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The monument for the martyrs of independence in Mbandaka / by Stanislas Lufungula Lewono [in French only]From: Annales Æquatoria 22(2001)103-124 RésuméEn 1963 fut érigé à Mbandaka, anciennement Coquilhatville, en DRC, un monument en mémoire des victimes de l'émeute qui y éclatait le 4 juillet 1960. Un autre 4 , notamment le 4 janvier, avait été proclamé au niveau national jour de commémoration des martyrs de l'Indépendance (tombés le 4 janvier 1959 à Léopoldville) et les autorités de Coquilhatville, succédant aux initiateurs de la construction du monument, ont introduit une confusion en apposant au monument la date du 4 janvier 1960, une amalgame historiquement sans signification. L'auteur esquisse sur base de nouveaux témoignages des principaux acteurs responsables, l'histoire et la signification des émeutes de ces journées mouvementées qui éclaboussent la réputation paisible des habitants de cette ville de province. 1. Le monument à MbandakaPour témoigner de la reconnaissance aux victimes des émeutes du 4 au 7 janvier 1959 à Léopoldville (Kinshasa), la République Démocratique du Congo commémore solennellement chaque année leur mort le 4 janvier sous le nom de la Journée Nationale des Martyrs de l'Indépendance. En 1963, la ville de Mbandaka décide d'en faire plus en dédiant officiellement à ces mêmes victimes un monument de souvenir, lequel porte malheureusement de nos jours une surcharge d'inscriptions, et depuis peu une date visiblement incorrecte, celle du 4 janvier 1960! Cet amalgame d'éléments divers crée inévitablement des doutes du lien entre l'objet et 1'intention affichée. Aussi avons nous voulu y réfléchir pour, en savoir un peu plus. Description (1)Le monument se situe au croisement des avenues Itela et Révolution dans la concession municipale de Wangata, une des deux communes de la ville de Mbandaka, au moment des événements connue sous le nom de Coquilhatville. ConstructionPour plus de précisions laissons parler celui qui en avait conduit les travaux, le Bourgmestre de la Commune de Wangata, Paul Honoré Ikotela (2): " Fin mars 1963, j'arrivai à Coquilhatville, aujourd'hui Mbandaka. Aussitôt, je reçus de David Bakonga, communément appelé à 1'époque, Premier Echevin, un dossier qui portait le projet d'un monument à bâtir pour embellir la cour communale. L'endroit était déjà choisi par mon prédécesseur Thadée Ndombo. Il y avait planté de jolies fleurs. Avec Bakonga nous avions discuté du nom à donner au monument. Il avait proposé feu Itela Ernest (3) ou Bofonge Joseph (4) encore en vie en ce moment. Mais moi j'avais préféré et imposé. un titre beaucoup plus significatif, celui de A la mémoire des martyrs de l'indépendance. David Bakonga fit chercher un maçon dans le quartier Air Congo. J'ignore son nom.
Sur la maquette qui m'était proposée, une petite et simple élévation, j'avais eu l'ingénieuse idée d'ajouter un bassin pour symboliser le foyer, l'entente ou l'endroit qui accueille tout le monde. InaugurationElle eut lieu, à en croire le conducteur des travaux, pendant les grandes vacances de 1963, certainement au mois de juillet, par le Ministre des Affaires Etrangères Justin-Marie Bomboko (9) accompagné de Gandjio, Ministre de l'Enseignement du Congo Brazzaville. L'orchestre Bantou de la Capitale fut de la partie. A cette occasions Paul Honoré Ikotela prononça un discours remarquable, dont il retient encore l'essentiel: "Ce monument constitue un symbole et un souvenir inoubliable de ceux qui ont perdu leur vie pour que naisse notre pays.. Tous, dans la même direction, nous devons faire un grand effort afin de protéger cette œuvre"(10). A la fin de son adresse, il remit le texte à Gérard Baende, le Secrétaire communal qui le transmit à la hiérarchie. Puis vint Justin-Marie Bomboko avec un discours axé sur la paix, la concorde et surtout le don de soi: " La vie d'une nation ressemble à celle d'un individu. Des événements qui demandent d'être fixés pour la mémoire de l'histoire n'y manquent pas, notamment les cas de sacrifices suprêmes pour de meilleures conditions de vie (11)." Après, Gandjio coupa le ruban symbolique. Et pour terminer en beauté, un dîner fut servi aux invités suivi d'un bal jusqu'aux petites heures. Changement de l'inscriptionAprès le départ de Paul Honoré Ikotela, les autorités municipales successives de Mbandaka II, semèrent le désordre en voulant préciser l'identité des martyrs en cause. Et ce qui pire est, elles commirent l'erreur d'y inscrire la date du 4 janvier 1960 qui y figure actuellement. Cette date est malheureusement dépourvue de signification aussi bien dans la chronologie de la ville de Mbandaka que dans celle du pays en général. Tout cela explique l'embrouillement dans les inscriptions que nous observons lorsque nous nous approchons davantage du monument. 2. Le 4 juillet 1960: Une journée démente à MbandakaLes causesA la lumière des témoignages en annexe et d'autres sources similaires, nous proposons la synthèse suivante en attendant d'éventuelles études plus approfondies et surtout la publication du rapport de la Sûreté coloniale belge qui était encore active en ce moment à Coquilhatville " Le départ du pouvoir colonial libéra toutes les forces ethniques qui prirent conscience de leur diversité. Les Mongo mis en minorité dans le gouvernement et dans l'Assemblée, constatèrent qu'ils étaient aussi étouffés dans tous les postes administratifs par les Ngombe (12) de là leur volonté farouche de se libérer de cette domination (13)." Ceci engendra à Mbandaka un sentiment d'insécurité, poussant certaines personnes à mettre leur foyer à l'abri d'incidents possibles. Les faitsLe dimanche 3 juillet 1960 vers 16 heures, les gens se réunirent. de façon improvisée sur le terrain de l'école laïque à Mbandaka II (Coq II ), avec pour but d'exprimer leur ras-le-bol devant les autorités de la place. Le Président Laurent Eketebi en fut prévenu notamment par son Ministre de Finances, Sébastien Ikolo. Aussitôt le Major Van Craen reçut l'ordre de quadriller la ville, afin de prévenir tout rassemblement susceptible de perturber l'ordre public. Les conséquencesLa population de Mbandaka se scinda en deux camps qui, heureusement, ne recoururent pas à la violence pour faire valoir leurs convictions respectives. 3. ConclusionQuand il était compréhensible qu'en 1963 on cherchait à camoufler en quelque sorte la véritable histoire et les circonstances de l'émeute, aujourd'hui, 41 ans après, dans une perspective d'une historiographie correcte de la ville de Mbandaka, le temps est venu pour revaloriser positivement la date du 4 juillet 1960. ANNEXESLe lundi 4 juillet 1960 à Mbandaka dans la tradition orale Voici les récits que nous avons notés à Kinshasa de témoins privilégiés, et la version " de bouche à l'oreille ", récoltée antérieurement à Mbandaka. 1. Léon Engulu (Ministre de l'Intérieur à Mbandaka 1960)L'assemblée provinciale, présidée par Ekoko, fit une maladresse aux conséquences très funestes pour la population de la ville de Mbandaka. En effet elle diffusa le 3 juillet 1960 sur les antennes de la radio locale, les émoluments et les privilèges de ses membres, y compris ceux du Gouvernement, sans la moindre allusion à la situation sociale des fonctionnaires et des travailleurs. Frustrés, ces derniers organisèrent un soulèvement au grand matin du lundi 4 juillet 1960. Ce fut une véritable émeute. Ils saccagèrent de nombreuses habitations de hauts cadres notamment celles de Eketebi, Ikolo etc. Ils s'éparpillèrent à travers la ville pour finir par se concentrer vers Mbandaka II et III. Leurs revendications revêtirent un caractère purement social. Lorsque les insurgés se présentent devant mon domicile, je pus heureusement les contenir en acceptant de discuter, calmement avec eux, et surtout de conduire leur délégation devant les autorités compétentes, en vue d'obtenir une solution aussi rapide que possible à leurs revendications. Il y eut au total dix morts. Je n'ai pas leurs noms, ni ceux des meneurs. La Force Publique intervint sur l'ordre du Gouvernement qui ne pouvait rester impassible devant cette déflation. Elle tira dans la foule après sommation. Un grand nombre des révoltés était sans doute des ressortissants de la Jwafa. (Tshuapa) mais ce qui importe c'est le fait que tous luttèrent pour la cause de la justice sociale. Celle-ci fut notre cheval de bataille pendant la campagne électorale dans la ville de Mbandaka. Et nous avions hautement gagné les élections. 2. Jean Bompese (Directeur Provincial à l'Action Sociale et à la Jeunesse à Mbandaka 1960)Le matin du 4 juillet 1960, nous avions appris qu'un groupe de gens dont faisait partie un certain Bompanga ,s'était rendu chez Ahrens, Premier Bourgmestre de la ville, pour lui demander l'argent que Lumumba aurait envoyé à tous les travailleurs et les nécessiteux, à l'occasion de la fête de l'indépendance. La réponse ne se fit pas attendre: " Ce sont vos enfants qui dirigent dorénavant le pays. Référez-vous à eux. Ces gens étaient nombreux. Enduits de kaolin et de charbon du bois, ils paraissaient déterminés à commettre n'importe quel forfait. Ils avançaient en incorporant de force tous ceux qui se rendaient ce jour-là au travail et menaçaient de durs supplices les intellectuels et les récalcitrants. Leur attitude menaçante avait poussé Ahrens à se débarrasser d'eux le plus rapidement possible. Les insurgés avaient bien ajusté leur coup en choisissant ce lundi-là, le jour de la reprise du travail après un long weekend de repos. Orientés par Ahrens, ils se dirigèrent vers " les enfants du pays ", notamment Eketebi, mais la résidence fut bien gardée. Ils résolurent ainsi d'aller chez Engulu qui les reçut calmement et leur remit enfin une note écrite à l'intention de Sébastien Ikolo, le Ministre des Finances. Il semble que le fameux courrier ne contenait rien d'autre qu'une consigne préventive. Mais le destinataire aurait plutôt préféré dire la vérité aux insurgés en niant l'existence de l'envoi des fonds par Lumumba. Comme il fallait s'y attendre, la résidence privée de l'intéressé fut saccagée, suivie de celle de Laurent Eketebi. Les insurgés eurent aussi dans leur collimateur les intellectuels de la ville. Pour les reconnaître, ils observaient la disposition des orteils A Mbandaka II, ils arrivèrent devant mon domicile, en face de la maison communale. Ils tenaient en mains des machettes, des flèches, des arcs, des lances, des bâtons, des pierre etc. Ils poussaient des cris de guerre et exhibaient des danses macabres, S'adressant à moi, ils déclarèrent ceci : " Nous sommes venus chercher l'argent que Lumumba nous a envoyé de Kinshasa a 1'occasion de la fête de 1'indépendance ". Je leur répondis: "Je ne suis pas au Gouvernement. Je suis votre député. Et d'ailleurs, tout le monde était au repos. Le travail reprend aujourd'hui. Si donc réellement il y a de l'argent, adressez-vous à qui de droit. Je ne connais rien de cette enveloppe. Ils rétorquèrent que Ahrens leur avait dit d'aller voir les élus. Et j'étais parmi ceux-là. En outre ils s'étonnèrent de la similitude de ma réponse avec celle de Sébastien Ikolo. Ainsi ils conclurent à une complicité entre nous deux.. Selon les insurgés, seul Engulu les avait compris.. Aussitôt terminé à parler, ils commencèrent à me menacer puis passèrent à l'action en lançant des pierres sur ma résidence avant de la piller de fond en comble et de brûler ma voiture. Pendant ce temps, j'alertai au téléphone les amis du gouvernement. Comme réponse ils me demandèrent de me sauver de moi-même. Les agresseurs comprirent vite le danger et se précipitèrent de couper les lignes téléphoniques. Ils barrèrent la route avec des troncs d'arbres afin de piller à l'aise. Malgré l'avalanche de projectiles sur ma maison, je m'en étais retirés avec une seule blessure, certes profonde à la jambe gauche. Ce fut mon ami Likimba, opérateur de cinéma au Service de l'Information (AIOM), qui me convainquit de quitter par la porte arrière en tirant quelques coups en l'air avec mon calibre 12. Mes amis du gouvernement avaient cru que j'étais déjà mort, lapidé, et en avaient informé Kinshasa. Je suis certain que le Premier ministre en était très affecté parce que nous avions étudié ensemble à l'Ecole Postale de Léopoldville. Lors de mon voyage en Californie, aux Etats Unis, j'avais trouvé chez les anciens missionnaires protestants des photos de cette émeute du 4 juillet 1960 à Mbandaka. Il y avait beaucoup de gens de Monkoto parmi les insurgés. Pour preuve, lorsque les militaires sont venus pour disperser ces derniers, ils avaient jetés d'abord des grenades lacrymogènes, et la foule criait : " munoki ya neke ", entendez : fusil pour les oiseaux. C'est le parler des Mbole n'est-ce pas ? La répression causa plus de dix morts, sans compter les blessés. Des voitures furent brûlés et des biens pillés. La peur était telle que les intellectuels se déshabillaient et mettaient des habits dans des sacs afin de se confondre avec tous les émeutiers. En fuyant je n'avais qu'une simple tenue de relaxe sur moi. J'allais m'abriter chez Isaie Efole. Tous mes biens honnêtement accumulées se trouvèrent anéanties ce jour-là.. Le calme revient peu après, mais les officiers belges, au nombre de quatre, furent tout de même envoyés à ma rescousse. Sous leur protection je me rendis d'abord à l'hôpital avant d'atterrir au camp militaire, lieu provisoire de mon refuge. Les événements du 4 juillet étaient prévisibles à cause des promesses démagogiques des leaders politiques pendant la campagne électorale. Ces derniers avaient tout promis aux électeurs, même la résurrection des morts. Toutes ces maladresses avaient engendré des fortes tensions et nous avaient poussé à déplacer nos familles dans des endroits sûrs hors de la ville. Depuis ces dures épreuves, mon foyer n'a jamais cessé, à chaque anniversaire, de me poser affectueusement cette question: "Papa, à quand la fête?" 3. Robert Yanga (Ministre de la Justice à Mbandaka 1960)Avant de parler du 4 juillet 1960, voyons d'abord les événements précédents. Je fus désigné par tirage au sort, Président du Bureau Provisoire de l'Assemblée Provinciale de l'Equateur. Fidèle à mes promesses électorales, mon premier acte fut d'instruire Kalala François des A.I.M.O. de donner 50.000 francs à chaque député à titre de frais d'installation. Mais au moment de former le bureau définitif, je choisis de devenir Ministre, fort de la majorité du MNC à laquelle j'appartenais. Ekoko put alors me succéder sans trop de problèmes. Les Mongo ne partagèrent pas ma vision car ils voulaient un des leurs à la tête de cette institution établie chez eux à Mbandaka. Ils se fâchèrent davantage lorsqu'ils perdirent le poste de Président Provincial emporté par Laurent Eketebi sur Léon Engulu. Et pourtant nous avions réellement voté pour le premier, non seulement parce qu'il était de parents mongo et ngombe mais aussi à cause de son comportement jovial, pendant que son challenger paraissait glacial. En dernière minute, Engulu souleva le critère de 25 ans révolus contre la candidature d'Eketebi qui n'avait que 24 ans. Peine perdu car nous avions fait déjà notre choix. Mais je dois avouer que c'était au fond le jeu du MNC qui y trouvait dans la PUNA un parti de son obédience. Pour moi c'est ici le véritable point de départ de tous les désordres regrettables du 4 juillet 1960. Ce jour-là je fus rapidement informé du debut de l'émeute. Je pris place d'abord d'un véhicule spécial, à carrosserie coffrée, localement appelé " marmot " ou encore " edongola miso " pour faire le tour de la ville. Je pus alors passer devant la résidence d'Eketebi, d'Ikolo etc. En ce moment les insurgés pillaient les maisons des autorités, mais n'osèrent le faire chez moi à Mbandaka III, mon grand frère Théophile s'étant mis avec un calibre 12 devant la porte d'entrée. Face à l'ampleur que prenaient les événements, un conseil urgent des ministres fit convoqué au cours duquel nous approuvions la proposition d'ouvrir le feu sur les manifestants pour les disperser. Il y eut malheureusement des morts dont six attirèrent vivement notre attention, et autant de blessés. A la base de tous ces désordres se cachait le problème de l'argent ou des salaires. Bien sûr l'environnement rassemblait déjà à une poudrière qui n'attendait qu'un petit choc pour s'enflammer. Ce que nous n'avions pas compris c'est l'absence de notre collègue Engulu chargé de l'Intérieur au Conseil des Ministres. Et comme les ressortissants de Monkoto avaient composaient la grande majorité des insurgés, nous avions conclu un moment à son implication dans les événements. En 1963 un monument peint en bleu-blanc fut dressé à la mémoire des martyrs de l'Indépendance, parce qu'on ne pouvait le dédier clairement aux victimes du 4 juillet 1960, eu égard aux tiraillements qui déchiraient la cohabitation des Mbole avec les Ngel'ea Ntando. Pour terminer, Yangard est mon nom d'immatriculation. 4. Sébastien Ikolo (Ministre des Finances à Mbandaka 1960)Après la fête de l'Indépendance, je me trouvais avec le Président Eketebi à Bikoro, car il était décrété 4 jours de congé allant du 30 juin au 3 juillet. Dès notre retour à Mbandaka le dimanche vers 15.30 heures, mon chauffeur se rendit chez lui à Mbandaka II pour visiter son foyer et s'échanger avant de regagner ma résidence. Au retour il remarqua sur le terrain de l'école laïque de Mbandaka II, un attroupement suspect de gens. Renseignements pris, il s'agissait de fonctionnaires et de travailleurs mécontents qui complotaient pour assiéger la ville le lendemain. Ils exigeaient l'augmentation de leur salaires car le Ministre Engulu aurait dit à quelques-uns parmi eux qu'on s'occuperait d'eux après la réunion du Gouvernement et de l'Assemblée provinciale. Or cela ne fut malheureusement pas réalisé. Pire il leur aurait confié que le Président et le Ministre des Finances constituaient des obstacles majeurs pour son projet. J'en ai immédiatement informé le Président. Comme le Commandant de la Force Publique faisait aussi fonction de son Officier d'Ordonnance le Major Van Craen, je suggérai au Président de l'instruire pour appliquer le " Plan Trouble " de Mbandaka, lequel consistait à l'occupation des points stratégiques de la ville. L'ordre fut ainsi donné. Van Craen ne posta pas ses hommes aux alentours de minuit. Le soir nous reprenions notre train de vie habituelle à travers la cité. C'est alors que nous nous rendions compte partout où nous passions qu'il y avait de l'incertitude. Le lundi matin on nous annonça 1e déclenchement de 1'émeute au départ de la cité. Malheureusement le déploiement des militaires n'avait pas été exécuté. Le Gouvernement était pris au dépourvu parce qu'il n'avait tenu jusqu'alors aucun conseil de Ministres. Les insurgés avaient pris d'assaut les avenues Lardinois (Révolution), Ipeko, Itela, etc et investi le devant de la Commune de Mbandaka II. Van Craen ne posta ses hommes que vers 6 heures. Serait-ce un coup bas de l'ancienne autorité coloniale? Pendant de bonnes heures, les militaires et les insurgés se regardent comme des chiens de faïence. Remarquons qu'à cette date seuls Eketebi et moi étions logés en ville. Engulu refusait encore pour nous rejoindre. Nous étions ainsi bien gardés. Je continuais à utiliser mon bureau de membre du Collège Exécutif qui juxtaposait celui du Président. Et c'est vers 11 heures pendant que je me trouvais dans le bureau de ce dernier que le Major Van Craen fit son entrée pour dire à peu près ceci : " Les indigènes ont pris en otage Monsieur Bompese. Dans leur tentative de le libérer, les éléments de l'ordre ont essuyé les flèches des indigènes. Nous attentions vos instructions avant d'agir. " Le Président posa quelques questions à Van Craen notamment celle de savoir si réellement les populations étaient munies d'armes blanches et s'en servaient contre les agents de l'ordre. Van Craen le confirma avec force. Le Président dit alors " Dans ce cas, vous pouvez vous défendre. C'est un cas de légitime défense ". Van Craen salua et s'en alla. Dix minutes plus tard les crépitements des armes se firent entendre. A la fois par curiosité et par devoir d'honneur d'Etat, j'obtins du Président l'autorisation d'aller m'en rendre compte sur place. C'était effectivement la pagaille. Les militaires tiraient pendant que la foule fuyait après une brève résistance. Au bout d'une trentaine de minutes, les insurgés avaient vidé les lieux. Entre-temps, je remarquerai qu'ils avaient pillé ma maison et celle d'Eketebi à Mbandaka II. Ils avaient même attenté 'a la vie de mon grand frère et de celui d'Eketebi. Vers 13h 30 nous décrétions un couvre-feu. La nouvelle fut portée a la connaissance du Premier Ministre Lumumba qui en réaction nous demanda de prendre l'avion le même jour afin de le rejoindre à Kinshasa. L'invitation concernait le Président Eketebi, le Ministre de 1'Intérieur Engulu et moi-même, le Ministre de Finances. Ainsi le soir du 4 juillet 1960, nous étions à Kinshasa Léopoldville et reçus directement par le Premier Ministre. Avant de quitter Mbandaka, Engulu s'était installé en ville car d'autres groupes de manifestants l'avaient menacé. Le Président Eketebi dépêcha des troupes chez lui pour assurer son déménagement précipité. Le nombre de morts fut certainement 7 ou 9. 5. Laurent Gabriel Eketebi (Président Provincial à Mbandaka 1960)a. Mon ascension politique1. Secrétaire Général de la FE.DU.NEQJe suis, né à Mbandaka de père ngombe et de mère mongo en 1936. Au moment ou l'Administration coloniale organisa les élections communales, j'avais décidé de rencontrer certaines personnalités du Nord de 1'Equateur, en vue de discuter avec elles la stratégie à mettre en action pour faire é1ire ceux de nos candidats que nous aurons choisis. C'était la naissance du mouvement politico-tribal sous la dénomination de FE.DU.NEQ (Fédération du Nord de l'Equateur). Elle regroupait toutes les mutuelles des originaires des territoires du Nord de la Province de I'Equateur. Mr Thadée Dombo en fut élu Président Général, et moi Secrétaire Général. Nous nous sommes employés à regrouper et à motiver tous les ressortissants des deux Districts du Nord de 1'Equateur à savoir la Mongala et l'Ubangi en vue d'assurer à nos candidats toutes les chances du succès. Notre mouvement connut dès lors un véritable succès aux élections communales, grâce aussi au concours de certains élus du Sud de l'Equateur, particulièrement les Ekonda de Bikoro. Ce qui explique la facilité avec laquelle Thadée Dombo, candidat de la FE.DU.NEQ, devint, le bourgmestre de la Commune de Mbandaka. 2. Membre du Conseil Exécutif/EquateurA l'occasion de la Table Ronde Politique de janvier 1960 à Bruxelles, la FE.DU.NEQ obtint deux sièges de 1'autorité coloniale. Le choix fut portté sur Innocent Abamba et Maurice Mwanga. Malheureusement ils trahirent le mouvement à Bruxelles en allant adhérer au P.N.P.(Parti National du Progrès) de Paul Bolya. C'est pourquoi, dans de nombreux livres d'histoire la dénomination de la FE.DU.NEQ n'est pas du tout mentionnée parmi les partis politiques présents à la Table Ronde de Bruxelles. Ce ralliement des délégués de la FE.DU.NEQ eut comme conséquence 1'absence de cette dernière et au Collège Exécutif Général à Kinshasa, et au Collège Exécutif Provincial à Mbandaka (Coquilhatville) laissant cette chance aux ressortissants du Sud de l'Equateur. Le mécontentement fut général au nord de l'Equateur. Nous entamions immédiatement des démarches auprès du Gouverneur de Province et du Ministre Belge des Affaires Africaines pour que cette erreur soit corrigée sans plus attendre. La FE.DU.NEQ proposa ma candidature. Après avoir examiné notre recours, le Ministère Belge des Affaires Africaines nous donna raison et proposa au roi ma nomination pour remplacer le troisième membre du Conseil Exécutif Provincial qui fut contraint de démissionner. Je deviens ainsi membre du Conseil Exécutif Provincial de l' Equateur en 1960. 3. Président de la Province de l'EquateurFort de cette nomination et du pouvoir réel qui en découlait, j'entrepris, avec l'assentiment du Comité de la FE.DU.NEQ, une très grande tournée dans les deux Districts du Nord en vue d'y prêcher l'unité de toutes les tribus et appeler ces dernières à voter massivement les leurs aux élections générales. Les résultats donnèrent pleine satisfaction au comité de la FE.DU.NEQ. En effet, les élus directs du FE.DU.NEQ. - PUNA (Parti de l'Unité Nationale) la majorité des élus indépendants, rejoints pas un grand nombre des élus du Sud en raison de l'appartenance de ma mère à l'ethnie mongo, n'hésitèrent pas de me porter dès le premier tour à la tête de la Province de l'Equateur. Devenu Président de la Province de l'Equateur, je pris la ferme résolution de mettre la chapelle au milieu du village et de ne pas favoriser d'une manière particulière nulle des deux parties Nord ou Sud de la Province. Dans le respect de la parole donnée, je confiai trois ministères clé au Sud: Intérieur à Engulu, Finances à Ikolo et Justice à Yangard ; au Nord, Education à Libengelo, Santé à Kumoge, Travaux Publics à Kangayani. En vue d'éviter toute vacance de pouvoir pendant mon absence éventuelle, et sur ma proposition, le Conseil des Ministres créa le poste de Vice-président et le confia à Sébastien Ikolo. J'étais alors satisfais de voir l'équilibre maintenu au sein du gouvernement provincial. b. Les événements du 4 juillet 1960Beaucoup a été dit là-dessus. J'ajouterai ceci : personnellement je n'avais pas perçu des indices quelconques de violence en préparation au niveau de la population. Mais les divers rapports reçus après les événements établirent que des groupes de gens à majorité des ressortissants de la Tshuapa, avaient été excités pour se révolter contre l'autorité établie, par quelques personnalités politiques mongo mécontentes de mon élection au poste de Gouverneur de Province, un candidat, selon eux, plus nordiste que sudiste. Ces politiciens auraient même utilisé un texte du Gouvernement qui refusait d'augmenter les salaires des fonctionnaires et des travailleurs au cours de son Conseil des Ministres! Pour prouver qu'il n'y avait pas des signes avant coureurs de cette émeute du 4 juillet, je m'étais permis d'aller passer le weekend à, Bikoro en compagnie de Sébastien Ikolo, après avis du Service de Sécurité tenu encore par des Belges. Nous étions rentrés dimanche soir. Le lundi, tôt le matin, la gendarmerie me fit savoir que les fonctionnaires et les travailleurs avaient débrayé et perturbaient l'ordre public. Je réunis alors un Conseil des Ministres dans l'urgence, lequel demanda à l'Etat Major d'appliquer le plan "'Trouble" pour préserver la paix sur toute l'étendue de la ville de Coquilhatville (Mbandaka). Une absence fut notée : celle de Léon Engulu, bloqué dans sa résidence privée à la citée. Avant l'intervention des éléments de la Force Publique, les révoltés avaient déjà commencé à piller tout ce qui paraissait à leurs yeux comme le symbole du " mal ". D'où le saccage des maisons des autorités, des bâtiments publics tels l'Economat du Peuple, etc. Les révoltés s'en prirent violemment à certaines personnes, même aux éléments de la gendarmerie envoyés pour les disperser. L'Etat-major autorisa alors à ses hommes l'emploi de la légitime défense. Dès lors, des tirs avec des balles réelles firent quelques morts et des blessés. C'était fort regrettable Il y eut après beaucoup de commentaires autour des commanditaires, des buts poursuivis des meneurs, de l'appartenance tribale des casseurs etc. mais la vérité comme telle n'a jamais jailli, à ma connaissance, en dépit des enquêtes officielles, semi-officielles ou privées menées par des enquêteurs éprouvés à l'époque. Cette émeute constitua l'unique page noire de tout mon mandat passé à Coquilhatville en qualité de président de la Province de l'Equateur. Après ces incidents, j'avais convoqué les fonctionnaires et les travailleurs afin qu'ils fassent voyager à bord d'un hors-bord mis à leur disposition par le Gouvernement, une délégation crédible à Kinshasa, pour vérifier l'information qui les avait incités à la révolte. A mon avis ils ignoraient que la politique salariale revient au Gouvernement Central et que le Premier Ministre Lumumba n'avait pas accordé la prime de l'indépendance qu'aux seuls éléments de la Force Publique. Pour terminer je dois vous dire que l'émeute du 4 juillet 1960 à Mbandaka m'avait profondément attristé et conduit à condamner fermement les commanditaires. 6. Radio TrottoirLes informations de la radio-trottoir sont impersonnelles et paraissent fiables dans les milieux qui les créent et les entretiennent. En voici l'essentiel: Le lundi 4 juillet 1960, les gens s'étaient levés tôt le matin pour réclamer leur argent de l'indépendance auprès des autorités de la place. La plupart d'entre eux appartenaient au même coin que Léon Engulu. D'où de lourds soupçons de complicité qui avaient pesé sur ce dernier. Parmi les meneurs on citait beaucoup plus Jean Robert Bompanga et son groupe des Mbole. En tenu de guerre, les insurgés enrôlèrent tous ceux qu'ils voyaient sur la route, Ils pillèrent les maisons privées des Ministres et celles d'autres autorités de la place. Le cas de Jean Bompese fut exceptionnel dans l'ampleur. La victime risqua la mort. Tout le monde s'en prit à lui parce qu'il gérait l'Action Sociale, donc détenteur éventuel des fonds qui seraient venus de Kinshasa. Dans cette situation, il se retrouvait à égalité de menaces avec Sébastien Ikolo, Ministre des Finances. Au milieu de la journée, les militaires envoyés pour calmer la situation, utilisèrent des cartouches à blanc. Comme les gens n'en mouraient pas, ils s'en moquèrent en scandant tous,"milingi pamba. mopepe ya pamba" (simple fumée simple vent)! Mais quand les leurs commencèrent à tomber pour du bon, ils comprirent trop tard qu'il ne s'agissait plus de balles branches, plutôt de réelles. Au décompte final il y eut plusieurs morts et de nombreux blessés. En ce moment c'est Eketebi qui gouvernait. Léon Engulu ne pouvait encore songer à construire un monument à la mémoire des victimes. Mais lorsqu'il devint à son tour Gouverneur de Province, il éleva en 1963 un monument en leur souvenir devant la maison communale de Mbandaka II et l'inaugura personnellement le 1er mai. Le monument fut construit nuitamment par un Ingénieur expatrié des Travaux Publics, Monsieur Donck avec l'aide de feu Daniel Lombe. A l'époque, les familles des victimes recevaient mensuellement " quelque chose " à la Commune d'abord et à l'Hote1 de Ville par la suite. Pour calmer la tension, on décida au début de ne remémorer que le 4 janvier 1959 comme toute la nation. et le 4 juillet 1960 on déposera seulement une gerbe de fleurs sur le monument. 7. Rapport de Gustaaf HulstaertExtrait d'une lettre du Père Gustaaf Hulstaert (à Bamanya) au Père Edmond Boelaert (à Borgerhout), du 10 juillet 1960. Traduit du néerlandais. Original dans les Archives MSC-Congo, Borgerhout, Belgique et copie à Æquatoria Bamanya, Microfiches CH 164-165. "Lundi passé éclatait l'insurrection longuement attendue. De fait, ce n'était qu'une grève sauvage dont on avait menacé depuis longtemps. Mais pendant les quatre jours des fêtes de l'Indépendance on avait pu la retenir. Le matin très tôt à 4 heures les accès à la ville blanche étaient barricadés avec des branches et des piquets de grève de sorte que personne ne pouvait aller au travail. Tout était bloqué. Quelques personnes ont été frappées, mais la plus part est rentré à la maison. A 7 heures venait la police et un peu plus tard la gendarmerie qui occupaient les points stratégiques et repoussaient tous ceux qui voulaient passer. Nous devions être ce jour-là à Coquilhatville et nous ne savons de rien. Arrêtés à Basoko, nous pouvions continuer bien que les gendarmes nous conseillaient de rentrer. Nous avions des affaires urgentes à régler à Coquilhatville, mais tout était fermé, sauf chez les Blancs, et nous avons réglées ces affaires-là qui pouvaient être traitées avec eux. Les médecins ne pouvaient faire grand chose car les infirmiers étaient absents. La grève était donc complète. Vers 11 heures 30 l'armée est intervenue parce que les grévistes ne voulaient pas se disperser (toujours dans le Belge et surtout à Coq II). Après un avertissement avec des grenades lacrymogènes, on a donné une salve avec des Sten guns, après quoi tout restait silencieux et tout le monde était disparu. Neuf morts sur place et quinze blessés. Encore six morts s'y sont ajoutés à l'hopital ou qui sont allés mourir à gauche et à droite. Provisoirement tout est calme. Et ainsi le putsch militaire s'est passé calmement (tous les autres Blancs de l'Armée ont été congédiés…) Raison: mécontentement depuis longtemps à cause du haut salaire des clercs pendant que le peuple a un salaire de misère. S'y ajoutent maintenant des chiffres astronomiques des ministres etc. (700.000 à 800.000), plus que les Blancs des services provinciaux ont jamais eu. Et cela a fait déborder la coupe. Personne ne sait qui a commandé l'armée à intervenir, mais les Noirs accusent (naturellement) les Blancs, et surtout le Bourgmestre Ahrens. Il n'y a pas été d'incendie sauf la table de Bompese qui a brûlé. Il est bien douteux qu'une amélioration pour le peuple ordinaire en suivra." 8. Claude GautierCommandant de la 2 Gendarmerie au moment des événements et témoin participant. Nous remercions le Colonel BEM hre, René Pire, président du CRAOCA et Rédacteur en Chef du Bulletin ainsi que le Colonel hre Claude Gautier, auteur du texte, actuellement chargé des relations publiques du Musée Africain de Namur, pour nous avoir permis de publier un extrait de l'article 'Juin-juillet 1960. Les événements à Coquilhatville', paru dans Bulletin du CRAOCA 1997, n.4 Lundi 4 juillet 1960. Mardi 5 juillet 1960. NOTES (1) Le professeur Augustin Tshonga Onyumbe qui nous a envoyé les é1éments nécessaires pour 1'é1aboration de cette partie de notre travail soit remercié ici. |
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