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The scientific work of MGR TANGHE / By Auguste Roeykens [in French only]
From: Aequatoria 11(1948)87-97 (…) Mgr. Tanghe s'éteignit à Bruges, le 6 décembre 1947, après une longue et pénible maladie. Il n'avait pas seulement été un grand évêque missionnaire, mais aussi un homme d'étude et de science. C'est sous ce dernier aspect que dans ces pages nous nous proposons de faire connaître son éminente personnalité. Aucune revue ne nous semble mieux indiquée pour publier cette étude que Aequatoria, à laquelle Mgr. Tanghe s'est toujours fort intéressé et dont il peut être considéré comme un des co-fondateurs. Il l'a toujours encouragée par ses conseils et surtout par sa collaboration.
Dès le début de son ministère sacerdotal, même en Belgique, le père Basile s'adonnait à l'étude, tout en se dévouant de plein cœur aux oeuvres de l'apostolat. Son amour pour l'Ordre franciscain lui inspirait d'en étudier l'histoire ; son patriotisme s'attacha de préférence à des figures nationales ou à des périodes glorieuses de l'Ordre en Belgique. Nommé prédicateur au couvent d'Enghien en 1903, il y trouva des archives précieuses, un riche trésor inexploré. Et le voilà lancé dans les études historiques. Il devint membre du Cercle archéologique d'Enghien. Son premier souci fut de dresser l'inventaire des archives conservées au couvent des Capucins à Enghien. Il le publia dans les Annales du Cercle archéologique d'Enghien (Tome VI, 1898-1907, p.385-403). Entre-temps il s'appliquait également à la vulgarisation, en publiant toute une série d'articles sur des sujets historiques dans la revue mensuelle, éditée par les Capucins belges (1). Son attention se portait spécialement sur un des fondateurs de la Province belge, le P. Jean Landen, dans lequel il lui semblait retrouver un compagnon des martyrs de Gorcum (2). C'est aussi à Enghien qu'il conçut l'idée d'écrire la vie du P. Charles d'Arenberg, Capucin, éminente figure des Pays-Bas au XVIIe siècle. Durant plusieurs années, il recueillit des nombreux documents, provenant des Archives d'Arenberg et du royaume à Bruxelles, ainsi que des archives locales d'Enghien et d'ailleurs. Il ne put lui-même finir ce travail. A son départ pour le Congo, en 1910, il remit tous ces matériaux à son confrère, le P.Frédégand d'Anvers, qui les compléta pour la publication. Celui-ci aimait à saluer dans la personne du P. Basile, l'ouvrier de la première heure, qui prit une part importante au travail parfois ingrat de la recherche (3). A Enghien également et dans la même pensée, le P. Basile commença une étude sur l'apostolat des Capucins pendant la peste au XVIIe siècle et en rassembla les matériaux. Ce n'est qu'à son premier congé en Belgique, en 1919, qu'il put les publier (4). Devenu missionnaire en 1910, le P.Basile trouva un programme d'études dans les directives des Supérieurs Majeurs de l'Ordre. Avant tout il lui fallait acquérir la connaissance approfondie de la langue indigène, étudier l'histoire de la région et du peuple à convertir, s'appliquer à en connaître les us et coutumes (5). C'est à l'élaboration de ce vaste programme qu'il s'est attelé courageusement dès le début de sa vie missionnaire.
Toute l'œuvre scientifique de Mgr. Tanghe a été celle d'un chercheur passionné, qu'un travail ardu et compliqué ne rebuta jamais. Il fut un observateur patient et sagace de la vie des indigènes, un collationneur infatigable des traditions Ngbandi. Tâche ingrate et difficile, surtout au Congo: il ne suffit pas de consulter les indigènes, de noter leurs dires; il faut les contrôler, et, sans jamais se décourager, revenir mille fois sur la même question par des voies différentes. Malgré la sympathie qu'il inspirait aux indigènes, ceux-ci le trompaient ou lui présentaient leurs fables comme des récits historiques, comme il l'expérimentait bien des fois. Les Noirs ne sont-ils pas préoccupés avant tout de plaire au Blanc? Et enfin, quelle patience et quel courage ne lui fallait-il pas pour se retrouver dans le labyrinthe de tant de traditions? On a parfois dit que P. Basile se montrait trop facile à croire les Noirs, qu'il se fiait trop aisément à leurs dires dans ses recherches et ses conclusions. Mais qui pourrait se croire exempt de toute erreur dans une telle entreprise? Lui-même plus que tout autre en était conscient. Sa probité scientifique lui faisait un devoir de l'avouer (6) et il était toujours disposé à corriger ses conclusions quand la vérité se faisait jour. Tout chercheur doit souvent revenir sur ses pas, surtout quand il se lance dans le domaine encore inexploré des traditions orales d'un peuple primitif. Et c'est spécialement comme collationneur des traditions indigènes des Ngbandi et comme leur ethnographe qu'il a bien mérité, car il est pratiquement le seul qui ait étudié cette population, et il l'a fait de main de maître. Mgr. Basile Tanghe avait l'esprit analytique, qui ne laissait échapper aucun détail. Ses livres en témoignent. On y recherche en vain une vue synthétique. Il rassemble plutôt tous les détails qui se rapportent à l'un ou l'autre point. Il collationne les données, s'appliquant cependant à faire ressortir la forme caractéristique de la culture et de la structure sociale des Ngbandi. Plus tard il s'est efforcé d'en esquisser une synthèse. C'est pourquoi M. G. Van der Kerken le cite dans la catégorie d'ethnographes, d'ethnologues et de sociologues qui cherchent à déterminer comment la société indigène s'est formée comme telle et comment elle évolue dans la suite (7). Dans ses études historiques, soit sur l'occupation de l'Ubangi par les Belges, soit sur l'origine et les migrations des populations de cette région, soit sur l'œuvre de l'évangélisation dans cette contrée, nous remarquons chez lui le même esprit analytique, le souci des détails, le renvoi fréquent aux traductions locales. Enfin Mgr. Tanghe était un autodidacte, qui a toujours travaillé au Congo même loin de toute bibliothèque, loin de tout centre scientifique, et cela dans un temps où les communications avec l'extérieur étaient encore très difficiles dans l'Ubangi. Ses sources d'information étaient restreintes, il lui manquait une formation étendue et générale d'ethnologue, son oeuvre et ses études historiques s'en ressentent. Ce qu'on lui reprochait parfois, c'était d'oser sur un simple indice formuler des hypothèses hardies, sans tenir compte suffisamment des données des branches scientifiques autres que l'ethnographie et les traditions orales indigènes (8). Mais c'était pour Mgr. Tanghe une manière de rechercher la vérité, d'exciter d'autres à chercher avec lui, d'apporter leur part de science et de vérité. C'est polir la même raison qu'il formule tant de questions dans ses livres et ses articles. Son esprit était largement ouvert à la lumière. " Fiat Lux " telle était sa devise pour son travail scientifique (9). Son rêve, qui n'est pas encore réalisé, était de voir publier une étude d'ensemble et approfondie sur l'histoire des peuples de l'Afrique centrale. Il y apporta sa contribution. Son peuple Ngbandi, il l'aimait, il l'a fait connaître, et il en est devenu l'historien attitré. Il nous plaît d'appliquer à Son Excellence Mgr. Tanghe et aux Ngbandi de l'Ubangi ce que le P. Hulstaert écrit du prof. Van der Kerken et des Mongo de la Cuvette Centrale (10): "Les coloniaux d'hier et de demain et les Ngbandi de l'avenir, ont contracté envers lui une dette de reconnaissance. Car à eux tous il a rendu un service éminent, et tout spécialement aux Ngbangi qu'il a mieux fait connaître... Ainsi il y aura encore demain de nombreux Ngbandi pour parler avec gratitude du grand évêque qui après avoir évangélisé leurs pères les a si bien décrits et a jeté les bases de leur histoire nationale". La maladie a contraint Mgr. Tanghe à quitter l'Ubangi, mais lui qui écrivait en 1926 à sa soeur : "Je travaille beaucoup et je regrette seulement de ne pouvoir faire davantage" (Abumombazi, le 13 avril 1926), continuait en Belgique à consacrer ses dernières forces à ses études favorites. Le 30 avril 1947, alors que la maladie ravageait déjà son corps, il écrivit à un confrère de l'Ubangi: "Je vous entends me poser la question si je ne m'ennuie pas en Belgique ? J'ai eu l'avantage de me procurer une machine à écrire. Jusqu'à ce jour je ne me suis pas encore ennuyé. J'ai revu et corrigé en certains points mon histoire générale des populations de l'Ubangi, et ma relation de l'exploration de l'Ubangi par Van Gele. Peut-être aurai-je l'occasion de les faire imprimer." C'est sur son lit de mort que Mgr. Tanghe confiait ses manuscrits à un confrère. Ce travailleur infatigable n'a déposé la plume que forcé par l'impuissance de la tenir encore en main.
Pour donner un aperçu général de l'activité scientifique de Mgr. Tanghe durant sa longue carrière missionnaire, nous repasserons successivement sa contribution: à l'histoire coloniale, à l'histoire de la mission de l'Ubangi, à l'étude des populations de l'Ubangi.
1. L'HISTOIRE COLONIALE
Depuis son arrivée à Banzyville, en 1910, le P. Basile s'était intéressé à l'histoire de la découverte de l'Ubangi et de la pénétration belge dans ces régions. Il enregistra minutieusement tous les souvenirs des indigènes qui avaient encore connu Vangele. A son retour en Belgique en 1919 il alla compléter sa documentation chez le grand explorateur belge lui-mème, qui lui remit le 11 août 1919 des documents de première valeur. Le P. Basile les utilisa largement et les compléta au moyen des renseignements particuliers qu'il avait pris sur place dans l'Ubangi (11). Il en composa un récit détaillé d'une cinquantaine de pages, qu'il publia dans la revue "Congo" de 1922 (12). Dans la suite, le P. Basile conçut l'idée d'écrire l'histoire coloniale de l'Ubangi depuis le début de l'occupation belge jusqu'en 1908 (13). C'est pourquoi il se mit en rapport avec les anciens coloniaux, qui avaient séjourné dans l'Ubangi pendant cette période. C'est ainsi qu'il s'adressa à M. Royaux, lieutenant-colonel retraité, qui eut l'amabilité de lui remettre par écrit ses "Souvenirs de l'Ubangi". Ceux-ci faisaient suite au récit de "L'exploration de l'Ubangi". Le P. Basile les publia avec l'autorisation de l'auteur (14), ajoutant ainsi une nouvelle pièce à la documentation historique de l'Ubangi. En 1934 il fut heureux de pouvoir publier aussi les "Souvenirs" de M. Vannini, qui avait séjourné dans l'Ubangi de 1902-1904 (15). Enfin lui-même traçait en 1939 l'histoire de l'occupation des régions d'Abumombazi pour la période de 1890 jusqu'en 1900 (16). En octobre 1940, Mgr. Tanghe fit un résumé de son ancien article sur l'exploration de l'Ubangi, destiné à servir comme cours d'histoire obligatoire pour les écoles moyennes du Vicariat. Heureuse initiative que le P. Hulstaert signalait à l'attention des Missionnaires du Congo dans la revue Aequatoria (17). Bien des notes précieuses sont encore contenues dans les écrits qu'a laissés Mgr. Tanghe. Nous espérons qu'un jour celles-ci pourront être éditées pour compléter ainsi l'œuvre historique de notre grand évêque missionnaire.
2. L'HISTOIRE DE LA MISSION DE L'UBANGI
Quand le P. Basile partit au Congo en 1910, il était conscient de l'importance du début de l'œuvre missionnaire dans l'Ubangi. C'est pourquoi il se faisait un devoir de noter minutieusement jour par jour les moindres détails de la journée. Il devint le premier archiviste de la mission de l'Ubangi. Son précieux journal est actuellement conservé en deux exemplaires aux archives provinciales des Capucins à Anvers. Ces notes nous renseignent sur la période qui va du 17 janvier 1910 jusqu'au 19 décembre 1910. La relation du voyage n'est pas moins intéressante et instructive pour l'histoire de la mission. Le P. Basile la publia dans le "Franciscaansche Standaard" et "L'Etendard Franciscain", les deux revues éditées par les PP. Capucins de Belgique (18). C'est en 1934, que pour la première fois, Mgr. Basile Tanghe, alors Préfet Apostolique de l'Ubangi, composa une esquisse du développement de la mission de l'Ubangi depuis son érection. Il l'envoya aux Supérieurs de Belgique pour servir à un travail de vulgarisation qui devait paraître à l'occasion du jubilé de 25 années d'existence de la mission. Le R. P. Gerbern l'employa pour composer son livre en flamand "Pioniers", édité en 1935. Deux ans plus tard Mgr. Tanghe publia l'histoire de la fondation de la mission de Mawuya. L'article, très intéressant, parut dans la revue hebdomadaire "Hooger Leven", et plus tard aussi dans l'"Almanach des missions des PP. Capucins" pour l'année 1937 (19). En 1939 Mgr. Tanghe commença à éditer ses souvenirs de pionnier. Il décrit la détresse des premiers mois passés dans l'Ubangi (20) et la fondation de la première école-chapelle (21). La guerre interrompit malheureusement cette série d'articles du plus grand intérêt pour l'histoire de la mission. Pendant la dernière guerre, la S. Congrégation de la Propagande conçut l'idée de préparer un "Dictionnaire des Missions". Elle adressa à tous les Ordinaires des missions un long questionnaire, leur demandant des renseignements sur les origines et le développement de leur mission, sur le personnel et les multiples activités et sur tous les aspects de la vie missionnaire et de la région a évangéliser. Mgr. Tanghe y répondit le 23 décembre 1943 par un article de 16 pages in folio, dans lequel il donna vraiment un aperçu général de la mission de l'Ubangi depuis son érection jusqu'en 1943. Une copie de ce travail repose aux archives du Vicariat. De même que Mgr. Tanghe avait conçu jadis l'idée d'écrire l'histoire coloniale de l'Ubangi, il nourrissait également le projet d'en composer l'histoire missionnaire. Il avait réservé ce travail pour ses vieux jours, et s'était déjà mis à le préparer avec soin. Parcourant les archives du Vicariat, il rédigea plusieurs notes personnelles sur des évènements auxquels lui-même avait été mêlé. Ces notes, nous pouvons les regarder comme ses mémoires. Il ne les a pas rassemblées, mais les a glissées discrètement dans les dossiers des archives du Vicariat. Revenu en Belgique, le 27 janvier 1946, Mgr. continua à noter ses souvenirs, comme il l'écrivait alors à un confrèr : "Je rédigerai ici encore quelques notes et souvenirs du vieux temps". (…)
3. L'ÉTUDE DES POPULATIONS DE L'UBANGI
La contribution de Mgr. Tanghe à l'étude des populations de l'Ubangi a été multiple. Il s'est occupé de l'étude de la langue Ngbandi, de la description de la vie, des us et des coutumes des Ngbandi, et enfin de leur histoire ainsi que de celle de toutes les autres populations de l'Ubangi Nous passerons en vue ces trois rubriques.
L'ÉTUDE DE LA LANGUE NGBANDI
Au début de son apostolat missionnaire dans l'Ubangi, le P. Basile pensait, ainsi que ses confrères, que le Sango était la langue indigène de cette contrée. Il a raconté plus tard lui-même comment il s'est aperçu de son erreur (22). Le Sango fut abandonné immédiatement, et les Pères se mirent à étudier le Ngbandi dès la fin de 1911. Le P. Basile avait déjà préparé un catéchisme avec explications en Ngbandi, en 1913. Le manuscrit, qui compte 210 pages, n'a jamais été édité; il est conservé aux archives du Vicariat. Une des questions les plus épineuses, à l'étude de laquelle Mgr. Tanghe s'est appliqué jusque dans ses derniers jours, est celle de savoir quelle peuplade est la plus ancienne à parler le Ngbandi et comme elle a pu imposer sa langue à tant d'autres. Pour résoudre cette question il s'est toujours placé sur le plan historique, se fondant sur les traditions orales des indigènes. Il n'a jamais traité ce problème ex professo ou in extenso, mais il ne l'a jamais perdu de vue. Sa pensée a connu sur ce point une évolution très caractéristique. Il a conçu, abandonné, repris un grand nombre d'hypothèses. Le problème se compliquait à mesure que ses connaissances historiques devenaient plus précises, et certains points sont restés pour lui sans solution. Esquisser ici cette évolution nous entraînerait trop loin. Nous espérons un jour y revenir. En 1939, Mgr. Tanghe était venu à la conclusion suivante: "Il ressort de l'histoire des Zande que le nom 'Ngbandi' conviendrait beaucoup mieux aux Azande (qui sont des descendants de Ngula, fils de Ngbandi) qu'à la population qu'on désigne actuellement sous ce nom de "Ngbandi" (23). Et huit ans plus tard, en 1947, Mgr. Tanghe repassa toutes les populations de l'Ubangi en revue et les classa au point de vue de leur langue. Il y indique très clairement les différentes peuplades qui parlent le Ngbandi, sans être des descendants de "Ngbandi" (24). Dès 1911 le P. Basile s'était aperçu des différences qui existent entre le Ngbandi parlé dans le sud-ouest de l'Ubangi et celui parlé dans le nord et le sud-est. Le P. Benjamin composa sa grammaire sur le dialecte de l'est. Le P. Basile en écrivit l'introduction historique et fit en même temps la comparaison entre les deux dialectes (25). En fait d'études linguistiques, nous devons encore citer son article sur "Les langues Zande et Ngbandi" où il compare ces deux idiomes pour conclure à l'affinité de ces deux peuples (26).
LA DESCRIPTION DE LA VIE, DES US ET DES COUTUMES DES NGBANDI
La première étude éditée par le P. Basile sur les Ngbandi est consacrée au culte du serpent. Il examine cette superstition sous tous ses aspects, en étudie toutes les manifestations, dont la principale est le culte rendu aux jumeaux, qui s'identifient avec les serpents (27). Il continua à en rechercher l'explication (28). En 1926 le P. Basile réédita son étude en français. Il en profita pour la revoir, la remanier et la rendre plus claire, pour la développer et surtout la compléter. C'est surtout l'explication de cette pratique qui a retenu son attention (29). Il revient encore sur cette question dans un article édité en 1926 (30) et se prononce enfin définitivement dans son livre "De Ngbandi naar het leven geschetst" (31). Il nous plaît de citer ici l'appréciation que connut son étude sur le culte du serpent dans le monde savant. La "Bibliographie ethnographique" la nomme une étude très documentée et illustrée (32). Le R. P. Tastevin, Spiritain, savant ethnographe français qui a voyagé dans toute l'Afrique et qui a étudié beaucoup de peuples primitifs africains, s'exprimait comme suit dans une lettre à Mgr. Tanghe, datée du 1 mai 1936: "Voilà un beau travail à tous points de vue, et qui demeurera. Il y a des faits et des croyances analogues un peu partout en Afrique, mais je ne les ai jamais vues si bien observées, décrites et illustrées. Votre travail a de plus le grand mérite d'être homogène et de ne pas mêler les questions!" Comme missionnaire le P. Basile s'intéressa particulièrement au culte de Dieu chez les Ngbandi. Il en avait déjà dit un mot dans son livre sur le culte du serpent (33). En 1925 il traite cette question ex professo dans une note. Il y démontre que les Ngbandi admettant l'existence d'un Etre Suprême, et qu'ils Lui rendent un culte, si élémentaire soit-il. Nous aurions aimé trouver chez lui l'explication étymologique du nom que les Ngbandi donnent à cet Etre Suprême, Nzapa. Mais il n'a jamais traité de cette question (34). Le P. Basile a tenu aussi à faire ressortir l'idée maîtresse qui domine toute la mentalité des Ngbandi, aussi bien dans leur vie familiale, leur vie sociale et religieuse, que dans le concept animiste qu'ils se forment de tout ce qui les entoure. Le droit d'aînesse est vraiment un point capital autour duquel gravitent toutes leurs compréhensions de la vie (35). Les deux études précédentes n'étaient que des fragments de son grand travail sur la vie des Ngbandi considérée sous tous ses aspects. Il l'édita en flamand en 1928, sous le titre "De Ngbandi naar het leven geschetst" (36). L'objet de ce travail est de reconstituer la vie des indigènes telle qu'elle existait avant l'arrivée des Blancs. Il traite de la vie familiale, sociale, morale et religieuse des Ngbandi. C'est un livre qui "constitue une riche mine de renseignements pour les ethnologues" (37), une des contributions les plus importantes "à l'étude des peuples du Congo" (38). Pour compléter cette étude, le P. Basile édita la même année un autre livre "De ziel van het Ngbandivolk: spreekwoorden, vertellingen, liederen" (39). Il y étudie du point de vue psychologique les fables, les proverbes, le folklore et les chants des Ngbandi. Il replace tout ce matériel dans le cadre de la vie familiale et sociale, morale et religieuse des indigènes, donnant ainsi un aperçu très intéressant sur leur vie intellectuelle. Déjà auparavant il avait édité quelques fables (40). Plus tard, Mgr. Tanghe ne s'est plus occupé de l'étude ethnographique des Ngbandi. Toute son attention était absorbée par l'étude de leur histoire.
L'ÉTUDE DE L'HISTOIRE DES POPULATIONS DE L'UBANGI
Nous pouvons distinguer trois périodes dans les études historiques de Mgr. Tanghe: d'abord ses premiers essais, ses premiers tâtonnements, puis l'étude profonde et analytique des traditions orales des indigènes, enfin ses révisions et ses études complémentaires ultérieures et ses efforts de synthèse.
(1) Les premiers tâtonnements
C'est dans l'introduction à la grammaire Ngbandi du P. Benjamin Lekens (41), que le P. Basile exposa pour la première fois un essai de reconstitution de l'histoire des peuples Ngbandi. Ils avaient des ancêtres qui étaient apparentés entre eux et tous venaient du nord-est par différentes migrations. Plus tard (42), il les fit venir tous d'un même ancêtre, Kola Ngbandi. Il soupçonna bien que parmi les habitants actuels de l'Ubangi, il devait s'y trouver encore des groupes de survivants des premiers habitants de ces contrées, mais il ne lui était pas encore possible de les distinguer des peuples envahisseurs. Il constate également que, d'après la comparaison de leurs idiomes, les Azande et les Ngbandi doivent être apparentés et avoir vécu jadis dans la même région (43). Il pense que le pays originaire des Azande comme des Ngbandi doit être cherché aux environs du golfe de Guinée, d'où ils étaient venus s'établir au Nord du Mbomu avant d'émigrer plus au sud. Il incline aussi très fortement à donner un ancêtre commun aux Azande et aux Ngbandi (44).
(2) L'étude approfondie et analytique des traditions Ngbandi
Tous les articles précités n'étaient que des recherches préliminaires. C'est en 1929 que le P. Basile publia en flamand sa grande étude sur l'histoire des Ngbandi. "De Ngbandi. Geschiedkundige Bijdragen". Comme il le dit lui-même dans son introduction, ses publications antérieures perdent du fait même leur valeur. Il divise son travail en deux parties: dans la première il place l'histoire des Ngbandi dans le cadre de l'histoire générale des peuples de l'Afrique centrale, dans la seconde il donne plutôt des particularités locales sur les différents groupes qui habitent actuellement l'Ubangi. Une table onomastique rend la consultation du livre facile. Cette étude se résume très difficilement, elle est très touffue, surabonde en détails, et sa structure est très analytique. A part cela, elle étonne par la richesse de sa documentation, par le souci de la vérité, par la hardiesse de certaines hypothèses. Elle est le fruit d'un travail patient, consciencieux et persévérant. Elle a le mérite de frayer un chemin à travers cet amas de traditions indigènes aussi variées que nombreuses. Elle ne se fonde que sur cette unique source et forme ainsi le témoignage authentique de la tradition orale des Ngbandi sur leur passé. On peut regretter que le P. Basile n'ait pas exploité pour cette étude toutes les autres sources de connaissance, toutes les autres branches de l'ethnologie, et fonder ainsi des conclusions d'une portée plus générale. Le grand mérite de son travail, c'est qu'il retrace très clairement l'histoire des différentes migrations des Sou-danais dans cette partie de l'Afrique (45). (3) Ses études complémentaires et ses efforts de synthèse.
Après 1929, le P. Basile quitte la région Est de l'Ubangi pour aller s'établir à l'ouest au milieu des Ngbaka. En 1931, il retourna en pays Ngbandi. Devenu Préfet Apostolique, et plus tard Vicaire Apostolique, il ne s'occupera plus que de l'histoire. Il s'efforcera de corriger, de compléter et de synthétiser ses études antérieures. Depuis 1930, Mgr. Tanghe manifesta une forte tendance à voir partout des "Bantous d'origine" dans les peuplades de l'Ubangi (46). Il publie alors aussi sa première note sur les Ngbaka (47). Il y revient dans une autre note, où il étudie les Mbangi et leurs apparentés dans l'ancien district de l'Ubangi (48). C'est en 1936 que Mgr. Tanghe donne un premier aperçu général et synthétique sur les dernières migrations qui se sont produites dans l'Ubangi (49). Deux ans plus tard il publia son "Histoire générale des migrations des peuples de l'Ubangi" (50). Nous y trouvons vraiment la synthèse et la substance de son livre sur l'histoire des Ngbandi, revu et complété. Il la composa pour servir à l'enseignement dans les écoles moyennes de son Vicariat. Durant les années qui suivirent, Mgr. Tanghe revint encore sur différentes tribus de l'Ubangi. Il consacre des notes aux Ngombe (51), aux Nyi (52), aux Ngunda (53 ), aux Bandiya (54), aux Fur et aux Furu (55), et enfin il édite une étude historique plus longue sur les Ngbaka (56). En 1944, Mgr. Tanghe publia un essai de reconstitution des liens de famille paternelle, qui relient entre elles les populations soudanaises du nord du Congo belge (57) et en 1947 il donne un aperçu général des peuples et des tribus de l'Ubangi (58). A deux reprises il formule à nouveau son hypothèse sur le pays d'origine des Azande et des Ngbandi, dans l'intention d'exciter des savants plus compétents à approfondir cette question (59), et il publie à son tour le document du XVe siècle, retrouvé en 1918 et édité par M. Ch. de la Roncière (60). Quand nous passons en revue l'œuvre historique de Mgr. Tanghe, sa spécialité et son étude favorite, nous remarquons que ni l'âge ni les soucis de l'administration de son Vicariat, n'avaient en rien diminué l'intérêt qu'il portait à cette branche de l'ethnologie. Sa plume est restée alerte et féconde et sa vue est devenue plus synthétique. On peut dire à juste titre que sa contribution à la connaissance et à l'histoire des peuples du nord-ouest de la Colonie a été considérable et de première importance. En 1944 M. Van der Kerken publia son étude magistrale sur l'Ethnie Mongo (61). Le savant auteur y donne également des renseignements sur les autres peuplades de l'ancienne province de l'Équateur, et il situe les Mongo dans l'ensemble des populations de l'Afrique s'efforçant autant que possible de retracer l'histoire et de résoudre le problème de leur origine. C'est ainsi qu'il parle longuement des populations de l'Ubangi. Et sur ce terrain il rencontre Mgr. Tanghe, l'historien des Ngbandi et des tribus de l'Ubangi. Le professeur Van der Kerken, alors qu'il était Commissaire Général de l'Équateur, visita en 1921 la mission d'Abumombazi, où le P. Basile Tanghe était alors supérieur local. Le haut fonctionnaire exprima à cette occasion sa profonde admiration pour l'œuvre missionnaire réalisée dans cette contrée par le R.P. Basile. Il tint à l'exprimer dans une lettre adressée au P. Basile le 1 septembre 1921, et conçue en ces termes: "Nous avons tous été enchantés de la méthode d'évangélisation des RR.PP. Capucins, tout est vraiment très bien et digne de tous les éloges et la mission d'Abumombazi peut être fière de son œuvre." (62) C'est le même Professeur Van der Kerken, un des hommes les plus compétents pour juger de l'œuvre historique de Mgr. Tanghe, qui a rendu cet autre témoignage bien élogieux, dans son livre sur l'ethnie Mongo: "Les migrations des Soudanais dans le bassin de l'Ubangi ont été fort clairement exposées par Mgr. Basile Tanghe, Vicaire apostolique de l'Ubangi, dans diverses études..... D'une façon générale les renseignements donnés à ce sujet par Mgr. Basile Tanghe... coïncident avec ceux recueillis par l'administration locale et avec ceux que nous avons obtenus personnellement dans divers territoires du district du Congo-Ubangi (63).
P.Auguste Roeykens Cap., Molegbe, 21 juillet 1948
NOTES
(1) Franciscaansche Standaard depuis l'année 1903-1904 jusqu'à 1909-1910. (2) Franciscaansche Standaard, 1908-1909, p. 94-95; 119-122; Etudes Franciscaines, XXI 1909, p. 688-691. (3) P. Frédegand Callay, Etude sur le P. Charles d'Arenberg, o.f.m. Cap. (1593-1669), Paris, 1919, p. XXII-XXIII. (4) Neerlandia Franciscana, Vol. II, 1919, p. 225-232. P. Basile Tanghe, La Peste d'Enghien (1667-1670), Enghien, Delware; 1921. (5) Statutum pro missionibus, o.f.m. Cap., (édit. 1893) n. 54. (6) De Ngbandi. Geschiedkundige Bijdragen. Introduction p. XVI. (7) Kongo-Overzee 2(1935-1936)159-161. (8) Dr. Van Bulck. S. J. dans Anthropos XXVI(1931)968 (9) Congo (1923)II, p. 335. -Congo (1924)II,746. (10) Dans Aequatoria 9(1946)76. (11) Congo (1922)I,161, note 1. (12) Congo (1922)I,161-180; 366-394. (13) Congo (1931)I,369, note 1. (14) Congo (1931)I,369-387. (15) Congo (1934)I,550-556. (16) Aequatoria 2(1939)61-65. (17) Aequatoria 4(1941)38. (18) Franciscaansche Standaard, XVII(1910-1911) (19) Hooger Leven, 25 juillet 1936 et 1 août 1936. (20) Franciscaansche Standaard, XLI(1939-1940)137-140. (21) Franciscaansche Standaard, XLI(1939-1940)280-294. (22) Aequatoria 3(1940)110-112. (23) Aequatoria 2(1939)16, note 10. (24) Kongo-Overzee, XII-XIII(1946-1947)4,193-203. (25) P. Benjamin Lekens, Capucin, Spraakkunst der Ngbanditaal, Brugge, 1923 (26) Congo (1924)I,203-217 (27) P. Basile Tanghe, De Slang bij de Ngbandi, Congo-Bibliotheek, Vol. II, Brussel 1919, 80 p. (28) Congo (1921)II, p.431-432; Congo (1923)1, p.349-350; Congo (1924)I,203-217; Congo (1925)I,562-565 (29) P. Basile Tanghe, Le culte du serpent chez les Ngbandi, Bruges 1926, 82 p. (30) Congo (1926)II,714-727. (31) P. Basile Tanghe, De Ngbandi naar het leven geschetst, Brugge, 1928, p.245-247 (32) Bibliographie ethnographique du Congo belge, 1(1925-1930)269 (33) P. Basile Tanghe, Le culte du serpent chez les Ngbandi, p. 2. (34) Congo (1925)II,435-438. (35) Congo (1926)II,714-727; Africa 3(1930)78-82 (36) P. Basile Tanghe, De Ngbandi naar het leven geschetst, Congo-Bibliotheek, 29, Brugge, 1928, 288 p. (37) \/an Bulck V., Anthropos XXVI(1930)968-969. (38) Bibliographie ethnographique du Congo Belge, 1(1925-1930)270. (39) B. Basile Tanghe. De Ziel van het Ngbandi volk, Congo Bibliotheek, 18(1928), 144 p. (40) Congo (1924)I,540-344. (41) Benjamin Lekens, Spraakkunst der Ngbanditaal, Brugge, 1923. Introduction du P. Basile Tanghe p. V-IX. (42) Congo (1923)II,335-368 (43) Congo (1924)I,203. (44) Congo (1924)II,743-746. (45) Van Bulck V., dans Anthropos XXVI(1930)269. (46) Congo (1930)II,184-186. (47) Congo (1930)II,182-183. (48) Congo (1934)I,654-655. (49) Kongo-Overzee (1936)168-171. (50) Congo (1936)II,361-391. (51) Aequatoria 2(1939)13-15. (52) Aequatoria 2(1939)15-17. - Kongo-Overzee 5(1939)40-41. (53) Aequatoria 2(1939)57-58. (54) Aequatoria 3(1940)8-11. (55) Aequatoria 7(1945)75-78. (56) Aequatoria 9(1946)64-68. (57) Aequatoria 7(1944)35-41 (58) Kongo-Overzee XII-XIII(1946-1947)193-203. (59) Courrier d'Afrique, 23 février 1937; Aequatoria 6(1943)1-7. (60) Charles d la Roncière, Bulletin de la Section de Géographie, Paris, 1918, p. 10 et ss. (61) G. Van der Kerken, Ethnie Mongo, Vol. 1, livre 1 et 2, Mémoire de l'Institut Royal Colonial Belge. (62) Conservée aux archives de la mission d'Abumombazi. (63) G. Van der Kerken, L'Ethnie Mongo, Livre I, 119-120.
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