ce qui est visé, c'est l'importance que nous donnons à la Tradition ancestrale dans l'évolution de nos régions! Il me reproche avec vigueur d'avoir dit que les Prêtres Indigènes ne sont pas civilisés! Il parait que j'ai condamné le progrès intellectuel, en préconisant la supériorité des Evolués de la brousse! Il me reproche d'avoir osé mettre une différence entre le Christianisme et la Civilisation occidentale! Et beaucoup d'autres choses qu'on arrive pas à s'expliquer ici. Mais je vous avoue Mon Révérend Père, que je travaille sous la direction de mes Supérieurs et que je pense toujours recevoir des critiques et remarques pour ce qu'elles sont en réalités: corrections. Maintenant que je comprends bien le point sur lequel nous sommes attaqués, vous et moi et ceux qui pensent comme nous, je me prépare à publier un modeste travail sur cette matière, (1) avec toutes les raisons d'autorité dont je dispose! Je suis convaincu que nous sommes dans le vrai. Nous sommes ici dans une matière neuve, dont s'occupe une science actuellement en élaboration: "La Missiologie". La plus grande autorité actuelle semble être les RR.PP. Pierre Charles (2) et Masson (3) de la Compagnie de Jésus. Leur thèse est la nôtre; il suffit de lire du reste le Message de Noël de Pie XII (4) vous trouverez un passage, (dans lequel il reprend la parole de S. Augustin) qui est une consécration de notre thèse! Ce plaidoyer, bien modeste évidemment, que je prépare actuellement pour notre thèse, je le prévois en deux parties:quelque chose d'abord comme "L'organisation Sociale du Rwanda Précolonial"; puis "Le Rôle de la Tradition Ancestrale dans l'Evolution Chrétienne du Rwanda". Je pense pouvoir présenter une vue du Noir sur ces différentes matières; car notre bien exige que nous montrions au clair la réaction que produit sur nous l'action de l'étranger! A vouloir plaquer sur nous des étiquettes que l'étranger croit nous convenir, on nous ferait un mal peut-être difficilement réparable! Nous autres Prêtres Indigènes, nous avons fait assez d'études pour analyser nos sentiments justes et peut-être plus qu'opportun, qu on nous laisse la faculté de présenter le résultat de notre introspection personnelle et de révéler ainsi ce qu'il sera impossible de savoir autrement! Vous me donnez dans votre lettre, Mon Révérend Père, quelques exemples d'articles essentiellement nouveaux que nous aurait apportés la Civilisation occidentale: Conception de la société (individualiste, atomique), conception de l'autorité démocratique, etc, etc! Dans la lettre dont je vous ai parlé plus haut, il y a également la suppression de l'esclavage, etc! Comprenez donc, Mon-Révérend Père, que rien d'humain (invention, évolution sociale, etc.) ne peut être essentiellement nouveau pour des hommes situés sous d'autres latitudes, si arriérés qu'ils soient! Si le fruit de l'évolution européenne était essentiellement nouveau pour nous, ce serait dire que notre nature serait radicalement privée des qualités humaines qui, sous d'autres latitudes, ont abouti à cette évolution! La conception de l'autorité, de la société, etc. CONCEPTION,veut dire une façon DIFFERENTE de voir les choses! Une façon de voir, d'envisager, ne peut pas être essentiellement nouvelle pour ceux qui concevaient autrement! La suppression de l'Esclavage nous a apporté vraiment la liberté? Et alors, si ce don de la liberté est essentiellement nouveau pour nous, nous sommes devenus hommes (libertas a necessitate interna déterminante ad unum) à l'arrivée des Blancs! Moi je dis, comme dans l'article, que le nouvel ordre de choses élargit simplement, garantit et fait éclore très rapidement ce que nous avions en notre nature et notre activité individuelle et sociale: c'est là un tournant que la destinée fait prendre à notre évolution: c'est un mode nouveau: mais rien d'essentiellement nouveau, à moins de dire que nous sommes essentiellement race inférieure! La comparaison que je prends sur le Christianisme devrait du reste faire saisir mon idée! N'est essentiellement nouveau pour nous que ce qui est au-dessus des exigences de notre nature! Je dis que le Christianisme seul est dans ce cas! Ou bien il faut définir autrement les termes que j'ai employés, ou bien il faut dire que la civilisation occidentale est surnaturelle, et que donc le christianisme est naturel! Je sais évidemment que quand on publie un article, il n'y a pas moyen de tout dire! Mais si on pouvait lire ces écrits avec l'intention d'y trouver des idées justes, on s'épargnerait des peines inutiles! ("Notre professeur de Théologie dans un Grand Séminaire" n'a pas fait la faute de manquer dans cette lutte! Malgré les fautes de français qu'il a laissé glisser dans son premier écrit; il est arrivé encore avec des fautes de français à reprocher à mon article! Comme si Mgr Déprimoz et son Secrétaire ne connaissaient pas leur langue!) J'avais oublié de vous remercier pour le numéro2 de 1945 que vous m'avez envoyé! Il m'est parvenu en bon état. J'ai été averti par deux lettres venues de Belgique (de Louvain et d'Anvers) que je dois préparer un travail sur la Poésie Dynastique, en vue de le faire publier par l'Institut Colonial Belge. Comme quoi cet article n'a pas été si mal que ça! Les deux demandes ont été formulées sous la suggestion de savants Jésuites. Veuillez tenir pour vous les communications que je viens de vous faire sur ce dernier point, et sur la der nière attaque venue de Léopoldville. Ayez la bonté si la chose est possible, de me procurer une copie de la lettre que Mgr de Hemptinne a adressée à Mgr Van Goethem, au sujet de cette attaque dont nous avons été l'objet. Je voudrais collectionner toutes les objections que l'on oppose à notre thèse, quitte à les présenter sous une forme générale, ou à les réfuter sans les formuler. Dans ce but, il me serait utile de recevoir toutes les objections que vous-même auriez reçues dans ce sens. Vous comprendrez l'importance que j'y attache. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux. Abbé Alexis Kagame NOTES 1. Isoko y'amaiyambere (les sources du progrès), Kabgayi, Editions Royales T.1, 1949,72 p.; T.2, 1950, 130 p.; T.3, 1951, 107 p. 2. Il s'agit du missiologue Pierre A.H. Charles s.j. (1883-1954). BBOM VII A, col 128-141. 3. Messsage de Noël de Pie XII en 1945. Flandria le 2.9.46 Cher Monsieur l'Abbé, Merci pour votre bonne lettre du 14.8. Il est évident que si personne n'existe en Europe qui puisse examiner les textes du Concours d'Africa provenant de missions catholiques, nous avons peu de chances. Sinon je crois qu'ils sont là impartiaux. Lors du concours incluant le lomongo, les deux études primées provenaient de catholiques; plusieurs protestants n'avaient obtenus aucun prix. Il se pourrait aussi que le genre de littérature que vous aviez soumis ne les a pas plu. Si vous aviez donné vos Poèmes je suis sûr que vous auriez été primé. Je ne m'étonne nullement de ce que vous avez été pris à part par la Délégation Apostolique au sujet de votre article dans la Voix du Congolais. Je prévoyais le coup. La position occupée par les hautes sphères ecclésiastiques ne laissait pas prévoir une autre réaction. Ils n'admettent pas la thèse du P. Charles, ni l'adaptation en général, du moins pour le Congo. C'est la très vieille querelle des rites chinois qui perdure; il n'y a rien de neuf sous le soleil. Nous avons pour nous d'excellentes autorités. Nous avons reçu notre formation précisément de ces hommes comme le P. Charles (il y en a eu beaucoup avant lui!). Mais ils ne sont plus dans la mode actuellement. Seulement la mode peut de nouveau se retourner! De fait, à la dernière semaine missiologique de Louvain, on a fait beaucoup de bruit au sujet de l'adaptation; les chefs de la semaine sont de notre parti. Mgr de Hemptinne y était, et a essayé de lutter, mais il a été battu. On m'écrit de Belgique qu'il avait même voulu faire voter une motion de désapprobation de notre idée, mais le P Charles lui a infligé une cuisante défaite en opposant les statuts qui défendent de voter des motions. Mgr de H. avait demandé de renouveler le vœu émis à la conférence des ordinaires de Léo à ce sujet. Refus de la part du président! Jusqu'à trois reprises Mgr de H. a ainsi été réduit au silence! Il a dû bien sentir que la majorité était contre lui. Nous sommes certainement en excellente compagnie pour toute cette question, et nos adversaires (j'en 'ai eu un jour une épreuve nette) n'osent pas dire que nous sommes en contradiction avec les instructions de la Congrégation de la Propagande à ce sujet: ils ne sauraient pas! Ils se contentent de dire que ces instructions s'appliquent seulement aux pays à haute civilisation (Chine, Japon) mais pas aux "primitifs" d'Afrique ... Cfr ma discussion avec Mgr de Boeck dans Aequatoria en 1940 (1). Comme vous l'avez remarqué dans la lettre de la Délégation Apostolique, il y a dans ces milieux d'extraordinaires conclusions dans les termes et les idées. Nous sommes très loin de les avoir dissipées! Puis on a peur, me semble-t-il, de compromettre l'église aux yeux du gouvernement et des blancs en général en paraissant céder à un certain mouvement de patriotisme indigène. Ou craint-on aussi que les prêtres indigènes ne se laissent entraîner dans des mouvements nationalistes et se mettent en opposition avec l'Eglise? N'a-t-on pas confiance en vous autres? C'est l'impression que Mgr de H. laisse très nettement! Et on dit qu'il est depuis le décès de Mgr de Clercq le grand conseiller de la Délégation Apostolique. Puis on m'a dit (je vous donne tous ces renseignements pour le prix qu'ils m'ont coûté!) que de chez vous-même, c.à.d. des milieux missionnaires du Rwanda, on a averti la Délégation Apostolique contre certaines tendances qui se trouveraient dans le clergé indigène et qui sont en relation avec notre position en cette matière comme aussi, que des différences de vues assez aiguës existeraient entre missionnaires Européens à ce sujet dans votre pays et que tout cela aurait fortement influencé la Délégation Apostolique. On devrait y ajouter l'action du Groupe Scolaire d'Astrida' ou du moins de ses éléments les plus actifs. Après cela vous comprenez que la question doctrinale seule n'est pas en jeu, et que une réfutation, ou une mise au point doctrinale ne saurait suffire à nous faire rentrer en grâce auprès de la Délégation. Je me rends parfaitement compte du danger énorme que présente pour le développement harmonieux des peuples d'Afrique et surtout de l'Eglise dans ces pays, l'opposition qu'on nous fait. C'est un des motifs principaux de mon action personnelle en ce domaine comme c'est une des raisons primordiales de la fondation de Aequatoria. Mais les préjugés sont tenaces, surtout s'il s'y ajoute une coulour-bar psychologique et culturelle. Et comme vous dites: le mal qui est ainsi fait aux peuples indigènes est difficilement réparable, si même il est réparable du tout! Généralement les conséquences s'en répercutent de génération en génération. C'est une chaîne ininterrompue! Je trouve extrêmement regrettable que cette opposition se manifeste. Et j'estime avec vous que vous autres, prêtres indigènes, devez dire votre mot là-dessus! Pourquoi semble-t-on avoir peur de vous laisser dire ce que vous pensez de tout cela? Ce n'est pas ainsi qu'on formera un clergé qui ait assez d'initiative, d'expérience, de confiance en lui-même, pour pouvoir se préparer à assumer lui-même la charge de l'Eglise en Afrique! Il me semble aussi qu'il y a eu dessous de tout cela un manque de vraie catholicité = universalité. Nous devons continuer la lutte. Nous avons de très puissants auxiliaires en Europe! Mais nous devons nous attendre à encore beaucoup de coups de la part des adversaires qui ont la puissance de faite. L'autre point de votre lettre: articles essentiellement nouveaux pour vous autres. Votre réponse pourrait vous servir d'exemple comment les mots peuvent être compris différemment par diverses personnes. J'ai employé le mot essentiellement, non dans le sens philosophique: par l'essence ou dans l'essence abstraite. Car évidemment l'essence est une pour l'HOMME, pour tout homme donc. Mais les individus diffèrent quand même; on peut dire que chaque homme individuel est essentiellement différent de son voisin. On peut distinguer l'essence humaine, et la NATURE ESSENCE individuelle, sa personnalité. Question de se comprendre. Maintenant autre chose est de dire que les hommes sont essentiellement identiques, autre chose dire que deux conceptions, ou deux états sociaux, ou deux philosophies sont essentiellement identiques. Ou ce qui revient au-même: essentiellement différents. Si je dis p. ex. que la conception de l'autorité telle que l'Europe contemporaine est essentiellement différente de celle qu'en a la population disons du Rwanda (ou, ce qui peut aussi se dire: qu'en avait l'Europe du Moyen-Age, ou un St Augustin), il ne faut pas en déduire que l'Europe moderne ou l'homme Européen en général est une autre: espèce philosophique que l'homme du Rwanda ou l'Européen du Moyen-âge. Ne peut-on pas dire p.ex. que deux conceptions s'opposent essentiellement, comme un peuple qui admet la polygamie comme légitime et un autre qui ne l'admet pas comme légitime. On peut dire que ces deux peuples ont une conception essentiellement différente de l'unité du mariage. Ainsi j'ai écrit que les Blancs ont apporté en Afrique des choses essentiellement nouvelles pour vous; donc des choses qui sont à l'opposé de vos conceptions. Cela ne veut pas dire que de VOUS MEMES vous n'auriez pas pu arriver un jour à ces mêmes choses introduites par l'Européen. Les Européens sont arrivés; comme avant eux les Grecs et les Romains ont fait l'évolution d'une conception théiste, laïcisée et étatiste. Pour autant que je connaisse l'Afrique, la conception individualiste, atomique, démocratique (non dans le sens étymologique du mot, ni dans un sens X ou Y, mais dans le sens qu'on lui donne actuellement: règne soi-disant imposé par la majorité de la masse) n'existaient nulle part en Afrique, comme aussi il n'existaient pas en Europe du Moyen-âge. Cela ne veut pas dire que l'Africain n'a pas d'individualisme (au contraire!) ni qu'il' n'ait connu la liberté; et même la démocratie dans son sens élevé (gouvernement pour le bien de la masse et avec un certain contrôle de la part du peuple). Pour ma part j'estime même que vos conceptions de la société sont PHILOSOPHIQUEMENT et MORALEMENT supérieures à celles en vogue dans l'Europe moderne (je ne dis pas: celles qui sont prêchées par l'Eglise catholique) ce qui est encore tout différent, n'en déplaise à la Délégation Apostolique et à Mgr de H.!) J'estime même que dans l'Afrique patriarcale l'individu était EFFECTIVEMENT plus libre que dans les sociétés européennes (qui doivent d'ailleurs forcément évoluer pour l'étatisme complet, pour l'embrigadement des volontés et des intelligences, vers le totalitarisme). Et je dis que, puisque l'Europe ne veut apprendre dans le catéchisme, elle peut prendre, des leçons chez les peuples primitifs!! Je suis donc fort loin de juger inférieures ces tribus et ces peuples!! Mais je répète qu'il est extrêmement difficile de se faire comprendre sur ces choses. Et c'est là une des causes de l'opposition qui nous est faite, à vous et à moi. Nous sortons des cadres établis par les journaux, et les revues, et par nos conceptions apprises dans notre formation. Il est encore un fait qu'on ne doit pas nier: l'esclavage a été aboli en Afrique (pas partout encore) par l'Européen. L'esclavage existait ici, quelque ait été la forme usitée, comme elle existait au Moyen-âge, comme elle existait chez des peuples hautement-civilisés de l'antiquité. L'esclavage sous sa pire forme: la traite, a été longuement pratiquée sur une large échelle par les Européens: encore un fait. Mais tout cela n'abolit pas cet autre fait qu'à présent, ils ont aboli cet esclavage. Ne cherchons pas pour le moment les motifs de leur action; c'est une autre question. Il serait très instructif de retracer l'histoire de l'abolition de l'esclavage et des divers motifs. Ce ne serait pas toujours très beau!! Mais encore: le fait reste. Autre chose maintenant est de savoir si l'abolition de l'esclavage, très bon en soi (et l'Eglise a travaillé pendant les siècles à arriver à ce résultat), a été, TELLE QU'ELLE A ETE PRATIQUEE, est un bien pour les populations. Secondement: si l'abolition de l'esclavage n'a pas permis l'établissement d'autres conditions qui, tout en n'étant pas conforme à la définition de l'esclavage, sont plus nuisibles à la vraie liberté que ne l'était l'esclavage antique! "Liberté que de crimes a-t-on commis en ton nom!" Quand dans ces contextes et en général dans le langage de tous les jours on parle de LIBERTE on ne veut pas dire LIBERTE dans le sens philosophique. On l'emploie généralement dans le sens de: avoir la faculté et la possibilité de faire tout ce qu'on veut, excepté ce qui est contraire à l'Etat et à ses intérêts! On va parfois encore plus loin et nomme liberté même l'absence de situation désagréable: ainsi on parle de liberté de la crainte! (cfr les 4 libertés de Roosevelt) une stupidité! Je ne dirai jamais que l'arrivée des Blancs a apporté aux Noirs la liberté!!! Ce serait dans mon vocabulaire une bêtise! On parle dans tous des textes de LIBERTE dans le sens de soustrait à l'autorité paternelle, à l'autorité du clan, de la tribu, pour soumettre à la puissance du seul état européen; liberté de travailler pour les Blancs (pas pour soi-même!), liberté de se soustraire aux devoirs envers la famille ou la patrie; liberté de se soustraire aux devoirs religieux; ou de soustraire aux obligations morales imposées par la conscience. C'est qu'on entend généralement par liberté. Parfois on l'oppose à esclavage. Parfois on l'oppose aussi à la pression de la famille p.ex. en matière de mariage ou d'acceptation du christianisme. Mais on a inconsciemment tendu à noircir le tableau ancestral et à glorifier l'Europe. Cela se comprend, par motif de propagande. Mais cela retombera un jour sur la tête des Blancs eux-mêmes. Et quand, comme nous, nous essayons de mettre les choses au point, de rendre simple JUSTICE, on nous reproche comme Mgr de H. et la D.A. d'attribuer à la coutume ancestrale une VALEUR ABSOLUE. Omne quod recipitur, recipitur ad modum recipientis!. Et me voilà comme Vous, un grand malfaiteur!!!. Sommes-nous d'accord après ce long exposé? Je sais que nous sommes d'accord! Mais il s'agit de mettre les expressions de telle façon qu'on ne se méprenne pas l'un sur l'autre. Vous allez me répondre si vous avez saisi le fil de la pensée et me dire toutes les difficultés que vous rencontrez dans mon exposé. J'estime que c'est une question essentielle (encore ce mot!) que nous ne discutons pas sur une question de mots; nous devons arriver à employer les mêmes mots dans les mêmes sens. Votre article, je l'ai lu avec mes idées en tête, évidemment. C'est ainsi que j'ai fait les remarques. Aussi j'ai bien compris ce que vous vouliez dire mais j'ai voulu attirer votre attention sur la façon dont le lecteur peut comprendre le texte. Et moi qui suis un lecteur FAVORABLE et non prévenu, j'ai eu à remarquer sur la question de ESSENTIELLEMENT NOUVEAU; à plus-forte raison les gens dont les pensées sont à l'opposé des vôtres! Avec mon transfert à Flandria, comme recteur etc., je n'ai pas encore retrouvé la correspondance au sujet de l'attaque de Mgr de H. et de la D.A. contre notre revue. Et je n'ai pas le temps maintenant pour fureter partout dans mes malles!! Cela se retrouvera bien un jour par hasard. De toute façon l'essentiel de la lettre de Mgr de H. a été communiqué à vous-même et à votre évêque. Nous professerions une doctrine erronée au sujet de la valeur absolue de la coutume indigène. Il n'a a aucun détail. On croit y voir encore une sorte de RACISME ...! Aucun détail n'est donné. Dans la réfutation envoyée par D.A. vous aurez d'ailleurs remarqué les objections. Il en appert que plutôt que reprocher quelque chose de net, on craint quelque chose de notre part. Vous aurez d'ailleurs remarqué la critique du livre du P. Tempels dans la revue du Clergé. On n'y rectifie aucune erreur, on n'en fait aucune critique; on se borne en somme d'attaquer chez l'auteur qu'il attache de l'importance aux choses indigènes, qu'il leur donne quelque valeur, qu'il diminue l'action européenne dans les colonies; qu'il prêche l'adaptation. Or c'est précisément le bon côté du livre!!! Vous verrez dans le n° prochain d'Aequatoria que ces messieurs auraient pu faire une critique autrement sérieuse, et convenant mieux au caractère de leur revue. Voici encore quelque chose de plus personnel: dans la Neue Zeitschrift für Missionswissenschaft, il est parlé de vos poèmes au sujet de notre revue (2). Je traduis de l'allemand: "Comme la revue se met aussi au service de l'Eglise africaine naissante est montré par l'article d'un prêtre indigène, Alexis Kagame: Le Rwanda et son Roi, qui n'est pas seulement remarquable par la présentation de valeurs culturelles anciennes, mais encore davantage par l'attitude foncièrement catholique et large." La revue est éditée en Suisse par des professeurs de diverses congrégations missionnaires. Pour terminer, encore merci pour les timbres. Tâchez un peu de trouver dans un bureau de postes des timbres à 1,75 et 0,60 f pour mettre sur vos lettres; plus 0,15. Ils sont si rares ici. Les anciens du Rwanda seront toujours les bienvenue surtout ceux émis pendant la guerre (Parcs Nationaux, Monument Albert, etc.) Peut-être pourriez-vous en trouver chez un chez l'un ou l'autre confrère, missionnaire etc. Voudriez-vous aussi me renvoyer les timbres de la présente lettre? Les timbres-taxe (à payer) seront aussi les bienvenus si vous pouvez en trouver. J'espère que Vous aurez maintenant quelque loisir pour continuer la discussion sur les sujets importants que nous avons touchés dans nos dernières lettres. Faites les objections, les difficultés, etc. tant que vous voulez. Rappelez-moi aussi la question de chercher les documents de l'attaque contre Aequatoria, sinon je pourrais oublier. A propos, cette revue suisse cherche des collaborateurs en Afrique sur des questions missionnaires. On y écrit aussi en français. Il s'agit de questions missiologiques théoriques et pratiques. Peut-être votre évêque s'y intéresserait? Bon courage, cher Ami, et avec la grâce de Dieu nous continuerons à empêcher pour autant que nous pouvons le mal qu'on fait souvent si inconsciemment à la nouvelle église africaine par l'européanisme outré. In unione precum. Bien vôtre in C.J. NOTES 1. "Lingala" dans Aequatoria 3 (1940) 130-131: "Je croyais que les directives romaines visaient plutôt l'introduction des usages et de la langue nationale du pays occupant, chez des peuples ayant déjà une certaine civilisation propres (E. De Boeck, Vicaire Apostolique de Lisala) p.131. 2. Miscellania 2 (1946)135 Flandria, 3-5-1947 Cher Monsieur l'Abbé, Je n'ai pas encore reçu de réponse à ma lettre du 29 de l'an écoulé. L'avez-vous reçue? Vous êtes sans doute trop occupé ces temps-ci. Cependant j'avoue que j'aspire après une lettre de vous... Avez-vous reçu le tiré à part que je vous ai envoyé:a u mois de juin? Je viens de lire dans la Voix du Congolais les études envoyées au Concours Mutara III. C'est un nombre imposant. J'aimerais beaucoup que votre roi nous fasse communiquer, dès que possible, la liste des ouvrages et le nom des auteurs (non pas seulement le pseudonyme) afin de pouvoir les publier dans Aequatoria. Car c'est là précisément un sujet qui nous intéresse au-plus haut point. Je n'ignore pas que le roi veut conserver la propriété des manuscrits, va-t-il les faire éditer à ses frais? ou une partie seulement? S'il y avait des manuscrit que le roi ne préférerait pas publier mais qui pourraient être utilement publiés par nous, voudriez-vous bien lui suggérer de nous les envoyer à cet-effet? Je compte donc sur votre amitié dévouée pour proposer ces deux choses au Roi. En outre, qu'en est-il maintenant de la possibilité de votre collaboration à Aequatoria? Ést-ce l'atmosphère n'est pas encore éclaircie? Il faut absolument que la revue devienne plus générale et que le Rwanda ne reste pas absent. La présence du Rwanda dans nos pages est une grande garantie et preuve de notre universalité. Si nous voulons continuer de vivre, cette généralisation des régions congolaises et même des missions avoisinantes s'impose, ne trouvez-vous pas? Connaissez-vous d'autres personnes (missionnaires européens ou prêtres indigènes) qui pourraient et voudraient collaborer à Aequatoria sur des questions du Rwanda-Burundi ou Kivu? J'écrirai aussi dès que j'en aurai le temps, à Mgr votre évêque au sujet de la collaboration à notre revue. J'ai lu que le D.A. a remis à votre roi une distinction honorifique du Pape. Puis-je vous demander d'être mon interprète auprès de lui pour lui exprimer mes félicitations? J'espère que le récent passage du D.À. a fait du bien à la situation du Rwanda. Votre article dans Africa a été fort apprécié! Veuillez croire, cher Monsieur l'Abbé, à mes sentiments fraternellement dévoués in C.J. G. Hulstaert. Kabgayi, le 16 Mai 1947 Mon Révérend Père, Je vous présente mes excuses pour le retard que j'ai mis à répondre à votre lettre du mois de Novembre. Lorsque je l'ai reçue, je me suis mis à préparer une réponse à la critique publiée dans La Voix du Congolais; ma réponse achevée le 28 Décembre était trop étendue pour être publiée dans une Revue. J'avais espéré vous la communiquer aussi, pour vous expliquer mon point de vue au sujet de l'apport "essentiel" que nous aurait donné la Civilisation Occidentale. Mais je n'eus pas le temps nécessaire pour taper l'écrit fort étendu. Je confiai à un clerc ce petit travail, mais simplement pour la partie qui vous intéressait. Malheureusement son ruban n'est pas en bon état. Je croyais qu'il me serait possible de taper moi-même cette partie à vous destinée. Mais pas moyen. Aussi me décidé-je à vous la communiquer telle quelle; vous vous y retrouverez certainement. Dans votre lettre d'hier, vous me demandez s'il n'est pas encore possible de collaborer à votre Revue: la chose n'est encore possible. Je suis heureux de pouvoir vous annoncer cependant que Mgr Dellepiane est revenu de ses anciens sentiments à l'égard de notre thèse, du moins en ce qui concerne le Rwanda. Il a finalement compris que ceux qui lui représentaient mes écrits comme dangereux, étaient des adversaires du Roi, qui voulaient me faire taire. Il a approuvé ma position et plusieurs fois en public il a affirmé la nécessité de baser l'évolution du Rwanda sur celle de son passé. Mgr Déprimoz est parti hier pour Maison-Carrée, afin de prendre part au Chapitre Général de la Société des Pères Blancs. Il n'est donc pas possible de s'adresser à lui en vue de la collaboration que vous désirez. Quant aux collaborateurs éventuels que vous pourriez solliciter, ils pourraient certainement se présenter. Mais il faut attendre, me semble-t-il, que cette autorisation vienne de Mgr et non de son remplaçant temporaire. J'ai reçu le Numéro de "Africa" dans lequel mon article a été publié. Je-crois vous avoir déjà dit que l'article a été écourté; il sera publié entièrement comme livre séparé. J'ai envoyé à la Revue Zaïre deux articles qui vous intéresseront, je crois. Celui sur le Code Secret de la Dynastie a été publié dans le numéro d'Avril (1), l'autre sur la Poésie Pastorale paraîtra ultérieurement (2). Dès que les jurys se seront prononcés sur les manuscrits du Concours Mutara, je vous ferai parvenir tous les renseignements que vous désirez. Je vous envoie le Numéro de l'Ami. dans lequel vous lirez les solennités qui ont eu lieu à Kabgayi (3). Je vous l'envoie d'une façon toute spéciale, parce que ce triomphe a été gagné sur les ennemis du Roi, grâce à la bataille inaugurée par le "Rwanda et son Roi". Nous l'avons poursuivie avec courage, et maintenant les adversaires sont dans leurs petits souliers. Je puis dire en toute confidence, que le grand coupable, (Frère Directeur de l'Institut d'Astrida) (4) a reçu deux mois pour se corriger et pour rétracter tout ce qui a été dit et fait contre le Roi. Maintenant c'est le triomphe sur toute la ligne (5). Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments finalement respectueux, Abbé Alexis Kagame. NOTES 1. Zaïre (1947)363-386; voir aussi A. Coupez, Magie et idéologie face à l'histoire du Rwanda, Culture et Développement, 1975, p.135-147 2. Zaïre (1947)791-600 3. Ami, Revue des élites de l'Est de la Colonie. 4. Il s'agit du Frère Secondien (voir note 8 de la présentation de la correspondance). 5. Mais la lettre du 13-8-1947 d'Endriatis n'est pas si évidente. Flandria, 2.6.1947 Cher Monsieur l'Abbé, j'ai été très heureux de recevoir votre aimable lettre et son annexe. Je suis encore plus heureux des tournures qu'ont pris les événements chez vous. Vous comprenez aussi que pour moi en qualité de rédacteur en chef de Aequatoria c'est une grande consolation et une certaine fierté d'avoir contribué à éclaircir tant à cœur comme missionnaire catholique c.à.d. universel. J'espère que les hautes autorités ecclésiastiques continuent dans cette voie de la catholicité. On doit laisser à tous les peuples d'Afrique et d'ailleurs l'opportunité d'enrichir l'Eglise et de collaborer à l'édification du corps Mystique du Christ. L'Eglise et tout le genre humain ne peut qu'y gagner. Chaque peuple comme chaque individu est une pierre dans ce temple, apportant à la solidité et à la beauté de l'édifice ses qualités propres et individuelles. J'espère maintenant que le Rwanda va entrer dans une nouvelle période de son histoire. Il faut que les chefs continuent à comprendre tout ce que votre peuple TEL QU'IL EST dans le plan de la Providence (et non pas TEL que NOUS Européens pourraient le souhaiter en conformité avec nos vues limitées personnelles ou nationales) peut apporté à l'Eglise et l'humanité. Et cette part de contribution est, selon moi, considérable. Je n'ai pas encore reçu l'Ami mais je serai très heureux d'en prendre connaissance. Je lis dans Africa que vous avez publié un recueil sur le Kiringa. Ne serait-il pas possible de m'en envoyer un ex. (pour ma bibliothèque d'ouvrages en langues indigènes) et de faire pour notre revue une petite notice bibliographique à son sujet (sur quoi il traite, etc.). Quant à continuer votre collaboration à Aequatoria, je regrette vivement que malgré votre triomphe et malgré la réparation qui vous a été faite, il vous soit encore impossible à collaborer; bien que cela vous soit bien permis pour d'autres revues. J'avoue ne pas bien comprendre cela. J'ai pris un vif intérêt à votre thèse sur la Civilisation. Mais à parler franchement (j'en ai l'habitude, avec vous, n'est-ce pas?) je préférerais pour vous et la cause qui vous est chère comme à moi, que ce ne soit pas publié. Vous suscitez trop de questions que la masse des lecteurs comprendra de travers et ainsi cela ne peut que faire tort à l'essence de la cause. Il y a là-dedans beaucoup de questions de mots, plutôt que de choses. Beaucoup de lecteurs ne connaissant pas de philosophie et ne comprendront pas l'usage philosophique que vous faites de certains termes. Ainsi essentiel, a été employé par moi et est employé par la masse des gens non dans le sens de: propre à l'essence (philosophique). Si je dis que les Européens ont introduit ici beaucoup de nouveautés essentielles, je dis très vrai. Si vous dites qu'il n'ont rien importé d'essentiel et que pour toute nouveauté essentielle il y a le christianisme, puisque au-dessus de l'essence humaine, vous dites aussi vrai. Seulement la plupart des lecteurs comprennent essentiel dans le sens que j'emploie. Je dirai encore que le christianisme n'est pas quelque chose d'Européens. Si des individus d'origine européenne ont de fait apporté le christianisme en Afrique, c'est une raison de gratitude envers ces personnes et les peuples dont ils sont issues. Mais le christianisme n'en reste pas moins une chose supra-humaine et supra-nationale. Et c'est L'EGLISE, non L'ETAT européen, qui a apporté le christianisme en Afrique. Il me semble préférable de laisser hors de question le christianisme quand on parle de civilisation. La Civilisation est quelque chose de ce temps, de ce monde. Le christianisme tout en étant DANS le monde et DANS le temps, n'est pas DU monde ni DU temps. On peut dire que le christianisme est un FACTEUR de civilisation. Mais je ne crois pas qu'il soit exact de dire qu'il est un ELEMENT de la civilisation. Une civilisation ne peut être parfaite si elle est n'est pas chrétienne. Mais elle peut être très haute EN TANT QUE temporelle, de ce monde, il peut y avoir une quantité indéfinie de civilisations chrétiennes, différentes entre elles comme civilisations, se ressemblent en tant que chrétiennes. Tout comme il y a place sur terre pour une quantité indéfinie d'individus chrétiens, tous différents les uns des autres en tant qu'individus, mais tous se ressemblent en tant que chrétiens. Maintenant, est-ce que la civilisation occidentale, celle que l'Europe introduit en Afrique, est chrétienne? Je ne parle de la civilisation qui existait en Europe il y a mille ans ou au XVe siècle. Une civilisation évolue toujours. Je parle de la civilisation européenne actuelle. Tous les grands penseurs modernes sont d'accord que cette civilisation n'est pas chrétienne, bien qu'elle conserve des vestiges, des traces, de reliques de la civilisation chrétienne dont elle est issue et bien que la religion chrétienne ait exercé sur elle certaines influences. Le fait que certains individus plus ou moins nombreux, très nombreux même, soient excellents chrétiens tout en ayant la civilisation chrétienne en tant que manifestations temporelles, ne rend pas cette civilisation globo chrétienne. Les premiers chrétiens de Rome avaient la civilisation romaine, à part toujours ce qui était spécifiquement païen; ils n'avaient pas la civilisation européenne moderne. Cependant la civilisation romaine était nettement païenne dans la masse de la population. Voyez comme la question est complexe et compliquées. On dit toujours que la civilisation européenne est l'héritière directe de la civilisation gréco-romaine, elle même fille de la civilisation égyptienne. Et cependant, au point de vue religieux et moral, quel abîme! J'insiste donc, si l'on veut éclaircir le problème, sur la nécessité de bien distinguer civilisation et religion Et je vois comme un danger le fait de parler de civilisation chrétienne, quand on veut dire: christianisme. Beaucoup de tort a déjà été fait à l'Eglise et aux âmes par cette confusion; et beaucoup de mal se fera encore ainsi dans tous les peuples luttant pour la conservation de leurs valeurs nationales (Indo-Chine, Chine, Japon, Indonésie et Madagascar, etc.) De grâce, séparons christianisme et civilisation! L'Eglise doute être au dessus, dans le sens de: supérieur à, mais en se mêlant, comme un levain, mais mieux qu'un levain: en restant intérieurement libre. Autre problème: quels sont les critères pour juger de la qualité d'une civilisation? Par quoi peut-on reconnaître que telle civilisation est supérieure a telle autre? Il y a d'abord les ELEMENTS CONSTITUTIFS matériels, intellectuels et moraux, sociaux, etc. Il y a en suite, a mon avis la qualité d'UNITE, d'HARMONIE, de valeur pour un plus grand nombre d'individus, de VIE sociale pour le peuple. Prenons telle civilisation qui a produit des chefs d'œuvre d'art qui en soi sont sans conteste et du consentement de tous nettement supérieurs en tant qu'ART à telle manifestation de telle autre civilisation. Mais manifestement inférieur en tant qu'art, est cependant d'une plus grande valeur pour le peuple, parce p.ex. mieux goûté par la masse, la relevant esthétiquement, servant mieux ses besoins esthétiques, que l'ART supérieur pour les représentants de cette première civilisation Donc d'un côté un ART supérieur mais pouvant être goûté seulement par quelques spécialistes; d'un autre côté un art inférieur mais pouvant être goûté par tout le peuple. Comment devons-nous juger de ces deux arts, non en eux-mêmes, mais comme ELEMENT ou VALEUR civilisation? Mon cher ami, nous avons bavardé un peu. J'espère vivement à recevoir votre prompte réponse avec vos remarqués sur ces questions et beaucoup de bonnes nouvelles. In unione precum. Gisagara, le 16 Déc.1947 Vous avez dû vous étonner de ne recevoir pas de réponse à votre dernière. Ne croyez pas cependant que j'aie oublié de penser à celui que je considère comme un "allié"' et un conseiller prudent. Comme l'en-tête de ma lettre vous le laisse voir, je ne suis plus à Kabgayi, mais à Gisagara, depuis début Juin. Le genre de vie est quelque peu différent de celui de ces dernières années. Ainsi maintenant je rentre d'une tournée en Succursales, après une vie de brousse de 8 jours. Dans votre dernière lettre, vous craigniez que je fasse publier dans "La Voix du Congolais" l'article dont je vous avais communiqué des extraits. Oh! Je ne ferai jamais cela! L'écrit avait été achevé le 28 Décembre 1946; et cette même date cette année-ci, je vais taper cette réponse et l'adresser en privée à celui qui m'avait attaqué; à moins qu'il ne me soit possible de m'en servir autrement. En tous les cas je ne ferai rien à la légère. Le R. P. Charles S.J. vient de faire une tournée dans nos régions; il est venu ici à Gisagara et avons passé en-semble trois jours. Comme bien vous le pensez, nous avons utilement passé ce précieux laps de temps. Il a pu me détailler ce que vous m'aviez jadis signalé, au sujet de la discussion sur la PHILOSOPHIE BANTOUE du P. Tempels; ou mieux sur la légitimité de notre thèse. Je pense que nous pouvons continuer sans crainte car nous serons certainement approuvés par ceux qui auront enfin compris ce que l'ignorance de l'indigène voile aux yeux de certains. Je suis heureux de pouvoir vous adresser les deux tirés à part de la Revue Zaïre. J'aurais bien voulu les publier dans Aequatoria depuis déjà longtemps, mais vous comprenez bien que je suis lié. J'ai lu, dans le dernier numéro, les proverbes que vous a envoyés le R.P.Pagès. La classification est une précieuse suggestion. Mais il y a deux lacunes: le bon Père, arrivé au Rwanda il y a plus de 40 ans, ne connaît pas assez la langue pour annoter correctement les proverbes et sentences qu'il s'est fait dicter. Ensuite, et c'est logique, je n'y trouve pas un seul proverbe qu'il ait traduit correctement. Le sens est souvent haché, et l'application qu'il en donne n'a rien à voir avec le véritable sens que nous y attachons. Notre langue est bien riche; et puis, un mot peut acquérir des nuances à l'infini, suivant le rôle qu'il joue dans la proposition; et si c'est un verbe, suivant la tonalité que caractérise chaque temps etc. etc. Un Européen n'arrive guère à découvrir ces labyrinthes, desquels cependant dépend le lien logique du sens de la proposition. Nous nous demandons, nous autres, comment on peut prétendre connaître la mentalité de l'indigène, alors qu'elle s'exprime sous tant d'aspects inaccessibles à l'esprit de celui qui prétend ne rien ignorer. Et imaginez-vous qu'il nous est impossible de nous faire entendre. Ici je connais pas un seul Missionnaire qui soit capable d'écrire une page en un kinyarwanda correcte. Vraiment cela nous frappe: en une phrase, il leur est toujours possible d'y mettre quelques fautes contre là syntaxe et surtout contre la concordance des temps. Inutile d'ajouter que cette communication est pour vous seul. J'attends le moment heureux où il nous sera donné de causer oralement. Et pourquoi ne faites-vous pas quelque voyage de repos au Rwanda comme le font d'autres Missionnaires du Congo? Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments filialement respectueux. Abbé Alexis Kagame Flandria., 13.1.48 Cher Monsieur l'abbé, En effet, je ne savais que penser de votre long silence. Mais me voici rassuré sur votre sort. J'ai été tellement heureux de recevoir votre lettre que j'y réponde sans tarder. Vous avez donc changé de résidence, mais vous ne me dites pas si vous continuez la rédaction du Kinyamateka. Je suis heureux que le P. Charles vous a tranquillisé sur vos opinions. Dieu donne que nos chefs voient comme lui. Personnellement je n'ai plus entendu aucune réaction de leur part. Vous êtes donc encore malgré tout lié. J'espère cependant que la difficulté disparaîtra bientôt pour que nous ayons à nouveau le plaisir de publier une étude de votre plume si vivante et si profonde. Je comprends parfaitement que vous trouviez à redire à l'article du P. Pagès. Nous savons d'expérience combien il est difficile d'apprendre tant soit peu convenablement une langue étrangère, surtout si elle est très différente de notre langue maternelle. Rares, très rares sont les missionnaires qui après de longues années arrivent à une connaissance suffisante. Quant à écrire, et surtout à parler, sans faute, je crains qu'on n'y arrive jamais; d'autant plus que nous arrivons en Afrique à un âge relativement avancé pour apprendre une langue. Nous connaissons ici aussi les difficultés de la tonalité dans les mots et les formes verbales. Pour notre langue ici et bientôt pour le lingombe voisin nous arrivons à connaître les règles du ton etc. Personnellement, après 20 ans de recherches, je crois que j'ai tout bien saisi. Quant à l'appliquer dans la pratique, j'avoue encore faire des fautes, surtout puisque j'ai débuté mon étude du lomongo selon les méthodes européennes. Ce n'est que après quelques années lorsque j'ai constaté que je faisais fausse route et que les tons existaient (1) que j'ai changé de tactique, malgré toutes les affirmations catégoriques des autres européens, même les plus renommés. Pour la syntaxe aussi je crois que je suis très loin, mais encore j'avoue qu'elle est plus compliquée qu'en ne dit communément. Nous sommes d'ailleurs ici plusieurs pères qui parlent tonétiquement etc. comme il faut. Les jeunes ont eu plus facile puisque avant de commencer le ministère ils sont introduits dans la langue pendant un mois. Ils profitent de notre expérience. Mais je lutte actuellement surtout avec les nuances si fines et si développées des différents mots, souvent traités de synonymes. Tâche ardue au possible et qui, à mon avis, ne pourra être menée à bonne fin que quand nous aurons des indigènes formés à ces études et ayant le goût d'approfondir leur langue maternelle scientifiquement. Maintenant pour cette question de tons, j'aimerais vous faire une petite proposition. Dans vos études dans Zaïre vous avez marqué les tons. Mais je constate que le même mot a à la dernière syllabe, un ton différent selon qu'il est placé au milieu de la phrase ou à la fin. P.ex. Kigeli, mais kigeli; wa; kani;. Yuhi, mais Yuhi; wa; ga;tana. Un missionnaire protestant très versé dans les langues bantoues et leur tonétique m'a signalé là même chose. Il a examiné certains de vos textes avec un Rwandais. Résultat: vous écrivez quelque part: umutabazi et son informateur donne umutabazi ari; ha;no. Il serait intéressant de reprendre cette question et d'examiner s'il ne s'agit pas du TON PAUSAL, c'est-à-dire le changement de tonalité qui intervient dans la dernière syllabe d'un mot qui se trouve à la fin de la phrase. Pendant longtemps ce ton pausal m'a fourvoyé. Ici, la dernière syllabe d'une phrase laisse le ton. Il n'est donc plus le même que quand ce même mot se trouve dans le corps de la phrase. Nous marquons les tons tels qu'ils se présentent dans le milieu de la phrase, et considérons le ton pausal comme un ton de construction, tenant en somme la place de nos points dans l'écriture. Notez que des indigènes d'ici très bien calés pour écrire les tonalités, font souvent la faute de marquer le ton pausal. Ils l'entendent comme plus bas que lorsque le mot se trouve dans le corps de la phrase. Mais cependant ils se rendent compte qu'un ton haut p.ex. ne devient jamais si bas que le ton bas proprement dit. J'ignore ce qu'il en a au juste dans le kinyarwanda mais je pense qu'il vaudrait la peine d'examiner le cas, surtout parce qu'il n'est pas exclu qu'un linguiste fasse un jour l'objection. Vous aurez alors la réponse toute prête. Je sais encore combien il est difficile pour nous de saisir l'application exacte des proverbes, même lorsqu'on comprend bien les mots et les formes verbales employés. Ici souvent l'application est différente de ce que nous penserions en entendant le dicton en nous basane uniquement sur le sens littéral des mots. Vous parlez de la concordance des temps. Je serais curieux de savoir comment elle est en kinyarwanda. Ici les temps conservent chacun sa valeur propre quel que soit le temps des verbes de la proposition principale. Ici aussi il se commet beaucoup de fautes dans cette règle. Et on a souvent difficile de saisir le sens exact et l'usage de certaines formes, surtout le parfait p.ex. Maintenant autre chose: savez-vous quelque chose du concours organisé par votre Roi, les résultats sont-ils déjà connu? Si p.ex. une étude envoyée par un indigène d'ici n'était pas agréée, nous aimerions beaucoup obtenir l'autorisation de la publier nous-mêmes. Pourriez-vous rendre le service d'en parler au Roi? Je vous remercie beaucoup pour l'attention délicate de m'avoir réservé un tiré à part de vos belles études. J'aimerais tant pouvoir accepter votre aimable invitation pour visiter votre beau pays et votre beau peuple et causer longuement ensemble. Mais hélas! Je suis tellement surchargé de besogne que je ne puis guère m'absenter. Ce serait vraiment pour moi un luxe. D'ailleurs j'espère pouvoir aller passer cette année un conge en Europe. Ensuite nous verrons si le bon Dieu me prête vie. Il se pourrait bien qu'alors j'obtienne la permission de faire ce voyage, puisque notre évêque a l'intention de me libérer de la plupart de mes obligations afin d'avoir les loisirs nécessaires pour les études. Enfin, merci d'avoir apposé sur vos envois des timbres rwandais à 1,75 toujours difficiles à avoir. Sans doute maintenant à Gisagara vous n'aurez plus tant de' correspondance. En tout cas vous savez que je me recommande toujours pour des timbres usés. Si le P. Muller (2) est encore à Gisagara, veuillez lui présenter de ma part bien des salutations. Je l'ai connu à Coq pendant la guerre. Mes meilleurs vœux pour une nouvelle année prospère et abondamment bénie, dans le corps et dans l'âme et dans tous vos intéressants travaux. Bien vôtre in C.J. NOTES 1. Ses articles: Les tons en lonkundo, Anthropos 29(1934)75-98; 395-420; et "Over de tonen in het lonkundo", Kongo-Overzee 1(1934-35)257-273 2. Muller en 1949 à Astrida (Annuaire des Missions catholiques, 1949) Gisagara, le 28 Avril 48 Mon Très Révérend Père, Excusez-moi de n'avoir pas pu ré pondre plus tôt à votre lettre d'il y a presque une année. Vous m'y conseilliez de ne pas publier l'écrit dont je vous avais communiqué un extrait, sur la CIVILISATION, en réponse à certaines critiques. Mon intention n'a jamais été de publier cet écrit, ni surtout dans "La Voix Congolais". J'ai voulu tout simplement esquisser à mon usage, une preuve de notre thèse, laquelle serait publiée plus tard dans une monographie sur l'Evolution du Rwanda. Comme j'ai peu de confiance en moi, il est entendu que je devais faire critiquer l'écrit par des hommes compétents partageant notre thèse; par exemple le P. Charles. Tout d'abord je vous apprends que le petit mot de l'Abbé François Lorent, (accompagné de votre billet du 18 Mars dernier) a déjà sa réponse, et par Avion. J'hésite fort si je vous ai écrit après le passage du Père Charles dans nos régions. Aucun point de repère ne me permet d'avoir une certitude à ce sujet. Enfin, si je ne l'ai pas encore tait, sachez que le P. Charles a passé avec moi trois jours ici à Gisagara. On a pu causer à l'aise et j'ai reçu de plus amples renseignements sur les agissements de Mgr de Hemptinne en Belgique, et surtout à Louvain, où il tenait de faire mettre à l'index le livre du P. Tempels. D'autre part, le R.P. Tempels lui-même, avec lequel je suis en correspondance suivie, m'a donné de précieuses précisions sur la marche des événements. Le plus clair de l'affaire, c'est qu'à Rome on a déclaré que cette affaire n'avait rien à faire avec la doctrine, que c'est une opinion entre ethnologues et qui on pouvait la débattre librement. Mais entre temps nos adversaires ont réussi à me mettre hors de combat, en passant par le ministère des Colonies cette fois-ci. Il paraît que mes articles ont soulevé un mouvement de nationalisme anti-belge parmi les Populations du Rwanda. Mais heureusement ce mouvement de xénophobie ne se trouve que dans la tête de ceux qui l'invente de toutes pièces. J'ai reçu des fonds du Gouvernement pour publier ces mêmes traditions en kinyarwanda et cela n'est rien; mais si je les publie en une langue inconnue des Banyarwanda, c'est là que les Banyarwanda se soulèvent. En tous les cas j'ai reçu l'ordre de ne plus publier en français et tout les écrits que j'avais présentés à la censure du Vicariat ont été arrêtés. Cela ne veut pas dire cependant que je reste inactif: j'écris en attendant l'heure où l'interdit sera levé. Et maintenant j'ai à vous apprendre une affaire bien plus importante que tout cela: il y a bientôt une année que j'ai sollicité mon entrée dans un Noviciat de la Compagnie de Jésus. La lettre qui m'apprit que j'ai été accepté en principe est datée du 17 Juillet 1947. Depuis lors j'attends le moment où je recevrai mes lettres dimissoires. J'espère que cela ne tardera plus guère longtemps. Lé P. Charles est venu passer quelques jours avec moi, dans le but de m'examiner sur place à mon insu; il me l'a dit avant son départ. Son rapport a été en tous points favorable. D'après quelques renseignements reçus de Belgique, il me semble que je passerai le temps de mon Noviciat à Arlon. Dans ce cas, il me sera peut-être possible de vous rencontrer au moins quelques minutes, car il me semble que je devrais passer par Léopoldville. Je crois que de Stanleyville à Léopoldville on fait escale à Coquilhatville. Je vous communique cela, Mon Révérend Père, tout en vous recommandant d'en rien divulguer, ni d'en communiquer quoi que ce soit à quelque autre. La Providence se chargera d'en dévoiler ce qu'elle lui plaire (1) d'en laisser transpirer au dehors de mon petit cercle. Celui qui a servi d'intermédiaire entre le Provincial de Belgique Méridionale et moi, c'est un Père de la Compagnie de Jésus qui était en relations épistolaires avec moi depuis 1943. Vous comprenez que ma demande de 1947 a dû avoir une préparation et aussi des informations pouvant me laisser entrevoir les possibilités de faire aboutir une aussi grave démarche. Voilà, Mon Très Révérend Père, ce que je puis vous communiquer de plus sérieux à mon sujet. Priez pour moi, afin que Dieu fasse aboutir ce projet, si telle est sa volonté. Les difficultés n'ont pas manqué: mais j'ai tenu bon, car je m'y étais préparé avec soins. Je ne crois pas qu'il soit possible de m'ébranler dans cette grave résolution; seul Dieu pourrait m'y faire renoncer, en y mettant un obstacle infranchissable qui me montrerait clairement qu'il se contente de ma détermination. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux. Abbé Alexis Kagame [en ms] P.S. Pour le concours littéraire ouvert aux évolués par le Roi, les manuscrits ont été bloqués à Usumbura en Mai 1947, expédiés via le Gouvernement du Rwanda-Urundi, par le jury de Léopoldville. Nous venons d'en être informés fortuitement, il n'y a pas longtemps. Le Roi est en train de réclamer les manuscrits. Toujours la même chose: on s'oppose à ce qu'il passe quoique ce soit qui puisse être un témoignage en sa faveur. NOTE 1. Plaira Flandria, 17.6.48 Cher Monsieur l'Abbé, Votre bonne lettre m'a fait un énorme plaisir et m'apporte une grande nouvelle. Le bon Dieu vous fait une grâce toute particulière en vous inspirant le désir de la vie religieuse, et ce la dans la Grande Compagnie de l'Eglise. Mes plus sincères félicitations, et évidemment un mémento tout spécial pour votre sainte ambition. Vous aurez encore besoin de grandes grâces pour aboutir et couronner votre sainte entreprise. Oui, n'ayez pas peur, je garderai soigneusement votre grand secret. J'espère seulement que les Russes vous laisseront en paix faire votre noviciat en Belgique. Et j'espère qu'après vos supérieurs vous laisseront travailler au bien-être de votre peuple. De toute façon, s 'ils en jugeaient autrement, votre sacrifice (et le nôtre, car c'est ainsi que je le considère) j'ai difficile à considérer les choses indépendamment de leur répercussion sur les peuples d'Afrique. Je suis reconnaissant des nouvelles que vous me donnez au sujet du passage du P. Charles. Oui, Rome a été très clairvoyant dans l'affaire du P. Tempels. Que le Père ait raison (ce que je ne crois pas) est une autre histoire. Mais l'Eglise, à mon humble avis, peut difficilement gagner quelque chose en intervenant dans pareilles questions. C'est ainsi que ceux qui s'opposent à vos articles et à tout le mouvement que nous représentons font plus de tort à la cause qu'ils pensent défendre. Leurs intérêts sont à courte vue. Il est étrange comme ces personnes voient peu loin; au fond il ignorent l'histoire, la psychologie des peuplés. Au fond: n'auraient-ils pas peurs? S'il s'agissait d'une discussion sérieuse, sereine, pourquoi ne sortent-ils pas dans l'arène publique, au lieu de toujours agir dans les coulisses? Ils doivent aussi se rendre compte que tout peuple aspire à une certaine indépendance, surtout actuellement où notre éducation européenne les a guidés dans cette direction. Ne fait-on pas apprendre aux noirs l'histoire glorieuse de nos aïeux européens qui se sont soulevés contre la tyrannie de l'étranger (souvent fort exagérée pour le besoin de la cause ... ) Et on ne voudrait pas que les pupilles en tirent la conclusion logique? On exalte le patriotisme (souvent jusqu'à l'excès condamnable); mais on se récrie quand les colonisés veulent cultiver aussi cette vertu, qu'on déclare même vertu catholique... Quelles illogicités!! Etrange aussi cette histoire des concours. Je ne comprends pas pourquoi il a fallu un jury à Léopoldville? Et tout cas veuillez me faire le plaisir de demander au Roi de pouvoir publier le MS. de P. Ngoi (1) si lui-même ne le ferait pas. Puis-je encore vous demander un tout petit plaisir personnel? Celui de m'envoyer deux timbres poste NEUFS du Rwanda: un de 1 fr. et un de 1,25 fr. Si vous en voyez le moyen. Et de me réserver les oblitérés que vous auriez encore. En attendant, j'espère aussi avoir de vos nouvelles avant votre départ d'Afrique. Moi-même espère rentrer en congé cette année-ci. Peut-être aurons nous le bonheur de nous rencontrer en Belgique. En tout cas, soyez convaincu que je serai toujours heureux de suivre le progrès de votre vocation et je vous suivrai de toute façon dans l'esprit et dans la prière. Votre évêque est plein de bienveillance pour moi: il m'envoie vocabulaire et grammaire du kinyarwanda. Salutations fraternelles in C.J. NOTE 1. Paul Ngoi, secrétaire de G. Hulstaert avait participé au concours. Ce manuscrit n'est pas identifié autrement. 1102/M Cher Monsieur l'Abbé, Il y a longtemps que nous ne nous sommes plus écrit. Comme vous voyez je suis en congé en Belgique. Je resterai ici encore quelques mois; mais j'ignore quand exactement je retourne en Afrique. Je voudrai vous demander un petit service. Vous vous rappelez le concours organisé par votre Roi pour la littérature. Un auteur de notre vicariat y a également collaboré. Pourrions-nous obtenir du Roi, par votre intermédiaire, l'autorisation de publier son étude soit en entier soit par parties? Ensuite, si certains MS. ne sont pas édités par leurs auteurs ou par le Roi, ne serait-il pas possible que nous en publions des extraits dans notre revue, sous forme d'articles? Ne pourriez-vous pas voir s'il y a des choses qui pourraient convenir et tâcher de nous soit les procurer soit mettre en rapport avec les auteurs? Concernant votre propre collaboration que nous avons beaucoup appréciée, vous ne l'ignorez pas, je ne vous parlerai pas. Je laisse évidemment la chose à votre jugement et à celui de votre évêque. Mais nous serions vraiment heureux de vous revoir! Je serai très heureux de recevoir une réponse et un peu de vos nouvelles. J'y toujours beaucoup apprécié votre fraternelle correspondance et les idées judicieuses que vous avez émises dans vos lettres. Veuillez croire, cher Monsieur l'Abbé, à mes sentiments fraternellement cordiaux in C.J. G. Hulstaert Ruelensvest, 115 Heverlee (Louvain) Gisagara, le 30.09.1949 Mon Très Révérend Père, Je suis heureux de Vous dire que votre bonne lettre du 28 juillet dernier m'a été transmise il y a quelques semaines. Ce long retard a été occasionné par mon absence prolongée du poste, en juillet et septembre: c'est l'époque des déplacements annuels, pour retraites et congés. Je commence par Vous apprendre, avec une joie combien grande, que Mgr Déprimoz, notre Vénéré Vicaire Apostolique, m'a donné toute liberté pour collaborer à votre Revue. Je n'ai jamais oublié que ce fut mon premier article en français, paru dans vos colonnes, qui a déclenché les événements que nous vivons actuellement dans le Rwanda. Vous pouvez bien croire que tout va actuellement à merveille: tous les ennuis que l'on avait suscités sont du domaine des rêves, ou mieux des souvenirs. Je crois que je Vous avais confié le secret de ma démarché auprès de la Compagnie de Jésus; les difficultés ne désarment pas encore et il semble qu'elles iront grandissant. Mais je ne puis vouloir autrement que Dieu: c'est sa volonté qui fixera mon sort. A quand votre retour au Congo? Quand désirez-Vous recevoir un article de moi? Je suis à votre disposition et cette fois-ci je crois la reprise sera ininterrompue. Veuillez agréer, Mon Très Révérend Père, l'expression de mes sentiments très respectueux. Abbé Alexis Kagame 1135 M Heverlee, 11.10.1949 Cher Monsieur l'Abbé, Je suis heureux d'avoir reçu signe de vie! et remercie le bon Dieu avec vous de ce que votre évêque vous permet de nouveau de collaborer à notre revue. Ne tardez donc pas à m'envoyer quelque chose; car le Rwanda a été trop longtemps absent de nos colonnes. Il me fait grand plaisir de lire que tout va si bien au Rwanda. Si l'article que vous avez publié chez nous y a été pour quelque chose, j'en suis très heureux; car notre but a toujours été d'être au service des peuples indigènes par la publication de documents aidant à les mieux connaître et à les faire voir dans la réalité, et non dans les lunettes de l'intérêt européen qui, dans combien de cas transforme la vérité. Il me serait fort agréable d'avoir quelques détails complémentaires sur la belle situation dont vous parlez actuellement chez vous. La visite des délégués de l'UNO n'est-elle pas pour une bonne part dans la situation présente. Et la visite de votre Roi ici en Belgique? J'aimerais beaucoup connaître ses impressions, mais évidemment il est assez diplomate pour ne pas les livrer, et il a bien raison. J'ai récemment rencontré à Anvers le fr. Symphorien (1) (c'est ainsi qu'il s'appelle, n'est-ce pas?) ex-directeur de l'école d'Astrida. Ce changement de directeur a-t-il quelque relation avec les changements pour le mieux que votre lettre signale? Je suis curieux de savoir si son successeur le fr. Olivier (que j'ai rencontré quelques fois, c'est le frère d'un de mes confrères décédé) apportera beaucoup de différence. Oui, vous m'aviez parlé de votre désir d'entrer dans la compagnie de Jésus. Et je me suis demandé plus d'une fois où vous vous trouviez et si vous étiez déjà venu ici en Belgique. Evidemment, en dernier ressort c'est le bon Dieu qui vous indiquera votre voie. Quant à mon retour en Afrique, je viens de recevoir de mon Vicaire Apostolique la nouvelle que rien ne pressa et .qu'il me laisse de loisir de terminer ici un dictionnaire que j'ai entrepris du Lomongo, langue parlée dans notre vicariat et voisins. Je pense que cela prendra bien encore une demi-année au moins, car j'ai évidemment d'autres choses à faire (rédaction d'Aequatoria, correspondances, visites, conférences, etc.). De toute façon je vous aviserai à temps de mon départ, mais ce ne sera au plus tôt qu'au printemps prochain. Donc, cher Monsieur l'abbé, envoyez-moi déjà votre première' contribution d'après-guerre et quelques nouvelles de chez vous. In unione precum et sacrificiorum. Et avec mes salutations fraternelles in C.J. G.Hulstaert NOTE 1. Le directeur du groupe scolaire d'Astrida était le frère Secondien. L'Annuaire des Missions catholiques du Congo-Belge et du Rwanda-Urundi, 1949, ne mentionne ni Symphorien ni Olivier. Coq, 9 juin 1951 Cher Monsieur l'Abbé, Après un long silence me voici revenu au Congo, j'ai passé en Belgique plus de deux ans, travaillant à un dictionnaire de la langue des Mongo... Maintenant me revoici à l'Équateur. Et déjà j'ai besoin de votre aide fraternellement charitable. On me demande des renseignements et parmi ces renseignements destinés à un ouvrage-étude sur la Littérature faîte par des indigènes africains, pour une thèse de doctorat au Canada, il y en a que vous pouvez me fournir. Il se peut qu'à vous aussi ces mêmes renseignements (pour un Frère enseignant canadien) ont été demandés, auquel cas, il me semble superflu de les me fournir (excepté en résumé à titre de documentation personnelle pour moi). En dehors du "roman" récent Escapade Ruandaise (1) connaissez-vous, pour le Rwanda, le Burundi ou le Kivu, quelque ouvrage édité dû à un indigène; soit en français, soit en n'importe quelle langue indigène? Pour ces auteurs, on demande les noms, adresse, titres, profession, âge, langue maternelle etc. etc. Aussi outre les titres, le sujet, éditeur,,où l'obtenir, nom de la langue, texte original ou traduction. Articles dans quelles revues? Quels auteurs? votre revue kinyamateka, parait-elle toujours? En êtes-vous toujours le directeur? ou qui? Quelle périodicité? L'Ami existera encore? édité par qui? où? Y aurait-il moyen d'obtenir un ou deux spécimens? Savez-vous s'il existe encore, dans vos régions, des périodiques édités par des indigènes ou dirigés par eux? Lesquels? Servir existe-t-elle encore? Editée par qui? Et le bulletin des juridictions du Rwanda, toujours en vie? Quel est le directeur? Voilà cher Monsieur l'Abbé, le genre de renseignements qu'on me demande. Donc si vous pouvez m'aider, je vous serai très reconnaissant. Je vous félicite des contributions que j'ai lues dans Zaïre; et des textes que vous avez envoyés à l'Institut colonial. Si vous avez encore quelque chose, je pense que vous n'oublierez pas Aequatoria; Avec le nouveau Délégué apostolique, je crois qu'il n'y a plus aucun danger. Il m'a fait la meilleure impression et m'a paternellement encouragé et tranquillisé pour notre revue. Une prompte réponse me serait très agréable, si possible... Bien fraternellement in C.J. NOTE 1. Naigiziki S., Escapade ruandaise, Bruxelles, GA Deny, 1950, 200 p. 1577/B Bamanya 30 nov. 1952 Cher Monsieur l'Abbé, Je viens avoir recours à votre amabilité pour vous demander un petit service. Nous aimerions en effet, avoir une petite recension sur l'ouvrage de A. d'Arianoff: Histoire des Bagesera, paru dans la collection de l'Institut Colonial. Il n'y a personne de mieux qualifié que vous pour faire ce travail. Nous ne demandons qu'une page, dactylographiée avec intervalles comme ceci. Mais si vous voulez y consacrer un articulât, ce sera préférable. J'espère que vous allez bien. Je constate en tout cas que vos productions scientifiques ont pris une allure vertigineuse. Veuillez agréer, Monsieur l'Abbé, avec mes remerciements anticipés, l'expression de mes sentiments fraternels. G. Hulstaert Redacteur en Chef Rome, le 10 février 1953 Mon Très Révérend Père, Je Vous croyais encore en Europe, en train de rédiger votre Dictionnaire. Il semble au contraire que Vous êtes retourné déjà au Congo. Il est vrai que depuis un certain temps nous ne nous sommes plus communiqué mutuellement de nos nouvelles. Je pense que rien ne s'opposera à ce que nous reprenions notre correspondance régulière d'antan. Vous avez sans doute déjà appris que je me trouve à Rome. Je fus envoyé ici l'an dernier en septembre, afin d'étudier un peu les Sciences Sociales à la Grégorienne. Comme je constatais cependant l'impossibilité d'obtenir un grade universitaire en cette matière, Mgr Déprimoz m'autorisa à me faire inscrire d'abord à la Faculté de Philosophie. On verra ultérieurement ce qu'il faudra faire au sujet des Sciences Sociales. Comme il me fut suggéré, j'ai déjà choisi les sujets de ma thèse de Licence (pour juillet 1954) et la thèse de Doctorat (juillet 1955), afin de m'y prendre à temps et de préparer les matières soigneusement. Pour la thèse de Doctorat (je Vous en parle, tout en Vous priant de conserver strictement l'information pour Vous, à cause des raisons que Vous comprenez sans difficulté), j'ai choisi quelque chose comme LA PHILOSOPHIE DE L'ETRE EN PAYS BANTU, DE L'AFRIQUE CENTRALE. Il Vous viendra tout naturellement à l'esprit qu'il y ait là quelque rapprochement avec le sujet naguère traité par le R.P. Tempels dans sa Philosophie Bantoue. Cela est évident. Le titre de mon travail pourra peut-être se modifier ou mieux se préciser; mais le contenu tendra à présenter sous leur vrai jour "Africain" ce qu'à tenté ledit Missionnaire. Dès le début, je n'ai jamais voulu accepter le point de vue du P. Tempels, parce que j'entrevoyais certains éléments inacceptables de sa thèse. Puisque la Providence m'a ménagé l'occasion d'étudier la Philosophie universitaire, je voudrais maintenant rédiger les matériaux qu'il m'étais jadis difficile de formuler, vu mon impréparation d'alors. Toutefois, je me reprocherais de procéder d'une manière peu "universitaire" en limitant mes connaissances du livre "La Philosophie Bantoue" au seul texte que je possède des deux éditions? Je voudrais établir une bibliographie aussi complète que possible s'y rapportant. Il ne s'agit évidemment pas de citer, de dresser simplement une liste: il me faut lire et résumer les critiques et les approbations ayant trait à ce livre. Je lui consacrerai un chapitre important dans ma thèse. Or je me souviens des articles parus dans Aequatoria et autres périodiques à l'époque où fut publié ce livre. Mais malheureusement je ne puis plus avoir lesdits écrits sous la main. Auriez-Vous la bonté, Mon Révérend Père, de m'envoyer le texte des articles parus dans Aequatoria à ce sujets. Et si possible les références à d'autres publications dont Vous Vous souvenez encore. Mon adresse est: 117. Via delle IV Fontane, Rome. Veuillez agréer, Mon Très Révérend Père, avec mes remerciements anticipés, l'expression de mes sentiments très respectueux en Notre-Seigneur. Alexis KAGAME 1625/14 Bamanya, le 22.2.1953 Cher Monsieur l'Abbé, Quel plaisir de recevoir signe de vie d'un ancien correspondant qui, pendant des années, a disparu de mon cercle d'amis et qui s'est fait tirer l'oreille plus d'une fois pour y revenir. Ou n'avez-vous jamais reçu les lettres que je vous ai envoyées (plus d'une... restée sans réponse). Il y a quelque temps j'ai demandé au Rwanda votre adressé pour pouvoir vous envoyer les extraits de recensions sur vos derniers ouvrages. Force m'a été de vous les envoyer quand même à... Kabgayi, dans l'espoir qu'ils vous seront réexpédiés. Entre-temps j'avais appris, dans une revue ou un journal, votre départ pour Rome. Vous voilà donc dans la ville éternelle! Vous avez de la chance, dites! J'avais appris aussi que c'était pour faire des sciences sociales, mais je crois facilement que la Grégorienne n'a pas une faculté pour cela: il faudra donc se rebattre sur autre chose. A Louvain on suit l'Ecole Sociale, attachée à l'Université, quitte à compléter par d'autres cours. Mais un doctorat en sciences sociales n'existe pas en Belgique non plus. Il faut alors prendre (on le fait généralement ainsi): philosophie et lettres. Pourquoi à notre époque éminemment sociale il n'existe pas de docteur en sociologie, comme il en existe bien en... géographie ou en ethnologie, je l'ignore... Je suis bien à l'aide d'apprendre le sujet de votre thèse. Je vous en félicite. Cela pourrait soulever beaucoup de poussière et remettre sur le tapis le P. Tempels. Vous connaissez mon opinion. Vous verrez vous mêmes au cours de vos recherches les points faibles, et surtout le caractère INDEMONTRE de la thèse du P. Tempels. Si la masse des faits est exactes l'explication sous forme déontologie est erronée. Et surtout son idée de l'être scotiste, il est Franciscain... ne me semble nullement cadrer avec la saine raison des Congolais qui, sans doute n'ont jamais institué un cours... de philosophie, mais se contentent de VIVRE leur philosophie; ce qui, entre nous soit dit, est plus important que d'en discuter... mais c'est là autre chose, qui ne fait pas l'affaire des Européens scientifiques. Donc, pour la pratique, c'est surtout l'édition FLAMANDE primitive qu'il utilise; c'est d'ailleurs aussi la dernière en date. Elle contient des notes (et je crois aussi, celle de Présence Africaine, d'ailleurs) contenant des opinions de "savants philosophes". Ensuite, si je me rappelle bien au point de vue critique: BOELAERT: Aequatoria, 1946, p.81 Voilà ce que comporte ma Bibliographie sur le sujet. J'ai demandé au P. Boelaert des brochures où il traite incidemment de la question; je viens de vous les envoyer, par (illisible). Malheureusement il n'a plus de tirés à part de l'article principal dans Aequatoria. La revue devrait se trouver à Rome, je crois. Et vous-même étiez abonné à Cette Epoque, si je ne me trompe. J'avais encore espéré recevoir de temps en temps un article de vous, mais là aussi le mutisme est complet... J'avais encore cherché une recension sur le livre d'Arianoff sur les Bagesera. Ma lettre vous est-elle arrivée? Serait-ce possible Rome, le 25 Avril 1953 Bien cher Père, Veuillez m'excuser d'avoir tardé à répondre à Votre lettre qui me fut directement adressée à Rome. J'ai attendu l'arrivée de celle que Vous aviez envoyée à Kabgayi; elle a été acheminée tardivement par courrier ordinaire. Puis entre temps j'ai reçu les tirés à part des articles du R.P. Boelaert et le texte de recension faite sur La Poesie Dynastique au Rwanda. Je Vous remercie bien sincèrement de tout cela. Je suis heureux de Vous donner la recension du livre Histoire Des Bagesera, de Mr d'Arianoff (qui est devenu ,depuis Mr d'Ariane tout court). Vous le publierez sous forme d'article, en mettant en note les indications bibliographiques marquées de 0 0 . Le titre de l'article sera ainsi: A PROPOS D'UN NOUVEAU LIVRE SUR LE RWANDA "Histoire des Bagesera du Gisaka" (1) J'aurais bien pu Vous envoyer également un article sur le livre du P. Delmas auquel l'article fait allusion "Les généalogies de la Noblesse du Rwanda"; je ne le puis faire malheureusement, à cause de la repasse, car les examens approchent. Ce sera pour une autre fois. Le présent article a été lu longuement par le P. Van Bulck, qui nous donne actuellement deux cours sur l'Ethnologie Africaine. Je fréquente son cours, en vue d'être autorisé à présenter ma thèse de Licence sur "Les Coutumes Sociales de l'Ancien Rwanda". Mon séjour à l'Université m'ouvre des horizons nouveaux et j'espère que Vous aurez amplement l'occasion d'en bénéficier. Soyez bien sûr que si certaines circonstances m'ont suggéré le silence, pendant quelque temps, je n'en n'ai pas oublié pour autant que Aequatoria fut la première publication scientifique à m'ouvrir ses colonnes et me lancer dans les publications en langue française. Si cela marche comme je le prévois, et comme les étudiants de chez nous (ceux qui font évidemment la Philosophie et la Missiologie) semblent être dans les mêmes intentions, il pourrait se faire Votre Revue trouve des collaborateurs qualifiés d'ici quelques années. En ce qui me concerne, je ne dis pas que je commence dès main tenant: je reprends ma collaboration et je continue. Vous aurez la bonté de me faire expédier désormais la Revue, afin que je me replonge dans sa mentalité. Tout Vous en Notre-Seigneur. Abbé Alexis Kagame NOTE 1. Aequatoria 16(1953) 89-92 Bamanya 21 Mai 1953 Cher Monsieur l'abbé, Je vous suis infiniment reconnaissant pour votre aimable lettre et pour la contribution au sujet du livre de M. Arianoff. Vous pouvez difficilement comprendre ma joie de vous avoir retrouvé comme correspondant et collaborateur. Et j'espère bien que maintenant les circonstances seront plus favorables à nos relations épistolaires et autres... Et que malgré le peu de loisirs que vous laissent vos études vous trouverez quand même moyen de me faire savoir quelque nouvelle de temps en temps de nous envoyer quelque contribution. Ainsi nous venons de recevoir la mémoire de P.Gourou sur la Densite de la Population au Rwanda-Urundi de l'Institut Colonial. Je crois qu'on continue de vous envoyer ces mémoires de notre Institut. Si vous ne recevez pas cet ouvrage parce qu'il a paru dans la section des sciences médicales, je crois bien que l'Institut vous enverra volontiers un exemplaire si vous lui en exprimez le désir, comme je l'ai fait pour ma part. Si vous avez reçu ce volume, nous aimerions beaucoup recevoir de vous une petite (ou longue) recension pour notre revue. Et sans doute au cours de vos études l'une ou l'autre question reviendra au tapis... de vos recherches ou de votre souvenir. Nous ne demandons pas de LONGS TRAVAUX, mais nous serions vraiment heureux de recevoir de temps en temps un petit article. Il s'agit surtout de faire trouver à votre peuple sa place dans nos pages. Nous vous avons donc refait une FICHE pour l'expédition de la revue régulièrement à votre adresse romaine. Et nous vous avons envoyé le n° 1 de cette année. Le n° 2 sous presse suivra dès sa parution. Encore un très grand merci, et pensez parfois à moi lorsque vous visitez St Pierre ou l'une ou l'autre des églises ou lieux sacrés de Rome que j'ai eu le bonheur de visiter pendant l'année sainte. Bien vôtre in C.J. G. Hulstaert 187S/M Bamanya, 29.11.1954 Cher Monsieur l'Abbé, Permettez que je vienne vous déranger encore une fois dans vos études et recherches romaines. Voici pourquoi. Je viens de recevoir le volume de Bourgeois, Banyarwanda et Burundi, édité par l'I.R.C.E. (pardon: académie; nous sommes donc devenus académiciens... hm.); Vous serait-il possible de faire de cet ouvrage, pour Aequatoria une recension de préférence sous forme d'article, comme vous l'avez fait précédemment pour l'ouvrage d' Arian. Cela nous ferait un immense plaisir et nous rendrait un grand service. Enfin, vous verrez vous-même le mieux de combien de loisir vous pouvez jouir pour cela. De toute façon j'ai pensé que vous devrez lire ce travail et il ne vous sera pas difficile de vous former une opinion (vous l'avez d'ailleurs déjà lu, pour l'Institut) et la communiquer à nos lecteurs. J'y compte donc, cher Monsieur l'Abbé, les vacances de Noël vous en fourniront certainement le temps. Pour le reste je vous souhaite d'abondantes bénédictions divines et beaucoup de succès dans vos études. Bien vôtre in C.J. G. Hulstaert. 1959/B Bamanya, 28 sept 1955 Cher Monsieur l'Abbé, Je me permets de recourir à votre bienveillance pour un petit service. J'aurais besoin d'une recension pour Aequatoria sur le titre de M. Maquet: Relations sociales dans le Rwanda ancien, sur lequel vous avez publié une très bonne recension dans Zaïre 1955, Mars. J'avais d'abord demandé ce service au R.P. Pauwels, mais il se récuse et me dit que votre recension dans Zaïre est très bonne et objective. Je n'avais d'abord pas voulu faire appel à votre aide, parce que vous avez déjà fait la même chose pour Zaïre. Mais maintenant je me vois bien contraint de m'adresser à vous. Evidemment il ne faudrait pas faire la même chose que dans Zaïre. Mais il ne vous sera pas difficile du tout après cela, de faire une nouvelle recension un peu différente. Oui, si vous préférez faites-le sous forme d'un article où vous pourrez sans doute écrire beaucoup de choses que vous désireriez publier à ce sujet si intéressant et surtout si IMPORTANT pour l'avenir de votre pays. Je viens de passer à Bukavu (Conférence)(1) et de là à Astrida en excursion. C'est la deuxième fois que je visite votre beau pays mais cette fois-ci en vitesse, cependant visite très intéressante et instructive. Comment va évoluer le Rwanda dans les tourbillonnements actuels. J'ai l'impression que les fonctionnaires ne sont pas tous très dévoues à votre pays et à votre peuple. Est-ce que le climat anticlérical actuel ne laissera pas une profonde influence et une division dans le pays. Et ces visites prolongées des souverains en Belgique ne laissent-elles pas trop de place à des intrigues. Mais je m'écarte et vais faire de la "politique"... Donc je vous prie instamment de ne pas rejeter ma requête pour une recension courte (ou de préférence: article sur le sujet, comme vous avez fait pour le livre de d'Arian(off) dans le temps). Il vous faudrait d'ailleurs de temps en temps un bon article sur le Rwanda dans notre revue. Que me conseillez-vous? Si possible j'aimerais voir votre réponse postée au Vatican pour avoir les timbres. Avec mes meilleurs souhaits et salutations in C.J. G. Hulstaert NOTE 1. Août-septembre: Conférence Interafricaine pour les Sciences Humaines à Bukavu.
2010/B Cher Monsieur l'Abbé, Puis-je me permettre de vous rappeler ma lettre 1959 du 28 septembre dernier par laquelle je vous demandais votre collaboration pour la recension du livre de Maquet: Relations sociales dans le Rwanda ancien? Vous en avez déjà traité dans Zaïre de sorte qu'il ne vous sera guère difficile de faire encore quelque chose (d'un peu différent évidemment) pour notre revue. Vous pourriez même (et de préférence) y consacrer un article: la chose en vaut la peine, je crois. Puis-je compter sur vous? Vous me rendrez ainsi un REEL service. Je suppose que ma lettre mentionnée vous est bien parvenue. Mon frère à Sleidingen (1) m'écrit qu'il a eu votre visite en compagnie de Mr de Cleene. Il ajoute que vous ne tarderez pas à retourner en Afrique. Quant à moi je pars en congé en Belgique vers le 15 avril prochain. J'aimerais beaucoup recevoir votre recension/article avant cette date afin que je puisse arranger le texte pour les deux numéros qui restent à être imprimés cette année (1 et 2 sont prêts). Sinon il faudrait envoyer à Boelaerlei 11, Borgerhout/Antwerpen. Mais cela fera des difficultés. Donc de préférence ici à Coq à la rigueur par Avion (les frais seront remboursés dès que vous me les ferez connaître). Salutations cordiales in C.J. G. Hulstaert. NOTE 1. Le frère du père Hulstaert était frère religieux dans la Congrégation des Xavériens. Paris, le 11 juin 1956 Mon Révérend Père, Je vous adresse ce petit mot pour vous annoncer, avec regret mais sans remords, que vos deux lettres me sont parvenues, et qu'il m'a été impossible de recenser les ouvrages des MM. Bourgeois et Maquet. Vous vous en rendrez facilement compte, lorsque vous aurez appris que j'ai quitté Rome le 1 novembre 1955, et que j'y rentre le 29 courant. Entre-temps j'ai séjourné en Angleterre, en Belgique, en Allemagne et maintenant en France, luttant contre la montre à la recherche de documents linguistiques. Je rentrerais au Rwanda vers le 10 Août. Je pourrai alors retrouver mes livres, dont je suis séparé depuis les dernières vacances. A partir de ce moment, il me sera possible de collaborer, à tête reposée, à votre revue. Je Vous prie donc de m'excuser et de m'apprendre votre programme à vous. A partir du mois d'août prochain, je rentre dans la vie normale et sédentaire. Tout vôtre en N.S. 2076/M Antwerpen, 6.12-1956 Cher Monsieur l'Abbé Alexis, Me référant à votre lettre de Paris 11.VI dernier je vous espère bien revenu dans votre pays et réadapté au rythme africain en plus sédentaire qu'en Europe... Ainsi je me permets de vous rappeler votre promesse de m'aider pour Aequatoria avec des recensions d'ouvrages traitant du Rwanda, notamment ceux de Maquet (série du Musée de Tervuren) et Bourgeois (mém. de l'ARSC), ainsi que Lestrade (Mém.ARSC. VIII, l). Vous me rendrez ainsi un réel service. Vous connaissez l'étendue normale d'une recension dans notre revue, mais si vous le préférez vous pouvez également consacrer à des ouvrages un article plus étendu. Vous savez sans doute que Mr Coupez va passer son doctorat avec une grammaire Rwanda. Quand vous aurez quelques moments pour me répondre, je serai heureux d'avoir de vos nouvelles et, si possible, aussi quelques détails sur la situation générale politique dans votre pays, car on attend toutes sortes de cloches sur divers tons... Et l'évolution de vos pays m'intéressent au plus haut point. Vous savez sans doute que j'ai eu le plaisir de le visiter à deux reprises pendant votre absence: un voyage d'Usumbura-Kitega-Mugera-Burasira-Nyaibanda-Astrida-Kabgayi-Rwamagana-Kibungu-Kiziguru-Biumba-Rulindo-Nyundo. Un autre d'un seul jour seulement à Astrida et environs. Au plaisir de vous lire, croyez-moi, cher Monsieur l'Abbé et collègue, bien vôtre in C.J. G. Hulstaert 3064/M Bamanya, le 24.9-1957 Cher Monsieur l'Abbé, Puis-je me permettre de vous rappeler votre réponse faite à Rome à une lettre dans laquelle je vous demandais de bien vouloir m'aider avec des recensions pour cette revue. Vous m'aviez alors dit qu'il vous manquait le temps tout en me demandant de vous réécrire lorsque vous seriez de retour en Afrique. Vous avez réitéré votre... promesse lorsque nous nous sommés rencontrés à l'Académie à Bruxelles. Depuis lors je suis de retour au Congo depuis 3 mois et j'avais espéré vous trouver à Bukavu pour la semaine religieuse. Nous aurions pu causer plus aisément. Mais, un père d'une mission voisine de la vôtre me dit que vous étiez retenu par beaucoup de devoirs. Je me permets cependant de faire appel à votre fraternelle bienveillance pour m'aider. J'ai en effet le livre de Maquet sur les relations sociales dans l'ancien Rwanda, et ceux de Bourgeois publiés par l'Académie, en trois tomes. Je vous serais infiniment reconnaissant si vous pouviez me faire de ces ouvrages des recensions. Il vous est aussi loisible, si vous le préférez, d'y consacrer un article qui serait en même temps une recension, ce qu'on marquerait en note au début de l'article ou au bas de la page. Il y a encore l'ouvrage de Lestrade sur la médecine indigène au Rwanda. Si vous pouviez y consacrer une recension je vous serais aussi reconnaissant, mais j'ignore si vous vous êtes jamais occupé de ce genre de recherches mais peut-être trouveriez-vous un confrère ou autre personne compétente pour m'aider. Finalement il y a votre propre travail sur les organisations socio-familiales, aussi à l'ARSC. Pourriez-vous me-dire qui pourrait et voudrait en faire une recension? Ou voudriez-vous vous-même chercher sur place une compétence pour la recension Vous connaissez le Rwanda et les compétences qui pourraient s'y trouver dans le monde clérical ou laïque...et si vous vouliez en profiter pour solliciter vous-même l'aide d'une recension, vous me rendriez un immense service, pour lequel je vous exprime dès maintenant toute ma gratitude comme aussi pour les recensions que vous voudrez entreprendre vous-même. Evidemment, je ne veux pas abuser de votre bonté, en vous demandant beaucoup de pages, mais si cependant vous pourriez le faire j'aimerais bien un ou deux articles-recensions, car depuis une éternité le Rwanda n'a plus trouvé place dans la revue. Puis-je donc compter sur vous? Avec mes remerciements réitérés et mes salutations fraternelles in C.J. G. Hulstaert 3333/M Bamanya, 7 mai 1959 Cher Monsieur l'Abbé, Ce jour de l'Ascension me donne quelque loisir. Puis-je en profiter pour vous rappeler la visite que j'ai eu le plaisir de vous faire, il y a à peu près deux ans? (1) Ceci est une introduction. Nous avions parlé alors de recensions que je vous demandais de faire pour notre revue. Vous répondiez qu'il vous restait peu de temps disponible. Entre-temps me voici toujours sans les recensions. Comment puis-je sortir de cet embarras sinon à m'adresser à nouveau et malgré tout à votre bienveillance. Je ne demande pas des recensions longues et étoffées. Une simple description du contenu du livre et une appréciation très générale, pas trop mauvaise pour ne pas décourager l'auteur; que la chose ne dépasse toute borne, évidemment. Il me semble que dans ces limites vous pourriez faire un bon mouvement pour me dépêtrer. J'ai ici les ouvrages édités par l'Académie: Bourgeois en trois volumes; Lestrade: La médecine; Pauwels: Immana. Il me semble qu'il est de mauvaise politique de laisser ignorer ses ouvrages par nos lecteurs. D'autre part nous n'avons jamais rien sur le Rwanda, c'est aussi mauvais. Cela ne vous dit rien? Et je ne vois personne d'autre à qui m'adresser. Il n'est pas nécessaire que vous fassiez un travail bien accompli, quoique je le préfère évidemment. Si vous me fournissez les données je veux bien me charger de les mettre en musique. Veuillez saluer de ma part à l'occasion Mgr Votre évêque et les révérends pères de la mission et les frères de Charité pour autant qu'ils me connaissent. Avec mes salutations cordiales en C.J. Est-ce que le Kinyamateka existe toujours? NOTE 1. A l'occasion de la Semaine Interafricaine de formation en juillet 1957 à Bukavu (cf. Aequatoria 20 (1957)96-103 mais cf. lettre de H. Hulstaert du 28-12-1976 où il dit l'avoir rencontré à Butare vers les années 50. Astrida, le 21.4.1960 Mon Très Révérend Père, Vous avez sans doute cru que j'avais oublié complètement ma promesse. Il n'en fut rien. Mon retard est dû au fait que j'ai été obligé de composer je ne sais plus de mémoire, évidemment urgents, et que les examens sont venus s'y ajouter. Une fois les corrections terminées et les vacances de Pâques à nos portes, alors je me suis mis à recenser le livre du R.P. Pauwels. Une recension, Mon Révérend Père, me demande beaucoup de souci. Lorsqu'on recense mes propres études, je m'aperçois qu'on ne les a pas lues, mais qu'on s'est contenté de feuilleter, et puis on émet des jugements non fondés. C'est pour cela que je commence par lire, et cela me demande beau coup de temps. C'est la raison pour laquelle je publie si peu de recensions. Cependant, vous pouvez compter sur ma collaboration concernant les études paraissant sur le Rwanda. La prochaine fois je vous parlerai de l'un des volumes de Monsieur Bourgeois. Veuillez agréer, Mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments profondément respectueux en N.S. Abbé Alexis Kagame. 3592/M Bamanya, le 8 mai 1960 Cher Monsieur l'Abbé, Je vous suis infiniment reconnaissant de votre aimable lettre avec la bonne recension (1). En effet, vous avez tenu votre promesse et continuez à tenir celle concernant les autres ouvrages. Ce que vous dites au sujet des recensions souvent superficielles n'est hélas que trop exact. Mais évidemment les revues n'ont pas toujours la possibilité de trouver les spécialistes requis ni souvent le temps de tout recenser sérieusement. Figurez-vous que vous ne m'aviez dépanné pour ces ouvrages sur le Rwanda, comment aurais-je dû faire sinon tenter une recension plus qu'approximative. Souvent ce qui manque aux rédacteurs ce n'est pas la bonne volonté, c'est la collaboration: hominem non habeo est notre plainte continuelle. Heureusement que vous m'avez maintenant dépanné et que vous continuerez avec les autres ouvrages. Il n'est pas pour autant nécessaire de faire toujours des recensions spécialement longues. Pour l'ouvrage du P. Pauwels cela est indiqué puisqu'il s'agit de religion et des idées les plus fondamentales dans la culture africaine. Pour d'autres ce sera nécessaire. On peut toutefois dire l'essentiel, montrer les beaux côtés et les points faibles d'un ouvrage. Vous ai-je signalé aussi le livre de Lestrade sur la médecine rwandaise? J'espère que les choses se tassent et que la situation devient plus calme. Cependant pour ma part je n'aime guère ces remous politiques à l'européenne qui ne me semblent pas valoir grand chose ici en Afrique. Je n'aime surtout pas l'esprit révolutionnaire qui se propage de plus en plus en Afrique, et cela dans tous les domaines, l'Eglise non exclue. Encore un grand merci, et avec mes salutations les plus cordiales in C.J. G. Hulstaert NOTE 1. Parue dans Aequatoria 23 (1960) 146-147. 4489/N Bamanya, le 28.12.1976 Cher Monsieur l'Abbé, Puis-je me rappeler à votre bon souvenir? Nous avons perdu le contact après les incidents concernant vos articles dans Aequatoria. On ne s'est revu qu'accidentellement à Butare vers les années 1950. Si je vous écris maintenant c'est pour l'affaire suivante: L'Université Nationale aimerait avoir dans ses archives historiques les documents sur le conflit suscité par la Délégation Apostolique contre la revue à l'occasion de vos contributions en 1949. Or dans cette Documentation se trouvent des lettres de vous. Autorisez-vous la communication de ces lettres pour leur conservation dans les archives en vue d'une utilisation ultérieure éventuelle par des chercheurs sur l'historique de l'ethnologie et sciences humaines connexes en Afrique centrale? Je vous remercie d'avance pour votre réponse et vous envoie, avec mes bons vœux pour la nouvelle année, l'expression de mes sentiments fraternels, C.J. (1). G. Hulstaert ANNEXE 1: Considération de Alexis Kagama sur le concept de la "Civilisation"Voir lettres du 15-5-1947 et du 2-6-1947 12. LA VRAIE DÉFINITION DE LA CIVILISATIONCette exposition ne saurait s'arrêter simplement au texte de Mgr M. (1): il faut en arriver à la preuve positive de mon point de vue. Qu'est-ce que la Civilisation? Mr De Jong (2) dans son Cours d'Ethnologie (donné à l'Université de Louvain), rappelle que la Civilisation doit être envisagée à deux points de vue: objectif et subjectif. Considérée en elle-même, abstraction faite du sujet qui le partage, la Civilisation est objective et se définit: "FAISCEAU DES CONQUETES MATERIELLES (Economiques), TECHNIQUES, FAMILIALES, MORALES, RELIGIEUSES, JURIDIQUES, POLITIQUES, ESTHETIQUES, INTELLECTUELLES ET LINGUISTIQUES, FAITES PAR LES GENERATIONS ANTERIEURES ET TRANSMISES PAR ELLES AUX GENERATIONS SUIVANTES". Considérée d'autre part dans le sujet qui en bénéficie, la civilisation est subjective et se définit: "CIVILISATION OBJECTIVE QUI A ATTEINT UN CERTAIN DEGRE SUPERIEUR." Voilà la définition de la Civilisation, telle que la donne M. De Jong, qui certainement, fait autorité en toute occurrence. C'est dire que nous pouvons nous y baser en toute sûreté. Ce ne serait certes pas quelqu'un d'entre nous autres qui révoquerait en doute l'autorité de l'éminent Ethnologue. La première conclusion à tirer de cette définition autorisée de la civilisation est que celle-ci, bien loin d'être tenue, est massive. Massive du double point de vue des éléments qui la constituent et des sujets requis pour en réaliser toute l'ampleur. Disons d'abord que, même en dehors de l'autorité de M. De Jong, cette définition, ou d'autres choses équivalentes, mentionnent tout le champ possible de l'esprit humain, dans ces réalisations tant de l'âme que du corps. On ne peut pas s'imaginer une civilisation sans le développement parallèle de toute la nomenclature ci haut indiquée. 13. LA CIVILISATION MATÉRIELLE ET LE PRIMITIFComme j'ai rappelé plus haut, en citant le même Mr De Jong, dire d'une Société qu'elle n'est pas civilisée, cela ne signifie pas que cette Société "n'ait pas de civilisation". Il est évident que tout les éléments de la civilisation, tels qu'ils sont indiqués dans ladite définition, doivent se retrouver partout où il y a une société humaine, avec un degré plus moins poussé, selon le niveau respectif de la civilisation subjective locale. Je crois avoir suffisamment insisté sur ce point dans dette Revue, n° 9 (3) page 359, en affirmant clairement que la Civilisation Occidentale ne nous a rien apporté d'essentiellement nouveau; qu'elle nous a apporté une modalité supérieure d'envisager la vie individuelle et sociale. Le mot que j'ai employé "essentiel" a un sens précis, déterminé encore davantage par la phrase qui y fait suite: "un fait essentiellement nouveau... la vie surnaturelle du christianisme". On me dira sans doute qu'il y a possibilité d'entendre ce mot "essentiel" dans un sens moins absolu, de manière à concéder que l'Occident nous ait apporté des éléments essentiellement nouveaux pour nous: ses inventions. Mais j'ai préféré retenir le sens propre du mot, parce que la nature des Européens qui a fait ces inventions, est la même que la nôtre, c'est notre nature qui a présidé à ces réalisations. Serait essentiellement nouveau, pour le primitif un fait que sa nature ne saurait jamais atteindre, réaliser, sans qu'elle ait dû recevoir un autre complément essentiel qui lui manquerait par essence. Or la Civilisation occidentale (abstraction faite de la doctrine surnaturelle de Notre-Seigneur qui l'a christianisée) n'est qu'une évolution humaine, effectuée à longueur de siècles par la nature commune à tous les fils d'Adam. Dire donc que cette évolution aurait quelque élément essentiellement nouveau pour le primitif, ce serait du même coup affirmer que la nature de celui-ci n'est pas la même que celle du civilisé occidental. Le terme "essentiel", en effet, quelque atténuantes que puissent être les nuances qu'on lui accolerait, vise l'essence des êtres, leur nature intime. Quant aux invention merveilleuses de nos éducateurs, il y a lieu de considérer: aux inventions merveilleuses de nos Educateurs, il y a lieu de considérer 574 - 1. le fait de telles réalisations; puis 2. leurs rapports avec le civilisé, d'une part, et le primitif, d'autre part. En ce qui concerne les inventions en elles-mêmes: Avion, Radio, etc., elles sont l'œuvre de notre nature humaine. De ce côté là donc, rien d'essentiellement nouveau pour quiconque des humains. Le chef de file de l'humanité, en effet, le Civilisé (parvenu à l'âge adulte avant les autres membres de la famille humaine) a réalisé ces merveilles au nom de toute la famille. Quant aux rapports de ces inventions avec le Civilisé et le Primitif ne perdons pas de vue qu'il fut un temps où celui-là, vis à vis d'elles, se trouvait exactement dans la même situation que lesecond de l'heure présente. Il a fallu, n'est-ce pas vrai? que l'on procédât à leur découverte. Utilisant les données des époques antérieure, à longueur de siècles, le Civilisé a pu produire ces merveilles. Les inventions, inutile de le rappeler, ne sont, la plus part du temps que des perfectionnements, des mises au point. Mais alors qui oserait dire que, pour les inventeurs et leurs contemporains, premiers bénéficiaires, ces réalisations progressives de la science étaient des phénomènes essentiellement nouveaux? Et pour quoi seraient-elles pour nous? Le fait d'en bénéficier en second lieu créerait-il une différence essentielle d'avec celui qui, (profiteur au même titre que nous puisque tout civilisé n'est pas inventeur), en bénéficia en premier lieu? La conclusion qui s'en dégage est le Primitif (société à civilisation inférieure) se trouve devant les inventions des civilisés, non comme créature devant le monde surnaturel mais comme un jeune enfant devant l'ouvrage compliqué de son grand-frère adulte. Il n'y a du reste, semble-t-il, rien de mieux que cette pensée pour alimenter en nous une reconnaissance à toute épreuve. A l'égard de nos Educateurs, ce n'est pas le brillant extérieur de la civilisation occidentale qui doit nous fasciner en quelque sorte; c'est plutôt son âme dont nous devons nous imprégner. Quant à partir à fond en cette admiration au côté matériel de la civilisation, notre reconnaissance porterait sur un objet faux. Ces réalisations, en effet, ne font pas la civilisation, c'est elle qui les fait. Elles sont, vis à vis d'elle, ce qu'est la fumée par rapport au feu. Nous risquerons ainsi de constater tôt ou tard, sous une forme ou sous une autre, que nous avions bâti sur le sable, et que nos convictions d'autant n'étaient que des illusions! 14. NOTRE PLACE DANS LES CIVILISATIONS DE L'UNIVERSRappelons ce que nous disions plus haut: les civilisations sont nombreuses de par le monde. Leur côté subjectif qui en détermine la hiérarchie, s'échelonne sur des degrés rendant impossible toute vérification objective pouvant déterminer leur préséance minutieuse. Aussi a-t-on trouvé plus facile de les classer en trois grandes divisions générales: les Civilisations Supérieures (celle de l'Europe Occidentale étant prise comme type idéale de l'évolution humaine actuellement la plus poussée). Ensuite les Civilisations Moyennes et les Civilisations Inférieures selon leur plus ou moins grand voisinage du degré Européen. La Civilisation Bantoue est comprise dans la catégorie des Civilisations Inférieures. Or, il est convenu que celles-ci, vu l'état par trop rudimentaire de leur évolution" industrielle", seront considérées comme des non-civilisations. Ainsi il se fait que nous avons une civilisation dont les sujets n'ont pas le privilège d'en porter la dénomination. Pour acquérir cette qualité de "civilisés" au sens reçu, nous devrions ne plus appartenir au groupement ethnique dit Bantou. Or, comme le dit un proverbe de notre langue "Vache qui fuit sa queue courra sans fin!" Nous sommes Bantous, (appellation enviable, entre nous, puisqu'elle signifie "Hommes". Que laissons-nous aux autres races?) et nous le seront toujours. 15. L'AVENIR DE LA CIVILISATION BANTOUEAu contact de la Civilisation Occidentale, notre formation ne peut être autre chose que le développement de la Civilisation Bantoue. Pour bien comprendre cette pensée, deux remarques préalables sont peut-être nécessaires: la civilisation pourrait s'étendre de deux façons: 1. nom abstrait exprimant la manifestation de l'évolution; 2. la collectivité vivante et organisée sous laquelle se manifeste, d'une manière concrète, cette civilisation abstraite. En ce dernier sens, la civilisation est un tissu vivant des expériences traditionnelles, dont le répertoire est la personne humaine totale: son corps (qui est la base des autres traditions humaines), sa mentalité, sa langue, ses coutumes sociales indispensables, ainsi que toutes les formes du patrimoine spirituel et temporel des ancêtres. En un mot, tout ce que nous avons et tout ce que nous sommes. On pourrait dire de chaque homme, qu'il est une manifestation vivante de la Civilisation à laquelle il appartient. Que prenons-nous de la civilisation occidentale? Est-ce cet élément vivant qui vient imprégner notre nature? Non: évidemment! La place d'une pareille acquisition est déjà occupée. Nous échangeons simplement nos civilisations abstraites; l'Européen s'assimile la nôtre en vue de nous mieux connaître et nous faire du bien. Nous nous assimilons la sienne, pour développer notre Civilisation subjective. Et cela, l'Européen par condescendance, nous par raison d'une certaine nécessité morale. Remarquons toutefois que c'est la civilisation Européenne qui de la sorte est absorbée par nous, et nous par elle. Nous l'introduisons en nous, elle ne nous aspire pas. En d'autres mots, elle ne nous européanise pas, nous l'indigénisons; c'est un levain dans une pâte. En cette rencontre en effet, nous sommes l'élément vivant et le récipient et donc le principal; qu'elle est une évolution; celle-ci dépendant de l'homme et non l'homme d'elle. Une fois que cette communion à la Civilisation Occidentale est en nous, elle entre alors en contact avec la Civilisation Bantoue, dont nous sommes farcis. Et les deux Civilisations se complètent. NOTES 1. Allusion inconnue. 2. Graphie correcte: De Jonghe Edouard. Biographie dans BBOM, VI, 551-560. il se réfère à son "Cours d'Ethnologie" (inédit; n° 3184 Bibliothèque Aequatoria), p. 2 et 1. 3. Il s'agit de son article: L'évolué réel de l'Afrique Belge", dans La Voix du Congolais, 9, mai-juin l946, p. 356-359. ANNEXE 2APPRECIATIONS d'un Professeur de Théologie dans un Séminaire du Congo (1) en même temps bien au courant des questions congolaises: au sujet de l'art de M. l'Abbé Alexis Kagame paru dans Aequatoria n° 2 ,sous le titre "Le Rwanda et son Roi". "On peut invoquer en faveur de l'Abbé son imparfaite maîtrise de la langue française, son génie plus littéraire que philosophique. Il est dès lors naturel d'interpréter ses formules imparfaites dans le sens le plus favorable... Mais il n'en est pas moins vrai qu'à prendre le texte tel quel, des critiques doivent être formulées. Plusieurs pages auraient beaucoup gagnées à être revue: l'idée n'est pas toujours claire; a prendre certaines textes à la lettre ils sont faux, ou du moins contestables; quelques pages semblait insinuer des idées qui se rapprochent au racisme. Une des idées chères à l'Abbé est la suivante: ceux qui ont la haute main sur le gouvernement du Rwanda (les Belges) doivent tenir compte des traditions, de la mentalité de ce pays et ne pas vouloir tout bouleverser, tout recréer. Ainsi exprimée cette idée semble juste. Mais l'Abbé semble aller plus loin, il veut faire de la philosophie, remonter aux principes et s'y perd quelque peu. Voyons les phrases qui sont les plus incriminées: "L'idéal est d'ordre intellectuel..." p. 42: Le paragraphe qui commence par ces mots, ainsi que la fin du paragraphe précédent, aurait dû être précisé, expliqué, mis au point. Le mot idéal est vague et aurait besoin d'être défini. Est-il sûr que l'idéal d'un peuple, comme l'insinue l'Abbé, est nécessairement "la source de son bien être temporel"? Cela aurait besoin d'être prouvé expliqué ... "L'idéal est d'ordre intellectuel": phrase obscure. A quoi l'Abbé oppose-t-il l'ordre intellectuel? Veut-il dire simplement que l'activité d'un peuple, d'un homme vers son idéal est dirigée par l'intelligence? Oppose-t-il l'ordre intellectuel à l'ordre moral? A coup sûr, selon St. Thomas, l'idéal auquel tend l'homme est la possession de Dieu par l'intelligence dans la vision béatifique. En ce sens on peut dire que l'idéal est d'ordre intellectuel... Mais ici-bas, l'idéal, c'est à devenir meilleur... Dans le reste du paragraphe l'Abbé semble condamner toute rupture dans la tradition d'un peuple; il paraît croire que toute tradition est nécessairement vénérable: c'est là une idée fausse. Si le Christianisme se trouve en présence d'un peuple polythéiste, polygamique, qui considère la guerre comme chose louable et nécessaire, devra-t-il accepter sa tradition, n'y aura-t-il rupture? La seule chose qu'on peut dire dans le sens de l'Abbé c'est qu'en présence de tout peuple, on doit s'efforcer de maintenir ce qu'il y a de bon dans sa tradition. Et puis l'Abbé ne distingue pas assez les divers domaines: politique, moral, religieux. "... à supposer qu'il existe un stimulant efficace, rien n'empêche que l'esprit se développe à l'infini ..." page 43. L'expression "à l'infini" est erronée; mais il est évident que l'Abbé veut dire "indéfiniment". "l'esprit de conquête ..." serait ce stimulant efficace... p. 43.En ce passage l'Abbé semble considérer la guerre comme une chose bonne, nécessaire au progrès d'un peuple. D'après lui pour avoir une tradition, source de son idéal et de sa mentalité, le peuple doit aller de lutte en luttes. Tout cela sent fort les idées racistes et n'est guère orthodoxe. "La tradition d'un peuple peut se définir ... " Cette phrase est peu claire. La pensée ne semble pas l'être davantage. On ne sait s'il faut y voir, sous cette définition, l'idée de = race élue =? page 43. On a l'impression que l'Abbé se laisse griser par des formules sans en avoir pesé la valeur de vérité. "vivre c'est entrer dans l'avenir avec l'être du passé ..." p.43. Ceci est une phrase à effet qui a besoin d'explication, de développement. Bien des questions se posent en la lisant. Vivre surnaturellement est-ce entrer dans l'avenir avec l'être de son passé? L'enfant qui vient d'être baptisé, et surtout l'adulte et le pécheur qui se convertit? N'y a-t-il pas brisure avec le passé? Et le païen qui se convertit et entre dans la vie chrétienne... y entre-t-il avec tout son passé? ".. La révolution n'est jamais bonne que quand elle se produit par évolution. " p.44. C'est trop absolu. On dirait vraiment que l'Abbé semble admettre comme une chose qui va de soi que TOUTE tradition est bonne... Tandis qu'il y en a qui sont mauvaises et qu'il faut supprimer. Il y a dans le paganisme des traditions, et des coutumes foncièrement mauvaises, incompatibles avec la Foi chrétienne. "…révolution-tue... puisqu'elle ne tient pas compte du précédent ..." p.44. Cette phrase devrait être mise au point. Dans le précédent il y a tout le bon et le mauvais; il faudrait donc distinguer. Cette phrase absolue ferait donc penser que le précédent soit bon, que le mauvais forme la vraie grandeur d'un peuple comme individus; ce qui ne serait pas vrai. Le Roi serait "la personnification de Dieu..." p. 45. "le Roi n'est pas un homme...". Les passages consacrés par l'Abbé à l'analyse du pouvoir royal peuvent être interprétés avec bénignité, si l'abbé disait explicitement qu'il ne rapporte pas son idée ou l'idée orthodoxe du pouvoir royal, mais simplement une tradition du Rwanda. Il faudrait que l'Abbé dise ce qu'il y a de vrai et de faux dans ces poèmes sur le Roi au point de vue de la conception du pouvoir royal. L'Abbé aurait pu, par exemple, expliquer qu'ils identifient trop le Roi avec Dieu, d'une façon qui n'est pas conforme à la doctrine chrétienne; mais qu'ils ont l'avantage de souligner l'origine divine de toute autorité légitime...... "…ce point acquis..." le mot "sacrée", est ambigu: p. 55. On pourrait croire que l'Abbé fait allusion au fétichisme sur lequel il est fondé. Mieux vaudrait le supprimer. L'affirmation est par trop péremptoire. En conclusion, quoique l'article de l'Abbé soit intéressant à bien de point de vue; que son idée principale (il ne faut pas tout bouleverser) serait juste si elle était bien exprimée; qu'il fait une très juste remarque sur la façon critiquable dont les journaux européens parlent de l'autorité et sur les conséquences désastreuses qu'un tel exemple peut avoir; il ne reste pas moins vrai que l'article aurait dû être lu attentivement par un censeur compétent et retravaillé d'après ses observations. On remarque l'absence de l'imprimatur dans cette revue publiée par des ecclésiastiques sur des questions qui traitent souvent de doctrine. La définition donnée à la page 79 sur la civilisation: "civiliser" un peup1e, veut dire élever, développer ennoblir ce qu'il a propre...." est certainement erronée; et le reste de ce paragraphe demanderait une mise au point. Dans "ce qu'il a en propre" il y a parfois des choses à supprimer. Et pour civiliser, il faut apporter encore des valeurs spirituelles nouvelles. A la page 73 (2), on rencontre une description en flamand d'une brutalité et d'une crudité excessive. Mais l'expérience montre plus d'une fois que les ethnologues dépassent souvent la mesure en ces sortes de choses. Ils ne songent pas assez à tous ceux qui liront. NOTE 1. L'auteur de ces Appréciations, était, selon Fr. Bontinck, Aux origines de La philosophie bantoue, o.c., p.107, note 180, le père Léopold Denis, s.j., (1900-1987), professeur à Mayidi et rédacteur de la Revue du Clergé Africain. 2. La remarque qui suit ne porte que sur l'article de J.F. Borgognon, De besnijdenis bij de Tutshiokwe, dans le même n° d'Aequatoria. ANNEXE 3: CORRESPONDANCE COMPLÉMENTAIRE (Originaux dans les Archives Aequatoria boîte 62, fiches CH 4-5)Lettres de Hulstaert 12-9-1945 (informations sur réactions article Kagame) Lettre de Endriatis 13-8-1947 (réponse négative à 6 + envoi article Pagès) N° 527 Coq, le 12 septembre 1945 Excellence, Ignorant si Vous avez été avisé par ailleurs, je crois devoir prendre la liberté respectueuse de vous écrire au sujet d'événements récents pénibles. Il les agit de l'article de l'Abbé Alexis Kagame publié dans notre revue. Cet article a été l'objet de critiques et de blâmes. Il a été dénoncé à Son Exc. Mgr le Délégué Apostolique comme "contenant des affirmations erronées ou fort douteuses et une tendance raciste de tout cet article". S.E. Mgr de Hemptinne, de son côté, a écrit à mon évêque dans le même sens: "l'article d'Alexis Kagame, que le rédacteur loue sans réserve, est un lamentable exemple de la perversion des idées chez un prêtre indigène." Ces paroles, Excellence, doivent certainement vous navrer profondément, comme elles m'ont causé la plus vive douleur que le temps, ne parvient pas encore à adoucir. Mais j'estime que dans une affaire si importante vous avez droit à la connaissance de toute la vérité. La coïncidence entre les lettres de S.Exc. Mgr le Délégué Apostolique et celle de Mgr de Hemptinne suggèrent le soupçon que le dénonciateur est le Vicaire Apostolique du Katanga Mais nous n'avons aucune preuve. Veuillez d'ailleurs noter que la rédaction ne connaît toute cette correspondance que par notre Ordinaire. Je dois vous avouer, Excellence que personnellement je n'ai rien trouvé à réprouver dans l'article de votre prêtre, comme d'ailleurs non plus votre haute autorité. Comme je ne voudrais pas faire de la peine à l'Abbé Kagame, je ne lui ai rien écrit sur cette affaire. Si cependant vous jugiez utile de la lui communiquer, en tant que son évêque, je vous joins ici une copie de la lettre. Je joins également un texte de la Radio de Léo au sujet de l'article en question. Si vous le jugez opportun, je vous serais reconnaissant si vous vouliez bien le lui remettre de ma part. J'espère plus tard être mieux en état de lui écrire personnellement lorsque par votre grande charité paternelle, il aura été préparé à recevoir le coup. De toute façon j'attends votre réponse et vos conseils avant d'écrire. Veuillez entre-temps l'avertir que la commande d'abonnements est arrivée, mais que nous ne pouvons commencer par le n° 2 de cette année. Veuillez noter que j'ai apprécié hautement la collaboration de votre abbé. Je viens de recevoir deux demandes pour obtenir les textes indigènes de ces poésies et d'autres similaires: une de la part du P.V. Bulck, S.J.; une autre du Prof. Doke de Johannesburg qui aimerait même les publier, en kinyarwanda et en anglais, dans une série de poésies indigènes publiée en Afrique du Sud. Avant de répondre j'aimerais beaucoup recevoir votre opinion sur ce sujet - vu surtout les événements récents qui sont la cause de cette lettre. Veuillez croire, Excellence, à mon entier dévouement à Vous et à votre oeuvre et à tout le Rwanda; et veuillez bénir votre serviteur in C.J. G. Hulstaert, Rédacteur en chef. Kabgayi le 11.10.1945 Mon Révérend Père, Excusez-moi d'être si en retard pour répondre à la lettre que vous m'écriviez le 12 Sept. dernier, pour me mettre au courant des incidents causés par l'article de l'Abbé Alexis publié dans votre revue "Aequatoria". J'avais déjà été mis au courant par une lettre de Mgr. le Délégué et dernièrement j'ai reçu une critique d'un théologien sur l'article incriminé. J'admets que certaines affirmations auraient gagné à être précisées afin d'éviter des interprétations péjoratives qui n'étaient pas dans la pensée de l'auteur. Aussi certaines critiques pourraient être discutées, mais j'ai cru qu'il valait mieux laisser là toute polémique et attendre à plus tard pour la collaboration de l'Abbé Alexis à la revue "Aequatoria". Vous pouvez écrire à l'Abbé Alexis qui est tout à fait au courant de l'affaire et qui garde toute sa sérénité. Je lui ai dit que sa collaboration à votre revue cessait jusqu'à nouvel ordre, et l'affaire est terminée. Je ne lui ai cependant pas communiqué votre lettre, à cause de certaines citations de l'auteur présumé de la critique. Quant aux poésies que l'on vous demande de communiquer, je préfère bien que vous répondiez par la négative, malgré leur caractère inoffensif; mais, comme disent les Banyarwandas: "ushaka kwic'imbwa, ntiyàbur'inkon", c.à.d. "celui qui veut tuer un chien trouve s un bâton"... Je vous souhaite quand même bon courage; tout n'est perdu dans les contradictions que l'on a à essuyer... et du reste il n'y a que ceux qui ne font rien qui ne se trompent jamais, bien que la pire des erreurs soit celle de ne rien faire... Je vous prie, mon Révérend Père, de vouloir bien agréer, l'assurance de mon entier dévouement en Notre Seigneur. + L. Déprimoz Vic.Ap. du Rwanda. Excellence, Je vous remercie de tout cœur pour votre lettre du 11 dernier, et particulièrement pour les précieuses paroles d'encouragement dans nos difficultés. Je suis heureux d'apprendre que l'Abbé Alexis a reçu le coup si chrétiennement en faisant preuve d'humilité sacerdotale. C'est là je pense la meilleure réponse aux accusations dont il est l'objet. Votre proverbe rwandais semble bien pertinent dans notre cas; la même impression a été ressentie par plusieurs. Nous attendrons donc ce qui va encore arriver. Et laisserons tout à la volonté de Dieu. Nous avions cru bien agir dans l'intérêt général. Si nous nous sommes trompés, nos chefs hiérarchiques sont là pour nous remettre sur la bonne voie. Evidemment, nous n'avons qu'à nous incliner devant votre décision de suspendre la collaboration de l'Abbé Kagame. Nous avions cependant beaucoup espéré de lui. Il y en a qui pensent que nous sommes assez bien informés sur tout ce qui touche à la vie indigène; je ne suis pas de leur avis. Et je regrette particulièrement que maintenant votre vicariat, si intéressant à tout point de vue et qui était resté absent de notre revue, que nous désirons voir servir tous les territoires congolais et voisins, et toutes les missions, ne sera plus représenté. A moins que Vous puissiez trouver un de vos missionnaires pour nous envoyer de temps en temps un article concernant le Rwanda. Nous croyons que la perte de la collaboration de l'Abbé Kagame est pour notre revue un coup sensible. Conformément à votre désir, j'écrirai au Prof. Doke et au P. Van Bulck que, selon mon avis, l'abbé Kagame ne serait pas disposé à entrer dans leurs vues. S'ils lui écrivent personnellement, il n'a qu'à voir ce qu'il fera. D'ailleurs je lui écrirai un de ces jours-ci. Je conserve l'espoir, Excellence; que le Rwanda ne restera pas absent dans les colonnes de notre revue…si elle peut conserver la vie... et nous voulons compter sur vôtre bienveillance pour nous trouver quelque collaborateur. Je vous prie, Excellence, de bien vouloir agréer l'expression de mon profond respect et de vouloir accorder votre bénédiction à votre serviteur in C.J. Le Rédacteur en chef, G. Hulstaert. 598 Excellence, J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint une copie de la lettre que j'adresse à Monsieur l'abbé Kagame ainsi que de la Mise Au Point que nous sommes obligés de publier. Nous regrettons que les circonstances nous ont empêchés de vous l'envoyer plus tôt. Nous ne pouvioiis la faire plus tôt. Et d'autre part, nous sommes obligés de la publier dans le n° 4 de cette année sous presse et déjà fort en retard. Il me serait trop long, Excellence, de vois expliquer en détail toutes les causes de cette situation. L'Abbé semble penser que , en donnant des explications, la mise au point et les rectifications pourraient avoir été évitées. Permettez-moi de Vous dire que je n'en crois rien. Cette rectification DOIT être publiée dans le n° 4. Non pas évidemment et nécessairement dans les mêmes termes; il y a là dedans beaucoup question de goût personnel; mais dans l'essence, les choses critiquées comme erronées dans le texte de l'abbé (quelle que soit l'intention de l'auteur ou le sens que d'autres pourraient donner à ses expressions) doivent être rectifiés conformément à la critique que nous a été adressée officiellement. Même les meilleures explications de l'abbé ne pourraient empêcher cette rectification. Sinon on les lui aurait demandées pour qu'il fasse lui-même la rectification, publique ou privée. C'est la rédaction dont la responsabilité de la publication est engagée et c'est elle qui est requise pour donner la rectification. On pourrait dire que l'autorité responsable, dans le cas, Votre Excellence, ayant approuvé l'article, la rédaction ne devait pas avoir la présomption d'être plus calée en théologie ou mieux à la hauteur de toutes ces questions. Or telle n'est pas l'avis de nos chefs: c'est la rédaction qui est toujours responsable. Je regrette beaucoup, Excellence, que je doive vous tracasser pour cette affaire, alors que vous avez tant de soucis par votre charge de pasteur d'un grand et important vicariat. Vous ne m'en voudrez pas, je le sais. Ce n'est que le souci du bien commun qui m'incite à vous écrire. Je ne parle pas du regret que j'ai pour la revue, à laquelle toutes ces difficultés ne peuvent faire du bien, et à laquelle elles ont enlevé un collaborateur dont nous espérions beaucoup pour elle et pour l'avenir de l'Eglise dans ces régions. La revue est pour le moment accessoire à mon avis. Et je laisse à la garde de la divine Providence; qu'elle en fasse comme elle le veut. Je réitère mon regret de ne plus pouvoir donner suite au désir de l'abbé de ne rien publier sans qu'il n'ait vu la mise au point. Trop tard! J'espère qu'il ne nous en voudra point et qu'il comprendra la situation. Et j'espère encore qu'il ne trouvera rien à redire à la mise au point. Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de mon enlier respect et veuillez bien me bénir ainsi que la revue. G. Hulstaert. Kabgayi, le 9.1.1946 Mon Révérend Père, Je suis bien en retard pour vous accuser réception de votre lettre du 15 décembre dernier au sujet des rectifications que vous avez dû faire par ordre supérieur à l'article de l'abbé Alexis. Ce dernier accepte bien volontiers le fait accompli et ne fait aucune objection; du reste la rectification ne met pas en péril la réputation de l'auteur qui n'a pas voulu dire ce qu'on lui a fait dire. N'en parlons plus: l'incident est clos. Je vous souhaite toujours bon courage au milieu de tous ces ennuis et vous souhaitant une bonne santé et sainte année, j'aime à vous redire mon entier dévouement en Notre Seigneur. + L. Déprimoz Vic. Ap. du Rwanda 866/M le 12 .5 .1947 Excellence, Je me permets d'avoir recours à votre bienveillance et à l'intérêt que vous n'avez cessé de témoigner à notre revue. Un nombre considérable de difficultés d'ordre divers nous avaient fait craindre que nous serions obligés de cesser notre publication, et des dispositions avaient déjà été prises pour mettre ces idées à exécution. Cependant, il a été décidé que malgré tout nous essayerions de continuer. Mais pour cela il nous faudra trouver plus de collaboration et une collaboration plus généralisée sur toute la Colonie et au Rwanda. Une des principales difficultés qui en effet menacent l'existence de la revue est de manque de collaboration générale. Quelques collaborateurs ont été rap pelés par Notre Seigneur lui-même. D'autre à nous ont été en levés par suite des difficultés que nous avons eues avec la Délégation Apostolique. Votre abbé Alexis est dans cette catégorie. D'autres semblent craindre, soit eux-mêmes soit leurs supérieurs, de collaborer à une revue qui a eu des démêlés avec la Délégation Apostolique. C'est vous expliquer combien il nous semble nécessaire à notre point de vue, que Monsieur l'abbé Alexis puisse reprendre sa collaboration. Ou bien, que l'un ou l'autre missionnaire Rwandais le fasse. Voilà le motif pour lequel je fais aujourd'hui appel à votre bienveillance. Et je veux croire, Excellence, que vous ferez ce qui vous sera possible pour que le Rwanda ne reste plus longtemps absent de nos colonnes. Veuillez agréer, Excellence, l'assurance de mon profond respect in C.J. G. Hulstaert. Kabgayi, le 13-8-1947 Mon Révérend. Père, Je me permets de répondre à la lettre que vous avez adressée à Monseigneur, lequel est, en ce moment, en Europe. Dans cette lettre vous demandiez la collaboration du Rwanda à votre intéressante revue "Aequatoria". Il était difficile, pour l'instant, de vous envoyer des articles de l'Abbé Alexis. Vous ne savez que trop combien certaines personnes sont bien décidées à y chercher... la petite bête. Figurez-vous que sa dernière collaboration à Zaïre "Le Code Esotérique de la Dynastie du Rwanda", qui est une page d'histoire sans aucun commentaire, n'a pas encore trouvé grâce sur yeux de certains. Aussi j'ai cru bien faire en m'adressant plutôt au Père Pagès, un ancien missionnaire du Rwanda qui a jadis publié un livre assez connu : "Un royaume hamite au Rwanda". Il vient de m'envoyer un grand nombre de notes. J'ai fais taper à la machine une première série de ces notes: "Proverbes et Sentences" que je vous envoie sous ce même pli (1). J'espère que cette collaboration pourra vous être utile. Vous pouvez en disposer comme vous l'entendez. Si vous voulez d'autres articles du P. Pagès, vous n'aurez qu'à m'avertir: je vous les enverrai. Dans l'espoir d'avoir pu vous être de quelque secours, je vous prie de bien vouloir agréer, mon Révérend Père, l'expression de mes sentiments les plus respectueux en N.S. R. Endriatis, Vicaire Délégué. NOTE Publiés dans Aequatoria 10(1947)53-59; 81-86 et 11(1948)81-88;144-150 1101/K Heverlee, 28-7-1949 A Son Excellence Mgr L. Deprimoz, Vicaire Apostolique du Rwanda, KABGAYI Excellence, N'est-ce pas vous importuner que de venir me rappeler à votre souvenir? C'est que je me demande si le délai n'a pas encore assez duré pour l'abbé Kagame en tant que pouvant collaborer à notre revue. Vu les difficultés antérieures, je préfère ne pas m'adresser directement à lui pour ces choses. Mais j'inclus une lettre lui destinée (1) et que je vous serais fort obligé si vous pouviez la lui remettre, bien entendu si cela est jugé par Vous opportun. Le P. Schumacher m'a déjà envoyé deux trois petite articles afin que le Rwanda ne reste pas éternellement absent (2). Mais, si vous aviez parmi vos Missionnaires l'un ou l'autre qui aimerait publier quelque chose, nous serions heureux de lui ouvrir nos pages. Veuillez agréer, Excellence, avec mes remerciements anticipés, l'assurance de mon profond respect. G. Hulstaert NOTES 1. Voir lettre n° 36 2. Il s'agit des articles suivants dans Aequatoria: - Les Batswa sont-ils des Pygmées? 10(1947)135-133 |
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