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First manifestations of Kimbanguism in and around Mbandaka (1954-1959) /
by Honoré Vinck [in French only]
From: Revue Africaine de Théologie (Kinshasa) 20(1996)95-105
Beaucoup de mouvements syncrétiques se sont réclamés de Simon Kimbangu. Certains avaient
des liens effectifs (historiques ou personnels) avec le prophète connu sous ce nom ou avec le
mouvement originel de 1921. D'autres ont seulement été récupérés par le mouvement kimbanguiste
officiel lors de son organisation dans la deuxième moitié des années 50; d'autres ont disparu
ou ont été absorbés par des mouvements prophétiques semblables (Nzambe Malamu e.a.).
Le mouvement que nous voulons présenter ici appartient certainement à cette deuxième
catégorie. A notre connaissance, il n'a pas eu de lendemain et le kimbanguisme officiel de
Mbandaka ne s'y réfère pas. Mais il reste d'une certaine importance, car nous assistons ici à
un cas typique de mouvement syncrétique local avec une référence à un mouvement de portée
nationale qu'était déjà le kimbanguisme à cette époque. En outre, nous pouvons suivre ici tout
le déroulement de la réaction de l'Eglise et de l'Etat. Le décret provincial de dissolution du
mouvement sera le dernier du genre dans l'histoire de la répression des mouvements
prophétiques au Congo Belge.
Nous nous sommes basé sur les documents suivants:
- La correspondance du Père Hulstaert avec le Père J. Van Wing et avec Monseigneur H.
Vermeiren, Vicaire Apostolique de Coquilhatville.
- Le rapport fait par le Père Hulstaert, basé sur une enquête personnelle sur place et les
interrogations de plusieurs personnes impliquées dans l'affaire. Ce rapport était destiné à
l'évêque, mais a été également communiqué au Père Van Wing.
- Les rapports des enquêtes policières et les documents de l'Administration coloniale de
Coquilhatville, conservés au Building Administratif de Mbandaka, mais que nous avons
consultés sur microfilm à Madison (USA), nrs 348/5066.
Les événements présentés ici se situent dans une atmosphère d'expansion prospère des sectes
politico-religieuses de toutes sortes. La province de l'Equateur et principalement sa partie
centrale, le District de la Tshuapa, connaît une longue tradition en la matière, à commencer
par la révolte nativiste des Ikaya (1922). Surtout à cause de relégués d'Ekafela de tous bords
depuis 1940: kitawala, kimbanguistes, mpadistes, l'administration avait procédé à la
dissolution par décret des sectes suivante: les Bombomba (B.A.1938, 507); les Bakongo
(B.A.1021); les Kundima na kulinga (B.A.1946, 37); les Batisimo na lokofo (kitawala/B.A.
1946,847); les Mabele (B.A.1946, 884). Entre 1939 et 1942, Simon Mpadi passe deux fois à
Ekafela et est appréhendé à Coquilhatville (1). On raconte qu'en 1921, Simon Kimbangu, en
route vers la prison d'Elisabethville, passe à Ikengo, près de Coquilhatville et y fut
accueilli avec enthousiasme par la population (2). Plusieurs originaires de Mbandaka et des
environs ont été relégués pendant cette période (3).
La politique suivie à Mbandaka envers les sectes syncrétiques ne semble pas tout à fait la
même qu'à Kinshasa. Selon le témoignage d'un responsable kimbanguiste actuel, les débuts du
"véritable" kimbanguisme sont à situer en 1959, mais ils devaient se rassembler en cachette à
Basoko, car "les Belges ne faisaient pas la même choses qu'à Kinshasa où, depuis 1956 ou 1957,
c'était toléré"(4). Mais comme on le verra, selon le Père Hulstaert, en 1954, c'était plutôt
le contraire: on imputait plutôt un certain laxisme à l'administration à Coquilhatville (5)
1. LE CAS DE BANTOI EN OCTOBRE 1954
Bantoi est une petite bourgade au bord de la Ruki, à 10 km de Mbandaka et à une même
distance de la mission de Bamanya. Les habitants sont des Boloki, et donc des pêcheurs. Ils se
sont convertis au catholicisme peu après l'arrivée des Pères Trappistes. Déjà en 1898, on a
enregistré les premiers baptêmes. Bantoi était souvent pris ensemble avec Boyeka situé un ou
deux kilomètres plus en amont. C'est à Boyeka (souvent appelé Boangi), que les Trappistes
avaient implanté depuis le début du siècle ce qu'ils appelaient une "ferme-chapelle". En 1905,
presque tous les habitants y étaient catholiques (6). Le Père Supérieur de Bamanya visitait
souvent cette chapelle, mais à Bantoi, on avait également quelques activités locales avec leur
propre catéchiste et une chapelle. En mai 1954, on comptait à Bantoi 108 baptisés dont 36
enfants. Il y avait 6 mariages chrétiens réguliers et 7 qui étaient devenus polygames (7).
LES FAITS
Suivons le récit de G. Hulstaert:
"Vendredi 8 octobre 1954, Le Père Jef Jacobs allait à Bantoi pour les confessions. Vers
17h.15, il se trouvait chez le catéchiste dans sa maison quand un cortège sortit de la forêt
et passa à gauche et à droite de la maison d'Antoine Eleke. Le chef du cortège se dirigea tout
à coup vers le Père avec une expression d'un excité ou d'un fou, il prit la main, puis
l'agitait et jurait en flamand (…). Dans le cortège dominait la couleur blanche (…). Ils
continuèrent vers le fleuve. Le lendemain, le Père alla dire la messe dans le même village et
il rencontra à nouveau le chef avec son sourire étrange et son amabilité anormale. Peu
d'assistance à la prière, comme c'était déjà le cas depuis quelques temps sans que l'on en
connaisse la cause (…). Le dimanche, le catéchiste qui avait été à la messe à Boyeka, venait à
la mission et nous avions les premières informations: il parlait d'une prière des Bakongo et
de Simon Kimbangu et disait qu'on mentionnait souvent son nom (…). Mardi le 12 vers 17h.00,
j'accompagnais le Père Jacobs pour voir de près. Le village était silencieux. Nous nous
dirigeâmes vers le fleuve et rencontrâmes le chef. Il s'approchait de nous, calme avec son
sourire mystérieux et désagréable, montrant ainsi des dents dont les deux supérieures du
milieu manquaient. Il ne tentait pas de me serrer la main. Je l'abordais en français, qu'il
parlait difficilement, et je lui demandais quelques généralités: d'où il venait (Bakongo),
quel groupe (damba), je repris: "Donc en Angola", ce qu'il confirmait, mais il disait être né
ici, avoir été à l'école à Coquilhatville et travaille maintenant chez Manpeza. Cela était
faux comme on le saura après. Il doit avoir été boy jusqu'au moment où nous étions venus à
Bantoi (…). Après de longues recherches, on nous dit qu'il était tailleur chez Mr Tavares
(…)".
Ainsi est relatée la rencontre entre le Père Hulstaert et le chef du mouvement. Le rapport
continue avec la présentation de la doctrine et les événements qui ont abouti au décret. Il
nous servira de guide dans l'analyse doctrinale du mouvement.
LA POURSUITE DE L'ENQUÊTE PAR HULSTAERT
Le soir du mardi 12 octobre, en présence du Père Hulstaert et du Père itinérant, Jef
Jacobs, au milieu du village, on fait le discernement. Ceux qui voulaient rester fidèles
devaient se ranger du côté des Pères, les autres Disciples de la nouvelle foi pourraient
suivre leur chef. La plupart se rangent alors du côté des Pères, mais ceux-ci avaient
l'impression que c'était plutôt une manœuvre. Le chef se retira en catimini, mais le deuxième
personnage, qui se laissait appeler "Monseigneur", commença une dispute avec le Père
Hulstaert. Les jours suivants, on interroge le catéchiste, le chef de Boyeka et les écoliers
de Bantoi qui fréquentaient les écoles de Bamanya. Hulstaert écrit au Père Van Wing à
Bruxelles le 27 octobre 1954 et ajoute une copie de son rapport de 7 pages. Le 1er novembre ce
même rapport est envoyé à Mgr Vermeiren.
LA RÉACTION DE VAN WING
Le Père Van Wing, membre du Conseil Colonial, et qui avait été mêlé au mouvement
kimbanguiste dès le début (8), était l'homme à consulter. Le Père Hulstaert l'informait
régulièrement sur les événements marquants de la colonie.
Le 29 novembre, le Père Van Wing lui répond:
" Votre rapport sur l'affaire Bantoi ne laisse aucun doute: kimbanguisme à la manière de
ngunzisme de l'A.E.F. A en juger par certains détails, le mouvement doit avoir commencé à
recruter dans la région depuis plusieurs mois. Le secret a été levé; ils se manifestent déjà
en public, cela montre qu'ils n'ont plus peur. Comment contrecarrer? Le missionnaire doit être
partout, c'est-à-dire visiter tous les villages et travailler à admonester les fidèles. Bula
Matari doit faire réagir les chefs. Si on peut se confier à eux, on doit faire interdire par
les chefs toutes les réunions des kimbanguistes; on doit soutenir l'autorité des chefs par
tous les moyens. Administration et Sûreté ensemble sans démonstrations, doivent contacter les
chefs. Les chefs qui n'appartiennent pas à la chefferie doivent être éloignés. Si la mission
dispose d'un catéchiste en chef qui est courageux et intelligent, il devra parcourir la région
pour voir comment le mouvement est organisé; il ne doit faire son rapport qu'au Père et non
pas à Bula Matari. Cordialement, J. Van Wing".
Cette lettre ne laisse aucun doute: séparation des actions de l'Administration et de l'Eglise,
mais informations mutuelles; faire intervenir les chefs coutumiers et en général éviter toute
démonstration. Le Père Hulstaert essaiera de faire applique ce conseil, mais probablement en
vain, car il se plaint des méthodes intempestives de l'administration:
"Il s'agit maintenant de savoir s'ils seront assez rusés et intelligents pour suivre la bonne
voie, et éradiquer l'affaire (…). Ils n'ont pas voulu écouter mes conseils, sinon tous les
chefs seraient déjà en prison et toute l'affaire terminée. Mais un Administrateur Territorial
ne peut quand même pas accepter ce que dit un missionnaire" (G.Hulstaert à Van Wing,
25-12-1954).
Le 12 novembre, Hulstaert donne quelques compléments d'information à Van Wing. Nous les
insérons dans notre présentation systématique, mais ici nous citons sa conception de la
relégation:
"A propos de la secte ici, je pense à nouveau à la relégation. Je voudrais bien que cela soit
supprimé et remplacé par des lois qui défendent certaines activités subversives (à bien
déterminer) et appliqueraient certaines punitions ordinaires ou extraordinaires stipulées par
la loi ( par exemple enfermer dans un camp). Chaque fois qu'un nouveau mouvement voit le jour,
on devrait prévoir un décret par lequel la secte, l'action, etc. … tombe sous la loi générale.
Modalités à déterminer par les juristes. A mon avis, il faut éviter l'aspect arbitraire dans
la relégation (…). Si on réussit à faire passer, comme on le souhaite ici, au grand avantage
des colonialistes et des capitalistes, que la "tutelle"(hm) soit retirée à la magistrature et
cédée à l'administration du District, nous risquons de retourner à la période léopoldienne,
quod absolute avertendum est" (9).
LA RÉACTION DE L'ÉVÊQUE
Quand l'affaire Bantoi vint à la connaissance du Père Hulstaert, Monseigneur Vermeiren
était encore à Coquilhatville. Peu après, celui-ci partait pour l'intérieur. Mais Hulstaert ne
l'avait pas informé, car il estimait ne pas encore disposer d'informations suffisantes. Le 1er
novembre, il envoie son rapport à Monseigneur accompagné d'une lettre de deux pages et demie.
Il explique son retard et mentionne sa collaboration avec les fonctionnaires de l'Etat et la
consultation de Van Wing. Le 7 novembre, Hulstaert donne un complément d'informations à
Monseigneur. Il lui communique l'essentiel de la réponse de Van Wing et demande des
directives. Aucune réaction écrite n'est connue de la part de l'évêque, mais, dans une lettre
du 25 décembre à Van Wing, Hulstaert décrit les sanctions imposées par la mission à ceux qui
voudraient retourner dans le bercail: ils doivent d'abord réhabiliter leur catéchiste, après
ils devront abjurer la foi de la secte avant d'être à nouveau admis aux sacrements. Je suppose
que ces mesures ont été approuvées par Monseigneur.
Et effectivement, ils ont dû suivre une série d'instructions à la mission de Bamanya, durant
plusieurs mois. Ces instructions portaient essentiellement sur les hérésies et les faux
prophètes. Au terme de cette période d'épreuve, une grande session d'abjuration a eu lieu dans
l'église de Bamanya. Dans l'ancien fichier des chrétiens de Bantoi, nous trouvons encore
l'annotation pour une seule personne: "ne veut pas abjurer".
LA RÉACTION DE L'ADMINISTRATION
1. La collaboration entre la mission et l'État
C'est la mission qui, la première, a remarqué la secte et, après enquête, s'est décidée à
avertir le préposé à la Sûreté de l'Etat.
"Quand l'enquête avançait, je devais demander l'aide de Mr Warnant (10) que j'ai informé des
faits principaux. Pour le reste, cela resterait entre nous. Mais quand le chef et le chef de
Secteur commençaient à s'y mêler, nous avons craint que l'affaire se termine mal et avons
jugé, avec Mr Warnant, que, ensemble, nous devrions empêcher les chefs et donc aussi
l'Administrateur Territorial (12) de brusquer l'affaire. Alors Mr Wilsens (11) a été informé
par Warnant et l'Administrateur Territorial demanda aux chefs de rester tranquilles.
L'Administrateur allait s'informer de son côté et après on comparerait nos informations pour
arriver à une certitude. Mr Warnant a été ici la semaine passée pour cette affaire; depuis je
ne l'ai plus revu, et ainsi je ne sais pas où on en est. Mr Muller (13) a été informé par
Wilsens. Sic Warnant, car, à part lui et Flament, je n'ai vu personne".
Mais l'Administration laisse tomber la collaboration avec la mission. Hulstaert s'en plaint
comme nous l'avons vu.
2. L'enquête et les sanctions
L'Administration en la personne de Mr Flament, Administrateur Territorial, interroge le 20
novembre Antoine Eleke, fils de Bonsele et de Imbele, Yonga Angélique et Yambi Thérèse. Le 26
ou le 27, le meneur Paul Mbunga est arrêté et interrogé le 28/11. Le 25, Mr Flament avait
auparavant saisi dans la maison de Eleke: 1 robe blanche de Thérèse Yambi, 1 mouchoir de tête,
1 lettre de l'Armée du Salut adressée à Paul Mbunga, 1 bible, 1 livre de chants édité par les
missionnaires catholiques. Des perquisitions ont eu lieu aussi chez le capita Bolingo et chez
Bonsele, on trouve le tam-tam (lokole) utilisé pour la convocation à la prière.
De l'interrogatoire de Paul Mbunga, on savait qu'il séjournait depuis trois mois chez Eleke
dont il avait guéri la femme 2,5 ans avant. Il utilise un bâton pour ses guérisons. Les
raisons avancées pour la prédication de la nouvelle religion sont:
1. Le catéchiste catholique local est mal vu au village;
2. Paul Mbunga guérit les gens. L'interrogatoire finit avec l'expression du regret par le
principal coupable qui reconnaît: " C'est une bêtise et je désire reprendre mon travail chez
Tavares".
Le texte d'un chant a été trouvé:
"Nous autres Congolais, montrez la face de Simon Kimbangu,
Bénissez les enfants, purifiez les cœurs, honneur au Maître.
Maître créateur du monde, créateur des enfants.
En avant: que disparaissent et soient remplacés par le bien-être.
Pensez que sur la terre les chose fleurissent et meurent,
le feu (âme) de Mbunga Simon du mal et du bien.
L'union des Armées du Salut.
En avant les hommes guérisseurs.
Drapeau roi du Congo (Dalapo rua de Congo)".
Les 4 personnes sont arrêtées le 24-11 sur base du décret du 3-6-1904, article 1, par
l'Administrateur de Coquilhatville, Flament. Mais le Commissaire de District Assistant,
Monsieur Schollaert écrit dans son rapport:
"J'ai tout lieu de croire que ce mouvement pourrait constituer une cellule schismatique du
Kimbanguisme ou Ngunzisme et c'est pour cette raison que j'ai estimé devoir prendre une
décision suspendant provisoirement cette secte (29-11-1954). Si, jusqu'ici, je ne suis pas
parvenu à déceler une incidence politique quelconque, il est toujours à craindre la
(illisible) que ces mouvements finissent par provoquer chez leurs adeptes (…). Quoi qu'il en
soit, aucun fait infractionnel n'a été relevé à charge des indigènes arrêtés par
l'administrateur de Coquilhatville. Si d'autres éléments n'interviennent pas entre-temps, je
compte proposer à Monsieur le Commissaire de District Titulaire, dont le retour est attendu
pour le 4 ou 5 courant, de remettre ces gens en liberté". Le 2 décembre, Schollaert transmet
le dossier au Gouverneur.
ANALYSE SYSTÉMATIQUE
1. Origine
En juillet 1952, une jeune fille est guérie dans une nganda de Bantoi, Kanga, sur
l'Ikelemba, par (Georges?) Ndambola originaire de Basankusu, mais habitant Isia, un poste de
bois à l'embouchure de l'Ikelemba. La condition liée par le guérisseur à cette guérison était
l'abandon de la foi catholique et l'adhésion à la sienne.
Le "guérisseur" n'aura des contacts que par après avec Bantoi. Le véritable chez du mouvement
était un mukongo, Paul, tailleur chez Mr Tavares à Coquilhatville. Il séjournera souvent à
Bantoi pendant les événements, ayant quitté son service. Un personnage local, qui se fait
appeler "monseigneur", a aussi un rôle de direction.
2. Adeptes
Vers le 17 octobre, lors de l'enquête faite par la mission, les adeptes représentaient une
cinquantaine de catholiques adultes sur les 72 que mentionnent les statistiques de mai 1954;
une vingtaine sont donc restés fidèles ( plusieurs vieux et presque toutes les veuves). Lors
de la fête du 26 au 31 octobre, on assiste à une affluence de plusieurs centaines de personnes
avec des gombe et plusieurs "étrangers" (e.a. de Waka/Basankusu? et de Boleke sur la Ruki?).
Le Kapita de Bantoi fait également partie des adeptes.
3. Doctrine et rites
La foi propagée par les prêtres catholiques ferait mourir le peuple (souvenons-nous de la
"dénatalité mongo" à son comble à cette époque). La nouvelle foi, qui est un retour à la foi
des ancêtres, guérit, écarte ma mort et fait même ressusciter les morts. Les chefs manient la
Bible (protestante) en sa version lomongo. Ils auraient aussi un "livre de Simon". Mais ce
dernier n'a pas été vu par le Père Hulstaert.
Plusieurs termes circulent dont deux ont été notés: buta et ntefo. Le Père Hulstaert explique
buta comme probablement déduit de buta, saisir ou mbutsi (même radical): possession
(Dictionnaire lomongo-français, 1340) dans le sens d'être "saisi", "possédé" par les esprits.
Mais il n'est pas exclu qu'un mot kikongo en soit la base. Ntefo ou ntefa (D.1948) est une
sorte de possession donnant l'esprit de prophétie ( bont'oa tefutefu, un homme emporté.
Tout se joue principalement dans la forêt, pendant la nuit, ou au cimetière. Le non-initié ne
peut s'approcher sous peine d'être rossé. On porte des habits blancs.
Les rites d'admission commencent également par une volée de coups. Ensuite le ntefo annonce
des fautes (péchés) du candidat qui ajoute les oublis. On juge de sa dignité. On l'embaume de
balasa (D55; parfumerie, mot du kiswahili). Ensuite, on impose les vêtements blancs et on
l'immerge dans le fleuve.
Il y a des processions fréquentes, en vêtements blancs, bougies en mains, du village au
fleuve. Le "monseigneur" porte une imitation des vêtements épiscopaux.
Une sorte de messe a lieu parfois sur la termitière. On connaît le crucifix, la génuflexion,
le chant de l'alleluia. Certains chants sont en kikongo. Ils connaissent un rite de
bénédiction du mariage et admettent la polygamie. Dans leurs prières, ils invoquent "jamé
Salî", (Salî: Salut/ Armée du Salut) et Simon Kimbangu.
Comme tabous alimentaires sont mentionnés le bosaka (huile de palme), les bekai (légumes) et
les banganju (feuilles de manioc) que l'on ne peut manger le dimanche.
Ces quelques données élémentaires suffisent pour situer le mouvement. Il est clair qu'il n'est
pas tout à fait à son début, car il existe un certain nombre de rites et de croyances bien
connus.
Il montre toutes les caractéristiques d'un mouvement syncrétique:
- Eléments chrétiens: crucifix, génuflexion, alleluia, baptêmes (immersions, c'est-à-dire
, selon la pratique protestante de la région), la Bible, imitation de la messe, imitation
des habits d'un évêque catholique, bougies.
- Eléments traditionnels: interdits alimentaires, terminologie ( mbuta, ntefo), guérisons,
inculpation, importance de la termitière et du cimetière, de mouvement nativiste: la foi
nouvelle est le retour à la foi des ancêtres.
- Eléments de ngunzisme et/ou kimbanguisme, invocation du nom de Kimbangu dans les
prières, mention de l'Armée du Salut, ( depuis 1934 en collusion avec le
ngunzisme/kimbanguisme à Kinshasa), le "livre de Simon", les vêtements blancs.
Au niveau de nos informations actuelles, nous devons dire que le mouvement s'est vite
éteint avec l'intervention de l'Etat et l'action de l'Eglise. Pratiquement, tous ont participé
à l'abjuration publique dans l'église de Bamanya quelques mois après.
Les Kimbanguistes actuels de Mbandaka ne semblent pas connaître ce mouvement. En tous cas, ils
ne s'y réfèrent pas lorsqu'ils parlent de leurs débuts à Mbandaka (14). Les habitants actuels
de Bantoi se souviennent encore de l'affaire, mais il n'y a aucun kimbanguisme au village. En
1979, j'ai effectué sur les lieux une enquête à ce propos; j'y ai dit plusieurs fois la messe
devant une assistance normale. Etait-ce alors un mouvement kimbanguiste? Je pense qu'à cette
époque, une organisation autour du fils de Kimbangu avait à peine commencé à Kinshasa.
Mais plusieurs éléments sont là pour classer le mouvement dans l'orbite de l'influence du
kimbanguisme: lien principal est le rôle essentiel joué par un Mukongo et leur propre
conscience d'appartenir à ce mouvement connu en invoquant le nom de son fondateur et en
insérant plusieurs éléments caractéristiques.
2. LE KIMBANGUISME A IYONDA EN 1959
Quatre ans plus tard, on retrouve dans les environs de Mbandaka, à la léproserie d'Iyonda,
un mouvement semblable, toujours plus ou moins dans la clandestinité. C'est Graham Greene dans
son roman: Burnt-out Case, qui nous en livre quelques éléments. Est-ce la description d'une
réalité ou est-ce un produit de l'imagination du romancier? Il reste un doute, car, dans le
journal de son séjour à l'Equateur: A Search of a Caracter, il ne mentionne pas le cas qu'il
décrit à deux reprises dans son roman. Il n'est pas exclu qu'il ait eu des informations du Dr
Lechat, médecin de la léproserie, qui avait séjourné au Bas-Congo. Nous mentionnerons ici deux
extraits de La Saison des pluies (version française de Burnt-out Case) (15).
Query va à la recherche de son boy Deo Gratias qui a disparu depuis quelques jours. Il le
retrouve agonisant dans la forêt. Dès son retour, il raconte le cas à Collin, docteur à la
léproserie. Alors celui-ci ajoute: "Beaucoup de gens ont quitté la léproserie voici trois
nuits. Ils sont presque tous revenus. Je suppose que quelque sorcellerie est en cours. Deo
Gratias s'est mis en route trop tard et n'a pu les rattraper.
- Je lui ai demandé quelles étaient les prières. Il m'a dit qu'ils priaient Yezu Klisto et
quelqu'un qu'ils appellent Simon. S'agit-il de Simon Pierre?
- Non pas tout à fait. Les Pères pourraient vous renseigner sur ce Simon. Il est mort en
prison voici bientôt vingt ans. Ils croient qu'il ressuscitera un jour. C'est un christianisme
bizarre que nous avons ici, mais je me demande si les apôtres ne s'y trouveraient pas mieux
que dans les œuvres complètes de Thomas d'Aquin".
"Personne ne s'inquiétait de ce qu'un petit groupe dissident qui n'avait rien de commun
avec la tribu locale, se tint à l'écart pour chanter ses propres hymnes. Seul le docteur qui
avait jadis travaillé dans le Bas-Congo, les reconnut pour ce qu'ils étaient: des agitateurs
venus de la côte, à plus de mille kilomètres de là (…)."
Dans le Haut-Congo, ils ne savent rien
Au ciel, ils ne savent rien
Ceux qui insultent l'Esprit ne savent rien
Les chefs ne savent rien
Les blancs ne savent rien
A Kinshasa, ils ne savent rien
E su Luizi ka bazeyi ko
A Luozi, ils ne savent rien
E su Luizi ka bazeyi ko …
L'orgueilleux chant de supériorité se poursuivait: supériorité à leur propre peuple, à
l'homme blanc, au dieu des chrétiens, à tous les humains en dehors de leur propre groupe de
six, tous coiffés de casquettes à grandes visières qui portaient la publicité de la bière
Polo".
ANNEXE
Texte de décret de dissolution de Bantoi. Bulletin Administratif, 1955, p. 210
"Vu le rapport établi en date du 23 novembre 1954 par l'Administration du Territoire de
Coquilhatville et les considérations émises par le Commissaire de District dans sa lettre n°
21/3943 E 5 du 2 décembre 1954;
Considérant que le mouvement identifié au village de Bantoi (groupement Boloki, secteur de
l'Equateur) sous le nom de Djambe Sale, alias Dalapo Rua di Congo, s'apparente aux
associations connues sous le nom de Ngunzisme, Kimbanguisme, Bantu ba Simon (16);
Que les associations précitées dissoutes dans les provinces où elles manifestent leurs
activités, celles-ci ayant été jugées subversives, ne l'ont pas été jusqu'ici dans le province
de l'Equateur;
Arrête:
L'Association Kimbanguisme, appelée aussi Ngunzisme, Batu ba Simon, Djambe Sale, Dalapo Rua di
Congo(16) est dissoute dans toute l'étendue de la province de l'Equateur."
Coquilhatville, le 30 décembre 1954.
"Muller"
NOTES
1. M. Mbasai, Simon Pierre Mpadi. Etude biographique, dans Cahiers des Religions Africaines
(1981) n°15, p.103-126; et B. Verhaegen, Documents Simon Mpadi. Crisp n°80-81 (15-10-68)
2. S. Asch, Etude socio-démographique de l'implantation et de la composition actuelles de
la congrégation kimbanguiste (Zaïre), dans Les Cahiers du CEDAF (1982) 1-2, p. 47-51
3. Ibid.
4. Ibid.
5. G.Hulstaert à Van Wing 25-12-1954. La correspondance Hulstaert-Van Wing:
Hulstaert-Vermeiren est conservée dans les Archives Aequatoria à Bamanya.
6. Het Missiewerk (Westmalle) 1906, p.12-16. Sur les Boloki; et G. Hulstaert, Aux origines
de Mbandaka, dans Annales Aequatoria 7 (1986), p.103-113
7. Rapport de voyage du Père Itinérant de mai 1954. Archives diocésaines de Mbandaka
8. J. Van Wing, Le kimbanguisme vu par un témoin, dans Zaïre 12(1958), p.563-618, et: Les
mouvements messianiques populaires dans le Bas-Congo, dans Zaïre 14(1960), p.225-237
9. A propos de la relégation, voir G. Hulstaert dans Annales Aequatoria 13(1992), p.
538-545. Hulstaert avait déjà présenté cette thèse lors de la réunion d'octobre 1953 de la
Commission pour la protection des indigènes".
10. Eugène Warnant(1910), Commissaire à la Sûreté à Coquilhatville
11. Raymond Flament (1897), Administrateur de Territoire
12. Marcel Wilsens (1901), Commissaire de District
13. N. J. Muller, (1903), Commissaire provincial et Gouverneur ff. fin 1954-1955
14. S. Asch, Art.Cit.
15. G. Green, La saison des pluies, Paris, 190, p.91-92; Burnt-out Case, Perguin books, p.
58-59; 173-174
16. Batu ba Simon: Bato ba Simon: les hommes de Simon (Kimbangu). L'appellation "Banto ba
Simo" était encore en usage dans les années 70 pour désigner les kimbanguistes. Djamba Sale: N
jamé Salî (dans le rapport Hulstaert): Armée du Salut (ou Dieu de l'Armée du Salut?); Dalapo
rua di Congo: la foi des Bakongo |
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