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Full Texts > Bantu Philosophy > Critical Edition
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LA PHILOSOPHIE BANTU de Placide Tempels;
Augmentée du huitieme chapitre inédit; Avant-propos et Edition critique de la Traduction française par le Prof. Emer. A.J. SMET C.P. (c) 2001


ABREVIATIONS

AVANT-PROPOS  (A.J. Smet) (English translations provided by Delfin Tuna)


CHAPITRE I : A LA TRACE D'UNE PHILOSOPHIE "BANTU"

CHAPITRE II : L' ONTOLOGIE DES BANTU

CHAPITRE III : LA SAGESSE ET LA DOCTRINE DE LA CONNAISSANCE DES BANTU

CHAPITRE IV : "LA DOCTRINE DU MUNTU" OU PSYCHOLOGIE DES BANTU

CHAPITRE V : ETHIQUE DES BANTU

CHAPITRE VI : RESTAURATION DE VIE

CHAPITRE VII : LA PHILOSOPHIE BANTU ET NOUS, LES CIVILISATEURS

CHAPITRE VIII : PLAIDOYER POUR LA PHILOSOPHIE BANTU

ANNEXE

BIBLIOGRAPHIE

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Abréviations (cfr aussi Avant-Propos, p. iii-iv):

Ae : Moeten we op zoek naar een Bantufilosofie? dans Aequatoria 7 (1944) = chap.I.

Ba : Bantu-filozofie, dans Band 4 (1945-46) = II-VII.

Po : La Philosophie bantu, traduction de E. POSSOZ, 68 p. dact.

Bu : A la trace d'une philosophie bantoue, dans Bulletin des Juridictions indigènes 13 (1945) = traduction de Ae.

E : La Philosophie bantoue. Traduit par A. RUBBENS. Elisabethville, Ed. Lovania, 1945. = traduction et révision de Ae (proche de Bu) et de Ba.

A: Bantoe-filosofie (Oorspronkelijke tekst). Antwerpen, De Sikkel, 1946 = révision par Tempels de Ae et Ba.

Ms : Manuscrit comprenant une révision de la traduction française de Rubbens par Tempels sur un exemplaire de E.

P : La Philosophie bantoue. Paris, Présence africaine, (1949), 128 p.; 2 éd. (1962); 3e éd. (1965)
= reprend la révision du texte français de E suivant le Ms.

add.:(addidit), addition, texte ajouté

del.:(delevit), texte biffé

om.:(omisit), texte omis ou absent

rat.:(ratura), rature

CERA: Centre d'Etudes des Religions Africaines, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa

FCK: Facultés Catholiques de Kinshasa (cfr FTCK)

FTCK: Faculté de Théologie Catholique de Kinshasa, devenu plus tard FCK

Mélanges: Mélanges de Philosophie Bantu, Wezembeek-Oppem, 2000

Plaidoyer: Plaidoyer pour la philosophie bantu et autres textes, Kinshasa, 1982

RAT:Revue Africaine de Théologie, Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa

RPA:Recherches Philosophiques Africaines, Collection des Facultés Catholiques de Kinshasa, Kinshasa

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Avant-propos  (A.J. Smet) (English translations provided by Delfin Tuna)

Le 6 juin 1944, le Père Placide Tempels inaugurait ses publications sur la philosophie bantu, par un texte en néerlandais, sitôt traduit sous le titre: A la trace d'une philosophie bantoue. C'était le début de toute une série de publications par Tempels sur ce sujet [1]. En voici la liste.

On June 6th 1944 Father Placide Tempels started his publications on Bantu philosophy with a Dutch text, which was translated right away under the title: "Tracing Back Bantu Philosophy". This was the first of an entire series Tempels would publish on this topic. Here is the list:


Les textes néerlandais et les traductions françaises - The texts in the Dutch and the French translations

Ae: Moeten we op zoek naar een Bantufilosofie? dans Aequatoria 7 (1944) p.143-151. (Kamina, le 6-6-1944) = actuel chap.I.

Ba : Bantu-filozofie, dans Band 4 (1945), p.60-73, 93-102, 267-274, 378-386, 413-422; 5 (1946), p.19-28. (Kamina, 22-6-45) 6 chap. = actuels chap.II-VII; nommé plus tard "brouillon".

PoLa : Philosophie bantu, traduction de E. POSSOZ, archives des Franciscains, Sint-Truiden, 68 p. dact., inédit; = ch. I à VI sans l'actuel chap. VII = traduction et révision partielle de Ae et Ba.

BuA : La trace d'une philosophie bantoue, dans Bulletin des Juridictions indigènes 13 (1945) n.5, p.123-129. (Kamina, le 6-7-1944) = nouvelle traduction de Ae.

Ela : Philosophie bantoue. Traduit du Néerlandais par A. RUBBENS. Elisabethville, Ed. Lovania, 1945, 152 p. (Préface de E. POSSOZ; achevé d'imprimer, le 17 oct. 1945) = traduction et révision de Ae (proche de Bu) et de Ba [2].

A: Bantoe-filosofie (Oorspronkelijke tekst). (Kongo-Overzee Bibliotheek, 4). Antwerpen, De Sikkel, 1946, X-115 p. = révision de Ae et Ba (surtout du chap.II) avec l'aide du Prof. A. Burssens [3].

Ms : Manuscrit comprenant une révision plus profonde de la traduction française de Rubbens par Tempels sur un exemplaire de E; imprimatur, Malines, le 27 juillet 1948.

Pla : Philosophie bantoue. Traduit du néerlandais par A. RUBBENS. Paris, Présence africaine, (1949), 128 p.; 2 éd. (1962); 3e éd. (1965), 126 p. Introduction par Alioune DIOP (1947) = reproduit principalement la révision du texte français de E suivant le Ms.

S : Philosophie bantu. Introduction et révision de la traduction de A. RUBBENS sur le "Texte original" par A.J. SMET. (Cours et documents, 2). Kinshasa, FTC, 1979, (26)+182 p. pro manuscripto = révision de P à partir de A et du Ms.

L'impact des idées de Tempels fut énorme. Il suffit de consulter les recueils bibliographiques de cette période pour s'en convaincre que ce livre a longtemps orienté la production philosophique sur l'Afrique des Africanistes et des Africains eux-mêmes [4].


En vue de la catéchèse

Comme le remarque le P. Hansen, avec sa Philosophie bantu, Tempels est entré dans la philosophie et même dans l'ethnologie [5]. Pourtant, en écrivant ce livre, il n'avait pas de visées philosophiques proprement dites, comme il apparaît d'Une dernière remarque, à la fin du premier chapitre: "Le classement de concepts philosophiques des Bantu n'a eu lieu qu'après l'adaptation de nos concepts religieux, de notre catéchèse à ce qui est valable en leur philosophie" [6].

Bien que moins connue la Catéchèse bantoue était sans aucun doute un ouvrage pionnier de la théologie de l'incarnation qui cherche à inculturer la Révélation chrétienne en adaptant les concepts religieux au savoir bantu. Plus tard Notre rencontre et nombre d'autres écrits catéchétiques de la Jamaa seront étudiés par Mgr Tshibangu dans un chapitre intitulé: Pour une recherche approfondie: Expression d'une "théologie" africaine vécue: Le cas du Mouvement "Jamaa" dans le catholicisme au Zaïre [7].

Encore faut-il rappeler que les conceptions catéchétiques et philosophiques du P. Tempels sont, en partie, le fruit de ses propres études ethnologiques dont témoigne son oeuvre inédite comprenant des recueils et des enregistrements de chansons populaires, de proverbes et de devinettes. Le P. Tempels a sans doute songé un moment de les éditer, comme le prouve un article sur les devinettes au Moyen-Katanga et une introduction inédite de l'ensemble des devinettes, où il dit: "Dans ses devinettes comme dans ses fables et ses proverbes, le Noir nous livre inconsciemment une image naturelle, fidèle et authentique de ce qu'il est et de ce qu'il pense intimement. Chaque devinette est une sorte d'instantanée, vu par l'oeil du Noir lui-même" [8].

For the sake of catechism

As P. Hansen has pointed out before, with his Bantu Philosophy, Tempels has asserted himself in the world of Philosophy and even Ethnology. However, while writing this book, he did not officially declare a philosophical goal, as it is understood from one final remark at the end of the first chapter: "The classification of the philosophical concepts of the Bantus took place only after the adaptation of out religious concepts, our catechism to what is considered valid in their philosophy."

What was even less known than the Bantu catechism was without a doubt the pioneering publications of incarnation theology that sought to inculturate the Christians revelation through adapting religious concepts to Bantu knowledge. Afterwards, our encounter and a number of other religious "writings from Jamaa will be studied by Mgr Tshibangu in a chapter titled: For a deeper research: Expression of a witnessed African "theology": The Case of the "Jamaa" movement in the Catholicism of Zaire.

It should be remembered that the catechistic and philosophical approaches of P. Tempels are partly the result of his own ethnological studies, which is reflected in his original work where he covers anthologies and recordings of popular songs, proverbs and riddles. Surely, P. Tempels intended to edit these one day, as an article on the riddles in Middle-Katanga and an unpublished introduction on a collection of riddles, where it says "The Black unconsciously delivers a natural, true and authentic account of his thoughts in his riddles as much as he does in his fables and proverbs. Every riddle shows an impression of the world seen through the eyes of a black man."


L'historique de la Philosophie Bantu

L'historique de La philosophie bantu n'est pas sans importance pour en comprendre le sens et la signification. Près de dix ans avant la publication de ce livre, Tempels s'occupait de catéchèse qu'il voulait "adapter" et longtemps après ce livre, il continuera cette préoccupation pour aboutir à des écrits de spiritualité comme Notre rencontre [9].

Une rencontre apparemment fortuite avec Monsieur Emile Possoz [10] a amené Tempels à la publication de ses recherches. En effet, dans une lettre du 6 juin 1944 au P. Hulstaert, le P. Tempels écrit que ce fut par hasard qu'il était entré en relation avec Possoz à l'hôpital d'Elisabethville, vers le début de 1943: "Possoz avait appris qu'il y avait à la clinique de la ville un Père qui était lui aussi à la recherche de la philosophie des Noirs. Il alla le visiter et eut ainsi avec le P. Tempels une première longue discussion. Cette rencontre sera suivie d'une abondante correspondance dont les premières lettres (conservées) datent de juillet 1943. Ayant lu, encore à l'hôpital, les Eléments de Droit coutumier nègre, Tempels estima qu'en matière d'ontologie, Possoz avait pénétré la mentalité des Noirs plus profondément que tous les auteurs antérieurs" [11].

Possoz avait encouragé le P. Tempels à poursuivre ses études et à les publier. Une étroite collaboration s'installe entre eux. Comme Tempels écrivait en néerlandais, il envoyait son texte à Possoz pour lecture et traduction, chaque fois qu'un chapitre de sa Philosophie bantu était achevé. C'est aussi Possoz qui traduisait les articles que Tempels envoyait à L'Essor du Congo [12].

History of Bantu Philosophy

The importance of the history of bantu philosophy should not be overlooked in understanding its sense and meaning. Almost ten years before the publication of this book, Tempels worked on the catechism in order to adapt it, and even after a long time after the book he would continue this work in order to finish these spiritual texts.

Furthermore, it appears that a beneficial encounter took place between Mr Emile Possoz and Tempels which encouraged Tempels to publish his researches. In fact, in a letter dated 6 June 1944 to P Hulstaert, Tempels wrote that he met Possoz completely by chance at the Elisabethville hospital, in the beginning of the year 1943: " Possoz had found out that there was a priest who also researched the philosophy of the blacks at the hospital. He went to pay him a visit, which resulted in their first long discussion. This meeting would be the beginning of an abundant correspondence, of which the earliest preserved letters date back to the juLY OF 1943. Having read the Elements of Customary Law of the Blacks at the hospital, Tempels estimated that in regards to the ontology, Possoz had grasped the mentality of the Blacks more profoundly than than all others before him.

Possoz had encouraged P. Tempels to follow up on his studies and to publish them. A close collaboration started between them. Since Tempels wrote in Dutch, he would send his writings to Possoz to be read and translated each time he completed chapter of Bantu Philosophy. Possoz also translated the articles Tempels sent to L'Essor du Congo (a newspaper).


La traduction de E. Possoz

La première traduction française de la Philosophie bantu est donc de la main d'Emile Possoz (Po). On peut dès lors s'en étonner que ce n'est pas cette traduction qui a été publiée en 1945.

Une des raisons en est que Possoz était un personnage un peu bizarre. Il était spécialiste du droit indigène congolais, Black minded à tort et à raison, et, en tant que ami de jeunesse du futur Cardinal Cardijn, promoteur de l'action catholique à la limite de l'anticléricalisme. On lui reprochait 'des idées erronées et extravagantes'. Ainsi il était Persona non grata pour Mgr Dellepiane, Délégué apostolique et Mgr de Hemptine, Vicaire apostolique d'Elisabethville [13].

Une deuxième raison est sans doute le fait que la traduction de Possoz est très littérale et, en conséquence, parfois incompréhensible. En plus, cette traduction donne, en note et même parfois dans le texte, des illustrations qui n'ont pas de correspondant néerlandais et semblent provenir de Possoz lui-même [14]. Cette traduction française reste toutefois un témoin important de la première rédaction de Philosophie bantu. Nous en avons préparé l'édition [15].

Translation by E. Possoz

The first French translation of Bantu philosophy was carried out by Emile Possoz. However, as surprising as it may seem, the first translation to be published in 1945 was not his.

One of the reasons for this was that Possoz was of a bizarre character. He was a specialist of Indigenous Congolese law, "Black minded" to a fault as well as a friend of the future cardinal Cardijn, promoter of the Catholic action to the point of anticlericalism. He was accused of holding wrong and extravagant opinions. He was even declared "Persona non grata" by Mgr Dellepiane, apostolic delegate, and Mgr de Hemptine, apostolic vicar of Elisabethville.

Another reason was that the translations of Possoz were very literary which would at times make them incomprehensible to some.What is more, these translations illustrated certain ideas that did non correspond to the Dutch version, which seemed to belong to Possoz himself. However, this French translation remains an important witness to the first edition of Bantu philosophy all the same.


La traduction de A. Rubbens

Au moment où Tempels a présenté cette traduction de Possoz pour l'éditer, il a rencontré une forte opposition: s'étant tourné vers l'avocat progressiste Antoine Rubbens, celui-ci a préféré faire une nouvelle traduction (E) [16], sans nul doute influencée par celle de Possoz; elle fut publiée avec une Préface de Possoz, que, par loyauté, Tempels n'a pas voulu supprimer [17].

Comme le remarque Hansen, Rubbens a rendu le texte plus "lisible", aussi en ce qui concerne la terminologie et plus acceptable pour les coloniaux [18]. L'exemplaire du texte néerlandais qu'il a traduit: (Ae et Ba), présentait probablement déjà quelques corrections apportées par Tempels lui-même. Mais, comme on peut lire dans ses lettres à Possoz, Tempels n'était pas heureux de cette traduction trop libre de Rubbens [19] et il propose à Possoz de revoir sa propre traduction [20] et les soi-disant "corrections" et "histoires curieuses" autour de ce livre [21], et surtout aussi l'exégèse que lui, Possoz, en faisait continuellement en y introduisant ses propres théories [22].

The translation by A. Rubbens

The moment Tempels presented the translation of Possoz to be edited, it faced a strong opposition. Thus, he turned to the progressive lawyer, Antoine Rubbens who wanted to make a new translation which would surely still be influenced by that of Possoz. The translation ended up being published with the preface Possoz had written originally as Tempels did not want to take it out for the sake of loyalty.

As confirmed by Hansen, Rubbens makes the text more "readable" both in the sense of terminology and what is considered more acceptable by the colonial culture. The dutch text he translated (Ae and Ba) likely already had certain corrections by Tempels. However, according to his letters to Possoz, Tempels was not happy with the excessively liberal translation of Rubbens and suggests that Possoz should revisit his own translations and the so called "corrections" and "curious stories" surrounding the book and above all, the exegesis that Possoz had continuously carried out while introducing his own theories.



Le "texte original"

Voilà autant de raisons pour Tempels de revoir, avec l'aide du Prof. A. Burssens, le "brouillon" de son texte néerlandais publié dans Band (Ba) et de l'éditer comme Texte original (A) [23], le considérant comme l'unique texte authentique et base de la révision de la traduction française de Rubbens, édité en 1949 par Présence Africaine (P), qui est pourvue d'une nouvelle Introduction par Alioune Diop. Apparemment, la traduction n'a pas beaucoup changé, mais on n'a pas tardé à constater que "le texte en est par endroits assez profondément modifié sans qu'aucun avertissement en soit donné au lecteur" [24].

The "original text"

Thereby, there were enough reasons for Tempels to revisit the draft of the dutch text that was published in the Band (Ba) and edit it as the original text. He considered it to be the only authentic text and the basis of the revised French translation of Rubbens, edited in 1949 by "Presence Africaine" (P). The text was also accompanied by a new introduction by Alioune Diop. Apparently, the translation did not change drastically, however it should be stated that "in certain parts, the text is too heavily modified to not include a disclaimer for the reader"


Un exemplaire corrigé (Ms)

Le Père Tempels m'a confirmé oralement qu'il est lui-même l'auteur de la révision de la traduction de Rubbens. Comme preuve, il me présentait un exemplaire de la première édition (E) corrigée par sa main. Cet exemplaire corrigé (Ms), porte l'imprimatur autographe de L. Suenens, vicaire général, donné à Malines le 27 juillet 1948 [25].

En réalité, le Père Tempels a revu assez profondément son texte, sans pour autant recourir toujours à une confrontation de la traduction avec son "texte original" néerlandais (A). De nombreuses corrections mineures ont été apportées à l'encre, entre les lignes ou en marge du texte. Des corrections plus importantes et des ajoutes, sont écrites à l'encre ou tapées à la machine sur des feuillets volants de tout format. Des pages entières ont été remplacées, dont l'exemple le plus frappant est la section 4 du chapitre II, "L'ontologie des Bantous" [26].

A corrected copy

Father Tempels assured me in person that he himself was the author in charge of the revision of Rubbens' translation. As a proof, he brought me a copy of the first edition (E) he had corrected by hand. This corrected copy (Ms) carries the autograph of L. Suenes, General Vicar, approving the publication of the book dated 27 July 1948.

In reality, Father Tempels has reviewed his text deeply without resorting to a confrontation with the "original" dutch text. Numerous minor corrections had been marked in ink, in between the lines or the edges of print. The more important corrections and additions had been written in ink or typed on the typewriter on loose pages of all types. Certain pages have been replaced entirely, of which the most striking example is the fourth section of Chapter II, named "The Ontology of Bantus".


Les éditions de Présence Africaine

Cet exemplaire corrigé (Ms) a servi de base de l'édition de Présence Africaine: La philosophie bantoue (P). Toutefois, les indications et corrections du Ms n'ont pas toujours été suivies fidèlement; ainsi par exemple, au premier chapitre, vers la fin du premier paragraphe, l'édition de Présence africaine a conservé le terme "atavisme" qui, dans l'exemplaire corrigé (Ms), a été biffé et remplacé par "sagesse traditionnelle", traduction exacte de l'original néerlandais [27].

Cet exemplaire corrigé nous a servi de contrôle de l'édition de Présence africaine pour une première révision que nous avions préparée en 1979 (S).

The "Presence Africaine" editions

This corrected copy (Ms) became the basis of the "Presence Africaine: Bantu Philosophy" (P) edition. However, the suggestions and corrections of Ms have not always been strictly followed; for instance, in the first chapter, towards the end of the first paragraph the edition of presence Africaine has kept the the term "atavism" which, in the corrected copy (Ms) has been stirred out and replaced by "traditional wisdom" which is its exact translation from the original Dutch version.

This corrected copy has served as a basis in the revision we had prepared of the Presence Africaine edition in 1979.



Le huitième chapitre

Le dernier et huitième chapitre de la Philosophie bantu était resté inédit [28]. Dans une lettre du 10 nov. 1947, le P. Tempels écrit à E. Possoz: "C'était ce chapitre dont la traduction par Rubbens n'était pas terminée, le jour de l'entrée du manuscrit à l'imprimerie. Le même que j'ai envoyé plus tard ici <en Belgique> à Malines et qui m'a été retourné sans Imprimatur" [29]. En restituant ce chapitre à l'ensemble de la Philosophie bantu, nous croyons réaliser le projet initial du P. Tempels.

The eighth chapter

The last and final chapter of Bantu philosophy remains unpublished. In a letter dated 10 November 1947, Father Tempels has written to E. Possoz "Rubbens did not finish the translation of this chapter in time for when the book went into print, and the one that I sent in later to Malines (in Belgium) was returned to me without an "imprimatur". We believe that we are realizing Father Tempels' initial project by restoring this chapter to the collection of Bantu.


Une édition critique

Dans ce contexte, la traduction incomplète de Possoz (où manque le chapitre VII), faite à partir de Ae et Ba, nommés "brouillon" par Tempels, se prête difficilement de base solide à une édition critique du livre de Tempels [30]. Une édition pareille demande une confrontation plus poussée de toutes les éditions proposées au début de cet Avant-propos.

La présente édition veut d'abord clairement indiquer toutes les corrections et ajoutes apportées par Tempels dans le Ms, l'exemplaire corrigé de la traduction de Rubbens de 1945 (E), qui a servi de base à l'édition de Présence Africaine (P). Notre révision suit les principes suivants.

Le texte de base est celui de P, lui-même basé sur le Ms. En cas de divergence entre le Ms et P, c'est la lecture du Ms qui est reprise avec en note le texte de P. Toutes les corrections apportées par Tempels dans le Ms sont reproduites en italiques, avec en note le texte de E de quelque importance. Les ajouts et les modifications plus importantes apportés par Tempels sont placés entre crochets <en italiques>: sans note, en cas d'accord entre le Ms et P, avec en note les autres témoins si P ne suit pas la correction du Ms.

La confrontation de P avec Po et leurs bases néerlandaises: Ae (chap.I), Ba (chap.II-VII) et A (chap.I-VII), justifie certaines corrections de la traduction. Elles sont mentionnées en note, avec entre parenthèses (...) le témoin néerlandais, suivi de la lecture de P.
Les textes imprimés en romains entre crochets pointus <...> donnent la traduction des passages de Ae, Ba et/ou A qui ne sont pas traduits en E et/ou P.
Les passages de E et/ou P qui n'ont pas de correspondants en dans les autres témoins: qui ne figurent donc pas dans Ae, Ba, A et/ou Po, sont repris en note [31].

L'orthographe des termes africains a été unifiée, et respectée, par ex.: muntu (homme), bantu (hommes), au lieu de mountou(e) et bantou(e)s, sauf dans les citations où nous gardons l'orthographe du texte cité. Le titre du livre: Philosophie bantu, sans l'article défini (la), rend plus exactement le titre original néerlandais (cfr Ae, Ba, Bu, et A).

La présente édition reprend aussi toutes les notes infrapaginales des éditions néerlandaises et françaises.

A critical edition

In this context, the incomplete translation of Possoz (where the 8th chapter is missing) is a part of Ae and Ba, which is referred to as a "draft" by Tempels, hardly makes for a solid basis for a critical edition of Tempels' book. Such an edition would require a far more thorough confrontation of all the proposed editions at the beginning of this foreword.

Before anything, the current edition tries to point out all of the corrections and additions of Tempels in the Ms, the corrected copy of Rubbens' translation from 1945, which served as a basis for the Presence Africaine edition (P). Our revision observed the following principles.

The text that functioned as a basis was that of P, and that itself was based on the Ms version. In the case of a divergence between Ms and P, it is the text from Ms that is followed with the P version added as a note. All of the corrections brought about by Tempels in the Ms edition have been added in italics with some important parts from the text of E included in the footnotes. The more important additions and modifications of Tempels are presented in brackets, (in italics); without notes when Ms and P are in agreement, and with notes if P does not match the correction of Ms.

The clash of P and Po and their Dutch basis: Ae (Chap.I), Ba (Chap II-VII) and A(Chapter I-VII) justifies certain corrections in the translation. They are mentioned as annotations, with the Dutch text in parenthesis, in the text of P.

The printed text between brackets ... is the translation of the passages from Ae, Ba and/or A. These parts are not translated in E and/or P.

The paragraphs in E and/or P that do not correspond to the other texts do not take place in Ae, Ba, A and/or Po, are mentioned only in the notes.

The spelling of the African terms have been unified and observed, I.e.: Muntu (homme), bantu (hommes) instead of mountou(e) and bantou(e)s, except for the quotations where the spelling in the cited text has been preserved. The title of the book: Bantu philosophy, written without the article (the), reflects the original Dutch title more accurately. (Car Ae,Ba, Bu, and A).

The current edition also includes all of the footnotes from the dutch and French versions.


... et les autres textes de philosophie bantu

Afin de mieux situer la Philosophie bantu du P. Tempels, nous classons les différents chapitres dans la suite chronologique des autres textes datés du Père Tempels des années 1943-45 (les dates entre parenthèses se réfèrent à la date de publication).

...And the other texts of Bantu Philosophy

In order to better contextualize the Bantu philosophy of P. Tempels, we listed different chapters from Father Tempels' other writings from years 1943-45 in chronological order. (The dates in between parantheses refer to the date of publication.)


L'idée fondamentale: 08.11.43

Le concept fondamental: début 44

ch.I. Moeten we op zoek...: 06.06.44

ch.I. Trad. A la trace...: 06.07.44

La Philosophie de la rébellion: 31.08.44

Dénatalité: (14.10.44)

ch.II. L'ontologie des Bantu:

ch.III. La sagesse... des Bantu: 20.11.44

ch.IV. La doctrine du Muntu: 05.01.45

Le travail des prolétaires: (07.02.45)

ch.V. Ethique des Bantu: 07.02.45

L'administration: (17.02.45)

La décence: 26.02.45

ch.VI. Restauration de vie: 01.03.45

Science comparée: 05.05.45

ch.VII. La philosophie bantu et nous: 22.06.45

ch.VIII. Plaidoyer pour la Philos. bantu: 18.08.45

A propos des mariages: (01.09.45)

Pour la protection des mariages: (03.11.45)

Nous avons rassemblé ces textes dans un volume séparé sous le titre Mélanges de Philosophie Bantu, Recueil de textes du P. Placide Tempels O.F.M. Ce sont des ébauches, des illustrations, des applications, ou même des parties de la Philosophie bantu [32]. Chaque fois que celle-ci s'y réfère implicitement ou explicitement, nous renvoyons, en note, à ces Mélanges [33].

La Bibliographie en fin du présent volume complète les références bibliographiques.

On peut représenter l'historique de ce texte du Père Tempels comme suit:

    brouillon

 

                  (AE + Ba)

    ¦----------------¦--------------¦

    ¦                     ¦                   ¦

    ¦                     ¦                   ¦

    ¦                  Po                  ¦

    ¦               /        \         corrections

    ¦           /               \             ¦

    ¦       /                      \          ¦

    révision                     Bu + E

    ¦                                         ¦

    A original - - - - - - - - - révision

    \                                         ¦

       \                                  P (Ms)

          \                                  ¦

             \                               ¦

                 \                           ¦

                     \                       ¦

                         \                   ¦

                            \                ¦

                               \             ¦

                                  \          ¦

                                     \     S

                                            ¦

                                            ¦

                                 Texte critique

 

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Chapitre I : A la trace d'une philosophie "Bantu"

1. La vie et la mort conditionnent le comportement humain

On a souvent constaté qu'un Européen, qui avait abandonné au cours de sa vie toute pratique religieuse chrétienne, revient aisément à l'attitude chrétienne lorsque la souffrance ou l'agonie soulève le problème de la conservation et de la survie, ou de la perte et de la destruction de son être.

Beaucoup de sceptiques [34] ne reviennent-ils pas, à l'article de la mort, chercher, dans la sagesse chrétienne [35] occidentale, la solution pratique du problème de la rédemption ou de la damnation. La souffrance et la mort sont toujours les deux grands apôtres qui, en Europe, ramènent, à l'ultime moment, bien des égarés aux principes de vie de notre tradition chrétienne [36].

De même voyons-nous tant de nos Bantu, évolués, "civilisés", voire chrétiens, qui retournent à leur attitude ancienne [37], chaque fois qu'ils sont sous l'emprise des ennuis, du danger ou de la souffrance. C'est parce que leurs ancêtres leur ont laissé leur solution pratique du grand problème humain, du problème de la vie et de la mort, du salut et de la destruction. De nombreux Bantu, trop superficiellement convertis ou civilisés, sont ramenés par la souffrance et la mort comme par une puissance irrésistible, aux comportement et conceptions hérités de leurs ancêtres qui leur sont transmis par leur sagesse traditionnelle [38].

Chez les Bantu, et vraisemblablement chez tous les peuples primitifs, la souffrance [39] et la mort sont les grands apôtres de la fidélité aux conceptions "magiques" [40] et du recours aux pratiques "magiques" traditionnelles.


2. Tout comportement humain repose sur des concepts et des principes

Si l'Européen moderne et hypercivilisé ne parvient pas à se libérer de l'attitude ancestrale, c'est parce que son attitude [41] de vie repose sur une philosophie profonde et englobante, d'inspiration chrétienne, sur une conception intellectuelle, claire, complète et positive, de l'univers, de l'homme, de la vie et de la mort et de la survie d'un principe de vie spirituel: l'âme de l'homme. Cette philosophie [42] du monde visible et invisible a pénétré [43] trop profondément l'esprit de la culture occidentale pour ne pas réapparaître irrésistiblement lors des grands événements de la vie.

Il est fort possible, tant pour l'individu que pour le groupe clanique, ou pour les peuples, que ce soient précisément les mystères [44] de la vie et de la mort, de la permanence et de la destruction ainsi que l'angoisse de tout ce mystérieux, qui, psychologiquement, aient donné naissance à certains comportements et à certaines pratiques rédemptrices.

Il ne serait pourtant guère scientifique de ne retenir, comme seul fondement et explication complète de ces comportements, que l'influence du milieu et les facteurs psychologiques (émotion, fantaisie ou imagination puérile). Il ne s'agit pas en effet d'étudier l'attitude de vie de quelques individus.

Il s'agit de comparer deux attitudes de vie, - l'attitude chrétienne occidentale d'une part, et l'attitude "magique" d'autre part - qui se sont perpétuées à travers le temps et dans l'espace, deux attitudes de vie qui, au cours des siècles, ont embrassé des peuples et des groupes culturels entiers.

La permanence et l'invariabilité de ces attitudes à travers des siècles d'évolution contingente ne trouvent d'explication satisfaisante que dans la présence d'un ensemble de concepts, logiquement coordonnés, et motivés dans une "Sagesse" de vie. Le comportement ne peut être universel pour tous, ni permanent dans le temps, s'il n'y a pas à sa base un ensemble d'idées, un système logique, une philosophie positive complète de l'univers, de l'homme et des choses qui l'environnent, de l'existence et de l'origine de la vie, de la mort et de la survie.

Sans exclure d'autres incidences (divines ou humaines), il nous faut postuler, chercher et trouver, comme ultime fondement d'un comportement humain logique et universel, une pensée humaine logique [45].

Point de comportement de vie sans un sens de la vie; point de volonté de vie sans concept de la vie; point de constante pratique rédemptrice sans philosophie du salut [46].

Faut-il dès lors s'étonner de ce que nous trouvions chez les Bantu, et plus généralement chez tous les primitifs, comme fondement de leurs conceptions intellectuelles de l'univers, quelques principes <philosophiques de base, et même un système ontologique> [47] relativement simple et primitif, mais [48] logiquement cohérent?

Plusieurs voies doivent conduire à la découverte d'un pareil système ontologique. Une connaissance approfondie de la langue, une <étude plus philosophique et juridique de l'ethnologie> [49], ou encore la maïeutique d'une catéchèse adaptée, peuvent nous la révéler.

Il est possible aussi - et c'est apparemment la voie la plus courte, - de rechercher directement la pensée profonde des Bantu, de l'approfondir et de l'analyser. La philosophie des Bantu et des primitifs fut-elle déjà étudiée et élaborée systématiquement? Sinon, il est grand temps que chacun s'y mette, afin de rechercher et de définir la pensée fondamentale de l'ontologie bantu, unique clé qui donne accès à la pensée indigène.

N'attendons pas du premier Noir venu, (et notamment des jeunes gens), qu'il puisse nous faire un exposé systématique de son ontologie. Cependant, cette ontologie existe: elle pénètre et informe toute la mentalité des primitifs, elle domine et oriente tout leur comportement.

<Par les méthodes d'analyse et de synthèse de nos disciplines intellectuelles, nous pouvons, et par conséquent nous devons, rendre aux "primitifs" le service de rechercher, classifier et systématiser les éléments de leur système ontologique> [50].

Celui qui prétend que les primitifs ne possèdent point de système de pensée, les rejette d'office de la classe des hommes. Ceux qui le disent, se contredisent d'ailleurs fatalement. Pour ne citer qu'un exemple, nous le prendrons chez R. Allier qui, dans sa "Psychologie de la conversion", écrit: "Demandez aux Basouto, dit M. Dieterlen, le pourquoi de ces coutumes, ils sont incapables de vous répondre. Ils ne réfléchissent pas. Ils n'ont ni théories ni doctrines. Pour eux, la seule chose qui importe, c'est l'accomplissement de certains actes traditionnels, le contact gardé avec le passé et les trépassés" [51]. Mais, à deux pages de là on peut lire: "Qu'est-ce qui rend irrésistible cette opposition des chefs? C'est la peur de rompre le lien mystique, qui, par le chef, s'établit avec les ancêtres, et c'est la peur des catastrophes que cela peut entraîner" [52].

Qu'est-ce d'autre, ce "lien mystique" ou cette "influence des ancêtres" sur la progéniture, que les éléments de leur système de pensée? Serait-ce un simple instinct ou une crainte irraisonnée sans plus? Ne serait-il point plus raisonnable et plus scientifique de rechercher quelles idées sustentent le "lien mystique"? Peut-être pourrait-on même se passer, après cela, de ce mot passe-partout de "mystique".


3. Il y a lieu de rechercher le système de pensée, les concepts fondamentaux philosophiques des Bantu

Quiconque veut étudier les primitifs ou les primitifs évolués, doit renoncer à parvenir à des conclusions scientifiquement valables, tant qu'il n'a pas pu pénétrer jusqu'à leur métaphysique. Affirmer a priori que les primitifs n'ont pas d'idées au sujet des êtres, qu'ils n'ont pas d'ontologie et que toute logique leur fait défaut, c'est tourner le dos à la réalité.

Tous les jours, nous pouvons nous rendre compte, <nous voyons ici, entendons et expérimentons,> [53] que les primitifs sont bien autre chose que des enfants à l'imagination fantasque. C'est en tant qu'Hommes que nous avons appris à les reconnaître, ici même, chez eux. Le seul folklore et la description superficielle d'étranges coutumes, ne peuvent suffire à nous faire découvrir et comprendre l'homme primitif. L'ethnologie, la linguistique, la psychanalyse, la science du droit, la sociologie et la science des religions ne pourront donner des conclusions définitives, qu'après que la philosophie et l'ontologie du primitif auront été complètement étudiées et décrites.

En effet, si les primitifs ont leur conception particulière de l'univers, leur ontologie propre, ce sera précisément cette ontologie qui donnera le caractère spécial, la couleur indigène propre, à leurs croyances et pratiques religieuses, à l'éthique, au droit, à la langue, aux institutions et coutumes, aux réactions psychologiques, et plus généralement à tout comportement des Bantu. Ceci est d'autant plus vrai, qu'à mon humble avis, les Bantu comme tous les primitifs, vivent plus que nous, civilisés, d'idées et selon leurs idées. Ceci dit pour ceux qui veulent "étudier" les Bantu et les primitifs.

Cependant, une meilleure compréhension du monde d'idées des Bantu est tout aussi indispensable pour tous ceux qui vivent parmi les Bantu. Ceci concerne donc tous les coloniaux, mais plusi particulièrement tous ceux qui veulent diriger et rendre la justice chez eux, tous ceux qui sont attentifs à une évolution favorable du droit clanique, bref tous ceux qui veulent "civiliser", éduquer, élever les Bantu. Mais si cela concerne tous les coloniaux de bonne volonté, cela s'adresse tout particulièrement aux missionnaires.

Si l'on n'a pas pénétré jusqu'à la profondeur de la pensée, jusqu'à la profondeur de la personnalité propre des Bantu, si l'on ne connaît pas le fondement de leurs actes, il n'est pas possible de comprendre les Bantu. On n'entre pas en contact spirituel avec eux. On ne se fait pas entendre d'eux, surtout lorsqu'on aborde les grandes vérités spirituelles. On risque, au contraire, en croyant "civiliser", d'attenter à "l'homme", d'augmenter le nombre des déracinés et de préparer ainsi des révoltés [54].

On se trouve désarçonné devant les coutumes et le droit indigènes. Il n'est pas possible de faire la part des choses, faute d'un critère solide et sûr qui permettrait non seulement de ne retenir que ce qui est bon et juste dans les coutumes, mais encore tout ce qui s'y trouve de bon et juste. Or, il y a lieu de respecter, de conserver avec soin, d'épurer et d'ennoblir tout ce qui est respectable dans la coutume, afin d'en faire le chaînon <et de pont vers ce qui existe chez nous de civilisation vraie> [55], profonde et véritable". Ce n'est que partant de la vrai, de la bonne et solide coutume indigène, que nous pouvons conduire les Bantu vers l'unique et véritable civilisation bantu [56].

Le fait qu'en haut lieu on ne sache plus comment orienter la civilisation des Bantu, qu'il s'y trouve moins que jamais une politique indigène stable, et qu'on y demeure à court lorsqu'il s'agit de fournir des directives solides et dignes de crédit en vue de leur évolution et leur civilisation, me paraît devoir être attribué à l'ignorance de leur ontologie, à ce qu'on n'a pas encore réussi à faire la synthèse de leur pensée, à ce qu'on n'est, par conséquent, pas à même d'en juger [57].

On a dit et répété aussi, que l'évangélisation et la catéchèse [58] devaient être adaptées... adaptées à quoi? On peut construire des églises en style indigène, introduire des mélodies indigènes [59] dans la liturgie, employer le langage indigène, emprunter les vêtements aux bédouins ou aux mandarins, la véritable adaptation n'en demeure pas moins l'adaptation de l'esprit. J'aurai l'occasion de revenir sur ce point. J'espère pouvoir, en son temps, soumettre à la critique un essai de catéchèse "adaptée" [60].



4. La faille séparant Blancs et Noirs subsistera et s'élargira aussi longtemps <que nous ne les rencontrerons pas dans les aspirations saines de leur ontologie [61]

Pourquoi le Noir ne change-t-il pas [62]? Pourquoi le païen, le non-civilisé, est-il stable, et pourquoi tant d'évolués et de chrétiens ne le sont-ils pas? Parce que le païen vit de son ontologie et sa théodicée séculaires [63], qui embrassent toute sa vie et qui lui fournissent une solution complète et positive du problème de la vie; parce que d'autre part l'évolué, et souvent le chrétien, <ne parvient pas à s'assimiler la pensée occidentale, que nous nous efforçons de lui faire adopter avec le christianisme, tandis qu'il n'a pas réussi par lui-même à mettre> [64] son mode de vie nouveau en rapport et en harmonie avec ses valeurs ancestrales, avec sa philosophie propre. Celle-ci est demeurée intacte, quoique méprisée et désapprouvée par nous en bloc avec tous les usages concomitants. Cette philosophie n'était cependant pas séparable de l'homme le plus profond des Bantu; elle était son être même le plus profond. L'abandonner signifie pour lui un suicide intellectuel total. C'était précisément cette pensée bantu qu'il fallait ennoblir.

Faudra-t-il dès lors s'étonner de ce qu'à travers le vernis de sa "civilisation" nouvelle, le "Noir" persiste toujours à percer? On s'étonne de voir des Noirs ayant passé des années parmi les Blancs se réadapter et se réintégrer avec aisance et en peu de temps à la communauté de leur lieu d'origine. Ils s'y trouvent bientôt résorbés, ils n'ont pas même dû se réadapter, puisque intérieurement, au fond de leur pensée, ils n'avaient jamais changé. Rien ni personne ne les ont défaits de leur philosophie.

Combien de civilisés, ou de vrais évolués pourrions-nous compter parmi les Bantu? Les déracinés et les dégénérés sont légion. Les matérialistes qui n'ont plus de base solide dans l'héritage philosophique de leurs ancêtres, ni dans la pensée et la philosophie occidentale chrétienne, ne font pas défaut. La plupart sont cependant demeurés Muntu sous une légère couche d'imitation du Blanc. Tel par exemple le commis de la Colonie, un chrétien, chez qui l'on fit une perquisition à l'occasion de la rébellion de février 1944 [65]: on découvrit chez lui un cahier griffonné d'un bout à l'autre de formules magiques, philosophiques; ... il les avait copiées chez un autre clerc... qui lui-même les avait transcrites.

<Tels encore ces évolués d'Elisabethville prétendant, lors de ces révoltes: "Enfin, nous avons trouvé le moyen "magique" d'avoir la force des Blancs, tandis qu'eux n'auront plus que la nôtre. Les Noirs seront désormais blancs, les Blancs, noirs". Ces exemples nous montrent clairement comment les évolués persistent à "raisonner" selon la pensée bantu, selon les principes de l'interférence des forces>. A qui la faute, aux Noirs [66]? Faisons plutôt un aveu sincère [67] et ouvrons enfin les yeux. Nous tous, missionnaires, magistrats, administrateurs, et tous ceux qui dirigent ou devraient diriger les Bantu, n'avons pas pénétré jusqu'à "l'âme" du Noir, du moins pas aussi profondément que nous l'aurions dû. Même les spécialistes sont passés à côté de la question. Que ceci se traduise par une constatation désabusée ou par un aveu contrit, le fait demeure, que nous n'avons pas compris l'ontologie des Bantu et que par suite, nous sommes demeurés incapables de leur offrir une nourriture spirituelle assimilable et une synthèse intellectuelle compréhensible. <Pour n'avoir pas compris "l'âme" bantu, nous n'avons pas fait d'effort méthodique pour que celle-ci ait une vie plus pure et plus intense> [68].

Il s'est avéré qu'en condamnant l'ensemble de leurs prétendus "enfantillages et moeurs sauvages" par la sentence "c'est stupide et c'est mal", nous avons pris notre part dans la responsabilité d'avoir tué "l'homme" dans les Bantu [69].

Ajoutons tout de suite que tous les intellectuels de bonne volonté, les dirigeants de la société indigène et tout particulièrement les missionnaires, peuvent faire, en quelque sorte, oeuvre utile en faveur de la civilisation des Bantu. Pour les amener à la véritable civilisation, il faudra, en effet, encore autre chose que le bien-être matériel [70], l'action sociale tant vantée <et le progrès social, autre chose que l'enseignement scolaire> [71] et la confection de clercs, autre chose encore que l'enseignement du "ki-français"...

Avec tant d'autres, j'ai pensé autrefois que l'on dissiperait les "bêtises nègres" au moyen de causeries appropriées au sujet des phénomènes naturels, de l'hygiène, etc., comme si les sciences naturelles portaient atteinte à leur sagesse ou à leur philosophie. Nous renversions par là "leurs sciences naturelles", mais leurs idées fondamentales de l'univers restaient inaltérées.

Un exemple expliquera ma pensée. Que de fois ne nous arrive-t-il pas d'entendre un Noir accusé d'être la cause de la maladie, voire de la mort d'un autre, simplement parce qu'il était en dispute avec lui, ou parce qu'il l'avait insulté, maudit ou menacé. C'est l'habituel palabre. Or l'accusé s'exécute, il paie les dommages qui lui sont réclamés, généralement sans beaucoup d'objections, et parfois même malgré la sentence contraire d'un tribunal européen. En effet, pour les Bantu, la palabre est claire et incontestable. Ils ont une notion différente des relations entre les hommes, de la causalité et de la responsabilité. Ce que nous prenons pour des raisonnements incompréhensibles et illogiques de sombres têtes noires, ce que nous taxons de cupidité, d'exploitation du faible, est pour eux la déduction logique de leur aperception profonde de l'essence des choses, et devient une nécessité ontologique.

Essaierait-on maintenant de convaincre les Noirs <que cette maladie ou cette mort avait une cause physique> [72], nous perdrions notre temps. Nous aurions beau leur donner une leçon de microbiologie et leur faire voir de leurs yeux, ou même leur faire découvrir eux-mêmes au microscope et par des analyses chimiques la "cause" de la maladie ou de la mort, mais avec cela nous n'aurions pas encore résolu leur problème. Nous aurions simplement résolu l'aspect physiologique ou chimique qui s'y rapporte. La vraie cause, la cause ontologique, n'en subsistera pas moins pour eux, conformément à leur pensée profonde, à leur sagesse ontologique. Nous verrons plus loin combien ce point de vue est logique.

Ainsi le Noir apprend chez nous à lire et à écrire, à calculer et à faire des comptes, il se familiarise avec nos techniques; mais, tout comme son frère demeuré au village, il sent et expérimente tous les jours que ses "motifs" ne sont pas reçus de par l'incompréhension et la "puissance" des Blancs et sa sagesse profonde de vie s'en trouve ulcérée. Son estime pour le Blanc et sa confiance en nous [73] risquent de succomber irréparablement.


5. Ces notions fondamentales et ces principes premiers relèvent-ils réellement de la philosophie?

Dans les dernières décades, on a successivement admis que le fondement, l'origine [74] de la religion des primitifs était: le mânisme, l'animisme, la mythologie cosmique, le totémisme, le magisme, jusqu'à ce que certains aient finalement découvert que les primitifs avaient originalement la foi et le culte de l'Etre suprême, de l'Esprit créateur.

Toutes ces écoles ont décrit et étudié le comportement nègre du point de vue de leur système. Il est frappant que tant d'auteurs de chacune de ces écoles aient pressenti, effleuré et même touché la base unique de ces diverses pratiques, notamment l'idée fondamentale de l'ontologie bantu [75].

Cependant, nous ne trouvons guère d'étude systématique de cette ontologie [76]. <Jusqu'à présent, l'ethnologie semblait vouloir retracer avant tout la genèse, les origines et l'évolution de la coutume primitive au lieu d'en rechercher "la raison intime">. Il n'y a même pas de définition bien établie, ni surtout de définition universellement acceptée de l'animisme, du totémisme, du dynamisme et de la magie. Est-ce le vocabulaire, ou est-ce la compréhension qui ont fait défaut aux chercheurs européens?

A mon avis, toutes ces présentations [77] de la pensée primitive n'ont pas été suffisamment approfondies, étudiées et définies d'après le point de vue du primitif. Combien ne trouvons-nous point de prétendues définitions qui se bornent à décrire superficiellement l'aspect extérieur des coutumes indigènes.

Pourquoi l'universel "munganga", (quelles que puissent être les variantes vernaculaires de son appellation), se trouve-t-il désigné, chez les auteurs, de noms disparates tels que sorcier, féticheur, nécromancien, guérisseur, homme de l'art, etc. Une définition précise fait donc défaut. Mais le Noir, que pense-t-il, lui, de ce personnage? Voilà la définition que nous avons à rechercher.

Admettons que les Noirs soient "animistes", dans ce sens qu'ils attribuent une "âme" à tous les êtres, ou tenons-les pour "dynamistes", en ce sens qu'ils reconnaissent une "mana" <"bwanga" ou "megbe"> [78], une force universelle animant les êtres de l'univers. Il faudra néanmoins poser aux Bantu eux-mêmes les questions:

Comment ces âmes ou cette force universelle peuvent-elles, d'après vous, agir sur les êtres? Comment se fait l'interaction des êtres? Comment le 'bwanga' (médicament magique, amulette, talisman...) peut-il, d'après vous, guérir l'homme?

Comment le 'mfwisi', le 'muloji', l'envoûteur, peut-il vous tuer, même à distance?

Comment le mort peut-il renaître? Qu'entendez-vous par cette renaissance? Comment la cérémonie de l'initiation peut-elle faire d'un simple mortel un munganga, un magicien-guérisseur ou, <mieux encore, un médecin ontologique?> [79] Qui initie, l'homme ou l'esprit? Comment l'initié acquiert-il la "connaissance" et la "force"?

Pourquoi la malédiction a-t-elle un effet destructeur? Comment le possède-t-elle? Comment se fait-il que nos catéchumènes à la veille de leur baptême viennent nous dire: sans doute nos remèdes magiques ont une force, mais nous voulons renoncer à recourir à leur usage?

Pareilles questions dépassent la description superficielle des pratiques coutumières [80]. La réponse que feront tous les Bantu est invariablement la même. Ce qu'on a nommé magie, animisme, mânisme ou dynamisme, bref toute la coutume des Bantu, repose sur un <principe unique fondamental de la nature, l'essence intime des êtres en général, c'est-à-dire sur le concept fondamental de leur ontologie propre> [81].

<Ou sinon, la première notion, le premier concept intellectuel de l'être, de l'existence et de ce qui existe réellement en fait d'êtres, est-ce autre chose qu'ontologie ou science de l'être> [82]?


6. Peut-on parler de philosophie bantu? [83]

Il est universellement admis que l'humanité évolue. Les Bantu parmi lesquels nous vivons ne sont pas des primitifs purs. Ils ont évolué. Il est certain que leur religion, notamment, a évolué. Leurs pratiques, leurs habitudes, leurs coutumes, leur comportement doivent également avoir évolué.

On a prétendu que le fondement de la religion des primitifs était, soit le mânisme, soit l'animisme, soit le totémisme ou la magie. D'après de récentes recherches historiques, il semble établi que le culte de l'Etre suprême est au moins aussi ancien, sinon plus ancien que la magie. Faudra-t-il en conclure que les Bantu ont été successivement monothéistes, puis animistes et après cela totémistes? Qu'ils auraient donc chaque fois changé de religion? Faudra-t-il admettre que ces changements de religion ont été le fruit de révolutions? N'est-il pas plus vraisemblable que ces modifications des conceptions religieuses ont été le résultat d'une évolution progressive depuis leur religion primitive? Cette question ne me paraît pas pouvoir être contestée: il y eut évolution et non point révolution.

En voici la meilleure preuve: Les Bantu actuels ont gardé leur foi dans les éléments de leur religion originelle théiste, et cependant nous les voyons, à la fois, mânistes, animistes, dynamistes, totémistes et tenants de la magie. Mais il y a plus: chacun peut aisément vérifier aujourd'hui que les Bantu contemporains diront en parlant du mânisme, du fétichisme, de l'animisme, etc.: "Tout cela est voulu par Dieu, l'Etre suprême, et tout cela a été donné pour aider les hommes".

Pourra-t-on encore prétendre, après cela, qu'à chaque changement de pratique les Bantu ont changé de mentalité, qu'ils ont modifié leur système de pensée et leur conception du monde? Et si, au contraire, nous trouvons ces diverses pratiques coexistantes <et qui, selon leurs dires, ne s'excluent pas mais se complètent,> [84] devons-nous en conclure que les Bantu en sont arrivés à avoir six ou sept systèmes philosophiques parallèles? Il faut, au contraire, admettre raisonnablement que toutes ces manifestations diverses se rattachent à une conception unique de la vie, à une même idée de l'univers, à un même système métaphysique [85].

<Toutes ces pratiques religieuses comme d'ailleurs la conception juridique et l'organisation politique de la société ne forment qu'un tout logique dans la pensée des Bantu. Ces réalités diverses sont expliquées et justifiées par eux en vertu de leur seule et unique philosophie: l'ontologie bantu.

Ce n'est pas notre but de retracer l'origine ou l'évolution de la philosophie bantu. Il ne s'agit pas non plus de porter dès maintenant un jugement sur l'exactitude de l'idée fondamentale de leur philosophie, de leurs premiers principes ontologiques. Abstenons-nous provisoirement de tout jugement pour ne faire que de l'ethnologie [86]. Essayons avant tout de comprendre la pensée des Bantu. Il nous faut savoir quelles sont leurs notions, leur interprétation rationnelle de la nature des êtres visibles et invisibles. Ces conceptions peuvent s'avérer exactes ou erronées; de toute façon nous devons admettre que ces idées sur la nature des choses de l'univers sont des connaissances essentiellement métaphysiques et constituent une "ontologie"> [87].

<Non les Noirs, mais nous, nous devons apprendre à penser plus philosophiquement> [88]. Sans pénétration philosophique, l'ethnologie n'est que folklore... Il n'est plus possible de se contenter de vagues locutions telles que: "forces mystérieuses des êtres", "certaines croyances", "influences indéfinissables" ou "une certaine conception de l'homme et de la nature". Semblables définitions, vides de tout contenu, n'ont exactement aucune portée scientifique.

Nous ne prétendons certes pas que les Bantu soient à même de nous présenter un traité de philosophie, exposé dans un vocabulaire adéquat. Notre formation intellectuelle nous permet d'en faire le développement systématique [89]. Nous [90] pourrons leur dire, d'une façon précise, quel est le contenu de [91] leur conception intime des êtres, de telle façon qu'ils se reconnaîtront dans nos paroles, et acquiesceront en disant: "tu nous a compris, tu nous connais à présent complètement [92], tu "sais" à la manière que nous "savons".

Bien plus, si nous pouvons adapter l'enseignement de la vraie religion à ce qui peut être respecté dans leur ontologie, nous pourrons entendre, ainsi qu'il me fut donné, des témoignages tels que: "à présent tu ne te trompes plus, tu parles comme nos pères; il nous semblait bien que nous devions avoir raison..." Ils sentaient sans doute que mon enseignement religieux, tout en rejetant les conclusions fausses de leur philosophie, s'adaptait merveilleusement à quelque "âme de vérité" de leurs conceptions profondément humaines.


7. Une dernière remarque

La présente introduction ne fut écrite qu'après parachèvement de l'étude proprement dite de l'ontologie bantu. <Le classement des concepts philosophiques des Bantu n'a eu lieu qu'après l'adaptation de nos concepts religieux, de la catéchèse à ce qui est valable en leur philosophie> [93].

Cette introduction est une réponse aux considérations et objections soulevées par mes confrères qui ont bien voulu prendre connaissance de mon étude et de mes exposés traitant de l'ontologie bantu. Elle est le fruit de discussions parfois fort animées. Grâce à leurs critiques j'ai pu élaborer ces mises au point destinées à prévenir certaines objections qui porteraient à faux, mais qui, sans ce préambule, seraient venues à l'esprit de maint lecteur. En développant ce thème introductif, mon but a été de préparer et d'aplanir la voie. Je me flatte de pouvoir convaincre mes lecteurs qu'une vraie philosophie peut exister chez l'indigène, et qu'il y a lieu de la chercher. Plusieurs déjà m'ont rendu ce témoignage: "c'est bien ce que j'avais toujours pensé" [94].

Le problème de l'ontologie bantu, de son existence, se trouve ainsi posé. Il nous est loisible, à présent, d'entamer l'exposé de la philosophie des Bantu, qui peut-être est la philosophie commune de tous les primitifs, de tous les peuples claniques [95].

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Chapitre II : L' ontologie des Bantu

1. La terminologie

Avant d'aborder l'exposé de la philosophie bantu, il nous faut justifier l'emploi des termes auxquels nous devons recourir. Cela préviendra certaines objections.

Puisque nous traiterons de philosophie, il nous faudra user du vocabulaire philosophique accessible au lecteur européen. Comme les Bantu ont actuellement une autre philosophie que la nôtre - nous l'appellerons provisoirement "philosophie magique" - nos termes ne couvrirons peut-être pas complètement les concepts de la philosophie bantu. Nos termes européens ne fourniront parfois qu'une approximation de notions et principes qui sont étrangers à notre philosophie.

Même si nous avons recours à une traduction littérale du terme bantu, il nous faudra encore l'expliquer au moyen de nos termes, puisque le lecteur ne connaît pas encore le contenu de la terminologie indigène, mais par contre, il connaît bien celui de nos termes.

Force nous est donc de puiser dans notre vocabulaire, quitte à préciser chaque fois les restrictions ou extensions qu'il y a lieu d'apporter à leur signification reçue, pour exprimer, avec exactitude, les pensées bantu.

Si pourtant notre terminologie paraissait inadéquate au lecteur, malgré cette précaution, nous l'invitons à en proposer une autre plus correcte, afin de progresser à la faveur de sa collaboration vers un résultat plus parfait et définitif.

La présente étude ne prétend d'ailleurs pas être plus qu'une hypothèse, un premier essai de développement systématique d'une philosophie bantu [96]. Il y a lieu d'y bien distinguer deux éléments:

1° l'analyse de la philosophie bantu [97];

2° l'expression occidentale par laquelle j'ai tenté de la rendre accessible au lecteur européen.

Ainsi, même si cette expression paraissait défectueuse, il ne faudrait pas en déduire que l'objet même de cette étude, l'intelligence de l'ontologie bantu, s'en trouverait entachée. Je prie le lecteur de bien vouloir vouer son attention au problème essentiel de l'étude des conceptions bantu, plutôt que de l'abîmer sur la question accessoire de la terminologie.


2. La méthode

Comment faire un exposé systématique de la philosophie bantu tout en justifiant l'objectivité de cette systématisation [98]?

Il nous faut en effet <développer une théorie cohérente et prouver qu'elle correspond à la pensée, à la tournure d'esprit et aux coutumes des Bantu> [99]. <Tout cela n'est pas possible en une page. Nous aurons à traiter la matière graduellement et méthodiquement> [100].

Nous pourrions commencer par des rapprochements entre les langages, les comportements, les institutions et les coutumes des Bantu; nous pourrions les analyser et en dégager les idées fondamentales; finalement nous pourrions construire, à partir de ces éléments, un système de pensée des Bantu.

Telle est bien, en fait, la voie que j'ai suivie. C'est la voie ardue des tâtonnements et des recherches, où une idée reçue doit aussitôt être rejetée, où une apparente lueur peut égarer dans les ténèbres. C'est un patient labeur qui ne permet qu'à la longue de définir des notions précises s'emboîtant en un système logique. J'ai voulu épargner ces détours au lecteur.

Au surplus, j'ai pu faire l'expérience que lorsqu'on aborde le problème par l'exposé des coutumes, vocables ou institutions déterminées, on se heurte fatalement à des contestations de détails. Les coutumes ont, en effet, en plus de leur idée générale, fondamentale, leur couleur locale. Les exemples cités se trouvent alors récusés par des considérations telles que: "chez nous cette coutume est différente", ou bien "chez nous les Noirs s'expriment autrement".

Il me semble donc préférable de présenter d'abord l'hypothèse complète de la philosophie bantu. Après cet exposé systématique de la théorie, les exemples, les applications (expressions ou comportements des Noirs), qui viennent illustrer la thèse exposée, trouveront leur place; et si l'application de cette théorie de la philosophie bantu apporte une explication suffisante des faits, on y trouvera une preuve de la crédibilité, voire de l'exactitude de notre hypothèse. <Au Congo il y en a beaucoup qui, entre temps, ont vérifié la théorie à la pratique et l'ont trouvé exacte dans leur région> [101].

Il est vrai que ceux qui ont lu d'emblée l'exposé de la théorie m'ont formulé aussitôt des objections, soit contre la théorie elle-même, soit contre la terminologie employée. Mais toujours parce qu'ils se plaçaient au point de vue européen. En considérant ensuite les innombrables cas d'application je les amenais généralement à admettre que la philosophie bantu devait être quelque chose d'approchant. Quant à la terminologie usitée, qui choque généralement à première vue, on me concédait en général aussi qu'il était malaisé de découvrir dans le vocabulaire philosophique des langues européennes des mots qui traduiraient mieux la pensée bantu.

Il m'a semblé que les imperfections des termes, non plus que les lacunes éventuelles et la synthèse proposée, ne devaient pas me faire différer davantage la communication du résultat de mes recherches et de mes déductions concernant la philosophie bantu.

Puisse cette publication avoir pour effet d'inciter d'autres chercheurs à poursuivre les investigations, de façon à atteindre par la collaboration un résultat définitif. J'invite donc le lecteur à lire cette étude en faisant abstraction tant de sa philosophie occidentale que des préjugés qu'il pourrait avoir déjà au sujet des Bantu et des "primitifs". Je lui demande de renoncer aux idées reçues et de s'appliquer à pénétrer le sens de ce qui est dit ici en évitant de laisser dériver sa pensée dans la critique de mon mode d'exposition ou du choix des termes. Je lui demande même de réserver son jugement quant à l'appréciation de la théorie, et d'avoir la patience de prendre connaissance des preuves et des cas d'applications qui lui seront fournies ultérieurement, avant de se prononcer. Après cela, il lui sera loisible de formuler ses questions et d'attaquer tant la théorie exposée que son expression.

Faisons comme les Noirs. Lorsqu'ils ont une palabre, il est de règle que celui qui plaide ne soit pas interrompu. Et même, lorsqu'il arrête son débit, le juge lui demandera: "As-tu fini de parler?"; et il ne donnera qu'ensuite la parole à la partie inverse.


3. La conception de la vie chez les Bantu. Elle  [102] est <attentivement>  [103] centrée sur une seule valeur: la vigueur de la vie  [104]

Il est, dans la bouche des Noirs, des mots qui reviennent sans cesse. Ce sont ceux qui expriment les suprêmes valeurs, les suprêmes aspirations humaines [105]. Ils sont comme des variations sur un leitmotiv qui se retrouve dans leur langage, leur pensée et dans tous leurs faits et gestes.

Cette valeur suprême est la Vie [106], la vigueur, vivre vigoureusement, la vigueur de la vie [107]. De tous les usages propres dont nous ne saisissons pas le sens, les Bantu diront qu'ils servent à acquérir la force de la vie [108] ou la vigueur de la vie [109], pour être avec vigueur, pour raffermir la vie [110], ou pour perpétuer la vie dans la descendance [111].

Dans le mode négatif, c'est la même idée qui s'exprime lorsque les Bantu disent: nous vivons et agissons de telle façon pour être préservés du malheur [112], ou d'une diminution de la vie et de l'être [113], ou encore pour nous protéger des influences qui nous annihilent ou qui nous diminuent.

La vigueur, vivre vigoureusement, la vigueur de la vie [114], c'est la cause de leurs prières ou invocations adressées à Dieu, aux esprits et au défunts, ainsi que tout ce qu'on est convenu de nommer "magie", "divination" et utilisation de "remèdes magiques" ou plutôt des forces raffermissantes de la nature. Eux-mêmes diront qu'ils s'adressent au "devin" pour apprendre "des paroles de vie", qu'il enseigne la manière de raffermir la vie [115].

[Dans chaque langage bantu on découvrira facilement des mots ou locutions désignant une force, qui n'est pas exclusivement "corporelle"] [116], <mais "totalement humaine". Ils parlent de la force de notre être entier, de toute notre vie. Leurs paroles désignent "l'intégrité" de l'être>[117].

Le 'bwanga' (ce qu'on traduit par remède magique) ne doit pas nécessairement, d'après eux, être appliqué ou collé à la plaie et au membre malade. Il n'a pas en premier lieu un effet thérapeutique local, mais il renforce, il augmente directement notre force de vie, ou notre être même.

En invoquant Dieu, les esprits ou les mânes, les païens demanderont par dessus tout: "Faites que j'aille avec vigueur" [118]. Lorsqu'on les excite à abandonner leurs "remèdes magiques", comme contraire à la volonté de Dieu, et partant mauvais, on s'attire la réponse: "qu'y a-t-il de mal en eux?" [119] Ce que nous taxons de "magie", n'est à leurs yeux autre chose que la mise en oeuvre des forces de la nature placées à la disposition des hommes par Dieu, pour le raffermissement de leur force de vie.

Lorsqu'ils essaient de se dégager des métaphores ou des périphrases, les Bantu désignent Dieu lui-même, comme le "Vigoureux", celui qui possède la vigueur par lui-même et celui qui raffermit toute créature. Dieu est le "Dijina dikatambe", le grand nom, parce qu'il est la grande force, le "mukomo" comme disent les Baluba, celui qui est plus fort que tout autre.

Les mânes des premiers ancêtres, élevés à un plan surhumain, possèdent leur propre force extraordinaire en tant que premiers-nés du genre humain et propagateurs de cet héritage divin: la force de vie humaine. Les autres défunts ne comptent que dans la mesure où ils augmentent et perpétuent leur force de vie dans leur progéniture.

Ainsi, pour les Bantu, tous les êtres de l'univers possèdent leur force de vie propre, bien déterminée: humaine, animale, végétale ou matérielle. Et chaque être a été doté par Dieu d'une force déterminée, susceptible de raffermir la force de vie de l'être le plus fort de la création: l'homme.

La félicité suprême, la seule forme du bonheur, est pour le Muntu la possession de la plus grande vigueur de vie [120], d'être vigoureux. Le plus grand malheur, le seul malheur, est d'être diminué dans sa force de vie, dans la vigueur de la vie.

Toute maladie, plaie ou contrariété, toute souffrance, dépression ou fatigue, toute injustice ou tout échec, tout cela est considéré et désigné par le Muntu comme une diminution de son être, comme diminution de sa vigueur de vie.

La maladie et la mort ne viennent pas de notre vigueur de vie, de notre propre force, mais d'un agent extérieur, d'une force de vie plus vigoureuse qui nous influence. Et c'est parce que les "moyens magiques" raffermissent notre force de vie qu'ils rendent notre vie résistante aux autres forces de vie néfastes de l'extérieur.

Faut-il s'étonner dès lors que les Bantu fassent allusion à cette vigueur de vie dans leurs salutations, et usent de formules telles que: "tu es vigoureux!" [121] Et qu'ils expriment leurs commisération en des locutions telles que : "ta vie s'est réduite, on a entamé ta force de vie". Tel est aussi le sens fondamental de la formule de condoléances: "Wafwa ko!" que nous traduisons par "tu meurs".

A cause de cette traduction erronée, nous avons trouvé les Bantu incompréhensibles, excessifs et ridicules, lorsque, à longueur de journée, ils se disent cent fois "mourir" de faim, de fatigue, ou de la moindre contrariété, ou de mal de tête, ou d'un quelconque malaise. Dans leur esprit ils expriment simplement une diminution de la force de vie et dans ce sens, leur expression est raisonnable et sensée. Dans leurs langues existent d'ailleurs les verbes "kufwa" et "kufwididila" qui indiquent les degrés progressifs de la diminution de la vie, et dont le superlatif signifie la paralyse totale de la force de vie. C'est à tort que nous avons traduit ces formes verbales par "mourir" et "mourir tout à fait".

<Ainsi nous comprenons le motif principal> [122] qui détourne le païen de la conversion chrétienne et de l'abandon des pratiques magiques: la crainte de voir s'anéantir sa force de vie en cessant de recourir aux forces naturelles qui raffermissent la vie.

<En 1936, j'avais donné comme sujet de rédaction aux normaliens de Lukonzolwa (Lac Moëro): "Les obstacles à la conversion chez les Païens". A mon étonnement, loin d'énumérer une série de pratiques, tous déclaraient que le grand obstacle se résumait dans la conviction que l'abandon des usages, indiqués par les ancêtres, les mènerait à la mort. L'obstacle était donc plutôt d'ordre principiel que pratique, la crainte était fondée sur les "raisons" de l'ontologie bantu>.

Ces quelques aspects du comportement bantu font voir déjà que l'idée maîtresse de sa pensée est celle de la vigueur de la vie, dont Dieu est la source [123]. La force de la vie est la réalité invisible mais suprême dans l'homme. Et l'homme peut renforcer sa force de la vie par la force des autres êtres de la création.


4. L'ontologie des Bantu [124]

a) La notion de l'être  [125]

Tout l'effort des Bantu est orienté vers la puissance vitale. La notion fondamentale de leur conception de l'être est le concept de la force vitale.

L'intelligence humaine tend à trouver le sens de notre être et des choses de l'univers et exprime les notions acquises en termes populaires, soit en définitions scientifiques.

La conception des primitifs quant à l'essence des choses, aussi bien que les distinguo les plus poussés des savants professionnels, sont des connaissances intellectuelles qui ne sont pas essentiellement différentes. Toutes les deux sont connaissance de l'être; elles sont métaphysiques <et le système de pensée qui est fondé sur une idée déterminée de l'être, est de la philosophie> [126].

La métaphysique considérée comme discipline méthodique et la sagesse humaine, que l'on désigne comme "conception du monde", considèrent ou embrassent les réalités qu'on retrouve dans tout être de l'univers.

Pareilles réalités sont notamment l'origine, le devenir, le changement, la croissance, l'anéantissement ou l'achèvement des êtres, la causalité active et passive, et plus particulièrement la nature de l'être en soi, vecteur essentiel de ces phénomènes au modes universels.

Par ces réalités tous les êtres ont quelque chose de commun ou d'identique. Les notions et définitions de ces réalités s'appliquent donc à tout être existant. C'est pourquoi cette science ou connaissance est dite métaphysique. C'est la connaissance universelle des êtres, la métaphysique embrasse en effet la totalité du physique, tout ce qui a une existence réelle. <Pour atteindre la réalité qui est commune à tous les êtres existants, ou plutôt, qui est identique dans tous les êtres, nous devons graduellement éliminer toute réalité qui n'est propre qu'à l'une ou l'autre catégorie d'êtres. Nous devons garder uniquement ces éléments, mais aussi tous les éléments qui existent en chaque chose> [127].

La métaphysique est donc bien la connaissance la plus universelle, non pas en ce sens qu'elle ne s'occupe que d'abstractions ou de spéculations sur l'irréel, mais en ce sens qu'elle embrasse tout être. La métaphysique n'est pas suspendue dans le vide. Son objet est la réalité intense qui existe en nous et autour de nous. Ses notions, ses définitions, ses lois sont formulées d'une façon abstraite et générale comme le sont les notions, définitions et lois de toute science.

La pensée occidentale chrétienne, ayant adopté les formules de la philosophie grecque, et peut-être sous l'influence de celle-ci, définit le plus souvent cette réalité commune à tous les êtres, ou si l'on veut, l'être comme tel: "la réalité qui est", "quelque chose qui existe", "ce qui est".

Sa métaphysique a été basée sur un concept fondamental plutôt "statique" de l'être. Ce concept de l'être le plus courant dans notre philosophie occidentale est statique en ce sens que la notion de force n'est pas incluse dans la notion première d'être. En général l'attribut de force apparaît comme un accessoire, un accident de l'être en soi. On appellera l'être le support de la force et des changements.

C'est ici qu'apparaît la différence fondamentale entre la pensée occidentale et celle des Bantu et des primitifs. (Je ne compare que des systèmes ayant inspiré de vastes civilisations).

<Dans l'interprétation de la même réalité la pensée primitive reçoit sa nuance propre de l'accent, qu'elle met sur l'aspect dynamique des êtres; tandis que la pensée scientifique de l'Occident semble mettre l'accent sur l'aspect statique des choses> [128].

Nous, Occidentaux, voyons dans la force un attribut de l'être, et nous avons élaboré une notion de l'être dégagée de la notion de force. Il semble que les primitifs n'ont pas interprété ainsi la réalité. Leur notion de l'être est essentiellement dynamique. Ils parlent, vivent et agissent comme si, pour eux, la force était un élément nécessaire de l'être. La notion de force est donc liée essentiellement à toute notion d'être.

La force est inséparablement liée à l'être et c'est pourquoi ces deux notions demeurent liées dans leur définition de l'être [129]. Ceci doit être reçu comme base de la philosophie bantu. C'est un minimum qu'il faut admettre, sous peine de ne pas comprendre les Bantu. Ainsi les Bantu auraient une notion composée de l'être, que l'on pourrait formuler: l'être est ce qui "possède" la force.

Cette hypothèse minimale ne me paraît au demeurant pas suffisante, ni même absolument exacte. Elle ne rend pas suffisamment compte du caractère propre de la notion d'être du primitif. Je crois serrer de plus près la vérité si je définis la notion d'être du primitif comme: "l'être EST force".

En effet, la formule européenne "avoir la force", nous la comprenons inconsciemment d'après notre philosophie. Si nous formulons le concept d'être des Bantu comme étant: "la chose qui possède la force", le lecteur en retiendra que la force est considérée comme un attribut de l'être.

Or, pour les Bantu, la force n'est pas un accident, c'est même bien plus qu'un accident nécessaire [130], c'est l'essence même de l'être en soi. Pour eux, la force vitale, c'est l'être même tel qu'il est, dans sa totalité réelle, actuellement réalisée et actuellement capable d'une réalisation plus intense.

Cette force se réalisant plus ou moins, l'être même se réalise plus ou moins. Les changements de l'être sont, pour eux, les réalisations variées, les degrés, les croissances ou les intensités ontologiques de l'être lui-même.

Pour éviter toute confusion et afin que le lecteur européen se garde (en traitant de notions bantu) de considérer la force comme un accident, je préfère m'en tenir provisoirement à la formule: pour les Bantu "l'être est la chose qui est force" [131].

L'être est force, la force est être. Notre notion d'être c'est "ce qui est", la leur "la force qui est". Là où nous pensons le concept "être", eux se servent du concept "force". Là où nous voyons des êtres concrets, eux visent des forces concrètes.

Là où nous dirions que les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les Bantu diraient que les forces diffèrent par leur essence ou nature.

Suivant eux, il y a la force divine et les forces célestes et terrestres, les forces humaines, animales, végétales et même les forces matérielles ou minérales <et ils considèrent tous ces êtres comme des forces spécifiquement différentes et numériquement distinctes> [132].

Chaque être étant une force, et n'étant un être que pour autant qu'il est une force, que cette définition est attribuable à tous les êtres: à Dieu, aux hommes vivants et défunts, aux animaux, aux plantes, aux minéraux. L'être étant force, tous ces êtres apparaissent aux Bantu comme des forces. Ce terme général "force" n'est guère utilisé par les Bantu, qui pensent philosophiquement, mais s'expriment concrétement [133]. Ils donneront un nom à chaque chose, mais la nature intime de la chose nommée [134] se présente à leur esprit comme telle ou telle force spécifique et non comme une réalité statique [135].

Il serait abusif de conclure que les Bantu sont "dynamistes" ou "énergétistes", qu'ils reconnaitraient <dans l'univers une force universelle qui pénêtre tout, une sorte de force englobant le monde entier> [136], ainsi que semblent le croire certains auteurs, lorsqu'ils traitent de "mana", "bwanga", "kanga" [137]. Telle serait l'interprétation européenne d'une philosophie primitive mal comprise.

Les Bantu font une nette distinction, et connaissent une différence essentielle entre les divers êtres ou forces. Parmi les diverses espèces de forces, ils arrivent tout comme nous à reconnaître l'unité, l'individu, mais bien entendu en tant que force individuelle.

C'est pourquoi il me semble qu'il faut écarter également, comme étranger à la philosophie bantu, le principe double du bien et du mal en tant que force universelle, et également ce qu'on a nommé "essence commune" ou "communauté d'espèce", si l'on prenait ces termes dans leur signification exacte [138].

Dans les êtres visibles les Bantu distinguent ce qui est perçu par les sens et la "chose en elle-même"; par la chose en elle-même, ils désignent l'essence intime propre, la nature même de l'être, ou plus précisément de la "force" par laquelle la chose est ce qu'elle est. Ils s'expriment en langage imagé lorsqu'ils disent: "en chaque chose est une autre chose"; "dans chaque homme se trouve un petit homme". On se tromperait en prenant pour une terminologie rigoureuse à l'européenne ces périphrases imagées des Bantu. Leur allégorie fait simplement ressortir <qu'il y a lieu de distinguer dans l'être matériel ce qui tombe sous les sens, ou phénomène apparent, de ce qui ne se voit pas, ou nature intrinsèque de l'être> [139].

Lorsque "nos" formules désignent en l'homme l'âme et le corps, comme on le voit dans certains écrits occidentaux, on est embarrassé d'exprimer où a passé "l'homme" après que ces deux composants se trouvent séparés [140].

Si nous voulons, avec notre mentalité européenne, chercher chez les Bantu des termes équivalents rendant cette façon de parler, nous nous heurterions aux plus graves difficultés. Comment parler en langage indigène de "l'âme de l'homme"? Sauf sous l'influence européenne, les Bantu ne s'expriment pas de la sorte.

Eux distinguent en l'homme son corps, son ombre, son souffle (signe apparent de la vie) <...et l'homme lui-même. Les apparences sensibles sont périssables et ne sont nullement ce que nous entendons par l'âme: ce par quoi nous sommes hommes; notre moi> [141] qui subsiste après la mort, lorsque le corps et l'ombre auront disparu [142].

Ce qui subsiste après la mort n'est pas désigné chez les Bantu par un terme distinct [143]. J'ai toujours entendu les anciens le nommer "l'homme même", "lui-même", "aye mwine". C'est là le "petit homme" [144] qui était caché derrière les apparences perceptibles, c'est le "muntu" qui, à la mort, a quitté les vivants. Il paraît impropre de traduire cette acceptation du "muntu" par "l'homme". Le "muntu" vit bien sûr dans un corps visible, mais ce corps "n'est" pas le "muntu" même. Un indigène expliquait à un confrère: Ce "muntu", c'est plutôt ce que vous désignez en français par "la personne" et non ce que vous exprimez par "l'homme".

"Muntu" <inclut une notion d'éminence ou d'excellence dans l'être> [145]. Cette acceptation donnerait un sens logique à l'assertion que je recueillis un jour chez un Noir, disant "Vidye i muntu mukatampe", "Dieu est un grand ou le grand muntu". Ceci signifiait donc: Dieu est La personne grande, c'est-à-dire La grande, puissante force vivante.

Les "bintu" sont bien ce que nous appelons "les choses", mais suivant la philosophie bantu ce sont des êtres "non vivants", <des forces moindres, non douées de raison, de personnalité, ou de vie supérieure. Ce n'est pas sans raison, que certains considèrent le préfixe de bi-ntu comme n'étant rien d'autre que la particule de la négation> [146].


b) Toute force peut se renforcer ou s'affaiblir.

Tout être peut devenir plus fort ou plus faible.

Nous dirons de l'homme qu'il grandit, qu'il se développe, qu'il acquiert des connaissances, qu'il exerce son intelligence et sa volonté et qu'en ce faisant il les accroît. Par ces acquisitions, par ce développement, nous ne considérons pas qu'il sera devenu plus homme, en ce sens du moins que sa nature humaine est restée ce qu'elle était. On a la nature humaine ou on ne l'a pas. On ne l'augmente pas et on ne la diminue pas. Le développement opère dans et par les accidents, les facultés [147].

L'ontologie bantu, ou plus exactement leur théorie des forces, s'oppose par ses nuances propres [148] à pareille conception statique. Lorsque les Bantu disent: "Je suis devenu plus fort", ils expriment tout autre chose que lorsque nous disions que nous sentons nos forces s'accroître. Rappelons encore que pour le Noir, l'être est force et la force <n'est pas à distinguer de> [149] l'être. Lorsqu'il dit qu'une force augmente, ou qu'un être est renforcé, il faudrait exprimer cela en notre langue et suivant notre mentalité par: cet être s'est accru en lui-même, sa nature même s'est fortifiée, augmentée. Ce que la théologie catholique enseigne quant aux réalités révélées [150] de la vie de la Grâce, notamment qu'elle est un renforcement surnaturel de l'être, et qu'elle peut croître et se fortifier en soi, ressemble à ce que les Bantu admettent dans l'ordre ontologique pour tout être, pour toute force.

Voilà le sens dans lequel il y a lieu de comprendre les expressions que nous avons citées en exposant que le comportement des Bantu était centré sur la vigueur de la vie: être fort, renforcer sa vie, tu es vigoureux, va avec vigueur, ou encore ta force de vie est diminuée, est atteinte ("kufwa").

C'est dans ce sens aussi qu'il faut comprendre Frazer, lorsqu'il écrit dans "Le Rameau d'Or": "L'âme comme le corps peut être grasse ou maigre, grande ou petite"; et encore: "la diminution de l'ombre est considérée comme l'indice d'un affaiblissement analogue dans l'énergie vitale de son propriétaire" [151].

C'est encore la même idée que vise E. Possoz, quand il écrit dans ses "Eléments de droit coutumier Nègre": "L'existence est pour le Nègre chose d'intensité variable"; ou encore, quand il évoque "la diminution" ou "le renforcement de l'être" [152].

<Ici il nous faut nécessairement parler de l'"être" (zijn), l'exister, l'existence des êtres ou des forces> [153]. L'origine, la subsistance et le dépérissement des êtres ou des forces sont expressément et exclusivement attribués à Dieu. Le terme "créer" dans son acceptation propre de tirer du néant, se retrouve avec sa pleine signification dans les langues bantu ('kupanga' en Kiluba) [154]. C'est en ce sens que les Bantu attribuent la conception directement à Dieu [155].

Ceux qui pensent que, d'après les Bantu, un être peut annihiler complètement un autre être, au point qu'il cesse d'exister, se font une idée fausse de leurs conceptions. Sans doute une force surpassant une autre force peut paralyser la première, la diminuer et même arrêter totalement son action, mais la force subsiste. L'existence d'une force venant de Dieu ne peut être enlevée par aucune force créée.


c) L'interaction des forces. Un être peut influencer un autre.

Nous parlons de l'interaction mécanique, chimique et psychique des êtres. Nous reconnaissons [156] encore une autre causalité conditionnant l'être même, la cause de l'existence de l'être en tant qu'être; cette causalité relie la créature au Créateur. Le rapport de Créateur à créature est une constante, la créature est, de par sa nature, dépendante d'une façon permanente de son Créateur quant à son existence et quant à sa subsistance.

Nous, Blancs, ne concevons pas une pareille corrélation entre créatures. Les êtres créés sont désignés en philosophie comme substances. C'est-à-dire des êtres qui existent sinon par eux-mêmes, du moins en eux-mêmes, 'in se, non in alio'. L'enfant est dès sa naissance, un être nouveau, un être humain complet. Il a la plénitude de la nature humaine, et son existence en tant qu'homme est indépendante de celle de ses géniteurs. La nature humaine de l'enfant ne demeure pas d'une façon permanente en relation de dépendance [157] avec celle de ses parents.

Cette conception d'êtres se trouvant côte à côte, totalement indépendants l'un de l'autre, de substances (dans le sens philosophique strict), est également étrangère à la philosophie bantu.

Dans la conception des Bantu, les êtres créés se trouvent plus ou moins comme Créateur et créature dans un rapport intime ontologique. Suivant eux, d'être à être, de force à force, il peut sortir des influences, des interactions ontologiques, qui ne sont ni mécaniques, ni chimiques, ni psychologiques. Dans les forces créées, les Bantu admettent une causalité d'une force sur la nature intrinsèque, sur l'essence d'une autre force ou d'un autre être.

<Une force peut augmenter ou diminuer une autre. Cette causalité dans les êtres n'est pas une causalité surnaturelle, qui surpasserait les forces de l'être créé. C'est une causalité qui suit la nature des êtres, et ces influences, ces effets de vie, sont des effets très naturels. Leur connaissance et celle des principes de ces actions est une connaissance naturelle, sont de la philosophie, sont de l'ontologie, et dans ses applications inférieures, rien d'autre que la connaissance de la nature selon les Bantu> [158].

On a désigné cette interaction des êtres par le vocable "magie". Si on prétend le conserver, il y aurait lieu d'en modifier le sens et de l'entendre en conformité avec ce qu'y met <la philosophie bantu, du point de vue bantu> [159]. Dans ce que les Européens nomment "la magie des primitifs", il n'y a aux yeux des primitifs aucunement question de forces surnaturelles, indéterminables, mais simplement de la nature, telle qu'elle fut créée par Dieu, et mise par Lui à la disposition des hommes.

Dans leurs études sur la magie, les auteurs distinguent "la magie de similitude, de sympathie, la magie par contact, la magie du désir exprimé, etc." Cependant la "similitude", le "contact" ou le "désir exprimé" ne relèvent point de l'essence de ce que l'on a désigné par "magie", notamment: l'interaction des créatures. Le seul fait qu'on ait eu recours à des dénominations différentes pour distinguer les "espèces de magie" prouve déjà qu'elles n'expriment pas la nature profonde de cette "magie", mais uniquement les caractères secondaires.

L'enfant, même l'adulte, conservera toujours, pour les Bantu, comme homme, comme force, une dépendance intérieure, une subordination de l'être aux forces que sont ses père et mère. La force aînée demeure toujours plus forte que la force puînée, et elle continue toujours à exercer son influence sur elle. Dans la philosophie bantu, toutes les forces (êtres) de l'univers entier ne constituent pas une multitude de forces indépendantes, juxtaposées, mais de l'être à être, tous les êtres se trouvent en rapport mutuel suivant les lois de la hiérarchie que je m'applique à décrire plus loin. Rien ne se meut dans cet univers de forces sans que le reste ne bouge ou ne puisse être mu. Le monde des forces se tient comme une toile d'araignée dont on ne peut faire vibrer un seul fil sans ébranler toutes les mailles.

On a soutenu que, suivant les primitifs, les êtres (forces) ne peuvent agir sur d'autres êtres (ou forces) que par l'intervention des esprits ou des défunts. Cette allégation émane des observateurs européens, elle n'existe pas dans la pensée des Noirs. Les "défunts" interviennent éventuellement pour 'faire connaître' aux vivants la nature et l'essence de certaines forces, mais par là ces défunts ne 'changent' pas l'essence ou la nature des forces naturelles. Les Noirs disent expressément que les <êtres ont de la force en eux-mêmes, ou qu'ils> [160] sont des forces créées par Dieu en tant que telles, et que l'intervention des esprits et des <défunts est totalement inutile pour l'"existence" des forces> [161]... que ce sont là des idées de Blancs.


d) La hiérarchie des forces.

Le rang de vie et la primogéniture.

De même qu'il y a des castes aux Indes, de même que les Israélites distinguent le "pur" de l'"impur", de même pour les Bantu [162], les êtres sont répartis par espèces et classes suivant leur vigueur de vie ou de leur rang de vie. Par-dessus toute force est Dieu, Esprit et Créateur, le 'mwine bukomo bwandi'. Celui qui a "la" force par lui-même. Il donne l'existence, la subsistance et l'accroissement aux autres forces. Vis-à-vis des autres forces, il est celui qui raffermit la force ou la vie.

Après lui viennent les premiers pères des hommes, les ancêtres des divers clans. Ces ancêtres, les premiers à qui Dieu communiqua sa force de vie avec la puissance d'exercer sur toute leur descendance leur influence affermissante de vie, occupent dans la conception des Noirs, le chaînon le plus élevé entre Dieu et l'humanité, si élevé qu'ils ne sont plus considérés comme des simples trépassés. Ils ne sont même plus nommés des morts ordinaires, mais chez les Baluba, ils sont désignés comme 'ba-vidye', des êtres spiritualisés, des êtres d'un rang de vie supérieure, participant dans une certaine mesure, directement à la vigueur divine [163].

Après ces ancêtres, viennent les autres défunts de la tribu suivant leur degré de primogéniture; ils forment la lignée de vie par laquelle les forces aînées exercent leur influence de vie sur la génération vivante. Les hommes vivants sont à leur tour hiérarchisés, non simplement suivant le statut juridique, mais d'après leur être même, selon la primogéniture et le rang de vie, c'est-à-dire selon la vigueur de vie.

Mais l'homme vivant n'est pas suspendu dans le vide; il habite ses terres, régnant comme force royale de la vie, sur le sol et sur ce qui y vit: homme, animal et plante. L'aîné d'un groupement ou d'un clan est, pour les Bantu, de par l'ordre de Dieu, le chaînon de renforcement la vie reliant les ancêtres à la descendance. C'est lui qui raffermit la vie de ses gens, et par suite, de toutes les forces inférieures, animales, végétales ou organiques [164], qui existent, croissent ou vivent sur son fonds pour le bénéfice de ces gens. Le vrai chef est donc, suivant la conception originelle et suivant l'organisation [165] des peuples claniques, le père, le maître, le roi; il est la source de la vie vigoureuse; il est comme Dieu lui-même. Ceci explique ce que les Noirs voulaient dire en protestant contre la nomination d'un chef, à l'intervention de l'administration, lorsque celui-ci ne pouvait, suivant son rang de vie, être ce chaînon reliant les ancêtres aux vivants. "Il n'est pas possible qu'un tel soit chef. Cela ne se peut. Plus rien ne poussera sur notre sol, les femmes n'enfanteront plus et tout ce qui vit sur notre sol sera frappé de stérilité". Pareilles considérations et un tel désespoir profond sont parfaitement incompréhensible et mystérieux, aussi longtemps que nous n'avons pas approfondi leur conception de l'être et leur philosophie de l'univers. Mais à l'épreuve de la "théorie des forces", ce point de vue bantu paraît logique et clair.

Après la classe des forces des hommes vivants viennent les autres forces, les animaux, les végétaux et les minéraux. Mais au sein de chacune de ces classes de forces se retrouve une hiérarchie suivant la force de vie, le rang de vie ou la progéniture.

De là découle que l'on peut retrouver une harmonie (analogie) entre un groupe humain et un groupe d'animaux, analogie fondée sur la place relative occupée par chacun de ces groupes par rapport à sa place propre. Telle serait une analogie fondée sur la primogéniture, ou sur un rang déterminé de subordination. Un groupement humain et une espèce animale peuvent occuper dans leur classe d'être respective, un échelon de vigueur de vie et de rang de vie relativement égal et relativement différent.

Leurs rangs vitaux peuvent être parallèles ou dissemblables. Celui qui est le chef dans ordre des humains "montre" son rang supérieur par l'emploi d'une peau d'animal royal. Le respect de ce rang de vie, le souci de ne pas se placer plus haut qu'on est ou de se tenir à sa place, la nécessité de ne pas se poser en égal vis-à-vis de forces relativement supérieures, tout cela pourrait fournir la clé du problème tant disputé du "tabou" et du "totem".


e) La création est centrée sur l'homme, et l'homme vivant ici sur terre est le centre de toute l'humanité, y compris celle du monde des défunts.

Les Juifs n'avaient pas de notion précise de l'au-delà non plus que de la compensation par Dieu des mérites terrestres dans la vie future. Ils ne connurent l'idée de béatitude que peu de temps avant l'avènement du Christ. Le "shéol" était plutôt un lieu de désolation et le séjour y paraissait morose et, certes, peu enviable pour ceux qui avaient le bonheur de vivre encore sur terre.

Ainsi le langage courant des Bantu peut présenter les trépassés comme des êtres diminués, vivant d'une vie réduite. <Les Noires ont cependant des idées plus philosophiques, quand ils veulent exprimer les réalités profondes. Ils disent que les aînés, les pères, conservent dans l'au-delà leur force de vie, leur rang de vie supérieur ainsi que leur influence paternisante ou renforçante. Ils croient que les défunts, en général, ont acquis une connaissance plus profonde des forces vitales ou naturelles. Ainsi leur diminution ontologique semble moins grande que nous le font supposer les expressions courantes> [166].

Ce que les défunts ont pu acquérir en fait de connaissances approfondies des forces de vie ou de la nature <et les forces supérieures qu'ils possèdent en tant qu'aînés> [167], ne peut leur servir qu'à renforcer la vie de l'homme vivant sur terre [168]. Le défunt qui ne peut plus entrer en relation avec les vivants sur terre et leur appliquer sa force de vie, est "parfaitement mort", disent les Noirs. Ils signifient par là que cette force de vie déjà réduite par le décès, touche le fond de sa diminution, qui chôme complètement à défaut de pouvoir examiner son influence de vie sur les vivants. Ceci est considéré comme la pire des calamités pour le défunt lui-même. Les mânes cherchent à entrer en contact avec les vivants et à survivre en poursuivant [169] leur influence de vie sur la Terre.

D'autre part les forces inférieures (animaux, plantes, minéraux), n'existent, par la volonté de Dieu, que dans le but d'augmenter la force de vie des hommes vivants. Les forces de vie supérieures et inférieures sont donc considérées par les Bantu dans leur rapport avec les forces des hommes vivants. C'est pourquoi j'ai préféré qualifier les influences <d'être à être, des "influences de vie" plutôt que des "influences d'être"> [170]. En effet, même les êtres ordinaires, les (êtres) inanimés, les minéraux sont des forces qui, par leur nature, sont mises à la disposition des hommes, les forces humaines vivantes, ou, pourrait-on dire, de la force de vie des hommes.

Le Blanc, <un nouvel être, qui paraît tout à coup dans le monde des Bantu, a été - comment eut-il pu en être autrement - considéré du point de vue de l'antique philosophie et ontologie bantu> [171]. Le Blanc fut donc incorporé dans l'univers des forces, à sa place suivant la représentation de l'univers des Bantu [172]. L'habilité technique du Blanc les frappait. Il semblait être maître des grandes forces naturelles. Il fallait donc admettre que le Blanc était un aîné, plus fort dans l'humanité, plus vigoureux par la force de vie que tout Noir. La force de vie du Blanc paraissait telle que contre lui les "manga", ou les forces agissantes de la nature dont disposent les Noirs, paraissent dépourvues d'effet.


f) Les lois générales de l'influence de vie (ou de causalité).

Après ce que nous avons dit au sujet de la hiérarchie des êtres ou forces suivant leur nature interne, au sujet des classes de rang de vie, <au sujet des degrés de vigueur de vie> [173], ainsi qu'au sujet des priorités de primogéniture, il se dessine déjà que, chez les peuples claniques, l'univers des forces est organiquement construit, suivant une hiérarchie que nous pourrions appeler ontologique. L'interaction des forces ou des influences de vie se fait en effet suivant des lois déterminées. L'univers bantu n'est pas un enchevêtrement chaotique de forces désordonnées se heurtant aveuglement. Il ne faut pas croire que cette philosophie des forces soit un produit incohérent d'une imagination de sauvage, où l'action d'une même force sera tantôt faste et tantôt néfaste sans qu'il existe un motif déterminé pour le justifier. <Certaines influences peuvent en effet ne pas avoir été prévues, mais leur "pourquoi" peut cependant être trouvé> [174]. Lorsqu'un moteur tombe en panne, il se peut que cet événement n'était pas prévu [175], cependant on ne doit pas pour autant en déduire l'inexactitude et l'instabilité des lois de la mécanique. Au contraire, l'avarie elle-même ne pourra trouver son application que dans l'application adéquate des règles de la mécanique. Il en va de même pour les lois des influences de vie. Il est des influences de vie, possibles et nécessaires; d'autres influences sont métaphysiquement impossibles entre des êtres déterminées. Les influences vitales des êtres possibles peuvent être formulées en quelques lois métaphysiques, universelles, immuables et stables.

Ces lois me paraissent pouvoir être exprimées comme suit:

L'homme (vivant ou trépassé) peut directement renforcer ou diminuer un autre homme dans son être.
Si pareille influence de vie est possible d'homme à homme, elle opère nécessairement entre une force de vie humaine aînée ou plus vigoureuse et une force de vie humaine puînée ou moins vigoureuse. Cette action n'est inopérante que lorsque le patient se trouve nanti, par rapport à l'agent d'une force de vie supérieure, qu'il peut avoir par lui-même, ou par une force de vie externe et notamment par l'action de Dieu.

La force de vie humaine peut influencer directement dans leur être même des forces inférieures (animales, végétales ou minérales).

Un être raisonnable (esprit, homme défunt ou vivant), peut influencer indirectement un autre être raisonnable en agissant sur une force inférieure (animale, végétale ou matérielle) par le truchement de laquelle il atteindra un autre être raisonnable. Cette influence agira aussi nécessairement, à moins que l'autre être raisonnable ne soit intimement plus fort, étant renforcé par un être raisonnable plus fort, ou se préserve par un recours à des forces inférieures surpassant celles dont use l'adversaire [176].


Note

Certains auteurs prétendent que les êtres inanimés, pierres, roches ou plantes et arbres, sont désignés par les Bantu comme "bwanga", comme exerçant leur influence de vie sur tout ce qui s'en approche. Ces forces inférieures agiraient-elles par elles-mêmes sur des forces supérieures (humaines)? Certains auteurs répondent par l'affirmative. Quant à moi, je n'ai jamais rencontré des Bantu qui accréditaient cette thèse [177]. Cette éventualité en outre me paraît en contradiction avec les principes généraux de la théorie des forces, <qui elle aussi est fondée dans les dires et usages des Bantu> [178]. Suivant la doctrine de l'être des Bantu, il est exclu que l'inférieur influence par lui-même le supérieur. <C'est là un point sur lequel j'ai recueilli des affirmations catégoriques> [179].

D'ailleurs, lorsque ces auteurs exposent leurs exemples <de pareilles actions d'inférieur à supérieur> [180], ils doivent fréquemment reconnaître eux-mêmes l'intervenion d'une influence des mânes, par exemple. Ainsi, certains phénomènes ou merveilles de la nature, roches, cataractes, grands arbres, peuvent-ils être considérés comme des manifestations de la Puissance de Dieu; ils peuvent aussi être le signe, la manifestation, l'habitat d'un esprit. Il me semble que telle devrait être l'explication de l'influence apparente des forces inférieures sur la force supérieure. Ces êtres inférieurs n'exercent pas leur influence par eux-mêmes, mais par l'énergie vitale d'une force supérieure agissant comme cause. <Ce serait un être supérieur ou plus fort (Dieu, esprit, défunt), qui influence indirectement les vivants à travers ces phénomènes de la nature> [181]. Pareille explication cadre en tout cas parfaitement avec la métaphysique bantu. Cette manifestation se rattacherait à la troisième loi énoncée.

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Chapitre III :  La sagesse et la doctrine de la connaissance des Bantu

1. Qu'est-ce que la sagesse bantu?

La sagesse est la vue plus profonde dans la nature des êtres, des forces [182]; la vraie sagesse est la connaissance ontologique. Le Sage, par excellence, est donc Dieu, qui connaît tous les êtres, qui sonde la nature et l'essence de leur force.

Il est la force même, celui qui possède la force de soi-même et qui est le créateur [183] de toutes les autres forces existantes. Il connaît toutes les forces, il sait leur hiérarchie, leur dépendance, leur potentiel et leur activité réciproque. Il connaît, par conséquent, la raison [184] de tout évènement. "Vidye uyukile", Dieu le sait, telle est l'ultime référence des Baluba en face de tout problème insoluble, devant tout malheur inéluctable et chaque fois que la sagesse humaine est prise à court de raisons.

En justice, lorsque toutes les présomptions humaines concourent pour accabler un innocent, celui-ci, lorsqu'il est sûr de son innocence [185], protestera: "Vidye uyukile"! Dieu le saint, Dieu qui connaît tout évènement et l'homme même dans l'intimité de l'être [186].

Lorsque les "manga", les fortifiants magiques échouent, le faiseur de remède dira: "Vidye wakoma", Dieu est vigoureux. Ce qui signifie: il est plus fort que mes remèdes. Mais ceux parmi les païens <qui, tout en admettant en principe l'interaction des êtres, ne croient pas à l'efficacité des remèdes proposés> [187], diront en se résignant devant un malheur dont la cause échappe: "Vidye uyukile", Dieu sait (et il permet).

Rien ne se fait, en effet, sans la permission du plus vigoureux. La sentence: "il sait", signifie certes: "il connaît l'évènement", mais bien plus encore: "il a ses raisons".

Dieu connaît, il donne à l'homme la "force" de connaître, <comme il lui donne la puissance de vouloir, de vivre. Rappelons que> tout être est force, chacune de ses facultés est une force: la force de connaître et la force de vouloir [188]. Ainsi les hommes peuvent donc savoir. Mais avant tout ce sont les ancêtres, les "bavidye", qui savent, et après eux, les premiers-nés, trépassés et vivants. "Ce sont eux qui ont commencé les choses".

Aussi, pour les hommes, la vraie sagesse humaine est la métaphysique, l'intelligence du monde des forces, des lois universelles de sa hiérarchie, de sa cohésion, de leur croissance et de leur interaction.

<D'abord les premiers-nés: ils "savent"> [189]. En effet, tout comme la force de la vie humaine ou l'être humain, n'existe pas par lui-même, mais se trouve et demeure essentiellement dépendant de ses aînés, ainsi également la force de savoir est, comme l'être lui-même, essentiellement dépendante de la sagesse des aînés.

Combien de fois dans un village, lorsqu'on veut interroger les Noirs au sujet de [190] leur terre, d'un évènement, d'un procès, d'une coutume, <même d'un détail géographique ou géologique>, ne s'attire-t-on pas la réponse: "nous les jeunes, nous ne savons pas; ceux qui savent, ce sont les aînés". Or, cela se passe même lorsqu'il s'agit de choses, que selon nous, ils savent pertinemment. Cependant, dans leur idée, ils ne savent pas, parce qu'ils sont jeunes, parce qu'ils ne savent pas d'eux-mêmes. Ontologiquement et juridiquement, les anciens qui ont l'ascendant sur eux, sont les seuls à savoir pleinement, plus profondément et hautement, en dernière instance; leur sagesse dépasse celle des autres hommes. C'est en ce sens que les aînés disent: "Les jeunes ne peuvent pas savoir sans les aînés". "Si ce n'étaient pas les aînés, disent encore les Noirs, si les jeunes étaient laissés à eux-mêmes, le village tournerait à rien, les jeunes ne sauraient plus comment vivre, <ils ne pourraient plus connaître les usages, les lois, ni acquérir la connaissance de l'être>; ils divagueraient jusqu'à se perdre".

<En se passent des aînés> [191], l'étude et la recherche personnelle ne donnent plus la sagesse. On peut apprendre à écrire, à calculer: on peut apprendre à conduire une automobile, on peut apprendre un métier; mais tout cela n'a rien de commun avec la "sagesse"; cela ne donne pas l'intelligence ontologique de la nature des êtres; ce sont autant de talents et d'habilités ingénieuses, enfantines, mais qui demeurent loin en deçà de la sagesse. Ainsi parlent les Bantu de sagesse.

Tentons de faire, selon notre mode [192] occidental, un exposé rationnel de la sagesse des Bantu, de leur système de doctrine de la connaissance.


2. La doctrine des êtres est connue universellement chez les Bantu [193]

La philosophie des forces est une philosophie de la vie [194]. Qu'elle ait été inventée pour justifier un comportement déterminé, ou qu'une intelligence profonde de la nature ait conditionné ce comportement, peu nous importe, toujours est-il qu'actuellement, elle pénètre profondément [195] toute la vie des Bantu.

Elle implique les mobiles humains, raisonnables, de toutes les coutumes bantu, elle livre les normes générales de la conservation et de l'épanouissement de la personne. Ceci ne veut pas dire que chaque "muntu" est à même de décliner les dix vérités cardinales de sa philosophie de vie, mais il n'en est pas moins vrai que le "muntu" qui paraît ignorer [196] les antiques normes de la philosophie bantu, se fera traiter de "kidima" par ses frères, c'est-à-dire, d'irresponsable [197], d'homme à l'esprit insuffisant pour compter comme homme normal. Le "muntu" normal connaît sa philosophie, il reconnaît la nature dynamique [198], il sait l'accroissement des êtres et leurs influences, il tient compte des lois générales de l'influence de vie, comme nous l'avons exposé ci-dessus, au chapitre précédent. Cette doctrine de l'être, pour autant qu'elle est universelle, donc vraiment philosophique, est le bien commun de tous les membres de la communauté bantu.

Cette sagesse universelle est acceptée de tous, elle n'est plus soumise à la critique, elle vaut, dans ses principes généraux, comme vérité irréfragable.

<Les données ethnologiques que nous avons systématisées dans ce livre, ne constituent pas une science secrète de quelques savants ou initiés. Nous ne donnons que la sagesse populaire de l'homme commun. A côté de cette pensée commune des Bantu, il existe dans chaque peuplade des "systèmes" de cosmologie exprimés en formules archaïques et en légendes conventionnelles, compréhensibles pour les seuls initiés des confréries (du "bwanga"), comme par exemple le "Mbudye" chez les Baluba> [199].



3. La philosophie bantu se fonde sur l'évidence externe et interne.

Si ces conceptions, chez les Bantu, sont généralement si peu mises en doute, c'est - nous disent-ils - parce que la sagesse leur est donnée en même temps que leur force de vie par les aînés et les ancêtres, et continue à leur être enseignée par la divination. Cependant, ils puisent d'autres arguments d'eux-mêmes. Leurs ancêtres, issus de Dieu même, ne devaient-ils pas en savoir plus long qu'eux-mêmes? Or, leurs ancêtres ont vécu de cette philosophie, ils ont gardé et transmis la vie en recourant à ces forces naturelles. Ils ont préservé la communauté bantu de sa destruction. Leur sagesse semble par conséquent juste et adéquate. De plus, cette philosophie de vie est si parfaitement adaptée à leur vie à eux, qu'elle ne laisse pour ainsi dire aucun problème sans réponse, qu'elle offre un remède à toute éventualité; pour les Bantu, ceci est une preuve de plus du fondement réaliste de leur philosophie. Ainsi que le disait Mgr Le Roy dans "La religion des primitifs": le Noir se voit constamment en lutte avec les forces de la nature qui l'entourent, et sort de cette lutte, "tantôt un vainqueur, et tantôt un vaincu" [200]. Il constate chaque jour les forces cachées des plantes et des herbes. Pour les primitifs, toutes ces considérations constituent les éléments de preuve suffisante de la validité de la philosophie des forces et de la conception des êtres en tant que forces. Voir que les forces de la nature sont tantôt agissantes et tantôt inefficaces, <qu'un remède a tantôt un effet et reste tantôt inefficace> [201], suffit, pour lui, à justifier la déduction qu'un être, une force, peut tantôt se renforcer, tantôt s'affaiblir, que la force d'un être peut devenir inactive, que le "bwanga" peut "s'en aller", "refroidir" ou être "piétiné" ainsi qu'ils s'expriment.

Ainsi donc, la doctrine de la connaissance des Bantu repose sur l'évidence externe de l'autorité, la sagesse et la force de vie dominante des ancêtres; elle repose en même temps sur l'évidence interne, c'est-à-dire, l'expérience de la nature, et des phénomènes vitaux, faite de leur point de vue. Sans doute pourra-t-on déceler quelque faute dans leur raisonnement, mais tout au moins faut-il admettre qu'ils fondent leurs conceptions en sur des raisons ou logiques [202], et que leur doctrine de l'être est une connaissance rationnelle.


4. Les Bantu distinguent les connaissances philosophiques  [203] des sciences naturelles (physiques)

Les notions transcendantales et universelles des êtres et de leurs forces, de leur croissance, de leur action, des rapports et des influences réciproques, <la connaissance des éléments réels qui sont communs à tous les êtres> [204] constituent la philosophie bantu. Ce domaine est ouvert à l'intelligence commune de tout "muntu" normal.

Si l'on voulait ridiculiser cette philosophie et en tracer une caricature de fantaisie enfantine, en objectant qu'elle ne repose pas sur la connaissance expérimentale [205], il faudrait prendre garde de ne pas se fourvoyer dans des arguments plus ridicules que la prétendue conception ridicule du monde [206] des primitifs.

Notre philosophie se base-t-elle sur l'expérimentation [207]? Relève-t-elle de l'analyse chimique, de la mécanique ou de l'anatomie? Les sciences naturelles ne peuvent renverser une philosophie, et elles sont incapables d'en créer une. Nos aïeux ont élaboré [208] une philosophie systématisée que les sciences positives modernes les plus poussées n'ont pas entamée. Or, nos ancêtres parvinrent à leur intelligence de l'essence des choses, alors que leur science expérimentale était fort pauvre et défectueuse, sinon souvent erronée.

L'instrument de travail de la science positive est l'expérimentation sensible, <sur la chose sensible>, celui de la philosophie est une considération universelle de la raison [209] <de la nature intime des êtres>. Mais on n'expérimente pas l'âme. On peut faire des expériences qui peuvent fournir à l'intelligence la preuve raisonnable, <de la spiritualité d'un être. C'est l'intellect qui "crée" la science, c'est lui qui reconnaît "ce qui est"> [210]. <L'intelligence, et elle seule, atteint par raisonnement sur l'expérience, la réalité spirituelle et transcendantale> [211]. Ceci présuppose toutefois que l'on admette la valeur objective de la connaissance intellectuelle. Heureusement les primitifs, et les sémi-évolués, ne sont pas encore assez "civilisés" pour douter de la valeur des connaissances intellectuelles, et de la validité du raisonnement intellectuel [212].

Les notions générales et les principes concernant les êtres sont fondés chez les Bantu - en se plaçant à leur point de vue - sur l'argument d'autorité et sur leur propre intelligence de la constitution de l'univers. C'est pourquoi je présume qu'elle pourra se retrouver chez tous les peuples primitifs, "non-civilisés". C'est pour ce motif que cette ontologie est si tenace chez les indigènes éduqués et chez nos convertis. <Et nous n'avons qu'à nous en féliciter> [213].

La conception générale que l'on peut avoir des êtres et la connaissance que l'on peut avoir des qualités particulières de chaque être sont choses distinctes. Il ne relève plus de la philosophie proprement dite de définir un être particulier en décrivant son essence spécifique, sa force, ses facultés, ses influences et ses propriétés. Ceci nous reporte dans le domaine de la science naturelle. Et l'on peut poser la question de savoir si dans notre science naturelle moderne, l'unanimité s'est faite sur le dernier mot au sujet de la nature des diverses forces naturelles que l'on a pu découvrir jusqu'à ce jour.

Chez les Bantu, on retrouve similairement la même divergence de vues, et la même ignorance lorsqu'il s'agit de la connaissance des êtres concrets en présence. <Cette connaissance n'est pas un bien commun de la communauté bantu> [214]. Eux-mêmes concèdent qu'il y a beaucoup de mystères non élucidés. Qui peut connaître toute chose, sinon Dieu, ainsi disent les Noirs. C'est Dieu qui a donné un nom à toute chose, parce qu'il connaît les êtres. Voilà pourquoi les applications pratiques de la philosophie bantu aux nécessités quotidiennes de la vie, aux pratiques magiques, peuvent différer avec les tribus et les régions. Voilà pourquoi on peut trouver des procédés apparemment contradictoires d'une contrée à l'autre, mais qui, au fond, ne sont que les applications variées des mêmes principes généraux de la philosophie bantu.

Il est pourtant des êtres qui sont connus d'après leur nature propre. Ainsi qu'il a été dit déjà ci-dessus, les Bantu distinguent dans les êtres visibles, l'apparence extérieure et l'être lui-même, la force invisible <ou la nature invisible> [215]. Cependant la force invisible ou la nature peut se concentrer ou se manifester et s'extérioriser plus particulièrement dans une partie déterminée de l'apparence sensible. La force de la vie peut être condensée, nouée, et peut s'extérioriser dans ce que nous pourrons nommer un noeud de vie ou un centre de vie. Ce noeud, ce centre de vie, ce "signe" [216] de la force de vie, est nommé "kijimba" par les Baluba. Une bête sera percée de dix flèches sans succomber, tandis qu'une autre bête est abattue au premier trait. C'est parce que cet unique trait a touché le centre de vie ou l'un des centres de vie.

Pourquoi le crocodile est-il si redoutable? Où réside sa force de vie meurtrière, sinon dans son oeil toujours aux aguets et auquel rien n'échappe. Et le symbole, l'instrument animé de la force de vie destructrice de maître lion, où est-il? C'est évidemment sa redoutable canine [217].

Il est donc fort naturel, du point de vue du Noir, que quiconque veut s'approprier la force de vie d'un être inférieur ou en faire usage, essaye de se procurer un semblable "kijimba" qui signifie et matérialise ce lien [218] entre cet être et lui-même. <Est-ce que les Bantu ne prouvent et ne confirment-ils pas par un "signe" tout acte de la vie et chaque interdépendance vitale?> [219].

C'est le "kijimba" que l'on retrouve comme élément principal, comme élément actif, comme élément de force dans le "bwanga". La connaissance de certaines forces de vie et partant des "kijimba" correspondants, est répandue de manière relativement uniforme parmi tous les Bantu. Ce sont les "kijimba" des êtres particulièrement puissants, destinés à porter secours dans l'accomplissement de certaines activités courantes telles que la chasse ou la pêche. Dans ces métiers, il s'agit expressément de mesurer sa force de vie, avec celle d'un autre être vivant; il y a une lutte de vie entre le chasseur et le gibier. Il s'agit donc d'être le plus fort possible dans le combat et de s'annexer toute la force de vie possible, même celle provenant d'êtres inférieurs, pour s'assurer la puissance de détruire le gibier.

Il existe quelques lois générales permettant de connaître et de découvrir les forces et influences de vie de certains êtres. Ce sont ces "principes" que certains auteurs présentent comme principes actifs, comme principes de causalité de la magie. En réalité, ce ne sont pas les causes actives de la "magie" ou de l'utilisation des forces de la nature; ce sont de simples critères permettant de découvrir et de connaître ces forces de la nature. Ainsi a-t-on pu dire: "similia similibus curantur". Les ethnologues s'expliquent en affirmant qu'une force agit par similitude ou par concordance. Je crois avoir expliqué suffisamment que cette similitude ne peut être le fondement de l'influence de vie. Mais la ressemblance entre la force meurtrière du lion ou du crocodile, et les intentions qui animent le chasseur ou le pêcheur, portent les Bantu à conclure que les forces de ces grands carnassiers peuvent être utilisées dans l'exercice du métier du chasseur ou du pêcheur, ou mieux, dans la lutte qu'ils entreprennent respectivement contre le gibier ou contre le poisson. <La ressemblance n'est pas l'agent actif, mais seulement la preuve ou le signe de telle force déterminée> [220].

Une autre loi de l'être vivant exerce une force de vie ou une influence de vie sur tout ce qui lui est subordonné, sur tout ce qui lui appartient. C'est pourquoi toute atteinte à ce qui dépend d'une personne sera considérée, comme nous l'avons déjà signalé, comme une diminution de vie de cette personne elle-même. "Toute propriété est riche en influences mystérieuses", dit Burton dans "L'âme luba" [221]. Le fait qu'une chose ait appartenu à quelqu'un, qu'elle ait été en étroite relation avec une personne, fait conclure aux Bantu que cette chose participe à l'influence de vie de son propriétaire, puisqu'elle fait partie de sa vie. C'est ce que les ethnologues aiment désigner comme "magie par contact" ou "magie par sympathie"; or ce n'est nullement le contact ni la sympathie qui sont les éléments actifs, mais exclusivement la force de vie du propriétaire qui agit, parce que l'on sait qu'elle adhère à l'objet qu'on possède ou utilise.

Un troisième principe permet aux Bantu de reconnaître, de découvrir dans certains cas, les forces de vie ou les influences de vie. La parole et le geste de l'homme vivant sont considérés, plus que toute autre manifestation, comme l'expression formelle, comme le "signe" de son influence de vie. Dès lors, si les paroles ou les gestes portent des effets fastes ou néfastes, en s'appliquant à une personne déterminée, on peut en déduire que telle personne exerce son influence vitale, soit en bien, soit en mal, sur telle autre personne. Ce qu'on a coutume de désigner comme "magie du désir exprimé" ou comme "magie par mimique", ou comme "magie d'imitation", désigne ce genre de manoeuvres; mais ici encore ce ne sont ni les mots ni la mimique qui exercent une force, ce ne sont que les signes qui extériorisent l'influence de vie et la font connaître à des tiers.

Ces trois principes (peut-être s'en trouve-t-il d'autres), fixent les règles de la recherche et de la connaissance des forces concrètes déterminées et des influences de vie. Ce sont en quelque sorte les lois de la connaissance de la science de la nature chez les Bantu; ce sont des critères et nullement des causes.


5. Le départ entre le domaine de la connaissance certaine et celui de l'aléatoire et de l'incertain chez les Bantu

De ce qui précède, il nous est possible de faire le départ entre les principes et lois considérés comme absolus et inaltérables par les Bantu eux-mêmes, et le domaine [222] de l'incertitude, des aléas, de l'ignorance.

Les notions et principes généraux exposés dans le chapitre II de cet ouvrage, sont aux yeux des Bantu des principes certains et invariables. Leur philosophie et leurs principes ontologiques, en tant qu'applicables à <tous les êtres existants> [223], ont, pour eux, une valeur universelle et nécessaire, ne tolérant point d'exception. Ce serait par conséquent une remarque mal fondée que de prétendre que les conceptions et principes des Bantu sont essentiellement variables, incertains et arbitraires. C'est exactement l'opposé qui est vrai, du moins si l'on se place correctement à leur point de vue [224].

Même les lois générales de leur science naturelle, de leur physique, notamment les trois critères pour la connaissance de la nature et de l'influence de vie de forces déterminées, sont pour eux universellement valables.

Cependant, lorsqu'on descend sur le plan de la connaissance particulière [225], nos Bantu admettent que l'on se trouve dans le domaine des approximations [226] et des suppositions, de la spécialisation, dans le domaine de l'habilité et du doigté.

C'est ainsi que pour savoir quelle influence particulière a entamé un homme dans sa force de vie, on s'en va prendre l'avis d'un spécialiste doué d'une connaissance supérieure. De même, pour savoir quelle sera la force spéciale, le "kijimba" concret, susceptible de revigorer cette personne altérée, il ne convient pas de s'en remettre à son seul savoir ordinaire et normal, non plus que de se fier à l'avis du premier venu. Dans des cas pareils, il est sage de recourir au devin. Comme il n'est pas donné à tout le monde de pouvoir tirer les cartes ou de lire dans la main, tout le monde qui veut n'est pas devin. L'exercice de cet art suppose des connaissances spéciales de forces ou, plus précisément, la force de la connaissance. <Mais comme ici il ne s'agit plus à proprement parler de philosophie générale, mais de connaissance concrète des forces particulières, nous en parlerons plus tard> [227].


6. La sagesse bantu est-elle naturelle, préternaturelle ou surnaturelle?

Nous nommons naturelle la connaissance que l'homme peut acquérir par l'exercice normal de ses forces. La connaissance préternaturelle dépasse l'intelligence humaine, mais non pas les forces de toute intelligence créée, seule la science surnaturelle dépasse les forces de toute intelligence créée [228].

De ce qui a été dit ci-dessus, et notamment au sujet de la connaissance de l'être chez les Bantu, il appert que leur philosophie tout comme la nôtre, ne prétend être qu'une connaissance intellectuelle naturelle, ou une conception des êtres à l'état naturel. Les critères généraux de la connaissance de forces et d'influences déterminées appartiennent aussi bien au domaine du savoir naturel, de la science positive bantu. La connaissance particulière des forces ayant agi dans un évènement déterminé, la connaissance d'une chose concrète en elle-même suivant sa nature et d'après ses possibilités d'influence sur certaines personnes, c'est bien là, me semble-t-il, une connaissance extraordinaire; ce n'est que dans certains cas, si l'intervention directe ou indirecte d'un être supérieur ou de Dieu même était supposée, que l'on pourrait parler de connaissance préternaturelle, <ou même de connaissance surnaturelle> [229].

Ce sont là de simples déductions des principes que nous avons exposés ci-dessus. Elles valent ce que vaut l'hypothèse de leur ontologie elle-même. Je crois cependant que ces considérations nous autorisent à faire bon marché des expressions passe-partout qui encombrent la recherche ethnologique où l'on se plaît à enrober les constatations faites des épithètes de "mystérieux", et des qualifications de "savoir surnaturel" ou "influences indéterminées", et tant d'autres... En général nous ne rencontrons chez les Bantu que des connaissances qui peuvent être ordinaires ou spécialisées, sans cesser pour autant d'être des connaissances naturelles; à leur sens ce n'est que dans certains cas qu'il semble qu'on ait affaire à des connaissances préternaturelles.

Il semble opportun d'ouvrir ici une parenthèse sur ce qui est généralement désigné comme "initiation" dans la littérature ethnologique. Le "kilumbu" ou le "nganga", c'est-à-dire l'homme qui possède une vision plus lucide des forces concrètes de la nature et de leur interaction, l'homme qui a la force de sélectionner les forces et de les diriger vers un usage déterminé dans des cas d'espèce, ne devient tel que parce qu'il a été "saisi" par l'influence de vie d'un ancêtre prédécédé ou d'un esprit, ou bien parce qu'il a été "initié" par un autre "kilumbu" ou "nganga". Que tout homme puisse être influencé par un homme plus savant résulte des principes généraux de l'ontologie bantu. Celui qui est ainsi "saisi" entre toujours en transe au moment où l'esprit ou le "vidye" le "saisit", et c'est à ce moment que le néophyte acquiert sa force supérieure pour connaître ou pour agir.

Mais dans ce phénomène il n'est pas question d'initiation. L'initiation ne se présente que lorsqu'un candidat "kilumbu" ou "nganga" se trouve avec un "homme aux "manga" et lui demande d'être éduqué dans son art. L'initiation consisterait-elle donc en ce que le maître-nganga introduise son disciple (son enfant dans les "manga", comme disent les Baluba), dans les secrets "de la sorcellerie et de la magie"? Le "nganga" ne peut rien faire de plus que d'enseigner à son apprenti les diverses manigances et cérémonies de son art, il peut lui donner une éducation adéquate au comportement qu'il devra adopter dans cette vie supérieure à laquelle il se destine [230], mais, - à mon humble avis, - il lui est impossible de donner la force et la science. Pour posséder la réelle science et le pouvoir des "manga", il n'y aurait pas, suivant la conception que s'en font les Noirs, une initiation (au sens français de ce mot). C'est lorsque le maître-nganga a terminé son oeuvre préparatoire que vient le moment où son élève doit recevoir son pouvoir et sa science au cours de ce qu'on a appelé à tort la "cérémonie de l'initiation". Je présume qu'il est universel dans le monde bantu, qu'au cours de cette cérémonie, le néophyte entre en transe, perd conscience, est comme mort à la vie humaine ordinaire, et renaît doué de ce pouvoir supérieur et de sa connaissance exaltée de "nganga" ou de "kilumbu" [231]. C'est bien sous l'influence de vie de son maître qu'il est éduqué et qu'il renaît à ce pouvoir supérieur, à cette force de vie supérieure, mais la force et la puissance qui l'animent lui viennent d'un ancêtre prédécédé ou d'un esprit, sous l'influence duquel son maître a également acquis sa force et sa connaissance. Seulement ainsi s'explique le cas de l'un ou l'autre élève, que l'on ne peut amener en transe. Son maître lui dit: "Chez vous cela ne réussit pas". Il faut donc qu'intervienne une force de vie supérieure à celle du maître et c'est donc à tort que l'on parle de vraie "initiation" par le maître.

Ces relations, influences de vie des morts sur les vivants, sont pain quotidien pour les Bantu; dans une mesure plus ou moins grande ces phénomènes sont mentionnés dans la vie de tout Muntu; ils vivent en communauté avec leur morts, et cette influence de vie des défunts ne doit pas être jugée préternaturelle sur les critères de notre philosophie, mais comme un évènement naturel, comme le cours normal des choses du monde des forces, selon la philosophie bantu. C'est ce point de vue noir que l'ethnologie devait adopter [232].


7. Y a-t-il chez les Bantu une connaissance qui ne soit pas "magique", c'est-à-dire qui ne soit pas connaissance de forces? Leur sagesse est-elle critique?

On a prétendu que le Noir raisonne moitié comme nous (c'est-à-dire suivant un raisonnement critique épousant la nature des choses) et qu'abandonnant ensuite tout raisonnement il commence à penser "magiquement" [233].

Ainsi, l'on signale, par exemple, que les Noirs se révèlent intelligents, raisonnables, dans le tressage de leurs filets, la confection de leurs pièges et plus généralement dans toutes leurs ruses de chasse. Ils savent quels outils ils doivent employer pour faire des instruments efficaces, ils observent une logique sans faille pour combiner leurs embuscades. Tout à coup cependant ils abandonneraient [234] tout raisonnement pour faire dépendre le succès de leur battue du secours de l'esprit de la chasse ou du bwanga des chasseurs. Je pense qu'il est mal fondé pour autant, de dédoubler l'homme, dans le primitif [235], et de le qualifier d'incompréhensible, illogique ou mystérieux. Il est possible que dans la cueillette des herbes, dans le rouissage et dans la confection des paniers, nasses et autres ustensiles, le Noir ne voie que peu d'incidence ontologique. Ce sont des façonnages utilitaires à l'écart de la sagesse, de la force de vie. Pourtant, on leur entend dire que ces habiletés, que ces techniques ont été données à un homme déterminé, avec sa force de vie propre. Mais ils font une distinction nette entre l'aptitude à bien confectionner un objet matériel, et le pouvoir de conditionner un instrument pour maîtriser et prendre d'autres êtres vivants. L'un n'est qu'enfantillage, l'autre est oeuvre de vie. Il ne faut donc point s'étonner de voir le Nègre user "magiquement" de ses connaissances professionnelles, et d'apprendre qu'il songe en ce faisant aux forces de vie qu'il a l'intention d'affronter.

A aucun moment, celui qui veut faire une pirogue ne cessera de penser et d'agir [236] selon sa philosophie des forces [237]. Les fondeurs de cuivre et les forgerons penseront ne pas pouvoir couler le minéral, et changer ainsi la nature de la matière traitée sans devoir faire appel à leur propre force de vie supérieure nécessaire à dominer la force de vie de l'être qu'ils travaillent [238]. Quant au chasseur, il sera convaincu que c'est par sa force de vie supérieure qu'il a eu le génie de confectionner ses engins avec efficience, et qu'il a eu l'adresse de les employer efficacement dans son combat avec le gibier capturé; il pensera que c'est son influence de vie ou la puissance de l'esprit tutélaire des chasseurs, qui a mené le gibier dans ses pièges.On aurait de la peine à trouver une activité ou un évènement ayant quelque importance dans la vie des Noirs, que ceux-ci ne rattachent pas à leur philosophie des forces, à leurs conceptions au sujet des influences de vie.

La connaissance des Bantu n'est pas bifide. Il n'y a pas chez eux un domaine réservé à la [239] philosophie des forces, à côté d'un domaine où jouent les connaissances critiques [240]. La philosophie des forces pénètre l'ensemble de leurs connaissances, ils ne possèdent pas d'autre conception du monde; c'est leur philosophie qui oriente tous leurs actes et leurs abstentions, et tout comportement consciemment humain est orienté par leur science de l'être.

Faut-il conclure que cette connaissance de l'être (science magique ainsi qu'on l'a nommée) [241], qui n'est en réalité selon eux autre chose que la connaissance des forces, ne serait pas critique [242]? <Peut-on dire que seul notre philosophie est une science réaliste ou critique, tandis que la leur ne le serait pas?> Si l'on veut entendre par une philosophie critique, une philosophie fondée sur l'observation de la réalité, et sur les déductions que l'on peut tirer de l'expérience humaine, il faut admettre que la philosophie des Bantu peut être appelée de leur point de vue, et pour les motifs exposés ci-dessus, critique au même titre que la nôtre [243]. A leurs yeux, leur philosophie repose sur l'évidence interne et externe. S'il n'en était pas ainsi, il faudrait conclure que, faute de motifs, leur système ne serait qu'un produit de la plus pure fantaisie [244].

On peut se demander, du reste, s'il peut y avoir une philosophie digne de ce nom, qui ne serait pas [245] critique. Autre chose est de vérifier si leurs observations ont été faites correctement et si leurs déductions ne cèlent pas des fautes de raisonnement. Un système philosophique peut être "critique" même si l'on prouve qu'il est faux. Si l'on réservait le nom de philosophie critique exclusivement à l'exacte et vraie conception de l'être, il ne pourrait exister qu'une seule philosophie, et aucun autre système de pensée ne pourrait être appelé philosophie [246].


8. Les Bantu n'ont-ils, dès lors, aucune connaissance [247] expérimentale?

C'est une façon crue de poser la question. Nous la croyons justifiée, parce qu'elle fait ressortir le faux jour sous lequel elle se place.

Lorsque nous parlons d'expérience, nous pensons à autre chose que ce que les Noirs pourraient entendre par "expérience". Devant l'expérience, nous concluons raisonnablement suivant notre doctrine de la connaissance et notre ontologie, les Noirs pensent conclure valablement suivant la leur. Nous saisissons la causalité suivant notre connaissance de l'être, les Noirs suivant [248] leur philosophie des forces et les influences de vie [249].

Prenons un exemple pour illustrer cette thèse. Les Noirs connaissent expérimentalement des herbes et des plantes dépuratives, vermifuges ou désinfectantes. Eux en déduiront: "cette plante, cette herbe est telle ou telle force". Cette force agira donc comme [250] toutes les autres forces, par influence de vie, elle deviendra intense, ou diminuera, elle n'agira que par l'influence de vie [251] de l'homme fort et vivant. De là les "conditions" des remèdes, les gestes, les rites et les incantations en usage lors du recours aux médicaments. Pour être plus sûr de l'action efficace de ces forces de la nature, qui peuvent être excitées, animées et dirigées, on aura recours à une personne qui a des pouvoirs spéciaux à cette fin, on ira recourir à la sagesse et à la force d'un "aîné", ou à l'art d'un "nganga". Ce réveil, cette excitation des forces est un fait ordinaire chez les Baluba: "kulangwila miji", exciter les racines... afin qu'elles soient actives en faveur de tel malade. <En cas d'échec, l'inactivité des herbes ayant manqué leur effet curatif, sera expliquée selon leurs principes ontologiques décrits> [252].

Ceci confirme que, chez les Bantu, toute connaissance est connaissance des forces [253], cadre avec leur conception [254] des forces, et s'imbrique dans leurs lois générales de l'accroissement de vie et de l'interdépendance des êtres [255].

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Chapitre IV : "La doctrine du Muntu" ou psychologie des Bantu

Après avoir fait un exposé [256] de l'ontologie et de la doctrine de la connaissance des Bantu, il importe de passer en revue leurs idées générales philosophiques au sujet de "l'homme". Ce n'est qu'après cela qu'il nous sera possible d'étudier leur philosophie des actes humains, leur éthique et leur droit [257].

Note préliminaire

La psychologie bantu que nous étudions est celle qui existe dans l'esprit bantu et non celle qui résulterait de l'observation des Bantu par les Européens. C'est à leur point de vue qu'il convient de se placer pour comprendre cette psychologue, s'intégrant dans leur philosophie [258].

Si nous partons de nos conceptions de la psychologie pour étudier les Bantu, nous serions d'ailleurs voués quasi fatalement à un échec. Celui qui s'engagerait par exemple, dans la recherche des vocables qui répondent, dans les langues bantu, aux termes âme, intelligence, volonté, imagination [259], sentiment, etc. postulerait déjà que les Bantu divisent comme nous l'homme en âme et corps, et que dans l'âme, ils distinguent diverses facultés tout comme nous le faisons. Ceci ne serait pas une étude de la psychologie des Bantu [260], ce serait au contraire prétendre que cette étude ne doit même pas être faite [261], en supposant qu'il suffit de traduire notre terminologie. Pour prévenir ce faux départ, il faut au contraire faire table rase de nos propres conceptions en matière de psychologie, et nous préparer à l'éventualité d'aboutir à une conception de l'homme fort différente de celle que nous tenons en honneur. Nous n'avons rien de mieux à aire que d'analyser et de systématiser [262] ce que disent les Noirs au sujet de cet être que nous avons coutume de désigner comme "animal raisonnable".

Il est possible que le résultat paraisse mince. Il se peut que l'on m'objecte qu'il n'y a pas là une psychologie complète. Il est certain que nous devons renoncer à bien de "distinguo", et bien de subdivisions par lesquelles notre Ecole européenne divise l'homme, au point qu'on n'y retrouve que difficilement l'homme même [263]. Il me semble cependant qu'il vaut la peine de rassembler quelques vigoureuses pensées de base de ce que nous avons pu tirer des Bantu en cette matière. Ces renseignements pourront servir de base nécessaire d'une psychologie bantu, à approfondir ultérieurement [264]. <Si l'ontologie bantu et la science de connaissance bantu, déjà données ci-dessus, sont exactes, alors les quelques idées fondamentales de la psychologie bantu qui suivent indiqueront l'orientation des recherches futures. Et les conclusions, les applications ou les accidents à découvrir devront s'accorder à ces principes fondamentaux> [265].


I. Le "Muntu" ou la personne

La notion de l'être que les Bantu possèdent au sujet de toutes choses existantes, s'appliquant à Dieu comme aux êtres créés, est évidemment aussi appliquable aux êtres humains [266]. Ce que les Noirs disent du "Muntu" en est une nouvelle confirmation. Force de vie, accroissement de vie, influence de vie et rang de vie sont les grandes notions de l'ontologie bantu que nous retrouvons nécessairement à la base de la psychologie bantu. C'est sur ce mode que nous voulons diviser l'étude de cette matière.


1. Le "Muntu" est une force vivante, une force personnelle

Les Bantu voient dans l'homme LA force vivante; l'être qui possède la vie vraie, pleine et suprême. L'homme est la force suprême, la plus puissante parmi les autres êtres visibles créés: les animaux, les plantes et les minéraux. Ces forces inférieures <ne possèdent pas la vraie vie, pleine, supérieure et plus vigoureuse du "Muntu". Elles> [267] n'existent, par la prédestination divine, que pour l'assistance de la force de vie visible la plus haute [268]: l'homme.

On serait tenté de demander en quoi consiste cet être avec une force de vie supérieure et plus vigoureuse [269]. Cette question correspondrait à celle que nous nous posons dans la psychologie qui nous est familière; en quoi consiste au juste l'être spirituel du principe de vie humaine ou de l'âme? Mais avons-nous seulement donné les conditions nécessaires et suffisantes, la défintion positive de l'être matériel? Composé, multiple, visible ou perceptible, lié à l'espace-temps: autant de propriétés de l'être matériel [270]; ce sont des propriétés nécessaires qui découlent de la nature de l'être matériel. Peut-on dire, pour autant, que ceci nous explique le caractère intime de la matière? Dans la définition de l'esprit ou du spirituel nous ne sommes pas plus avancés. Pourquoi et par quoi un être est-il spirituel? C'est encore par ses facultés et propriétés que l'on tentera de définir l'esprit. Il est doué de volonté et d'intelligence, il n'est pas perceptible par les sens, il est non matériel, transcendant à la matière, il est agent indépendamment de la matière: ce sont autant de définitions négatives ou indirectes, ou extrinsèques, qui nous apprennent peu quant à la nature intime de l'esprit en elle-même.

Nous aurions donc mauvaise grâce à reprocher aux primitifs de ne point être à même de nous fournir une définition plus claire, plus profonde, de la nature spécifique du "Muntu". A l'instar de nos définitions approximatives nuancées selon notre conception plutôt statique de l'être, les Bantu nous offriront des définitions approximatives suivant leur conception dynamique des êtres, suivant leur philosophie des forces.

L'homme est la force la plus vigoureuse parmi les forces créées visibles. Son être-fort, sa plénitude de vie, consiste en sa plus ou moins grande ressemblance avec la force de Dieu. Dieu, diraient les Bantu, a (ou mieux, il est) La force suprême, complète, parfaite en soi et pour soi: "I mwine bukomo bwandi": il a sa cause existentielle en soi. Par rapport à ses créatures, Dieu est considéré par les Bantu comme la cause de force, comme celui qui raffermit la force de vie [271] (comme la cause créatrice). L'homme est l'une de ces forces vivantes, causée, maintenue et développée par l'influence de vie de Dieu. A son échelon propre, l'homme, par l'influence de vie de Dieu, n'est pas cause créatrice de vie, mais il sustente et augmente la vie des forces qui se trouvent sous sa hiérarchie "ontologique". Ainsi, l'homme est dans la pensée bantu, bien qu'en un sens plus restreint que Dieu, une force causale de la vie, cause vivante, raison vivante; cette définition se borne à décrire les seules relations qu'il peut avoir avec ce qui l'entoure, sans toutefois exprimer sa nature intime.

Les Bantu diront encore que le "Muntu" a la force de connaître: "Udi na buninge bwa kuyuka" (en kiluba). Connaissance et sagesse sont force de vie suivant leurs conceptions. Déjà nous avons signalé que la véritable connaissance, la vrai sagesse consiste à comprendre la nature et l'action des forces, que pour eux la vrai connaissance est intelligence métaphysique des forces, ou des êtres.


2. L'accroissement et la diminution du "Muntu"

Ce deuxième thème n'est qu'une application du deuxième aspect de la théorie générale de l'être chez les Bantu.

Ce que nous voulons développer ici a été virtuellement introduit déjà par les chapitres qui précèdent, et notamment au troisième article du chapitre II, qui expose comment le comportement vital des primitifs se trouve centré sur une seule valeur: la force de la vie.

Le "Muntu" peut, dans son être intime, comme force vivante, croître et peut aussi comme "muntu" diminuer, en lui-même, diminuer comme force vivante, jusqu'à la diminution extrême, qui consiste en une paralysie de la force de vie, de manière telle qu'on ne puisse plus être une cause vivante [272]. Cet état de diminution ultime est celui de certains défunts; c'est l'état dans lequel tombent les trépassés qui n'ont plus le moyen de renouer avec les vivants terrestres, qui ne peuvent donc plus exercer leur influence de vie ni en faveur du renforcement de la vie, ni à son détriment ou à la réduction ou la destruction de la vie [273].

Le "Muntu" vivant se trouve en une relation d'être ou de vie avec Dieu, avec son ascendance, avec ses frères de clan, avec sa famille et avec ses descendants [274], avec son patrimoine, son fond avec tout ce qu'il contient ou produit, avec tout ce qui croît et y vit. Tous les acquêts constituent un raffermissement de la vie, un accroissement intérieur du "Muntu", aux yeux des Bantu; tout ce qui entame, déteriore, détruit ce "patrimoine", c'est-à-dire ce qui est en rapport avec sa force de vie, constitue une diminution du "Muntu" en soi, de la force vivante qu'est l'homme, qui en sera "mort", "kufwa" dans le sens que nous avons précisé plus haut.

C'est toujours suivant cette conception des forces que les Baluba parlent de "Muntu mutupu" pour désigner un homme de médiocre importance, dépourvu de force spéciale; tandis que le "Muntu mukulumpe" désigne l'homme puissant qui a son mot à dire dans la communauté. <Le vocable Muntu inclut déjà une idée d'excellence ou d'éminence. Ainsi les Baluba diront: ke Muntu po, ce n'est pas un Muntu, d'un homme qui se conduit d'une façon indigne. Ils le diront même d'un nouveau-né qui a été engendré en dehors des conditions "ontologiques, morales et juridiques" normales de la vie clanique>.

Ils pensent de même en parlant de "Mfumu" (chef) ou de "Tata" (père), tandis qu'ils songent à l'homme ayant perdu sa force en désignant par "mufu" (mort) celui qui leur paraît intérieurement amoindri par impuissance et débilité [275]. Lorsque les Noirs désignent ainsi des catégories d'hommes, il ne s'agit pas à leurs yeux d'une classification fondée sur l'extérieur ou les apparences, mais bien d'une gradation dans la nature intérieure de l'homme suivant l'intensité de leur force humaine de vie.

<Un confrère trouva le mot exact lorsqu'il fit la remarque: "C'est curieux, ces hommes ne parlent pas comme nous, ils parlent d'une façon si 'réaliste'". En effet, le langage primitif est très "réaliste". Leurs paroles se rapportent à la nature des choses. Ils parlent "ontologiquement" [276]>

D'homme ordinaire on devient "Mfumu", non par une nomination ou une investiture extérieure, mais par les actes d'investiture on devient et l'on est "Mfumu", on est avec une nouvelle et plus vigoureuse force de vie, destinée à renforcer et conserver tout ce qui lui est inférieur [277]. On devient chef de clan et patriarche, non pas résiduellement, par le décès des autres anciens qui avaient préséance et parce qu'on demeure le plus âgé des survivants du clan, mais par un accroissement interne de la force de vie, élevant la "Muntu" du patriarche à l'échelon d'intermédiaire et canal des forces, entre Dieu et les ancêtres d'une part, et la descendance avec son patrimoine d'autre part. On ne met jamais longtemps à remarquer la transformation profondément consciente qui se manifeste par tout son être [278], lorsqu'on revoit un chef de clan, que l'on avait connu précédemment comme un simple membre de la communauté; monter en dignité et en droit se traduit par une résurrection, une inspiration qui devient parfois une sorte de "possession". Le "Muntu" se trouve en effet conscient par toute sa conception du monde, par toute sa connaissance de l'être, de ce qu'il est devenu un "Muntu" plus vigoureux, nouveau, qu'il est revêtu d'une force nouvelle qui n'appartenait pas jadis à sa nature. Il n'est plus ce qu'il était, il est modifié dans son être. Faut-il dès lors s'étonner de ce que chaque accroissement de vie capital se traduise par l'attribution d'un nom nouveau? Il faut un nom nouveau pour désigner le "Muntu" renouvelé et renforcé. En certaines contrées, le circoncis reçoit, - nous rapporte-t-on - un nom nouveau, cela paraît logique. De là ressort la signification plus profonde de la circoncision qui, tout en étant une opération chirurgicale, est aussi chez les Bantu un rite. La circoncision rituelle que l'on pourrait aussi nommer un rite magique, est un rite renforçant l'être et la vie. Elle opère, selon la pensée la plus profonde des Bantu, un renforcement de la puissance de procréation, un renforcement de l'être même du "Muntu" [279]. Un "Mfumu" (chef) reçoit à l'occasion de son investiture, qui est une exaltation de son être, un nom nouveau, et son ancien nom, le nom de la force de vie non encore raffermie, ne doit plus être prononcé, sous peine de léser ou de profaner sa vie.


3. Le "Muntu" est une cause vivante, il exerce une influence de vie.

Comme les Bantu ne considèrent, dans leur ontologie, aucun être comme existant en lui-même et isolé des autres, ils ne peuvent non plus se représenter l'homme comme un individu, comme une force existante totalement en elle-même, en dehors de ses rapports de vie intérieure avec d'autres vivants et avec tout ce qui vit ou ne vit pas mais l'entoure [280].

Le Noir ne peut être un solitaire, un isolé; il ne suffit pas de traduire cela en disant qu'il se sent un être social; il se sait une force de vie en rapport vital actuel intime et permanent avec d'autres forces qui se trouvent au-dessus et en dessous de lui; il se connaît comme une force de vie actuellement influencée et influençante. L'être humain, considéré en dehors de la hiérarchie ontologique, de l'interaction des forces, est inexistant dans la conception bantu.

Nous nous sommes étendus suffisamment au sujet de l'influence vitale humaine, au chapitre traitant de l'ontologie bantu [281], nous avons tenté de formuler les lois régissant l'interaction des êtres, que nous avons qualifiées de lois causales, là où l'on affectait de ne voir jusqu'à présent que des dérivations magiques.

Traitant de psychologie, il convient toutefois de s'arrêter à l'examen de ce que nous nommerions la volonté humaine.

Les Bantu connaissent la volonté libre, la faculté qu'a le "Muntu" de décider par lui-même et de choisir librement entre un bien supérieur et un bien inférieur, entre le bien et le mal. Ils pensent que l'homme peut avoir une "volonté de vie ou une volonté destructrice, volonté de mal faire". L'homme peut vouloir ce qui est ordonné, c'est-à-dire vouloir conformément à l'ordre des forces telles que Dieu les a voulues, en respectant la vie et la hiérarchie des forces. C'est en agissant de la sorte que le patriarche ou le chef de clan, le chef, le "nganga" (l'homme aux remèdes) pourra agir en véritable animateur de la force de vie, en conservateur et en protecteur comme il faut. L'homme peut cependant également être animé d'une volonté destructrice, une volonté néfaste. Sa volonté mauvaise (haine, envie, jalousie) aura une répercussion profonde sur la force de vie des plus faibles par la volition d'une réduction de vie. C'est cette influence de vie néfaste découlant de la volonté destructrice de certains hommes qui est désignée par "bufwisi", "buloji" ou "kulowa" chez les Bantu.



II. Le nom ou l'individu: "dijina"

Après avoir traité de l'être humain en général, voyons comment les Bantu comprennent l'homme concret, l'individu déterminé.


1. L'individu est un inconnu pour son semblable

La notion générale de l'être humain, telle que nous l'avons décrite, est connue de tout "muntu". Elle est vraisemblablement commune à tous les peuples primitifs.

Passant dans la connaissance de l'être concret et individué, la connaissance devient plus hésitante: "Munda mwa mukwena kemwelma kuboko nansya ulele nandi butanda bumo!" (nul ne peut mettre le bras dans l'intérieur de son compagnon, quand bien même il partagerait sa couche). Le for intérieur du prochain demeure secret pour son ami le plus intime.

Quelles est la nature de telle ou telle force vivante déterminée avec laquelle on cohabite? Quelle est l'intensité de sa force de vie en tel cas déterminé, ou sur telle personne individuée? Ce sont autant de choses que l'on ne peut palper de ses mains, qu'on ne peut voir de ses yeux. Dans ce domaine, il ne peut être invoqué de "témoins" à l'européenne.

Nous avons signalé déjà que dans l'homme les Bantu distinguent l'homme lui-même, et son apparence extérieure: le corps, le souffle, l'ombre, etc. La connaissance directe de cet homme lui-même, de l'intériorité d'autrui [282], n'est pas donnée à chacun. C'est le privilège des voyants au sujet desquels nous aurons à traiter plus loin.


2. Les critères généraux de la connaissance de l'individu

Un premier critère est le nom. Le nom exprime la nature [283] individuelle de l'être. Le nom n'est pas une simple étiquette, c'est une réalité [284].

Un exemple fera saisir la différence d'acceptation du nom chez les Occidentaux et chez les Bantu. Si l'on hésite quant au nom d'un Européen et qu'on lui pose la question: "vous vous nommez Louis, n'est-ce pas?" Il vous répondra par "oui" ou "non". Demandez cependant au Muntu: "vous vous nommez bien Ilunga" et vous vous attirez l'une des réponses: "Tata" (père) ou "Bwana" (maître) ou encore "Moi", "Moi-même", "Moi, ici" ou "C'est moi", mais il ne vous donnera pas du "Eyo" ou du "Ndio" (oui).

Voici un autre exemple de ce langage spontané. J'avais baptisé un bébé noir et portant l'acte au régistre, j'interrogeai les parents: "son nom de naissance est donc bien Ngoi?", réponse: "c'est lui"; "et son nom chrétien est donc bien Joseph?", réponse: "oui". Le nom indigène désigne en effet qui "est" l'enfant, tandis que le nom européen désigne comment il est nommé  [285]. Le premier nom désigne la spécification de l'être, le deuxième nom est une étiquette externe  [286].

La réponse "Tata" ou "Bwana", qui peut étonner le lecteur, recevra ultérieurement sa pleine explication. Qu'il suffise d'indiquer ici que celui qui répond à l'appel de son nom, le fait en respectant le rang de vie, la relation de vie dans laquelle il se trouve en face de son interlocuteur.

Le "Muntu" peut avoir plusieurs noms. Chez les Baluba, il y a généralement trois sortes de noms. On distingue d'abord le "Dijina dya munda", qui est, comme disent les Baluba, le nom intérieur, le nom de vie ou le nom d'être; ce nom ne se perd jamais. Un deuxième nom est celui qui est donné ou adopté à l'occasion d'un renforcement spécial de vie, tel serait le nom de circoncision, le nom de chef, le nom de celui qui devient homme des "manga" [287], ou à l'occasion de la possession par l'esprit. Enfin, il y a des noms qu'on se choisit et qu'on s'attribue à soi-même, "Dijina dya kwinika bitu", un nom qui ne sert qu'à nommer extérieurement, sans relation profonde avec la personne ou avec l'individu. Ce dernier nom peut être changé, abandonné ou remplacé par un autre, au gré de son titulaire. Tels sont les "Majina a kizungu", les noms à l'européenne, comme par exemple "Mashini, Petrol, Bécéka, Motoka(r), etc." Ne convient-il pas, en effet, que le "Muntu wa Bazungu" (l'homme des Blancs), qui va se placer sous l'influence de vie dominante des Blancs, ait également un nom à l'européenne? Ceci fournit un nouvel exemple du réalisme avec lequel le Noir joue sa vie; dans ce jeu, la philosophie des forces n'est certainement pas étrangère.

Revenons cependant au caractère particulier du premier nom, du nom de vie immuable, du nom indiquant l'individualité ontologique de l'être. Pour les Bantu, l'homme n'apparaît en effet jamais comme isolé, comme un être indépendant. Tout homme, tout individu constitue un chaînon dans la chaîne des forces de vie, un chaînon de vie, vivant, actif et passif, entre sa lignée ascendante et  [288] les forces inférieures à lui. On pourrait dire que chez les Bantu, l'individu est nécessairement un individu clanique. Ceci ne vise pas simplement une relation de dépendance juridique, ni celle de la parenté, ceci doit être entendu dans le sens d'une réelle interdépendance ontologique. Dans cet ordre d'idées, on peut dire que le "nom intérieur" indique l'individualité clanique.

Car, qu'est-ce que le clan? C'est l'ensemble des individus ou êtres humains spécifiés qui le constituent; c'est l'ensemble des "noms intérieurs", commencé par le fondateurs, les ancêtres du clan. Tout nouveau-né est donc nommé d'un nom intérieur choisi parmi la série des noms, c'est-à-dire parmi les individualisations constitutives du clan. Les Noirs eux-mêmes diront à la parturiente: "tu as enfanté notre grand-père, votre tante, votre oncle, etc."; ils diront: "tel esprit ou tel trépassé nous est né". Les observateurs européens en déduisent très généralement qu'il y a là une croyance à une véritable régénération  [289]. Il faut élucider ce point, puisque les Noirs ne peuvent point s'imaginer un homme en dehors de ce que l'on a désigné improprement comme "régénération".

Voici quelques faits aisément vérifiables: un même ancêtre peut "renaître" ou "revenir" dans plusieurs membres du même clan. On trouvera fréquemment dans un même clan plusieurs "Ngoy" ou plusieurs "Ilunga" qui sont tous et chacun désignés d'après le même ancêtre Ngoy ou Ilunga. <Les Noirs diront que tel ancêtre est "revenu" dans chacun de ses homonymes>. Il appert dejà qu'il n'y a pas régénerétion, dans notre sens [290]. On ne voit pas en effet comment un défunt Ngoy se dédoublerait en plusieurs Ngoy. Les Noirs diront que le petit Ngoy qui vient de naître est le défunt Ngoy qui revenait, cependant ils diront aussi que le nouveau Ngoy ne s'identifie pas avec le défunt. En effet, la naissance du petit Ngoy ne met nullement fin à l'existence du défunt Ngoy dans le monde des morts. Le défunt Ngoy deviendra le "Ngudi" (en kiluba) ou le "Mbozwa" (en kibemba) du nouveau-né qui est son "majina" (homonyme). On invoquera ce "ngudi" en faveur de l'enfant et lorsque l'enfant atteindra l'âge de raison, il fera appel lui-même à son "ngudi". Tout "ngudi" demeure le proctecteur personnel de son homonyme, qui est inséparablement lié à son être.

Ainsi donc, lorsque les Noirs parlent de morts qui reviennent et qui renaissent, ils ne parlent pas d'une véritable régénération  [291].

Comment faut-il dès lors l'entendre? Existe-t-il une explication faisant ressortir la logique de cette croyance? Il semble que l'on puisse la trouver en recourant à la conception de l'être des Bantu, à la philosophie des forces  [292].

La conception d'un nouvel homme est attribuée, chez les Bantu, exclusivement et expressément à Dieu. Il est le créateur de la force ou de la vie. Lorsque le fruit s'est développé dans le sein maternel et que la mère commence à sentir la vie, les Noirs disent qu'il y a déjà là un homme à naître. Mais ils se demandent qui est cet homme à naître. L'homme est bien là, mais il n'est pas encore spécifié en tant qu'individu. Si les difficultés obstétriques sont à craindre, on ira trouver le devin, pour savoir ce qui cloche. Lui pourra expliquer quelques fois que c'est parce que tel ou tel esprit, tel ou tel ancêtre se disputent l'avantage de renaître en cet enfant. Il indiquera parfois lequel des deux a les meilleures chances, et ainsi les parents savent si c'est Ilunga, ou Ngoy, ou un autre qui va renaître. Parfois la femme enceinte pourra connaître l'individualité de l'enfant qu'elle porte par les songes. Interrogeant une femme chrétienne pour qu'elle me dise comment elle savait que l'enfant qu'elle me présentait au baptême était Monga, elle me répondit: "tandis que j'étais enceinte, j'ai rêvé plusieurs fois de notre feu Monga me disant: "Unselé! Unselé!" (porte-moi), et ainsi j'ai su que c'était lui qui me suivait ("kulanda") pour naître.

L'ancêtre prédécédé ou l'esprit, n'est pas l'agent de la conception, et ce n'est pas non plus sa personne qui renaît au sens propre du mot. C'est l'homme qui, déjà possède la vie dans le sein de sa mère (par l'influence divine) qui vient à se trouver sous l'influence de vie, sous l'influence ontologique d'un aïeul déterminé ou d'un esprit, ou même d'un défunt qui, sans appartenir réellement au clan, se trouvait cependant en relations de vie étroites avec les géniteurs. Les ancêtres ne sont-ils pas, après Dieu, les sustentateurs de la vie, de la force? Et n'est-ce pas par l'intime influence de vie d'un défunt sur sa progéniture que le nouveau-né pourra être individualisé au sein de son clan, ou deviendra membre du clan? <Le descendant est nanti par lui d'un des "noms", d'une des individualités ontologiques qui composent le clan>  [293].

On pourrait peut-être exprimer mieux l'idée en disant que ce n'est pas un homme déterminé du clan qui renaît, mais que c'est son individualité qui revient participer à la vie clanique par l'influence de vie de ce défunt sur le nouveau-né, ou sur le fruit vivant dans le sein de la mère. Cette influence de vie se conserve durant toute la vie, puisqu'elle appartient à l'être même.


3. Un autre critère servant à déterminer la force de vie concrète, est l'apparence extérieure de l'homme.

Rappelons une fois de plus que dans l'homme, les Bantu distinguent: le "muntu" ou homme lui-même (cette force de vie déterminée, cet invisible), et son apparence extérieure  [294] (le corps, le souffle et l'ombre, etc.). La force de vie peut s'exprimer d'une façon particulière dans certaines parties ou modalités de l'apparence extérieure de l'homme, que nous pourrions nommer des moments ou des noeuds de haute tension de vie. L'oeil, la parole, le geste, les actes symboliques, la transe, l'inspiration, la possession, sont autant de critères, desquels les Bantu concluent à l'existence de forces de vie déterminées, d'influences de vie efficaces en des circonstances définies. Ce sont les "témoins" antiques et coutumiers de l'existence d'une influence de vie caractérisée aux yeux des Bantu  [295].

Si un homme lance un mot malveillant ou une imprécation contre un autre et que celui-ci tombe malade, ou qu'un accident lui survient, ce mot malveillant indiquera irréfragablement au malade ou à la victime que l'influence néfaste, qui a entamé sa vie, émane de l'imprécateur.

Rappelons encore que ce ne sont pas l'oeil, le geste, ou, dans le cas opposé, la parole, qui sont la cause de l'influence de vie; abandonnons les vocables périmés de "magie symbolique, de magie du désir exprimé, ou de magie de similitude"  [296]. Pour le Noir, il y a l'être qui est force de vie, qui peut croître et exercer une influence de vie directe sur un autre être  [297]. Ceci tient à la philosophie même, ou à la conception primitive de l'être. A côté de cela, il est une série de critères, une série de signes extérieurs [298] qui permettent de conclure à l'existence et à la détermination de la force de vie et de l'influence de vie en des cas concrets  [299].

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Chapitre V : Ethique des bantu

I. Les normes du bien et du mal, ou l'éthique objective

L'homme n'est pas [300] la norme ultime de ses propres actes [301]. Il ne trouve pas en soi [302] la justification ultime de ses actions et omissions. Transcendant le libre arbitre de l'homme, il y a [303] une force supérieure, qui sait, qui apprécie et qui juge l'acte humain.

Contre la décision et le fait du pouvoir humain suprême, il est toujours devant la Puissance transcendante, dont l'homme a reçu sa force de décider, à charge d'en rendre compte.

Lorsque l'aîné, le patriarche, le chef coutumier, ont tranché, les Bantu diront, comme disent les Baluba: "I aye mwine": "Lui-même le veut ainsi, Lui sait pourquoi il le veut. C'est son affaire et son droit", non le nôtre, contre cela il n'y a rien à faire [304]. Cependant, s'ils sont parfaitement convaincus de leur bon droit, s'ils sont sûrs de l'injustice de la sentence humaine, ils se laisseront sans doute faire, mais en protestant d'un recours devant le Créateur, maître de tous les humains. Tout en se laissant emmener, il clamera: Vous faites de moi ce que vous voulez; vous avez la force de me tuer; mais moi je suis le Muntu de Dieu: "Ne Muntu wa Vidye" (en kiluba). C'est lui qui nous jugera tous les deux; il ne vous est pas permis, homme puissant, de juger arbitrairement un homme qui n'est pas tant votre homme que l'homme de Dieu; car ce n'est pas toi qui as le droit, tu n'es que délégué et mandataire.

Comme tous les primitifs, (et comme tous les semi-primitifs), les Bantu se tournent vers leur ontologie et philosophie, et vers leur théodicée, pour dégager des principes et des normes du bien et du mal. On n'en voit point qui soient "évolués" au point de vouloir prêter quelques chances de vie à ce mort-né "rationaliste" qu'est la morale laïque. Il semble cependant que ce soit le but de certains colonisateurs d'ouvrir à leurs pupilles l'accès à ce plan "supérieur" de civilisation...


1. Les Bantu ont-ils la notion du bien et du mal?

Il est fréquent d'entendre dire que les Noirs ne distinguent pas le bien et le mal, ou du moins qu'ils ont à ce sujet des conceptions de sauvages, heurtant de plein fouet nos acceptations de la morale.

Il est vrai que pour beaucoup d'entre nous [305], il est reçu comme fait acquis, que pour les Bantu, le Créateur est une réalité vague, ou un Etre suprême, auprès duquel les simples créatures n'ont pas audience parce que lui-même garde ses distances infinies [306] et ne trempe jamais dans l'événement quotidien de l'existence humaine. Malgré ce préjugé, nous avons cru devoir prendre la peine d'interroger les Bantu sur ce point.

En matière de vol, on dit généralement que le Noir n' y voit pas le moindre mal, que pour lui il s'agit seulement de ne pas se faire prendre. Le mensonge et la tromperie seraient, dit-on, aux yeux des Noirs, un signe de finesse d'esprit, à l'abri de toute appréciation morale. L'adultère ne serait pas pour eux une infraction à la morale, mais il suffit que celui qui s'y fait pincer accepte de payer l'indemnité.

<Certains affirment cependant qu'il y a en fait de norme de l'éthique nègre, les exigences de l'ordre social ou la paix clanique; mais ils nient qu'il y ait autre chose. Ces auteurs parlent sans doute sous l'influence de théories modernes, selon lesquelles cet ordre social n'est que la conformité au comportement généralisé. Une telle morale et un droit pareil sont évidemment vides de conceptions fixes ou de convictions principielles immuables.

En ethnologie, nous ne sommes guère avancés quand nous avons présenté comme éthique bantu, un faisceau de canons de morale pénétrés de nos propres conceptions éthiques. Il s'agit de savoir ce que pensent les Noirs. Il importe de voir si les Noirs, de leur point de vue bantu, admettent au-dessous, ou peut-être à l'encontre de ce qui se fait couramment, des normes transcendantes du bien et du mal.

Nous n'avons qu'à l'admettre comme un fait éthique, si les Noirs nous indiquent des principes immuables et transcendants, selon lesquels ils déterminent qu'un acte est bon ou mauvais, conforme ou non à l'ordre vital des choses> [307].

Soulignons d'abord qu'il ne faudrait pas retenir des abus répétés comme valant usage. Ce n'est pas le comportement ordinaire des hommes [308], qui s'excusent par des prétextes égoïstes de leurs écarts, qui peut constituer la norme orthodoxe d'une éthique. <Il importe de savoir ce que les Bantu qualifient, en principe, de bien> [309].

Or, il m'est arrivé des centaines de fois devant des situations diverses, d'entendre les Bantu dire: "I bibi", c'est mal. Ce qui m'a frappé et longtemps étonné [310], c'est l'accent de conviction profonde et de conscience aiguë [311] avec lesquelles ces deux petits mots étaient prononcés, vraiment comme s'ils "sentaient" la malice de quelque chose [312]. Ainsi peut-on entendre qu'ils condamnent en principe et de toute la force de leur sagesse de vie indestructible, l'influence destructrice de vie du "muloji" (ici, dans les sens de jeteur de sorts). Ils rejettent de même principiellement, et à cause de leur malice intrinsèque, le mensonge, la tromperie, le vol, l'adultère. Ils condamnent de même, de leur point de vue bantu [313], la polygamie, le mariage d'impubères et beaucoup d'abus sexuels. En somme, ils connaissent et reconnaissent la Loi naturelle, formulée dans le Décalogue.

N' est-il pas ahurissant de songer que les autorités blanches prétendent chercher des motifs qui permettraient d'aller à l'encontre de ces abus [314] ! Et cependant, actuellement, nous voyons ces autorités, prenant l'abus pour du droit coutumier sacré, patronner les déviations de l'antique morale bantu.

Tout Noir abordant le prétoire pour défendre sa cause, ne dira-t-il pas [315] : "Je suis un homme qui dit vrai, mes paroles suivent l'événement comme il s'est produit et comme il s'est développé; car je suis un "Muntu mukulumpe", un grand homme". En d'autres circonstances, on entendra des Noirs se vanter de ce qu'ils respectent la personne et le bien d'autrui. Et les aînés ne se plaisent-ils pas à dire que tous les bons et vieux principes vont à la dérive [316]?

Il est indubitable que les Bantu ont des notions du bien et du mal. Nous montrerons que leurs principes éthiques ne sont d'ailleurs pas suspendus en l'air.



2. La base de la conscience du bien et du mal se rattache à la philosophie des Bantu

Les Bantu sont encore suffisamment primitifs pour pouvoir reconnaître le rapport qui existe entre les règles du droit, la morale, l'ordre des choses ou les principes de la philosophie. Pour la science positive moderne, tout le monde matériel, toute la physique, toute la mécanique et tout l'espace stellaire se réduisent à une idée unique. <On en arrive à découvrir la formidable et stricte unité qui réside dans le monde matériel d'apparence complexe> [317].

Pour les primitifs, la suprême sagesse consiste à reconnaître comme un ordre, cette unité de l'univers, dont ils n'excluent pas sottement et a priori le monde spirituel. Toute leur ontologie, que l'on pourrait systématiser autour de l'idée fondamentale de "force de vie" et des notions connexes d'accroissement, de solidarité, d'influence de vie et de hiérarchie de vie, fait apparaître le monde comme une pluralité de forces intimement coordonnées. Cet ordre est la condition essentielle de l'intégrité des êtres. Les Bantu ajoutent que cet ordre vient du Créateur et qu'il doit être respecté.

Dieu est le possesseur de la vie, l'auteur, le renforçateur et le conservateur de la vie. Son grand et saint don à l'homme, est le don de la vie. Les autres créatures qui sont, suivant la conception bantu, des forces de vie inférieures ou supérieures, n'existent, dans le plan divin, que dans le seul but de maintenir et d'accroître la vie dans le "muntu".

Le renforcement de la vie, la conservation et le respect de la vie sont [318] l'affaire des ancêtres et des aînés, vivants ou défunts. Pareillement les forces inférieures sont mises par Dieu à la disposition du muntu pour servir au renforcement, au maintien et à la protection de la vie.

Suivant le plan de Dieu et suivant sa volonté, toute vie peut et doit être respectée, conservée et renforcée dans le "muntu".

Il est difficile de définir avec précision ce qui peut avoir été conservé chez les primitifs de révélation originelle, de la révélation explicite, par Dieu, de la loi morale. Mais la volonté de Dieu se trouve, d'après les Noirs, exprimée dans l'ordre du monde, dans la disposition des forces auxquelles leur intelligence naturelle a accès. Ils le déduisent par leur sagesse humaine et par leur intuition philosophique de la nature et de l'interaction des êtres. La morale objective chez les Noirs est une morale ontologique, immanente et intrinsèque. La morale bantu tient à la nature des êtres, est fondée sur l'ontologie. La connaissance d'un ordre naturel nécessaire des forces fait partie de la sagesse des primitifs. Nous pouvons en conclure qu'un acte déterminé, un usage, est d'abord et avant tout ontologiquement bon pour les Bantu, et qu'il est ensuite et pour cela, moralement bon, et enfin, pour la même raison, juridiquement bon. Les Bantu n'ont en effet, pas encore accédé à la subtilité qui permet à nos juristes de découvrir un droit positif affranchi de la philosophie ou de la nature des choses.

Nous avons exposé les normes du bien; à l'inverse, les normes du mal sont évidemment parallèles. Tout acte, tout comportement, toute attitude et toute habitude humaine qui trouble ou amoindrit la force de vie ou la hiérarchie de la vie du muntu est mauvais. La destruction de la vie est une atteinte au plan de Dieu, et le muntu sait que pareille destruction de vie est, avant tout, un sacrilège ontologique, que c'est pour cela qu'il est immoral et, par conséquent, injuste.


3. Le droit positif humain des Bantu cadre avec leur morale ontologique

De même que pour les Bantu, c'est le "muntu" vivant qui est, de par les dispositions de Dieu, la norme du droit ontologique ou du droit naturel, ainsi sera-t-il également la norme du droit positif humain. Nous pourrions d'ailleurs montrer avec la même rigueur logique que c'est le "muntu" qui est la norme de la langue, de la grammaire, de la géographie, de toute sa vie et de tout ce qui a rapport avec le "muntu".

Si le doit de propriété, le régime foncier, la dévolution successorale, l'organisation clanique et interclanique ancienne ou l'organisation politique plus récente, bref, si toute la législation positive ou conventionnelle ne peut être tirée par déduction logique nécessaire des prémices des données ontologiques de la philosophie bantu, tout au moins est-il certain que le droit coutumier primitif, si spécifique et si conventionnel qu'il puisse paraître, s'adapte parfaitement dans le cadre de la philosophie et de la morale bantu telle que nous l'avons décrite.

Tout droit coutumier digne de ce nom (et qui soit du droit et non une tolérance de l'abus) est inspiré, animé et justifié du point de vie bantu par sa philosophie de la force de la vie, de l'accroissement de vie, de l'interdépendance, de l'influence et de la hiérarchie de vie. Le droit coutumier est fondé en valeur sur cette philosophie.

D'une part, la morale, c'est-à-dire le départ entre les actions humaines bonnes ou mauvaises suivant le critère de la volonté de Dieu (ou suivant le critère de l'ordre naturel, qui n'est que l'expression de cette volonté de Dieu), et, d'autre part, le droit humain, c'est-à-dire le départ entre les actions bonnes et mauvaises des hommes par rapport à leurs semblables, au clan, ou plus généralement, par rapport à la société humaine, reposent chez les Bantu sur un même fondement de principes et constituent un tout unique [319].

La société humaine dans son organisation clanique ou politique, est en effet ordonnée également d'après les principes ou plutôt les réalités des forces vitales, de l'accroissement de vie, de l'interaction, et surtout de la hiérarchie de vie. L'ordre social est fondé sur l'ordre ontologique, et une organisation politique qui heurterait <ou serait étranger à l'ordre ontologique et à la morale ontologique> [320] ne pourrait jamais être reconnue chez les Bantu comme ordonnée ou normale. Que l'on se souvienne des difficultés insurmontables indigènes, chaque fois que l'autorité européenne, animée des meilleurs intentions, mais méconnaissant la réalité de la morale et du droit bantu, tenta d'imposer une organisation politique violentant l'ordre ontologique [321].


4. La ténacité du "Muntu" dans la défense de son droit est la conséquence de son attachement à la sagesse fondamentale et à sa conviction philosophique.

Les Bantu ont une morale dans la mesure de ce qui leur reste de philosophie. La conscience de leurs droits supérieurs est d'autant plus nette qu'ils ont pu acquérir et garder une notion plus claire et plus évidente du monde suivant leur ontologie propre.

Devant les sempiternelles palabres des Noirs, nous avons tendance à nous énerver et à perdre patience. Cependant, comment le Noir pourra-t-il renoncer à cette attitude? Plus sa pensée est haute, plus ses arguments se trouvent enracinés dans sa conception philosophique, et plus sa sagesse et son comportement sont ontologiques, plus tenace sera-t-il, plus audacieux s'avancera-t-il pour la défense de son bon droit. C'est dans la défense de son droit que le non-civilisé apparaît le mieux en tant que personnalité, parce que son droit (tout comme sa religion d'ailleurs), repose sur le plus intime de son être humain, sur sa conception du monde et sur sa philosophie.

Pour le Noir, renoncer à sa philosophie, c'est renoncer à la morale et au droit. Ses plus hautes obligations fondées sur des principes solides et sur des réalités universellement humaines s'allient à des droits supérieurs inaltérables et à une haute [322] conscience qu'il a de ses droits.

L'homme qui se contente de rien d'autre que de simples obligations civiles, économiques ou sociales, ne pourra prétendre qu'à de simples droits civils, économiques et sociaux. Chez le non-civilisé on trouve encore la conscience inaltérée du caractère humain du droit, et l'on est tenté de vouer un profond respect à la conception juridique de ce "sauvage", tout autant que lui-même peut avoir un respect pratique des droits de son prochain, au même titre qu'il en professe pour ses droits propres.

Ce fier entêtement dans la poursuite et dans la conscience de son droit d'homme devient, à la lumière de cette meilleure compréhension de la mentalité des Bantu, une qualité appréciable de grandeur humaine; il ne faut pas y voir plus longtemps une obstination imbécile.


II. L'homme bon ou mauvais. L'éthique subjective.

Après avoir examiné les normes objectives du bien et du mal (ontologiques, morales et juridiques) chez les Bantu, il convient d'examiner quel doit être le comportement morale du "Muntu" en qualité d'individu, de membre de la société clanique, ou de citoyen d'un ordre politique.

Il nous faudra donc passer en revue les notions bantu du devoir, de la connaissance <morale, de la culpabilité> [323], de la faute, et de la responsabilité, quand et pourquoi le "Muntu" se sait-il et se sent-il bon ou méchant? Quand et pourquoi le clan ou la société politique considèrent-ils l'un de leurs membres comme bon ou méchant? Quels sont les degrés de la bonté ou de la méchanceté humaine? Quelles sont aux yeux de la communauté bantu, les circonstances aggravantes et atténuantes?


1. L'homme pervers, ou l'anéantisseur ("muloji, mfwisi, ndoki")

Suivant les Bantu il est en certains hommes une méchanceté sans circonstances atténuantes. C'est la méchanceté totale, superlative. Dans toutes les branches de la famille bantu, le "Muntu" témoigne d'une terreur d'épouvante, d'une intense répulsion pour cette forme diabolique du mal. C'est le "buloji" qui est pour le Noir comme la perversion, la pourriture de son être le plus profond. C'est une putréfaction destructrice de son ambiance [324].

Le crime le plus crapuleux, la prostitution la plus cynique des lois sacrées de la nature, sont, d'après les Bantu, les oeuvres destructrices de la vie, volontaires et conscientes du "buloji" ou de la sorcellerie. Notre étude de l'ontologie nous a montré déjà qu'il n'est pas nécessaire pour ce faire qu'il y ait un recours à des procédés ou manigances magiques, ni même à aucun instrument externe. La seule force de vie du vivant perverti voulant la mort, suffit. La force de vie peut, en effet, raffermir ou... amoindrir directement d'autres forces de vie [325]. Les Baluba nomment cette influence volontairement sacrilège, qui porte atteinte à la vie, ce don de Dieu, du nom de "nsikani", volonté perverse. Il ne peut exister de raison suffisante pour justifier pareille action des forces contre nature.

Toute haine, envie, jalousie, médisance, voire la louange exagérée ou l'éloge mensonger, sont sévèrement désapprouvés en principe par les Noirs <comme autant de formes d'influence de vie corruptrice, anéantissante> [326]. A celui qui fait montre d'envie ou de haine, on adressera le reproche: "Veux-tu me tuer? As-tu le buloji dans le coeur?" Toute mauvaise volonté préméditée <pour la diminution de vie d'autrui> [327] est qualifiée de nsikani et le vrai nsikani, celui qui porte méchamment atteinte à la force de vie d'autrui, est synonyme de buloji.

Pareil "muloji" est considéré comme un coupable au plus haut point par les Bantu; il est coupable aussi en face de Dieu, qui donne la vie et la volonté de vie, en face de l'ordre naturel, du droit naturel, et par conséquent du droit positif. La société exerce son droit de défense contre un semblable malfaiteur qui répend la destruction et la mort [328].


2. La mauvaise volonté excitée ou provoquée

Les Bantu connaissent certaines circonstances atténuantes de la méchanceté. Ils admettent notamment qu'un homme peut être provoqué et excité par d'autres au point que sa bonne volonté de vie s'inverse en volonté de destruction. L'homme peut être amené à subir de telles avanies de la part de son prochain qu'il se trouve enchaîné, comme malgré lui, à prononcer des imprécations, à vouloir la réduction de vie d'autrui.

Dans ces cas, l'homme se trouve aveuglé par l'emportement, son oeil n'est plus clair: l'homme blessé a de l'obscurité devant les yeux: "ku meso mufita fututu", l'obscurité totale vient devant les yeux, disent les Baluba; "bulobo bwamukwatwa", l'excitation s'est emparée de lui; "nakwatwa nsungu", je suis pris par la colère, disent-ils encore. Excitation, colère, assombrissement de l'oeil ou du jugement sain [329] ne sont pas des fautes, ne constituent pas un mal moral ou juridique. Ces états de l'âme humaine [330] ne sont pas en eux-mêmes des influences de vie néfastes, bien qu'ils puissent y conduire. Ces états sont en effet déterminés par des circonstances extérieures, disent les Noirs, contrariétés ou malheurs, mauvaise volonté ou injustice de tiers, etc.

Cependant, bien qu'il soit admis que l'homme se trouve porté à de semblables états par des circonstances qui lui sont étrangères, c'est un fait cependant que la colère, fût-elle involontaire, exerce une influence de vie néfaste lorsqu'il se tourne contre les hommes. L'homme excité ne se trouve plus dans des dispositions respectueuses de la vie, sa force de vie est dans un état anormal, dans un état contre nature, <parce que dressée contre la force de vie> [331]; et cet état anormal, en conjonction avec une volonté destructrice, irréfléchie [332], involontaire, suffit pour exercer une influence nocive sur les forces de vie qui se trouvent en relation de vie avec lui et sur toutes les formes de vie (d'existence) mineures contre lesquelles se dresse sa volonté excitée au mal.

Bien que les effets néfastes en puissent être identiques, il reste une différence fondamentale entre la volonté perverse du sorcier et la volonté mauvaise de l'homme excité au mal [333]. On ne dira pas du sorcier, du destructeur de vie, que la malveillance s'est emparée de lui, on dira qu'il est méchant, que sa volonté est mauvaise; de l'homme excité, on dira qu'il a été provoqué par des circonstances fâcheuses et qu'il a été "pris" de colère. Aussi longtemps que l'homme agit sous l'empire de la colère, aussi longtemps que l'obscurité lui reste devant les yeux, on ne parle pas de culpabilité ni de faute. Il s'agit bien entendu d'une poussée de colère passagère, car la nature colérique de certains hommes ou un état permanent sera comptée comme une expression d'une volonté perverse de destruction [334].

Lorsque l'excité retrouve son calme, lorsque la colère le lâche, et lorsqu'il commence à se rendre compte de tout ce qu'il a pu dire et faire sous l'empire de son emportement, il est obligé de corriger son attitude [335] destructrice involontaire pour revenir au respect de la vie, du renforcement de la vie. Comme cette colère excitée par un agent extérieur s'est, de par sa nature, extériorisée, il est obligé également de révoquer publiquement ses imprécations et ses malédiction et de témoigner sa bonne volonté, aussitôt que ses yeux voient à nouveau clair. Si par contre il s'entête après qu'il est libéré de l'emprise de la colère, il est coupable, il y a chez lui une mauvaise volonté qui lui vient de l'intérieur et que les circonstances atténuantes ne peuvent pas excuser plus longtemps.

<Inutile de dire que beaucoup de Noirs sont encore impressionnés par les colères des Blancs. Les gens de tel village, malgré l'ordre donné par le chef, avaient omis de préparer le gîte où je devais loger. D'où colère, insultes et imprécations de ma part. Le chef, loin de s'associer à mes imprécations, me pria de retirer mes paroles inconsidérées et malveillantes: "kokilokosyabya, Tata!", pour que le village n'en souffre pas après mon départ.

Dans tel autre village où je m'étais laissé emporter par la colère, les gens se disaient: "Non, il n'est pas mauvais, lui; c'est nous qui sommes mauvais..." La seule solution était de se conformer à ce que le Père avait dit.

Lors des révoltes, les insurgés... et beaucoup d'autres disaient: "Les Blancs [336] veulent notre mort". C'était la simple vérité, pour autant que le colonisateur ne fait que les exploiter en ignorant systématiquement la valeur "humaine" et les "raisons" de ces hommes. L'expression, spécifiquement bantu, n'est compréhensible qu'à travers leurs conceptions> [337].

La preuve extérieure qu'on s'est dégagé de toute volonté [338] de vie consciemment mauvaise est fournie, après le témoignage verbal, par le "kupela mata", l'éjection de salive. C'est ce qui se pratique notamment lorsque deux amis se réconcilient après dispute: on en use de même lorsque ceux qui ont nui à des tiers leur offrent réparation et reprennent amitié, et lors de la "confessio paturientis" ou l'aveu de la femme au moment de l'accouchement [339], et encore lors de l'adieu d'un père à son fils au départ duquel le premier s'était d'abord opposé. Nous aurons à revenir plus tard sur ces cas [340] particuliers.


3. La mauvaise influence de vie inconsciente

Ceux qui ont vécu parmi les Bantu ont rencontré fréquemment des [341] cas où un homme se voit accusé d'influence néfaste de vie, et se trouve condamné pour la maladie ou la mort d'un autre, sans qu'il soit conscient de faute, ni même d'intention méchante. Dans pareils procès, les éléments de preuve font parfois totalement défaut [342], et l'erreur judiciaire paraît évidente au témoin européen. Et cependant, on constate que l'accusé, après avoir présenté une faible défense, se soumet aux indications et décisions des devins, des ordalies ou de la sentence des anciens et des sages, et subit la peine avec résignation. Pareils faits demeurent inexplicables aux yeux des Européens. Je crois avoir trouvé une explication suffisante dans la philosophie des Bantu.

Les forces de vie sont ordonnées par Dieu, sans la moindre intervention humaine: la hiérarchie des forces est un ordonnancement ontologique, basé sur la nature intime des choses, étranger à toute convention, à toute immixtion externe. Toutes les forces de vie sont en corrélation intime d'être, une influence d'être est possible d'être à être sans recours nécessaire à des moyens externes.

[Les forces de vie ne sont d'ailleurs pas des valeurs quantitatives, mathématiques; ce ne sont pas non plus des réalités qualitatives statiques définies par la philosophie; ce sont des forces agissantes, des forces dont l'action n'est pas limitée, bref, des forces dont l'action peut irradier dans tout l'univers, dans la mesure dans laquelle elles se propagent, suivant leurs relations de vie propres] [343].

Dans un village des Baluba, il m'est arrivé d'apercevoir un cabri tout contrefait, et les gens sont venus me dire: "Le propriétaire de ce cabri ferait mieux de tuer sa bête, car elle va attirer le malheur sur tous les troupeaux du village".

Maint auteur a signalé qu'autrefois les Bantu jetaient à la rivière les nouveaux-nés déformés. Il est bien connu que les Bantu portent leurs malades hors des villages, pour les soigner en brousse ou dans la forêt, et ne les ramènent que lorsqu'ils sont guéris. Je me suis laissé dire qu'un Noir de la région de Stanleyville s'en alla se suicider pour avoir levé la main sur sa mère. Les réactions que provoque dans certaines tribus la naissance de jumeaux est un fait bien connu également. Cet événement est considéré sinon comme anormal, du moins comme extraordinaire. Dans la région de Milambwe, au nord de Kamina, des chasseur tuèrent, il y a un couple d'années, une antilope à cinq pattes; aucun Noir n'osa gouter du gibier, et la pièce fut portée telle quelle à la mission protestante établie dans la région.

Ces cas prouvent que les Noirs admettent l'existence d'influences d'être parfaitement inconscientes. Tout phénomène inusuel, tout être anormal est désigné par les Baluba comme "bya malwa", et est considéré par eux comme un trouble de la nature, comme une force anormale. Or, si toutes les forces se trouvent en relation d'influence de vie par leur rang de vie, il ne reste qu'un pas à faire vers la conclusion qu'une force, anormale en elle-même, aura habituellement sinon nécessairement une influence désordonnante envers les forces sur lesquelles elle exerce une action. Une monstruosité ne constitue pas plus qu'aucun autre être, une force autonome mais peut avoir une influence monstrueuse sur d'autres forces [344].

Les Bantu semblent voir un certain automatisme dans l'influence des forces de vie, un peu comme nous verrions une relation nécessaire entre les engrenages d'une mécanique. Il suffit qu'un pignon soit excentrique pour troubler totalement le mouvement.

Les Bantu admettent cette influence inconsciente, non seulement dans le règne des plantes et des animaux, mais encore chez le muntu lui-même, par ses actes et ses états. Ils sont convaincus, me semble-t-il, que l'homme animé des meilleurs sentiments, de la meilleure intention de vie, peut néanmoins exercer une influence de vie mauvaise, néfaste. Qui peut, en effet, se vanter de connaître l'ordre ontologique jusqu'en ses dernières ramifications? Les lois générales de la causalité ontologique sont connues de tout muntu, de même qu'appartient au patrimoine commun la connaissance des règles générales de la physique bantu, notamment les critères permettant de spécifier les espèces de forces de vie. Cependant la connaissance particulière et concrète reste toujours aléatoire; elle appartient au domaine des approximations et de l'hypothèse. Seuls les voyants (devins) ont un savoir extraordinaire pour connaître le concret, et encore... que de fois n'arrive-t-il pas aux devins de se tromper: "lubuko lutupilo" disent les baluba. La tentative du devin a échoué, il a "raté" à la manière dont le chasseur rate son gibier. L'échec d'une divination ne porte pas nécessairement les Noirs à conclure à la vanité de ce moyen de connaissance. Pour eux cette erreur est compréhensible, découlant de la nature des choses, et de l'intelligence humaine.

Les Bantu admettent, - et ils en sont intimement convaincus - que l'homme peut par un acte, par un certain état d'âme, dont on n'est plus conscient, porter atteinte à l'ordre ontologique inextricable, et partant, provoquer du trouble qui se venge. Je ne vois que cette explication, fondée sur la philosophie des Bantu, pour expliquer comment le "muntu" s'incline devant une accusation d'avoir une influence néfaste de vie, alors qu'il sait pertinemment, dans son for intérieur, n'avoir eu aucune intention consciente de destruction de vie. Il me semble qu'il doit se trouver dans un état d'esprit semblable à celui de l'apprenti-chauffeur, qui, malgré sa connaissance théorique et les meilleurs intentions, est convaincu d'avoir fait une fausse manoeuvre, avec comme résultat, une machine démolie [345].

Personne ne conteste d'ailleurs que la communauté bantu se reconnaisse le droit de se défendre contre ce genre d'influence mauvaise. Personne n'a le droit de perturber la vie de la communauté [346]. La "non-vie", la force destructrice de vie, ne peut être sujet de droit, elle est anti-ontologique.

4. Que sont, au sens bantu, la conscience, l'obligation, la faute et la culpabilité?

a) La conscience morale chez les Bantu

La conscience morale des Bantu, leur conscience d'être bon ou mauvais, d'agir bien ou mal, est également conforme à leur conception de l'être. La notion de l'ordre universel, de l'ordonnancement des forces, de la hiérarchie de vie, est très nette chez les Bantu. Ils savent et ils disent que cet ordre est voulu tel par Dieu. Ils sont conscients de ce que, suivant les décrets divins, cet ordre des forces, cette mécanique d'influence des êtres, doivent être respectés. Ils savent que l'action des forces suit des lois immanentes, que l'on ne se joue pas de ces forces, que l'on ne dispose pas arbitrairement de ces influences de vie. Ils distinguent les abus de l'usage. Ils ont la notion de ce que nous nommerions une justice immanente, ce qu'ils traduisent en disant que la violation de la nature provoque sa vengeance, qu'elle est génératrice de malheur. Ils savent parfaitement que celui qui ne respecte pas les lois ontologiques, devient wa malwa, pour s'exprimer à la manière des Baluba, c'est-à-dire que c'est un homme dont l'être intime est gros de malheur, dont la force de vie est par conséquent viciée et dont l'influence sur autrui est donc également nocive. Cette conscience éthique est chez eux à la fois philosophique, morale et juridique.


b) Le devoir chez les Bantu

L'individu sait quelles sont ses obligations morales et juridiques à respecter sous peine de perdre sa force de vie. Il sait que l'accomplissement du devoir <est la condition de son intégrité et de son accroissement ontologique> [347]. En tant que membre du clan, le Muntu sait qu'en vivant conformément à son rang de vie dans le clan, il peut et doit contribuer, par l'exercice normal de son influence vitale favorable, au maintien et à l'accroissement du clan. Il sait ses devoirs claniques. Il sait également ses devoirs envers les clans étrangers. Si hostiles que soient dans la pratique les relations intertribales, les Bantu savent et disent qu'il n'est pas permis de tuer un étranger sans motif. Les étrangers sont en effet également des hommes de Dieu, leur vie aussi, et leur force de vie ont donc droit au respect. La diminution et la destruction malicieuse d'une vie étrangère est un trouble porté à l'ordre ontologique, et il se retourne contre le perturbateur.

Les obligations du Muntu vont grandissantes suivant le degré de son rang de vie. L'aîné, le chef, le roi ou l'empereur, savent fort bien que leur fait n'engage pas seulement leur force de vie personnelle; eux-mêmes et leurs subordonnés savent parfaitement que leur fait aura des répercussions sur toute la communauté qui leur est subordonnée. De là le souci scrupuleux que l'on trouve chez tous les primitifs, de protéger le chef, le renforçateur de vie, contre toute atteinte à sa vie, par des règles de vie et d'interdits détaillés. Ils visent à maintenir intacte sa pureté ontologique, sa vigueur de vie, source de l'intégrité de tous.

c) La faute et la culpabilité [348] chez les Bantu

Les obligations des Bantu découlent de nécessités naturelles ou vitales. La faute ou la culpabilité seront donc proportionnelles au degré de mauvaise volonté par lequel il a été porté atteinte à la vie. Notre description de l'éthique subjective a fait apparaître déjà les degré de faute et de culpabilité que reconnaissent les Bantu. Ce sont:

La destruction de la vie par volonté perverse, "buloji".

La mauvaise volonté provoquée, excitée de l'extérieur.

La mauvaise influence de vie, inconsciente.

Toute nouvelle digression à ce sujet, ne serait que redite superfétatoire [349].

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Chapitre VI : Restauration de vie

Les notions de sanction
[350], de réparation, de punition, d'amende et la purification ontologique

Nous avons suivi la pensée bantu dans sa conception des êtres (forces) et de leur relation réciproque; nous avons vu comment ils comprennent leur hiérarchie et leur action ordonnée ou troublante, leur pouvoir de renforcement ou d'affaiblissement réciproques. Nous avons examiné ensuite comment le comportement de l'homme, cette force vivante supérieure, se meut parmi les influences de vie et réagit sur elles. Enfin, nous avons vu que le muntu est tenu, par Dieu, par l'ordre naturel, par la morale et par le droit positif d'exercer une influence de vie normale et favorable sur son ambiance. <Et comment il doit aussi respecter la puissance de vie d'autrui, et ne pas entamer ni amoindrir aucune force de vie; que ce serait là un mal ontologique, moral et juridique> [351].

Tout ceci ne nous donne cependant qu'une description idéale de l'ordre universel, tel qu'il faudrait qu'il se déroule. La situation de fait s'écarte de cette image de l'ordre universel, les Bantu n'ignorent pas le mal, le désordre, la méchanceté et le "buloji" existent. Les Bantu admettent-ils cependant qu'il n'y a plus de lutte entre les forces de vie, faites pour la vie [352], et le mal qu'ils constatent en fait et dont le caractère propre est la destruction? Un monde qui ne serait que mauvais, où tout serait "buloji", serait-il convenable? Ou bien existerait-il un ordre pratique malgré la présence du mal? La force de vie, l'ordre, le droit, sont-ce autant d'utopies, à côté desquelles l'univers, le monde réel ne seraient que [353] contre-sens?

Tel est l'éternel problème du mal, qui préoccupe peut-être plus la pensée occidentale civilisée que celle des primitifs. Le droit existe-t-il [354]? Comment Dieu existe-t-il? Comment pourrait-il tolérer autant d'injustices, autant d'horreurs de notre temps?

Chez les Bantu, la conviction subsiste que la vie est plus forte que la mort, que la justice est plus puissante que l'injustice, que la volonté de vie est plus puissante que la volonté destructrice. <Au moins pour un redressement final ils en appellent à Dieu> [355]. Dieu possède son droit, la plénitude du droit, il l'exerce souverainement malgré et contre celui qui le viole. Même durant cette vie, on le voit intervenir pour rappeler les exigences de son droit par le déploiement des plaies et des malheurs [356]. Dans l'ordonnancement ontologique des forces, il a déposé une force d'une défense immanente de sa loi, contre la volonté perverse destructive [357]. Les aînés, tant ceux qui sont en vie que ceux qui sont morts, ont été nantis par Dieu d'une arme redoutable pour la défense de la force de vie et l'ordre de vie [358]: l'anathème, ou le retrait de l'influence vitale de paternalisation.

Tout homme recevait avec la force de vie un droit à la vie et les moyens pour revendiquer et éventuellement restaurer son droit lésé. La force de vie donnée par le Créateur n'est pas une force précaire, mais une puissance pleine de vie, susceptible de se maintenir, capable aussi d'offrir une résistance aux volontés méchantes qui tentent de le détruire. <De même les "remèdes" ou "moyens" de salut ("manga") sont virtuellement offensifs et pernicieux, pour celui qui en ferait un usage inconsidéré ou irrévérencieux, et pour celui qui voudrait attenter à la force vitale du propriétaire ou chef ("mfumu") de ce "bwanga"> [359].

Ainsi les Bantu ne sont-ils pas seulement convaincus qu'il existe un ordre hypothétique, idéal parfait et non réalisé, mais encore savent-ils que dans l'ordre pratique, malgré la présence du mal, la force de vie réelle possède les moyens de restauration de vie, de réparation de droit. La force de vie est pratiquement armée contre la force destructrice de vie; le droit, la justice, sont forts contre l'injustice.

Pour bien saisir comment se pose pour les Bantu le problème de la lutte de la vie contre la mort, du bien contre le mal, de la justice contre l'injustice, trois questions préjudicielles se posent:

En quoi consiste le mal et l'injustice?

Quel mal et quelle injustice postulent réparation?

Comment le mal et l'injustice sont-ils redressées?


1. En quoi consiste principalement le mal et l'injustice?

<Il est nécessaire d'y revenir quelque peu pour bien saisir ce que les Bantu veulent avant tout voir restauré lorsqu'il y a eu mal ou injustice> [360].

Il apparaît suffisamment de ce qui précède, ce que les Bantu entendent par le mal, l'injustice envers Dieu et au regard des forces de la nature ou de [361] l'ordre naturel, expression de la volonté de Dieu.

Le mal et l'injustice envers les aînés consiste à porter atteinte à leur rang de vie. Ceci a lieu lorsqu'un puîné prend une décision autonome, dispose des terres ou d'un bien clanique, sans reconnaître ses aînés; lorsque quelqu'un se rend chez les juges étrangers pour entendre le droit ou lorsqu'il fait personnellement une convention avec des étrangers.

Envers l'étranger de statut équivalent, l'injustice n'a plus le même caractère d'injustice qu'envers les aînés ou les frères du clan; cependant, tout comme par devers Dieu, devant la hiérarchie naturelle des forces et le rang de vie clanique, les torts envers des personnes étrangères au clan constituent essentiellement [362] une diminution de vie; comme tels, ces torts constituent un mal ontologique, une perturbation [363] de l'être, par conséquent un mal moral et une injustice.

Nous avons exposé déjà que la "vie" du muntu ne se borne pas à sa seule personne, mais qu'elle s'étend à tout ce qui est en relation avec sa force de vie: les ancêtres en tant que forces paternalisantes premières-nées, les enfants, la terre, les possessions, le bétail, et tout autre bien en tant que des subordonnés de vie influencés par lui [364]. Tout bienfait, toute aide et assistance valent avant tout comme appui, un accroissement de vie pour celui qui en bénéficie. <Leur valeur se mesure directement au prix de cette vie renforcée> [365]. Ainsi toute injustice, si minime soit-elle, même si elle porte simplement sur un bien matériel, sera considérée en tout premier lieu comme une atteinte à la "vie" même. Toute injustice est en premier lieu, un attentat à [366] la force de la vie, et sa malice résulte de la grande valeur de la vie humaine, don de Dieu. En ce sens, toute injustice [367], tout attentat à la vie humaine [368], est un mal infini, un mal à la mesure de la grandeur de la vie, dépassant en tout cas les estimations du dommage matériel souffert, exprimé en termes économiques ou financiers. Ce ne sera donc pas l'importance du dommage subi, mais bien la mesure de la violation de vie subie qui servira de base d'appréciation pour la réparation [369] ou pour le dédommagement.


2. Quel mal et quelle injustice postulent réparation?

Puisque, pour les Bantu, la pire malice et en somme la seule vraie, se trouve dans l'atteinte portée à la force de la vie, il serait pour le moins surprenant qu'ils puissent trouver une commune mesure de réparation dans la loi du talion: l'oeil pour l'oeil, la restauration de ce qui fut dérobé ou l'établissement de tables formant tarif de dédommagement ne peuvent point se fonder qu'en leur conception de vie centrée sur l'homme. Comment iraient-ils mesurer le bien et le mal faits à l'homme suivant des critères qui lui sont extérieurs? A leurs yeux, ceci négligerait l'essentiel: la restauration de l'ordre ontologique, de la force de vie qui ont été troublés. Même lorsque la réparation a un caractère de translation de biens matériels, elle est considérée comme une restauration de vie.

Il convient d'étudier le droit coutumier des peuples claniques suivant leurs propres normes, ce n'est qu'ainsi, et en tirant de la comparaison des institutions, des principes de portée universelle, que l'on arrive à dégager le droit des peuples primitifs, et que l'on pourra systématiser le droit clanique. S'il est possible de dégager ainsi les principes et l'enchaînement d'un système juridique, on ne saisira cependant jamais le fondement rationnel et l'esprit de cette coutume avant d'avoir eu accès à la philosophie des primitifs et au droit naturel tels qu'ils les conçoivent. Dans son livre remarquable, "Eléments de droit nègre", M. E Possoz [370] a eu le grand mérite de reconnaître que si le juriste peut systématiser un ensemble de règles coutumières tirées de la pratique du droit indigène, il doit recourir à la philosophie des primitifs pour nous les faire comprendre.

Or, le droit primitif est essentiellement un droit des personnes, bien plus qu'un code des biens. C'est un droit [371] de la vie, ce n'est point le droit de biens ou de propriété. Ce n'est que par la philosophie des forces de vie, que nous pouvons comprendre combien raisonnable est, du point de vue bantu, cette conception du droit coutumier, qui reste irrémédiablement fermée à notre tournure d'esprit économique, tant que nous l'isolons de ses bases.

Illustrons cette thèse de quelques exemples.

Lorsqu'un Moluba consent à prêter 30 fr. à un homme d'un clan étranger, qui se trouve acculé par un besoin extrême, par exemple pour éviter la contrainte à l'impôt ou le libérer de la prison [372], ce dernier admettra, et tous les Baluba avec lui, qu'il a été "sauvé", "délivré" par le premier. Il n'est point question ici de prêt et d'avance, ou précisément il y a prêt dans le sens bantu: "kukula", disent les Baluba, qui veut dire "sauver, libérer". Or, c'est un homme qu'on sauve, qu'on libère. Nous voyons alors continuellement que pour sa "libération", qui, à nos yeux, n'est que l'emprunt de quelques francs, un homme est obligé et prêt à payer un fusil, un coûteux collier de verroteries, ("lukanga lwa nsamba"), ou un remboursement décuplé du montant avancé. Si l'affaire était appelée devant les juges, ceux-ci confirmeraient cette obligation en disant au "libéré": "Reconnais à présent ton sauveur". Il m'est arrivé souvent de m'efforcer à expliquer à certains juges, parmi les plus intègres et les plus sages, qu'il y avait là usure, escroquerie et exploitation de la misère humaine. Leur réponse invariablement calme me venait de leur fond de sagesse bantu: "Ne l'a-t-il pas sauvé?" Et ils complétaient leur sentence d'exemples nombreux, citant des cas où eux-mêmes avaient payé des sommes semblables disproportionnées au prêt.

Fort récemment [373] (Février 1945), le chef du village Kapundwe me confia ses déboires. Un ami du village voisin de Busangu lui avait confié une jeune brebis. Un beau jour, on surprend le chien de Kapundwe occupé à dévorer cette bête. Il est vraisemblable, me dit Kapundwe, que ce n'est pas mon chien qui a tué la brebis, les moutons foisonnent en effet au village et jamais mon chien ne s'en prit à eux. Toujours est-il que personne ne pouvait témoigner que le chien avait tué la brebis, mais que tous l'avaient vu manger sa dépouille. Kapundwe commença par remettre une brebis à son ami, puis une autre, puis encore une, ce qui fait trois brebis pour une et il ajouta encore une somme de 100 fr. Naturellement, Kapundwe "la trouvait mauvaise", mais ce qui peut nous étonner [374], ce ne sont pas les exigences, à nos yeux excessives, de l'homme de Busangu, mais bien le fait que Kapundwe, tout en faisant la grimace, se soit trouvé disposé à payer semblable réparation, avant toute décision ou contrainte judiciaire. L'homme de Busangu disait: Binsansa, je souffre, la perte de ma brebis me fait de la "peine"; pour effacer la douleur de cette perte, la remise de trois moutons et d'une somme de 100 fr. n'est pas trop, ce n'est qu'après cela que je pourrai oublier ma douleur et me sentir à nouveau un homme heureux, un homme vivant [375]. <La brebis vivait chez lui, dans son influence vitale. Tout ce qui arrivait à cette bête en bien ou en mal, devait être attribué à l'influence consciente ou inconsciente de Kapundwe> [376].

A côté et au-delà du dommage économique c'est le Binsanso, la douleur, le tort, fait à l'homme qui fonde le droit à la réparation. L'homme blessé dans sa jouissance de la vie, dans la paix de sa vie [377], dans l'intégrité de sa vie, a droit à la restauration de sa vie. Les dommages-intérêts matériels n'ont pas d'autre sens que d'opérer cette restauration de l'homme.

Quel sera dès lors le rôle des juges? Est-ce d'apprécier et de déterminer quelle indemnité sera la juste réparation du tort subi? Suivant la coutume antique, les juges se bornent à dire qui a raison et qui a tort, qui est "blanc" et qui est "noir", qui est "fort" [378] et qui est "faible" (et succombe). Et l'on voit d'ailleurs que le zèle des plaideurs se déploie à se voir déclarer blanc, à se voir enduire matériellement de "pemba" (kaolin blanc) ou de cendres, ce qui témoigne qu'on est blanc intérieurement, qu'on est [379] net de toute influence vitale mauvaise, libre de toute volonté destructrice. Le coupable est, par contre, intérieurement mauvais, parce qu'il a porté atteinte à la "vie" d'autrui.

En déclarant qui est blanc et qui est noir, les juges ont dit le droit. Celui qui est dit "blanc" et "fort" est en droit d'exiger la réparation de sa vie, et le payement des indemnités économiques, de la restitution, etc., suit alors son cours naturel, bien qu'il soit admis que, dans une société ordonnée, l'autorité veille à l'exécution des sentences. Cependant, la détermination du montant de la réparation, de la nature de l'indemnité, n'est plus la jurisprudence à proprement parler. C'est l'homme lésé qui a, en principe, le droit de dire ce qu'il estime nécessaire pour sa satisfaction, pour la restauration de la plénitude de sa vie. Très souvent, les juges confirment et appuient les exigences du "fort" [380].

On pourrait multiplier les exemples, qu'il suffise de retenir ceux-ci dans le but particulier de faire ressortir que pour les Bantu la réparation judiciaire a toujours en premier lieu le caractère d'une restauration de la vie. Le mal et l'injustice ne le sont que parce qu'ils portent atteinte à la force de la vie [381].


3. Comment le mal et l'injustice sont-ils reparés?

a) Les torts envers la force de vie supérieure

Les fautes commises envers les forces de vie supérieures: Dieu, les ancêtres, les aînés vivants ou trépassés, ne peuvent être considérées comme une violation ou une diminution des forces plus fortes [382]. Suivant la conception de l'être des Bantu, la diminution d'une vie supérieure par une vie qui lui est subordonnée est métaphysiquement impossible. Cependant, une vie inférieure peut méconnaître, mépriser une vie supérieure; le puîné peut se révolter contre son aîné. Celui qui agit ainsi avec une volonté perverse, fait comme s'il voulait porter atteinte à une vie supérieure, comme s'il tentait de la diminuer, comme s'il essayait de s'emparer de sa place ou de son rang de vie. Pareille conduite tenue au mépris du rang supérieur de Dieu, des ancêtres ou des pères vivants et défunts revient à une négation de leur ascendant. Bien que ce comportement [383] ne puisse pas nuire aux forces de vie supérieures, il ne constitue pas simplement ce que nous nommerions orgueil, irrévérence, injure, injustice, dans la conception des Bantu il y a là un trouble porté à l'ordre ontologique, un attentat contre la hiérarchie de la vie.

La réparation de pareille faute ne peut donc se faire en tant que restauration de vie proprement dite, en tant que restauration de la force de vie diminuée [384], mais bien par une reconnaissance de l'ordre hiérarchique de la vie. Cette restauration se fait par des offrandes propitiatoires, par une purification ontologique, par ce qui a été nommé une purification "magique" ou "rituelle" du village et de ses habitants. Les Baluba parlent en cette matière de "koyija kibundi", "laver" le village.

Lorsqu'une épidémie ravage le village, lorsque les cas mortels se multiplient, les Baluba ne parlent plus de "lubuko", divination, ni de "manga", moyens de force magiques, ni de "kulowa", envoûtement; ils concluent plutôt que les forces supérieures sont troublées: c'est Dieu, ce sont les ancêtres, les défunts, bref, c'est toute l'ascendance. Les Baluba donneraient cher en pareille occurrence pour que le missionnaire consente à "laver" le village de sa puissante "eau bénite", car ils sont conscients qu'ils "se meurent". Pareil malheur ne peut venir que d'en haut [385].

Il convient de préciser ici dans quelle relation les Bantu se sentent envers leurs aînés ou les forces du monde invisible (aïeux, ancêtres fondateurs de clan, et Dieu lui-même) [386]. Il s'agit de définir le statut juridique du "Muntu" vivant par rapport à la hiérarchie ascendante de vie remontant jusqu'à Dieu. Il ne me semble pas que les Bantu se considèrent comme sujets de droit en rapport avec les sujets de droit éminents que seraient ces forces aînées. Leur relation avec la vie supérieure, avec les forces aînées, leur soit-disant culte de Dieu et des ancêtres, n'a, à mon avis, aucun caractère contractuel [387]. Dieu est le dominateur de la vie. La vie est un don gratuit. Le donateur ne peut avoir d'obligation contractuelle envers le donataire. A l'inverse des Juifs qui étaient conscients d'un pacte, d'une alliance entre Jéhovah et Israël, ou des Chrétiens qui, s'appuyant sur la Révélation, se réclament d'une nouvelle alliance, d'un nouveau Testament entre Dieu et les hommes, les Bantu ne sont pas conscients d'un contrat entre eux et Dieu et les ancêtres. Et leur rapports avec Dieu et les ancêtres n'ont aucun caractère contractuel [388].

De nombreux proverbes bantu répètent que Dieu dispense ses bienfaits et ses plaies suivent son seul bon plaisir. ils enseignent que le "Muntu" n'a d'autre choix que d'accepter ce qui arrive. Ils disent que l'on ne plaide pas la palabre contre Dieu. Lorsqu'on demande aux Noirs s'il ne leur arrive pas de reprocher à leurs ancêtres de mal les protéger, ils répondent: "Comment pourrions-nous leur adresser un reproche, les insulter ou refuser de les honorer? Ne sont-ils pas les grands qui existaient déjà lorsque nous sommes nés? Ne nous précèdent-ils pas?"

Les chefs de lignée, fondateurs du clan, précèdent les vivants de tant de rangs de vie, de tant de générations et se trouvent si près de Dieu, que beaucoup les identifient presque avec Dieu lui-même. Ne constituent-ils pas le suprême chaînon reliant le clan à Dieu, et ne sont-ils pas les premiers représentants et les mandataires de Dieu près de toute leur progéniture? Le truchement suprême et immédiat d'une influence de vie, d'une puissance supérieure est considéré par les Baluba comme la personnification de cette puissance supérieure et est volontiers désignée de son Nom [389].

On pourrait supposer que les enfants ou les puînés ont du moins, devant leurs procréateurs ou leurs ancêtres, le droit au maintien de la vie ou au renforcement de la vie. Or, chez les Bantu, on ne considère pas les enfants comme existant indépendamment de leurs géniteurs, ils ne peuvent avoir de force que dans le rapport avec leurs parents, <ils n'ont de droit que dépendamment de leurs aînés> [390]. Dire que les ancêtres et les parents ont un devoir de renforcement de vie ne peut être compris que comme un devoir ontologique par rapport à la vie du clan, un devoir qui vient d'en haut, qui d'ailleurs coïncide avec leur nécessité propre de vie, leur propre conservation de la vie. C'est [391] l'aîné qui se renforce lui-même et qui se perpétue dans une descendance nombreuse. Il ne leur est pourtant pas "possible" de souhaiter la destruction de leur descendance, leur influence sur la descendance ne peut être mauvaise. Ils ne seront donc jamais suspects devant la descendance d'exercer une influence destructrice de vie [392].

Seuls les aînés ou les chefs des clans encore vivants peuvent être interpellés, rappelés à l'ordre et conseillés par les notables et anciens, "presque" leurs égaux, chaque fois que par leur comportement ils risquent de mettre en danger la force de vie du clan.

En aucun cas un enfant ne peut faire un contrat avec son père, moins encore un vivant avec les ancêtres du clan à cause de la trop grande différence de rang de vie. Dès lors il n'est pas question de conclure ou de rompre un contrat; pareil comportement équivaudrait à une déclaration d'indépendance [393]. <Cela équivaudrait à prononcer son propre arrêt de mort. Ce serait s'exclure de la source> [394] de force de vie qui, pour les Bantu, découle de l'étroite dépendance de sa lignée, de ses pères et ancêtres. Si des fautes ont été commises envers eux, elles ne se réparent - et elles doivent l'être pour éviter des malheurs [395] - que par la componction et les offrandes propitiatoires, par une reconnaissance du rang de vie supérieur de ses ascendants.


b) Le mal fait aux inférieurs

L'explication faite ci-dessus au sujet des relations de vie au sein du clan, nous fait comprendre qu'un aîné vivant peut faire du mal à son puîné, à sa descendance. Il peut restreindre sa paternalisation, et mettre ainsi sa descendance dans un état de vie diminué, les abandonner en une force de vie réduite; il peut même maudire et damner sa descendance. Cette diminution de force de vie expose par le fait même, ceux qui en sont victimes, d'être la proie d'influences néfastes. Bien que pareil abandon n'ait pas le caractère d'une rupture d'un contrat ou [396] d'un manquement envers ses inférieurs, comme s'ils avaient un droit autonome, ce n'en est pas moins une faute contre la nature, un péché contre la vie. Pareille notion est, de la part d'un aîné, une attitude contraire à la volonté de Dieu, contraire à sa propre vie qui englobe la vie de toute sa descendance et, partant, contraire à l'intérêt du clan et de ses fondateurs, desquels il tient sa force vivifiante.

Une faute semblable ne peut être réparée qu'en se replaçant dans ses justes relations de vie envers ses descendants. Tout comme il existe "l'imprécation et la malédiction", "kufinga" en kiluba, il existe la restauration, la révocation de la malédiction: "kufingulula". S'il est des fautes contre le lien matrimonial (par exemple les relations extra-conjugales) qui peuvent avoir des effets néfastes sur l'enfant à naître, cette influence mauvaise peut cependant être réparée par la "confessio parturientes" ou l'aveu de la faute. Si l'opposition du père contre son fils qui veut quitter le village, (pour aller étudier ou travailler chez les Blancs, par exemple), vaut à celui-ci une interdiction, il existe par contre la révocation de cette interdiction, ou plutôt le consentement donné au moyen d'une [397] "bénédiction": "kupeka mata" (éjecter la salive, ce qui peut se faire en lui remettant la salive dans une feuille) signifiant que le jeune homme n'emporte pas la malédiction paternelle, ni la volonté destructive de son père. Si un homme reproche à sa femme d'exercer une mauvaise influence de vie sur ses enfants, d'être cause de leur maladie, il peut l'inviter à "kutompola" (se lamenter), afin que sa complainte écarte l'influence nocive ou qu'elle fournisse la preuve que celle-ci n'existe pas en elle.

La réparation de la faute, de la diminution de vie sur sa descendance, se traduit toujours par la restauration de la bonne influence paternalisante. Cette restauration est toujours montrée et prouvée par des signes extérieures [398].



c) Les fautes envers les égaux

a. Les réparations de vie aux morts et aux esprits

Il y a chez les Bantu une différence essentielle et nettement marquée entre les ancêtres et les nombreux défunts, surtout ceux d'un passé récent, qui n'appartiennent pas proprement et immédiatement à la lignée ascendante des ancêtres, à la hiérarchie par laquelle l'influence de vie des pères descend sur la descendance vivante.

Les fondateurs de clan, pères de lignée, sont, dans la hiérarchie, d'un rang de vie tellement supérieur aux vivants, sont si près du Créateur, qu'on ne les désigne plus chez les Baluba comme "Bafu" (défunts), mais bien comme "bavidye" (êtres spiritualisés). Ce sont les premiers renforçateurs de vie sous et après Dieu, et pour chaque clan ils sont comme l'image, la personnification créée de Dieu. La différence que font les Baluba entre les "batata" ou "bankambo" désignant les intermédiaires de la lignée ascendante et les "bafu", défunts ordinaires appartenant au clan, qui ne furent point chefs de clan de leur vivant et qui ne le sont donc pas après leur mort, est pour le moins aussi caractéristique.

<Comme il a été dit plus haut à propos des relations des êtres, ou ontologiques, et à propos des rapports juridiques entre les pères de clan ou ancêtres et la communauté des vivants, ceux-ci se trouvent comme des enfants nouveaux-nés, sans parole, devant leurs pères claniques, origines de la vie, de la sagesse et du droit. Ces rangs de vie diffèrent plus que ne diffèrent ceux d'un nouveau-né et d'un vieux sage vivant.

Pères de clan et ancêtres sont là, pour le clan comme clan, et pour chaque membre du clan comme membre du clan; d'eux vient la puissance de vie de tout le clan.

Aussi les rapports des vivants avec leurs ancêtres et fondateurs sont-ils essentiellement claniques, communautaires et hiérarchisés. Le culte, la demande, les offrandes aux pères du clan sont l'affaire de tous les membres du clan mais ils se pratiquent par l'intermédiaire du premier ou père de clan vivant> [399].

Avec les fondateurs et ancêtres il ne peut être question de pacte ou de rapports contractuels, ainsi que nous l'avons dit. <Ici n'existe que l'allégeance obligatoire, la demande respectueuse, ou le "kutompola", la plainte, comme à l'égard de Dieu; rester en rapport de vivant> [400]. On ne peut jamais les injurier ni les mépriser, on ne peut jamais les menacer de rupture, car ceci signifierait simplement la mort des vivants. Lorsqu'une calamité s'abat sur le clan, il ne peut être question de manquement ou de faute des ancêtres, mais uniquement de témoigner un attachement de vie renouvelé et repentant, permettant d'accéder à nouveau à l'influence de vie des aïeux.

Mais envers les "bafu", les trépassés ordinaires, il en va tout autrement. Beaucoup de défunts du temps de jadis sont oubliés, ils sont "partis" pour toujours. Les défunts d'une époque plus proche, ceux qu'on connaît encore, ceux qu'on a connus vivants, sont plus ou moins considérés comme des "égaux", comme des membres ordinaires du clan ou de la famille. Entre ces défunts et les vivants [401] les relations sont tantôt claniques, tantôt individuelles. Il y a des rapports de droit naturel, ou de nécessité vitale, mais aussi des relations et obligations d'un caractère plutôt libre et contractuel. Evidemment, ces relations rentrent toujours dans le cadre des conceptions ontologiques bantu du rapport d'influence de vie, et précisément, dans cet ordre-là, les relations peuvent être bonnes ou mauvaises, ordonnées ou désordonnées, justes ou injustes, tant depuis le point de vue du vivant que depuis celui du défunt. La restauration de vie pourra alors avoir le caractère du renouvellement de l'attachement de vie, ou la rupture, suivant qu'on aura affaire à des relations claniques ou exclusivement individuelles.

Illustrons de quelques exemples.

Peu de temps après le décès d'un Muntu, on se rendra compte si on a affaire à un mort favorable ou néfaste. Le devin déterminera si une maladie ou un malheur, survenu dans la période qui suit son décès, doit lui être imputé. Un défunt qui vient porter atteinte à la vie des membres de son clan, ou qui, exerçant une influence néfaste sur des étrangers, compromet son clan qui demeure responsable de son fait, parce que solidaire de lui, sera désigné chez les Baluba comme "mufu wa kizwa", un mauvais mort, un mort rancunier avec une volonté perverse, "wa nsikani". Ceux qui sont responsables de ce défunt s'empresseront alors de réparer les négligences ou les torts qu'on peut avoir eu à son égard en faisant le deuil et en lui assurant les honneurs auxquels il aurait éventuellement droit.

Cependant, si la faute a été réparée, ou si les vivants n'ont censément rien à se reprocher à son égard, c'est le défunt qui sera inculpé si l'influence néfaste ne s'arrête pas. Le défunt n'a pas le droit d'affaiblir, directement ou indirectement, le clan. On se trouve devant un cas de "buloji" de la part du défunt. La restauration de vie, la réparation du mal, ne peut, dans pareil cas, se trouver que dans la lutte qu'entreprendront les membres vivants du clan contre ce frère perverti. Telle est l'auto-défense de la vie contre l'élément destructeur. Il conviendra d'insulter et d'injurier ce mort, on tentera de le chasser, on aura recours au besoin à des "manga", c'est-à-dire aux "forces de la nature" et, si cela ne suffit pas, on demandera l'aide de "l'homme des 'manga'" pour qu'il ôte à ce mort ce qui peut lui rester de force, pour la paralyser. Ainsi, ce défunt ne pourra plus avoir de relations avec les vivants, il ne pourra même plus renaître, ce qui est l'extrême diminution. On va jusqu'à déterrer le cadavre pour le brûler et en répandre les cendres. C'est là le signe opérant de leur influence annihilante. Les Baluba disent alors qu'il a été refoulé au "kalunga ka musono" ou "kalunga ka masika" qui désigne le lieu maudit, le lieu d'où jamais personne n'est revenu, d'où on n'exerce plus d'influence. Le défunt est alors totalement "mort", retranché des vivants. Ainsi la vie ordonnée est-elle restaurée en face du trouble, de la perversion, du désordre. C'est une purification ontologique du clan.

Un autre exemple.

Un défunt ordinaire peut suivre une femme: "kulonda", en kiluba, pour renaître en son fruit dans le but de rénover son nom dans le clan. Ceci constitue une influence de vie favorable, un renforcement du clan qui ne s'opère pas contre ni en dehors de l'influence des "batata", des aïeux, dont ledit défunt tenait d'ailleurs lui-même son nom. Pareille influence ne doit pas être repoussée, elle est d'ailleurs bien accueillie en fait, et ce serait une faute de la part des vivants de ne pas donner à l'enfant qui va naître, le nom du "suivant" ou "revenant". Ce serait priver cet enfant <du patronage, du renforcement par ce défunt et l'exposer à naître comme en dehors du clan>.

Mais il y a des "morts" qui peuvent suivre un homme dans un but plus personnel. Il peut en être ainsi, notamment dans la chasse. Cette "poursuite" se manifeste par incident inattendu: maladie, rêve ou présage. Ces signes ne seront toutefois expliqués avec certitude, comme avertissement de tel ou tel esprit ou trépassé, que par l'intervention du devin. Chez les Baluba, on fait état des esprits tutélaires de la chasse: "bakisi ba luvila"; ce sont des esprits semblables au vent, qui ne possèdent pas de corps, qui n'ont jamais été homme, qui ne portent pas de noms humains et qui ne "naîtront" pas parmi les hommes. Ils "suivent" le chasseur pour être honorés avec des offrandes, pour le laisser jouir de leur protection, pour lui procurer la chance à la chasse, pour lui assurer "un fusil fort". Il va de soi que le chasseur consent à cette aide précieuse; il érigera un lieu de prière et d'offrande pour "son" esprit tutélaire. Il invoquera ce bon génie comme "mon" esprit ou "mon" revenant, en lui demandant: "Aide-moi!". Mais cependant, que l'esprit ou le défunt tarde à fournir de l'aide, et nous verrons son dévot s'exclamer: "Quoi? Tu prétends me suivre à la chasse pour obtenir ton offrande? Moi, je fais mon possible, mais toi, tu m'abandonnes. Je ne fais plus rien non plus, pour toi", tandis qu'il quitte son lieu de prière, ou renverse la hutte votive du défunt ou de l'esprit. Ici apparaissent nettement des relations contractuelles individuelles, où l'observation des obligations de l'un est condition des devoirs de l'autre. L'injustice y est rétablie par les reproches et par l'éventuelle rupture du pacte.

L'évolution partant de leur philosophie simple et passant le principe de l'influence et du renforcement de l'être, vers des applications [402] toujours plus [403] compliquées, semble constituer la trame commune de l'histoire de la pensée des Baluba, des autres peuples bantu, et peut-être bien de tous les peuples primitifs. Il est des applications qui ont envahi et étouffé la simple vie communautaire clanique et l'antique vénération des ancêtres, pour les remplacer par de multiples "pratiques magiques individuelles" en quête de renforcement de vie en dehors de la hiérarchie clanique. Chez beaucoup de Bantu, nous nous trouvons devant des développements excessifs de l'abus initial de l'influence de vie, du renforcement de vie. C'est sans doute par l'étude de cette situation de fait que les ethnologues ont été amenés à conclure que le culte des morts avait, chez les Bantu, un caractère contractuel [404]. A mon sens, il est plus conforme à la vérité de dire que c'est à la suite d'une évolution, d'une "déformation", que l'individuel, l'arbitraire et le contractuel ont débordé l'ancien droit clanique. Il reste cependant des anciens, et il s'en trouve beaucoup parmi les notables tenaces et conservateurs des Baluba ba Kasonga a Nyembo, qui, pétris de philosophie, vivent encore leur philosophie et leur droit clanique malgré les abus et les excroissances.


b. La restauration de vie parmi les vivants de même statut juridique

Parmi les vivants égaux en droit il peut y avoir des perturbations ontologiques ou de la vie, des influences réductrices de vie, des dommages juridiques qui peuvent être réparés; <la restauration de la vie peut avoir lieu ici également> [405].

Le "buloji" ou la volonté mauvaise ne peut être réparé ou redressé [406]. En face de ce mal il n'est qu'un remède, l'élimination de la méchanceté intrinsèque au nom des droits de la vie. Celui qui est le mal, qui est destructeur de la vie, sa force doit être paralysée par tous moyens, y compris la mise à mort, et la crémation [407]. Toute la communauté parmi laquelle vivait le "muloji" est en effet l'ennemi mortel de tout son entourage, il ne reconnaît plus de lois, ni ontologiques, ni juridiques. Il ne connaît ni clan, ni étrangers [408].

Cependant, ainsi que nous l'avons vu, il y a également la méchanceté provoquée, excitée, qui ne recherche pas le mal pour le mal, mais qui a néanmoins une influence qui diminue la vie d'autrui [409]. Quand on a affaire à pareil excité, on attend que la colère lâche sa prise sur lui. Alors seulement on lui demandera compte du mal qu'il a dit ou fait, à moins qu'il ne fournisse déjà lui-même spontanément ses explications et qu'il répare ce qui donne lieu à réparation. Pareille réparation <d'injustice entre égaux en droit, toute réconciliation> [410], même si elle comprenait un dédommagement de perte matérielle, a un caractère plus profond [411]: celui de réparation de vie, ou, si l'on veut, de restauration ontologique de l'ordre. Si des malédictions ont été proférées, "kifinga", elles donnent lieu à une révocation, "kufingulula"; si un mauvais sort a été jeté, "kulowa", l'influence mauvaise éventuelle doit être neutralisée, "kulobolola"; si un malheur a été attiré sur la partie adverse, la réconciliation comporte le retrait du malheur, "kusubula", et le rétablissement de la partie lésée dans la plénitude de sa vigueur, ce qui s'accompagne chez les Baluba d'un attouchement des articulations par un objet de fer "fort" (symbole de vigueur). Les influences mauvaises éventuellement exercées sur la chasse collective sont neutralisées par la rétraction publique de l'imprécateur, "kutula mwifyaku". A l'occasion de chacune de ces espèces de réparation de vie reparaît la preuve externe de l'expulsion de la mauvaise volonté par l'éjection de salive, "kupela mata".

Lorsque l'homme, qui a souhaité ou fait du tort par mauvaise volonté excitée, demeure rancunier même après qu'il a retrouvé les sens <et ne veut pas réparer spontanément la vie amoindrie de l'adversaire> [412], il peut être forcé à la réparation de vie par la force et par la contrainte, soit devant les tribunaux officiels, soit en dehors de l'action judiciaire.

Lorsque les torts ont été causés entre égaux et à l'intérieur du clan, le Chef de clan dispose de moyens pour amener le trublion perturbateur de la vie à la réparation du mal. Il peut le gronder, le menacer, le maudire, le placer "après le frère lésé" dans la hiérarchie de vie, ou, pire encore, le rejeter de sa filiation, l'expulser du clan, ne plus intervenir pour défendre son droit, et en faire par conséquent un homme sans droits, en rompant la paternalisation de vie avec ce membre perverti du clan. <Refuser à quelqu'un tous ces droits, c'est le début et le sens de l'expulsion du clan> [413].

Nous avons vu, enfin [414], l'influence de vie mauvaise, inconsciente. Tout comme les Juifs pouvaient inconsciemment et innocemment devenir impurs (par exemple en foulant une sépulture ancienne sans la voir), ainsi les Bantu peuvent troubler l'ordre ontologique, l'ordre des forces sans le vouloir consciemment [415].

Ce désordre, ce tort, doit cependant être rétabli sous peine d'attirer le malheur. La restauration de vie consiste toujours chez les Bantu "à éloigner le mal et la cause du mal de la communauté". La vie de la communauté doit être purifiée. C'est ainsi que doit être expliquée la coutume de jeter les nouveaux-nés déformés à la rivière ou dans la brousse. Toute anomalie, tout défaut, toute déformation physique et toute maladie participent en quelque sorte au "buloji" et peuvent avoir une influence maléfique par le trouble qu'ils constituent dans l'ordre. Contre tous ces maux existent des pratiques purificatrices, des rites neutralisants, des interdits, des cérémonies de soumission aux ancêtres, des "ablutions" rituelles du village entier [416], etc. Parmi les Bantu de toutes les régions, les exemples de ce genre de défenses foisonnent.


Conclusions

Bien que j'ai dû m'en tenir à la brosser à grands traits, j'espère avoir pu faire un exposé clair de la conception bantu de la lutte de la vie et la mort [417], du bien et du mal, du droit et de l'injustice. C'est une lutte qui, chez les Bantu, ne peut se terminer que par "la restauration de la vie".

Dieu exige la reconnaissance de son rang de vie; il peut y contraindre les humains en abattant des plaies communes, "bipupo", sur leurs villages; l'atteinte portée à l'ordre de la nature trouvera finalement sa réparation [418] dans l'enfer, "kalunga ka musono".

Les fondateurs de clan et les ancêtres en usent de même, mais cependant à un degré moindre, sous la hiérarchie de Dieu et conformément aux décrets de Dieu.

Pour les inférieurs il n'est qu'une voie à la vie, au bien, au droit: la reconnaissance de la force de vie supérieure, du rang de vie supérieur et le maintien à son propre rang de vie, ou si l'on s'en est écarté, la restauration dans la dépendance et dans l'allégeance [419]. En face des nombreuses forces de la nature il n'y a, suivant les dispositions de Dieu, qu'une attitude sûre possible: l'usage ordonné, respectueux et prudent des forces de la nature. Tout abus "contre nature" de ces forces de la nature, toute profanation ontologique, réclament réparation. L'ordre doit être restauré. La vie souillée doit être purifiée et sanctifiée.

Restauration de vie, purification de l'être et sanction, comprises en ce sens, sont des notions bantu. Peine, amende, pénitence, compensation sont plutôt des notions européennes... sauf si on les comprend dans le sens de la restauration de la vie [420].

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Chapitre VII : La philosophie Bantu et nous, les civilisateurs

1. Nous et les "non-civilisés" : amende honorable

<Si, après cet exposé de la philosophie bantu, nous croyons avoir pénétré enfin jusqu'aux secrets les plus profonds de l'âme des non-civilisés, nous sommes en proie à des sentiments très mêlés> [421].

Si notre hypothèse est la reproduction de la réalité, nous nous verrons obligés à revoir notre conception au sujet des non-civilisés et à revoir notre attitude à leur égard [422].

La découverte de la philosophie des primitifs est comme une révélation où l'on se demande immédiatement s'il ne s'agit pas ici d'une illusion.

Parce que l'on voit que l'image ancienne de l'homme primitif, du "sauvage", de l'"homme-animal" demeuré en deça du plein épanouissement de l'intelligence s'évanouit irrémédiablement, et devant nos yeux commence à se dérouler une vision, d'abord vague, ensuite de plus en plus nette, à l'instar de la vision biblique des ossements de milliers de morts qui commençaient à bouger, se rassemblaient, prenaient forme, et ressuscitaient comme une masse immense d'hommes vivants [423].

C'est comme si nous voyons ressusciter devant nos yeux la race primitive des hommes, les races éteintes des premiers temps, les peuples innombrables qui ont peuplé le monde entier, et les millions qui peuplent encore à présent une grande partie du monde. C'est comme si nous voyons s'effacer l'animalité des visages de millions d'hommes, de ces faces animales méprisées de sauvages, et comme si tout à coup une lueur de sagesse et d'intelligence s'allume dans ces yeux. Les faces animales deviennent des visages humains.

C'est comme si cette masse immense de "sauvages" surgit de sa prétendue nullité et regarde d'en haut en pleine conscience de sa propre sagesse et conception du monde, ce groupe ténu d'Occidentaux civilisés, mais combien enflés.

Ici, une sagesse s'oppose à une autre sagesse, une conception du monde à une autre, un idéal à un autre [424]. Les dieux sont détrônés, les déshérités s'opposent à nous comme des égaux.

Les partisans de l'école évolutionniste ont parlé [425] de "constatations troublantes" lorsqu'on a découvert que c'était chez les peuples les plus primitifs, les moins évolués, que l'on trouvait la notion la plus pure et la plus élevée d'un Dieu unique [426]. La découverte de la philosophie des primitifs ne va-t-elle pas les amener à d'autres "constatations troublantes" ? Il apparaît, en effet, que les conclusions [427] erronées, les applications inadéquates de la philosophie primitive [428] sont généralement de date récente; la pensée ancienne se retrouve plus saine et plus pure, que ce qu'on en a fait plus tard [429].


2. Une impression troublante pour nous [430], les "éducateurs"

Par la découverte de la philosophie bantu, encore un autre sentiment se saisit de nous, un sentiment troublant, un malaise. Nous avions la conviction de nous trouver en face des Noirs, comme le tout devant le néant. Nous avions la conviction de pouvoir ériger notre oeuvre éducatrice et civilisatrice sur une terre impratiquée, nous pensions ne pas devoir tenir compte, dans l'éducation des Bantu, des nombreuses coutumes "stupides", dénuées de tout sens [431].

Nous pensions éduquer de grands enfants, et cela semblait assez aisé. Voilà que tout à coup, il nous apparaît que nous avons affaire à une humanité adulte, à des sages bien conscients et pétris de leur propre philosophie englobante [432]. Nous pensions être sur la terre ferme et voilà que nous sentons le sol fuir sous nos pas, que nous perdons la piste, que nous en sommes à nous demander: "Comment faire à présent pour orienter les Noirs?"

Car c'est naturellement une toute autre entreprise d'éduquer ou de rééduquer des hommes ou des adultes formés, ou déformés, ou de commencer l'éducation d'enfançons [433]. Avant d'avoir approfondi la philosophie bantu, et sans avoir saisi clairement son influence sur la vie du "Muntu", nous soupçonnions peut-être déjà l'omniprésence de la réalité de la pensée philosophique des primitifs, informant profondément leur comportement; nous sentions qu'il y avait lieu d'en tenir compte. Une telle réalité ne peut être camouflée, éliminée ou niée par un éducateur consciencieux. La question est de savoir comment, et en quelle mesure, il faudra tenir compte de cette réalité.


3. L'existence d'une philosophie bantu peut ouvrir des horizons prometteurs aux éducateurs

Quand l'éducateur a réenvisagé la situation à la lumière de [434] cette révélation, ce n'est plus à regret qu'il renonce aux anciennes conceptions concernant les Bantu, tant les nouvelles perspectives qui s'ouvrent sont chargées d'espérances. Si les Bantu possèdent une conception du monde [435] définie, une sagesse de vie profonde et un comportement fondé, nous pourrions peut-être y trouver une base valide sur laquelle il sera possible aux Bantu [436] de construire leur civilisation. <En effet, dans une conception du monde, si commune à l'humanité primitive, tout ne peut être erreur pure et il doit y être un noyau de vérité> [437].

Peut-être constaterons-nous que, jusqu'à présent, c'est sur le sable que nous avons bâti, et nous saisirons alors pour quels motifs notre oeuvre éducatrice n'eut point cette influence profonde, que nous aurions souhaitée. Peut-être exprimerons-nous un regret pour tout le temps et toute la peine qui ont été perdus, mais nous aurons la joie de caresser l'espoir d'avoir enfin découvert le point de départ solide et définitif [438]. <Nous serons heureux d'avoir touché au fond [439], d'avoir enfin trouvé "dans" les Bantu "quelque chose" de positif qui puisse être ennobli, civilisé et christianisé> [440]. Sachant ce qui les rend "hommes" <et en voulant les civiliser, nous ne saperons plus le fondement de leur évolution possible> [441]. Il nous sera possible d'en faire des hommes meilleurs en évitant [442] de tuer d'abord l'homme qui déjà était en eux. Il est assez facile de nier et de méconnaître l'humanité [443] et la sagesse profonde des primitifs, de la nier, de la condamner ou même [444] de la détruire avec les meilleures intentions du monde. Il sera sans doute plus difficile, car cela suppose une forte dose de générosité et d'intérêt pour autrui, d'aimer l'homme tel qu'il est, d'essayer de comprendre le pupille, de se mettre à sa place, d'acquérir sa mentalité. Et pourtant, comment pourrait-on "éduquer" et gagner la confiance sans donner cette preuve de charité humaine? [445]

Quelle que soit la difficulté du problème, il faut que tous les hommes de bonne volonté s'y mettent en collaboration, pour aider à trier dans la philosophie bantu ce qui est valide de ce qui est faux, afin que tout ce qui possède une vraie valeur puisse servir immédiatement à l'éducation <des Bantu avec les moyens appropriés, et au développement de leur civilisation> [446].

4. Quel doit être le point de vue de l'éducateur en face de la philosophie en général?

On a dit que seule notre oeuvre [447] civilisatrice peut justifier l'occupation du sol des primitifs. Tous nos écrits, conférences et émissions radiophoniques répètent à satiété notre intention de civiliser les Noirs. Sans doute se trouve-t-il des personnes qui se plaisent à voir le "progrès" dans l'amélioration des conditions matérielles de la vie, de l'habilité professionnelle ou technique de l'habitation, de l'alimentation, du vêtement, de l'hygiène et dans le développement de l'instruction scolaire. Ce sont certes autant de "valeurs" utiles et même nécessaires. Mais est-ce là "civilisation?" La civilisation n'est-ce pas, avant tout, promouvoir "l'homme?"

Dans son livre "L'homme, cet inconnu", le docteur Alexis Carrel [448] doit remarquer que le progrès moderne, mécanique, industriel et économique, n'a guère aidé au progrès de l'humanité, qu'il a, au contraire, largement contribué à rendre l'homme moderne moins heureux, du fait qu'il a méconnu et négligé l'homme au profit du progrès matériel. Deci-delà on a pu entendre s'élever récemment les voix de personnes réfléchies, qui demandent que l'homme soit reconnu comme la norme de l'industrialisation et de l'économie [449].

L'une des meilleures choses que les Européens aient apportées aux primitifs est leur exemple d'efficacité. Cependant, l'industrialisation, l'introduction de l'économie européenne, l'intensification permanente de la production, tout cela n'augmente pas nécessairement la civilisation; cela peut, au contraire, la ruiner, s'il n'est pas tenu suffisamment compte de "l'homme". La "civilisation" est une valeur qui tient dans l'homme, et non pas en tout ce qui se trouve autour et hors de lui.

Etre civilisé n'est-ce pas avant tout, être capable de se former une conception propre, intelligente et cohérente du monde et de la vie, d'avoir des convictions [450], de s'en enthousiasmer au point d'être prêt à se sacrifier et à souffrir pour ses convictions?

Que signifierait une civilisation vide de sagesse de vie, vide de conceptions de vie et d'enthousiasme de vie? Comment prétendre imaginer une civilisation sans philosophie, idéal et inspiration supérieure?

Quelle éducation pourrait-on donner, enfin, sans tenir compte d'une philosophie et d'un idéal, des propensions et aspirations de l'âme humaine?


5. Quelle attitude doit prendre le civilisateur [451], en face de la philosophie des Bantu? [452]

Si imposer à une race humaine une éducation vide de philosophie, vide de sagesse de vie et d'aspirations de vie, est une faute grave de l'éducateur, il serait plus grave encore de dépouiller les peuples [453] du seul bien qui empêche de les considérer comme des déshérités, de cette réalité susceptible de servir de point de départ à une civilisation supérieure.

<Il serait vraiment inouï que le colonisateur s'obstine à tuer dans l'homme noir son esprit humain propre, cette seule réalité, qui nous empêche de le considérer comme un être inférieur!> Ce serait lèse-humanité d'émanciper les races primitives de ce qui est valeureux, de ce qui constitue un noyau de vérité dans leur philosophie séculaire et dans leur idéal, formant corps avec leur vie [454].

Nous avons la lourde obligation d'approfondir, d'apprécier cette philosophie très ancienne [455], et de ne point nous lasser d'y découvrir le noyau de vérité, qui doit y avoir dans un système aussi universel, constituant la sagesse de vie [456] des primitifs ou des primitifs évolués. Il nous faut remonter avec eux vers la source de cette philosophie jusqu'au point où l'évolution des primitifs s'est engagée à faire des applications erronées, et depuis ce fondement valable, les aider à construire leur civilisation bantu véritable, ennoblie.

Nous nous rendons compte un peu mieux chaque jour que notre civilisation, nos idées, au moins sous leur forme occidentale, dispensées aux Bantu, ne constituent qu'un revêtement superficiel, sans prise profonde dans l'âme. Nous constatons que ceux qu'on appelle des "évolués" en sont simplement arrivés à ne plus oser professer leur sagesse de vie propre en face des Blancs, et qu'ils renient ainsi leurs ancêtres.

<Qui apprenait à ces gens plus ou moins instruits à chercher l'élément de vérité séculaire, valable et solide, contenu dans la sagesse bantu actuellement appauvrie? Qui de ceux qui sont responsables de leur éducation et de leur évolution, construisait sur cette base bantu saine et véritable?> [457]

Il faut reconnaître qu'en général les résultats sont lamentables. Nous voyons chaque jour les ressources si riches de l'âme bantu, mais la situation générale nous force à des constatations angoissantes. Nous nous trouvons actuellement parmi une masse d'évolués qui regardent avec mépris leurs congénères, mais qui se trouvent eux-mêmes perdus devant la vie, qui ne savent plus donner un sens à la vie. Les pensées et les aspirations européennes leur furent en effet servies sous une forme inassimilable, et ce que nous avons essayé de leur apprendre de notre pensée occidentale leur est demeuré complètement étranger.


6. Peut-on découvrir dans la sagesse bantu une base saine et solide pour une civilisation bantu?

Le principe central de la philosophie bantu est celui de "la force de la vie". Le ressort et la fin de tout effort des Bantu ne sont rien d'autre que la force vitale. Sauvegarder ou augmenter la force de la vie, voilà la raison et le sens profond de tous leurs usages. C'est l'idéal qui anime la vie du "muntu", c'est la seule réalité pour laquelle le "muntu" peut s'enthousiasmer, et pour laquelle il se trouve prêt à souffrir et à se sacrifier.

<Cette nostalgie de l'âme bantu vers le renforcement de la vie s'est dévoyée. Elle prétend certes se soumettre à la direction divine du monde et se borner au recours des forces naturelles telles qu'elles ont été mises à sa disposition par Dieu [458]. Cependant, elle dévie sans cesse, par une exaspération de la recherche du renforcement vital, vers des réalités qui ne sont pas la vie, ou vers des moyens prétendument plus efficaces (magiques) de renforcement.

L'homme est désireux de voir ce qui est invisible, d'avoir la preuve de ce qu'il croit. Il est porté à substituer le "signe" à la réalité invisible, et à inventer des moyens mécaniques et automatiques pour faire progresser la vie humaine. Il se substitue aux forces qui le dépassent et à Dieu lui-même. Là où les renforçateurs attitrés semblent rester en défaut, il essaie de pourvoir par lui-même au renforcement de sa vie. Il invente de plus en plus de moyens extérieurs de salut et les considère de plus en plus comme des signes opérants par eux-mêmes, indépendamment des dispositions internes de l'homme.

Les Bantu sont passés de l'usage des plantes et racines à l'usage "conditionné ou cérémonial" de ces forces, de là au kulangwila miji, l'intensification de ces forces par un homme qualifié ou initié, pour aboutir aux manga détectés, préparés et rendus opérants par le seul manga [459].

Le principe général de l'interaction des forces s'en trouve nuancé et modifié. Les Baluba nous disent, que la plupart des manga ou remèdes "magiques" sont des inventions de date récente. Heureusement, la multiplication des moyens extérieurs, efficaces par la seule influence de l'homme, finit par révéler son inanité et les Bantu ne cachent pas le doute de leur âme concernant l'exagération des manga [460].

Ainsi, malgré tous les abus et malgré l'altération des croyances, nous retraçons chez eux ce bon sens universellement humain. Il se raccroche chez eux à la compréhension plus saine des principes originaux de leur philosophie des forces [461]. Malgré la faiblesse et l'ignorance que les Bantu ont de commun avec tous les humains et malgré toutes les erreurs des Blancs, qui coopéraient à l'annihilation de l'esprit bantu, ces hommes noirs, évolués et autres, conservent encore ces conceptions de l'être essentiellement dynamique, de la croissance et diminution de l'être, de l'interdépendance et l'interaction des choses, des rangs vitaux ou hiérarchie ontologique. Leur ontologie se rattache toujours à la foi antique inébranlable, que toute vie vient de Dieu ou de notre conformité à l'ordre naturel des choses. Encore maintenant, il n'est pour le Muntu qu'une seule réalité, qui vaille la peine d'être recherchée pardessus tout: c'est la force vitale intense, seule norme de la vie possible.

Si parmi les "évolués" ou "ceux qui ont suivi les Blancs", beaucoup semblent complètement matérialisés à l'exemple de tant de "colonisateurs", il en est heureusement de plus nombreux, qui gardent quelque chose de ce dynamisme humain de leurs pères. On pourrait même dire, que la majorité des évolués souffre intensément d'une détresse essentiellement humaine. Ce qu'ils désirent avant tout et par-dessus tout, ce n'est pas l'amélioration de leur situation économique ou matérielle, mais bien la reconnaissance par le Blanc et son respect pour leur dignité d'hommes [462]. Leur grief principal et fondamental est le fait d'être traités continuellement non comme des "hommes", mais comme des "imbéciles", "macaques" ou "nyama". Par cette exaspération profonde, ils se montrent les dignes fils de leurs pères. Tous les espoirs sont permis tant que subsiste cette aspiration humaine.

Ces évolués tant décriés, et actuellement si profondément méfiants [463], seront les collaborateurs les plus zélés de ce Blanc lorsqu'ils sauront qu'il ne travaille que pour l'évolution pleine et totale de leur personne humaine> [464].

Notons que les Bantu nous ont considérés, nous les Blancs, et ce dès le premier contact, du point de vue de leur philosophie. Ils nous ont intégrés dans leur système philosophique; ils voyaient en nous des êtres d'une grande force de vie exceptionnelle [465]. Ne paraissons-nous pas être maîtres de forces naturelles jamais maîtrisées par eux? l'aspiration naturelle de l'âme bantu était donc de pouvoir prendre quelque part à notre force plus vigoureuse. A ce sujet la société bantu compte déjà quelques désillusionnés, notamment parmi ceux dont nous avons fait des "évolués". <Même parmi les tribus de l'intérieur on en a signalé qui semblent avoir perdu le courage de vivre. Ce désespoir intime a été invoqué comme la raison principale, comme la dernière explication de l'extinction lente mais sûre de certaines races du Congo> [466]. Mais parmi ceux que nous nommons les "basenji", les "sauvages", les gens de l'intérieur, la grande majorité garde heureusement le désir profond de ce raffermissement de vie [467].

Ce que la masse des Bantu attend de nous, ce qu'elle acceptera de nous avec une joie intense, avec une gratitude profonde, ce sera notre sagesse, nos moyens pour accroître leur force de vie. D'autre part, si nous voulons apporter quelque chose aux Bantu, ce don devra être fondu ou présenté en des formes bantu, comme moyens de raffermissement de la vie.

Notre système d'éducation, notre méthode de civilisation, doivent pouvoir s'adapter à cet idéal de force vitale. Pour qu'elle s'épanouisse en se purifiant, nous devons nous mettre au service de cette "vie" qui est déjà en eux. La conception du monde et la sagesse de vie des Bantu, se rattachent ainsi à ce motif final suprême, à cette norme ultime: la force de la vie. Si nous ne le faisons pas, il ne reste qu'à extirper en sa racine toute philosophie bantu. Mais qui serait en état de le faire? Si nous ne réalisons pas l'adaptation, la sagesse bantu ira son train secrètement [468] et la faille qui sépare les Blancs des Noirs ira se déchirant, toujours plus béante et plus profonde.

Il nous restera alors quelques renégats de la sagesse bantu, traîtres de leur propre race, que nous aurons beau habiller élégamment, loger confortablement, et nourrir rationnellement, sans pouvoir empêcher qu'ils ne deviennent des évolués aux âmes vides et insatisfaites, des simili-occidentaux, sans vrai civilisation, des véritables vagabonds qui deviendront, tôt ou tard, une source de désordre, si pas pire [469].

Quand le Blanc jette un regard en arrière sur la piste parcourue, il lui est difficile de se faire une idée exacte des résultats obtenus. Il lui est difficile de pénétrer dans la psychologie des évolués, avec lesquels le contact est rompu [470], ou de connaître la valeur exacte de ces prémices de notre oeuvre civilisatrice. Cependant, il est des philosophes de brousse "sauvages", qui , eux, ont fait le point. Eux ont vu clair, si clair que nous en demeurons abasourdis [471]. Ces derniers temps, j'ai entendu de vieux notables répétant, pour désigner la génération moderne d'évolués: "Ce sont des hommes du "lupeto", de l'argent". Ils m'expliquaient que ces jeunes gens de chez les "Bazungu" (Européens) ne connaissaient plus que l'argent, la seule chose qui avait encore de la valeur dans leur vie; ils ont abandonné la philosophie bantu, la sagesse de vie bantu, et le respect de la vie, pour une philosophie de l'argent; l'argent est leur seul idéal; l'argent est la norme suprême et ultime de leurs actes. Ils n'ont plus de respect pour les vieilles institutions, pour les usages et pour les règles du droit qui, cependant, constituaient dans le fond la réalisation pratique des principes [472] de la loi naturelle. Cependant la vieille philosophie, les coutumes et les institutions antiques, la sagesse de vie pérenne, et l'ancien droit coutumier créaient l'ordre. Or, tout cela a été détruit par cette nouvelle valeur, par cette unique norme: le lupeto, l'argent. Tel est le verdict de ces "sages" méprisé de la brousse!

Il apparaît suffisamment que notre civilisation économique, notre philosophie de l'argent, s'est révélée impuissante à civiliser les Bantu, à faire des vrais évolués [473]. Par contre, il n'est pas prouvé, faute d'avoir essayé, que la saine base de la philosophie et de la sagesse bantu ne puisse pas servir de fondation pour élever la civilisation bantu. Il y a même assez de preuves du contraire, comme je démontrerai dans un écrit futur [474].


7. Faut-il déclarer la faillite du Christianisme comme moyen de civilisation des Bantu?

Récemment, dans la province de Lusambo (Congo belge) [475], s'est tenue une conférence des compétences coloniales régionales... à l'exclusion des ecclésiastiques. Au cours de cette réunion le problème de l'évolution de la race noire fut discuté, et en conclusion du débat, on constate qu'après tant de décennies [476] le christianisme se révélait incapable de civiliser les Bantu. Bref, on y déclara la faillite du christianisme comme moyen de civilisation des Bantu. Il ne paraît pas qu'on ait proposé un autre moyen de civilisation sinon [477] l'amélioration des méthodes agricoles, la formation technique de futurs artisans noirs, le relèvement de la production, l'intensification du commerce... qui figuraient seules à l'ordre du jour. Il n'est, hélas, pas douteux qu'aux yeux de la plupart de ces messieurs, c'était là le seul progrès et la réelle civilisation des Bantu!

Reconnaissons cependant que ce ne sont pas les seuls milieux laïcs où l'on a affirmé que le christianisme n'a pas donné les résultats qu'on attendait [478]. Certes, des résultats remarquables furent atteints, des résultats qui, peut-être, ne sautent pas immédiatement aux yeux et qui ne se laissent point facilement traduire en statistiques. Il y a des cas multiples de générosité et de dynamisme, qui nous font rougir de nous-mêmes. Mais cependant, quel missionnaire peut se déclarer pleinement satisfait du niveau de ses ouailles bantu? Il y a quelque chose qui cloche. Il doit y avoir quelque part un défaut.

Cette inadéquation serait-elle inhérente au christianisme en lui-même? Ou bien tient-elle à la méthode d'évangélisation? Ou bien faut-il enfin le reprocher aux Bantu eux-mêmes? Irons-nous conclure que les bantu ne sont point susceptibles d'accéder à la civilisation?

Celui qui adhère à cette dernière opinion, qu'il commence immédiatement à éliminer systématiquement les Bantu, ou qu'il rentre [479] en Europe! Nous ne pensons pas non plus qu'il y ait lieu de discuter ici de la valeur intrinsèque de la conception chrétienne de la vie humaine... [480].

(Traduction de A et Ba)

Nous nous adressons ici à tous les coloniaux de bonne volonté; de nombreux signes annoncent que, au Congo, les intellectuels deviennent conscients de leur devoir d'information et qu'ils commencent à dire leur mot. Qu'on juge en toute loyauté du bien-fondé des réflexions suivantes.

Les Bantu peuvent être éduqués, si l'on prend comme point de départ leur irréductible aspiration à un raffermissement de la vie; sinon, la masse s'embrouillera toujours plus dans des déductions "magiques" erronées à partir de l'idée fondamentale de leur ontologie, pendant que d'autres rejoindront les rangs des désemparés sans caractère qui singent les Blancs.

On objectera: admettons l'aspiration de la vigueur de vie comme point de départ d'une authentique civilisation bantu, mais cette vigueur de vie où mène-t-elle?

Elle n'est quand même rien d'autre qu'une chimère, que nous, hommes du vingtième siècle, ne pouvons aucunement accepter comme réalité scientifique, solide et rationnelle!

La vigueur de la vie n'est pas une base, elle ne peut être une fin, une norme; elle ne mène à rien.

Parlant naturellement, d'un point de vue rationaliste, ceux qui font cette objection ont raison. Mais il y a encore, au vingtième siècle, un système dans lequel la vigueur de vie est reçue comme une réalité... c'est le christianisme.

Ce qui pour la science rationaliste occidentale demeure une pure hypothèse, une thèse non démontrée, c'est-à-dire l'accroissement interne, intrinsèque de la force de la vie, c'est ce que professe le christianisme, se fondant sur la Révélation.

Jusque dans le XXe siècle, le christianisme garde encore toujours l'aspiration à un le raffermissent de la vie, à l'élévation de la vie au surnaturel par Dieu, par la participation à la vie de la Divinité même. Il croit à la possibilité de participation grandissante à la vie de Dieu, à l'intensification constante d'une vie surnaturelle, à l'accroissement interne par l'union à la Divinité.

(Texte de E P)

C'est aux coloniaux de bonne volonté que s'adresse cet ouvrage. Nous voyons chaque jour les heureux présages de l'intérêt grandissant que porte la classe intellectuelle de la colonie, à prendre à coeur sa réelle mission de guide. Je soumets donc au jugements loyal de ceux d'entre eux qui me liront, les réflexions que je développe.

Les Bantu peuvent être éduqués, si l'on prend comme point de départ leur irréductible aspiration vers le renforcement vital; sinon, on ne les civilisera pas. La masse sombrera, toujours plus, dans les applications fausses de sa philosophie, c'est-à-dire dans les humiliantes pratiques "magiques"; pendant ce temps les autres, les évolués, constitueront une classe de pseudo-européens, sans principes, sans caractère, sans but, sans sens. On objectera: admettons que cette aspiration de renforcement vital se trouve à la base de toutes les propensions des Bantu, mais où cela nous mène-t-il? A quoi rime cette conviction? Comment pourrait-elle servir de base à une civilisation véritable? Ce thème de la puissance vitale n'est en somme qu'un produit de l'imagination bantu, une idée subjective ne répondant pas à une réalité. Il ne nous est pas possbile de renoncer à notre acceptation raisonnable, objective, scientifique du réel pour entrer dans cette voie. Or, si cette idée n'est pas, elle ne peut servir de point de départ, elle ne peut constituer une fin, elle ne peut être retenue comme norme, elle ne peut pas conduire au réel.

La valeur de cette objection est indiscutable du point de vue purement rationnel. Notons cependant qu'il est en notre vingtième siècle un système de pensée dans lequel le renforcement de la vie est reçu comme une réalité, et c'est dans la doctrine chrétienne. Ce qui pour le science rationaliste occidentale demeure une hypothèse, une théorie non démontrée, notamment l'accroisement interne intrinsèque de l'être, à la façon dont l'enseignent les Bantu, c'est précisément ce qu'enseigne la doctrine chrétienne de la Grâce fondée sur la certitude de la Révélation.

Jusque dans notre XXe siècle, l'Eglise ne cesse d'enseigner et de professer cette réalité et les chrétiens gardent toujours l'apiration vers le renforcement de la vie, l'élévation de la vie, la surnaturalisation de la vie, la participation à la Vie du Dieu lui-même. L'Elise croit à la participation constante d'une vie surnaturalisée, à l'accroisement interne par l'union à Dieu.

Encore maintenant,la spiritualité catholique enseigne que Dieu créa l'humanité par sa propre richesse vitale, par Bonté, pour permettre aux créatures d'avoir part à sa propre vie divine, à sa Béatitude. Cette participation, nous est-il enseigné, peut se faire en de "nombreuses" mesures, en une mesure toujours grandissante, c'est-à-dire qu'il existe sur terre une possibilité d'accroissement vital interne, intrinsèque et surnaturel.

Cette doctrine spirituelle intense, qui anime et alimente les âmes au sein de l'Eglise catholique, trouve une analogie saisissante dans la pensée ontologique [481] des Bantu <et leurs aspirations à la force de vie> [482]. Nous aboutissons ainsi à cette conclusion inouïe, que le paganisme bantu, l'antique sagesse de vie bantu aspire, depuis des siècles, du fond de son âme bantu vers l'âme même de la spiritualité chrétienne. Ce n'est que dans le christianisme que les Bantu trouveront l'apaisement de leur nostalgie séculaire et la pleine satisfaction de leurs aspirations les plus profondes, qui sans le don gratuit de Dieu, devraient rester toujours inassouvies [483]. Voilà ce que m'ont répété tant de païens bantu. Le christianisme, et notamment dans sa forme la plus haute, la plus spiritualisée [484], est le seul assouvissement possible de l'idéal bantu. Mais il est indispensable [485] d'exposer la pérennale doctrine dans les termes de la pensée bantu, de faire apparaître comme renforcement vital et élévation vitale la vie chrétienne que nous leur proposons [486].

La civilisation bantu sera chrétienne ou elle ne sera pas. L'européanisation superficielle des masses ne peut que tuer le bantuisme. Mais comme le christianisme a pu informer une civilisation occidentale, il contient dans la vérité de sa doctrine et le dynamisme humain qu'il suscite les ressources pour sublimer et ennoblir une civilisation bantu [487].


8. Une dernière objection: l'idéal de vie des Bantu, leur force de vie, serait exclusivement terrestre, matérielle.

Si l'idéal bantu était exclusivement matériel, on ne verrait pas comment il pourrait servir de fondement à une culture supérieure. Il faut s'entendre: il est exact que la notion quotidienne du bonheur, <leur "bumi" et "bukomo", leur vie et leur vigueur> [488] est chez les Bantu (comme chez nous en Europe) assez médiocrement liée au terre à terre et au matériel [489]. On aurait tort d'en conclure cependant que leurs aspirations sont exclusivement matérialistes, et que les soucis supérieurs moraux, religieux, humanitaires leur sont totalement étrangers. Les exemples foisonnent, et au cours du développement de cet ouvrage, j'en ai cité quelques uns, qui prouvent que les aspirations morales, juridiques, métaphysiques et religieuses font partie essentielle [490] des efforts vers une "vie intense". Ces quelques exemples peuvent suffire pour faire admettre que sous l'apparence de soucis mesquins qui remplissent manifestement la trame des préoccupations quotidiennes, se trouve au fond de l'âme bantu une aspiration, un attrait irréductible vers un "renforcement de vie infini". Tout renforcement de vie "accessible", y compris le plus haut [491], se trouve implicitement compris dans cette "nostalgie" indéfinie, que connaissent et sentent les Bantu [492].

Les Baluba le disent expressément: "On peut posséder la richesse, la prospérité, avoir une nombreuse progéniture, et cependant certains jours, on est pris de "nostalgie" ("kulanga"), et l'on se trouve "kuboko pa lubanga" [493], la tête appuyée sur la main, sans savoir pourquoi, sinon parce que le coeur humain n'est jamais satisfait.

Que leur idéal de "bumi" (vie) ne se borne pas seulement à la vigueur du corps [494], cela apparaît d'ailleurs clairement à l'importance qu'ils attachent et au respect qu'ils témoignent à la "bénédiction" paternelle ou maternelle, et à la crainte qu'ils ont d'être maudits [495]. Cela apparaît encore dans leur aversion profonde pour le "mal" et pour toute destruction de vie, et notamment pour la haine, la jalousie, même pour la médisance, le mensonge et la tromperie [496], quels que soient leurs écarts pratiques en cette matière. Que leur aspiration à la force de vie s'oriente en un idéal supérieur [497] paraît enfin dans la conception élevée qu'ils ont [498] du droit, de l'ordre social, du bien et du mal; elle se traduit notamment par l'entêtement qu'ils témoignent dans la poursuite de leur droit dans ce que nous nommons: des palabres, mais qui signifient suivant eux surtout [499] la restauration de la vie, conformément au rang de vie voulu de Dieu.

Au lieu d'affirmer que l'idéal bantu demeure matériel, terrestre, jusque dans ses formes les plus élevées, il semble qu'il faudrait dire que, même dans leurs soucis les plus matériels, les Bantu se placent au point de vue élevé de sagesse de vie, se rattachant à leurs principes philosophiques.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il vaut la peine de vérifier l'exactitude et la solidité de notre théorie [500], par un essai loyal. Cet essai fut déjà tenté par plusieurs avec un effet étonnant par la réaction spontanée des auditeurs indigènes. Ce sont eux, les Bantu [501], qui sont juges et témoins de la valeur de l'hypothèse des forces vitales qui a été présentée ici [502].

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Chapitre VIII : Plaidoyer pour la philosophie bantu [503]

La "Philosophie bantu" rend-elle fidèlement les pensées des Bantu?

Nous ne plaidons pas pour l'exactitude des conceptions bantu. Nous voulons uniquement prouver l'objectivité de l'hypothèse ethnologique.

La plupart des lecteurs n'a jamais supposé que je ferais la propagande des conceptions bantu...; d'aucuns l'ont toutefois prétendu. Qu'on soit rassuré. Je n'ai pas l'intention de convaincre [le lecteur] <les Européens> que, dans l'ordre naturel ou dans l'ordre scientifique, rationnel, il existe un renforcement ou une diminution de l'être, comme le croient les Bantu.

[Lors de la publication du texte flamand, certains lecteurs se sont montrés soucieux de ma propre conception du monde; qu'il soit reconnu que j'admire les primitifs, maintenant qu'ils apparaissent être plus "homme" que nous ne l'avions originairement soupçonné. Je sais que cette admiration est partagée par beaucoup de lecteurs. Mais, jusqu'à présent, elle ne m'a pas encore amené à porter par exemple un cornet de force à la chaîne de ma montre. D'autres lecteurs demandent des exemples et des preuves, qui pourraient les convaincre que l'hypothèse de la force de la vie est réellement la conception bantu.]

<L'intention de la "Philosophie bantu" consistait uniquement à donner, aux lecteurs intéressés, un exposé objectif de ce que j'estime être le système de pensée des Bantu et de tous les peuples primitifs. J'avais uniquement l'intention, comme tant de chercheurs louables, de contribuer à faire comprendre des soi-disant primitifs.

J'ai bien exprimé mon admiration pour les primitifs, parce qu'ils apparaissent être plus réellement hommes que nous l'avions soupçonné jusqu'à présent. Mais la reconnaissance d'un élément intellectuel chez des primitifs est toute autre chose que l'adhésion à toutes leurs pensées. Cette reconnaissance de la pleine humanité des primitifs est admise par beaucoup de personnes. Et la thèse a priori qu'on ne rencontre chez les primitifs rien d'autre qu'une "terra inanis et vacua", une "tabula rasa", une "perversion essentielle", une "turpitude païenne" ou le "néant complet" s'estompe peu à peu et appartient déjà inexorablement au passé [504].

A présent, des hommes de bonne volonté utiliseront le meilleur de leurs forces afin de vérifier si l'hypothèse de la Philosophie bantu répond oui ou non aux faits. "L'auteur a-t-il réellement compris les primitifs et a-t-il donné de leur système de pensée un exposé fidèle"? Voilà l'unique question qui a de l'importance à présent.

On doit donc examiner, en premier lieu, la valeur ethnologique de ce livre. S'il paraît reposer sur une erreur ethnologique, tout le reste s'effondre et il ne mérite plus dorénavant qu'on en parle. Mais une erreur ethnologique de la "Philosophie bantu" ne peut être prouvée que par un autre exposé de la "philosophie bantu", de la "conception du monde bantu", de la "mentalité bantu" ou de ce qu'on nomme ainsi.

Une fois que l'hypothèse aura acquis droit de cité comme étant l'expression fidèle des faits, on pourra avancer. Ce serait là le moment de faire la critique de la pensée bantu et d'examiner si dans ce système, parmi ce qui s'avère erroné, il n'y a pas des éléments qui peuvent ou doivent être épurés, cultivés, christianisés.

C'est alors seulement que commencera la troisième phase, celle de l'adaptation consciente suivant une ligne déterminée.

Ce serait donc une perte de temps inutile de vouloir répondre à une critique qui ne se soucie pas de l'unique question importante: "Cet exposé est-il l'expression fidèle des faits?"

On demande des preuves, des preuves convaincantes, des faits concrets.>

Ces preuves peuvent être exigées et doivent être données. Mais ici se pose la question: "en quoi consiste la preuve véritable?" En effet, il n'y a qu'une seule chose qui doit être prouvée, à savoir: "Les primitifs pensent réellement ainsi". Pour aboutir à cette conclusion quatre voies se présentent, quatre preuves qui n'ont pas toutes la même force de conviction.



1. La première preuve : l'hypothèse est fidèle parce qu'elle repose sur des faits.

[L'analyse des faits, des dires et des coutumes contraint à cette synthèse. La preuve serait renforcée par une analyse explicite de l'ensemble des faits. Mais, dans le deuxième chapitre, où nous devions commencer par l'exposé de la conception de l'être des Bantu, nous fûmes obligé de nous interroger sur la méthode à suivre. C'est là que nous avons exposé les raisons pour lesquelles il paraissait préférable de ne pas suivre la méthode analytique et de donner plutôt immédiatement un exposé détaillé des résultats obtenus et des conclusions.]

<Une dissertation très étendue sur les coutumes, les dires, les institutions et les comportements des Noirs pourrait avoir une certaine rigueur. On devrait "décrire" cet ensemble de faits aussi objectivement que possible, ensuite l'analyser, pour enfin montrer qu'on aboutit nécessairement à la conclusion suivante: l'explication, la justification et les définitions que les Noirs donnent eux-mêmes se rapportent toujours à quelques concepts, que nous, Européens, nous pouvons systématiser comme on l'a fait dans la "Philosophie bantu".

C'est certes l'unique méthode pour aboutir à des découvertes. Mais elle n'est pas nécessairement la seule possible pour communiquer aux autres, d'une façon convaincante, les résultats obtenus. Cette méthode nous paraissait même nuisible pour atteindre ce but. Nous le savons par expérience.

Si on essaie d'amener quelqu'un des le début à la longue voie de l'analyse, soi-disant pour lui permettre de faire lui-même la découverte du système de pensée des Bantu, on est nécessairement acculé à parler de faits, de dires et de coutumes. Quand on choisit un exemple de n'importe quelle région d'un pays primitif, cet exemple conservera inévitablement sa "couleur locale". Et avant qu'on ait le temps d'en aborder l'analyse, on entend déjà l'objection: "Oui, mais chez nous cette coutume est différente, on le dit autrement, etc." et il devient dès lors impossible de raisonner sur l'essentiel. Il semble inutile de vouloir sauver l'essentiel en faisant remarquer que les différences extérieures ou manifestes, les coutumes même apparemment opposées peuvent être des applications, localement variées, de principes et de convictions identiques.

Nous avons exposé, dans le second chapitre de la "Philosophie bantu", les raisons pour lesquelles il était préférable de ne pas suivre la méthode analytique.

D'ailleurs le but de la "Philosophie bantu" n'est pas d'amener quelqu'un en voyage d'exploration par la voie analytique, mais bien de lui proposer une hypothèse qu'il saisira immédiatement et... dont il pourra contrôler l'application aux faits.>

La méthode choisie paraît avoir été la meilleure. Grâce à leurs propres conjectures et conclusions de nombreux lecteurs se sont faits tout de suite une idée claire de la mentalité [505] bantu. Ils ont témoigné immédiatement de l'exactitude de l'hypothèse; elle leur donnait uniquement une synthèse ordonnée dans laquelle leurs propres résultats cadraient parfaitement.

La forme peu soignée et l'imperfection éventuelle de la terminologie utilisée n'ont pas empêché beaucoup de lecteurs de trouver dans l'exposé de la philosophie bantu une preuve concluante de l'exactitude de l'hypothèse, grâce à la clarté suffisante de son contenu. Ils ne demandaient pas de preuves; ils étaient heureux de trouver le cadre auquel leur propre expérience quotidienne s'ajustait si parfaitement et de pouvoir enfin adapter, en parfaite conscience, leur oeuvre civilisatrice à la mentalité fidèlement définie des primitifs.

Si on avait dû commencer par la description, le classement, l'analyse et l'approfondissement des nombreuses coutumes et expressions, on serait encore toujourd loin de la synthèse.

Pourtant, l'ensemble des faits est déjà donné par les autres. Il y a des dizaines de monographies sur les peuples primitifs. Que ceux qui n'ont jamais vécu en contact avec ces peuples lisent l'une ou l'autre de ces monographies... à la lumière de la "Philosophie bantu" et ils trouveraient la preuve.

On peut y ajouter que la description des faits et leur analyse n'auraient eu que peu de force probante si elles avaient été données par l'auteur même de la Philosophie bantu. Une telle analyse serait "naturellement" orientée vers la démonstration que la théorie de la force peut être déduite des faits; l'analyse de ces faits pourrait facilement donner l'impression d'une démonstration "pro domo". Si la démonstration avait réussi à donner quand même une certaine vraisemblance à l'hypothèse proposée, un certain doute aurait toujours persisté surtout chez le profane: "Mais ce que le Noir lui-même voit dans ses coutumes, correspond-il à cela?"

Et ainsi devons nous chercher une autre preuve qui est sans doute quelque peu apparentée à la première.



2. La deuxième preuve: la théorie des forces de vie est applicable aux faits.

Si la première preuve était de nature à emprunter sa force persuasive principalement à l'argumentation du plaideur, ce deuxième argument peut déjà plus facilement convaincre par un apport conjoint de l'auteur et du lecteur.

La réaction spontanée et l'approbation de nombreux lecteurs étant en contact avec des primitifs, même si elles étaient basées sur leur propre expérience et analyse des faits, présentaient aux non-initiés un indice de l'applicabilité, prouvée par le fait de rendre compréhensibles, rationnelles et significatives, à la lumière de la théorie, des coutumes qui, autrefois, se présentaient aux Européens comme un mélange insensé; l'hypothèse même en gagne en vraisemblance. Il en résulterait, au moins, que la théorie des forces se présentait comme une explication plausible de mystères jusqu'à présent inéclaircis.

Mais, des hommes rigoureusement scientifiques, surtout ceux qui vivent loin des peuples naturels et qui ne peuvent s'appuyer que sur leurs propres jugement et intuition, continueront toujours à douter en se demandant: "Est-on bien là devant l'unique explication possible des faits, en d'autres termes: les Noirs eux-mêmes donnent-ils de leurs coutumes cette explication-là? S'agit-il ici d'autre chose que d'une interprétation ingénieuse, bien que apparemment raisonnable, des faits?"

En effet, une idée exacte des primitifs et de leurs coutumes ne peut être obtenue que par l'intermédiaire de l'explication que les Noirs eux-mêmes en donnent. On peut toujours continuer à se demander: Cette explication-là est-elle bien donnée dans la "Philosophie bantu?"

C'est ainsi qu'un ethnologue renommé doutait en écrivant: "ma première impression était défavorable... si vous savez combien d'années je raisonne à perte de vue, la tête pleine de points d'interrogation!... Votre hypothèse ajoute un nouvel élément à la masse des éléments, un nouveau point d'interrogation à ceux qui existent et tourbillonnent déjà... En toute franchise, après une première lecture, je ne suis pas plus loin".

Ayant ainsi examiné la force probante de cette deuxième preuve, nous pouvons à présent essayer de montrer l'applicabilité de la théorie aux faits.

C'est d'ailleurs une exagération de prétendre que, dans la "Philosophe bantu" on n'a pas donné de preuves. Pour la raison citée plus haut, on n'y trouve, en effet, pas de description ou d'analyse des faits. Mais on y trouve donnée toute une série de faits qui, par ailleurs, sont suffisamment connus et de ces faits on donne chaque fois une brève interprétation dans la lumière de la théorie des forces. Beaucoup de lecteurs ne semblent pas avoir remarqué ces preuves.

Dans l'ensemble de l'ouvrage, l'"hypothèse' proprement dite ne comprend que quelques pages: l'analyse du concept fondamental des Bantu et la systématisation des conclusions que les Bantu en ont tirées. Cette hypothèse peut être résumée en quelques lignes: la nature de l'être est considérée comme force; l'être peut croître et décroître; un être peut influencer un autre dans son être, c'est-à-dire le fortifier ou le diminuer; les êtres sont ordonnés, suivant leur rang de vie, par leur être [506] et leur activité. Suivant l'ordre de Dieu, l'être vivant, l'homme vivant est le centre de l'univers créé.

Force de vie, croissance de vie, diminution de vie, influence de vie et rang de vie ou aînesse, voilà cinq termes qui résument toute l'hypothèse et qui peuvent ensuite être saisis dans un seul concept central: "la force de l'être", ou le concept de l'être des Bantu.

Les chapitres sur la doctrine de la connaissance, sur la psychologie, l'éthique et la restauration du droit n'appartiennent en fait plus à l'hypothèse; ils présentent déjà un essai d'application de l'"idée de la force de vie" à chaque fait bantu cité dans ces chapitres.

Ces chapitres présentent-ils uniquement une déduction spéculative du postulat de l'idée de la force de vie? Ne sont-ils qu'une construction théorique d'une éventuelle doctrine hypothétique de la connaissance, d'une psychologie et d'une doctrine de la sanction hypothétique des Bantu? Ou ne sont-ils pas plutôt une explication, par l'idée de force de la vie, de faits connus, comme par exemple: la connaissance des Bantu, leur psychologie, leur éthique, la restauration du droit bantu?

[Si cette explication paraît être raisonnable, logique et suffisante, ma deuxième preuve est déjà donnée.]

Je pense que presque tous les faits bantu connus peuvent être rangés sous ces titres généraux. On peut difficilement donner comme preuves des faits concrets avec leur couleur locale spécifique; l'hypothèse très générale de cet ouvrage s'appuie plutôt sur des preuves et des exemples qu'on trouve, certes avec des caractéristiques locales, chez la plupart des peuples bantu et même chez tous les peuples primitifs.

Après quelques pages de faits on revient de nouveau, en quelques lignes, à ce qui constitue l'hypothèse de cet ouvrage. Il s'agit bien, en effet, de faits qui sont décrits dans le deuxième chapitre sous le titre: "L'attitude de vie des Bantu: elle est attentivement centrée sur une seule valeur: la vigueur de la vie". L'ensemble des faits qui prouve l'existence de l'idée centrale, "la force de la vie", est si imposant et s'annonce si irrésistiblement qu'il suffisait de la mettre un jour explicitement en lumière, pour convaincre un grand nombre de lecteurs qu'ils entendent les Noirs des différentes races bantu de l'Afrique répéter ce refrain, chaque jour, sur tous les tons.

Que ceux qui ne vivent pas au milieu des primitifs, prennent en main, afin de vérifier l'applicabilité de l'hypothèse de la force de vie, l'un ou l'autre ouvrage ethnologique sur n'importe quelle tribu primitive et qu'ils essayent d'y voir les phénomènes culturels décrits à la lumière de la synthèse donnée plus haut... Le résultat paraîtra surprenant. On aura l'impression d'avoir enfin trouvé la clef d'une écriture secrète, jusqu'à présent indéchiffrable. Pour beaucoup de lecteurs l'hypothèse apparaîtra comme la lentille qui, une fois réglée, changera enfin d'un coup de baguette une masse floue en images bien précises.

Et il ne s'agit pas uniquement des peuples bantu. Qu'on prenne un livre sur les Indiens des Amériques et on sera surpris de constater qu'eux aussi voyaient les premiers Européens, à cause de leur plus grande force de vie, comme étant la cause de malheur, de leur adversité, tout autant que des événements heureux survenant au clan; ils finissaient de les tuer et de manger leur coeur afin de s'approprier leur plus grande force de vie. Beaucoup de choses qu'on lit sur les peuples de l'antiquité et même sur tous les peuples qui pratiquent la soi-disant magie trouvent ainsi une explication.

Mais tenons-nous en uniquement aux peuples bantu. Quand on prend en considération le premier père, les ancêtres, les aïeux défunts, le père du clan, les parents, les oncles et les frères aînés, l'oncle maternel, le chef du village, le propriétaire des terres, le chef, le roi ou l'empereur comme ceux qui maintiennent et renforcent la vie des puînés et des subordonnés, alors les expressions et les comportements des Bantu sont immédiatement compréhensibles, rationnels et logiques. Tout leur culte de l'autorité, toute leur organisation clanique et leur système juridique reçoivent ainsi un sens. C'est alors qu'on entrevoit pourquoi le bien-être, la fécondité, la santé, la vie même ne peuvent absolument pas être nommés sans le premier père. On voit aussi pourquoi l'autorité, ou plutôt la force du premier père est ressentie par les Noirs comme une nécessité de vie pour chaque communauté bantu. Quand les Bantu prétendent qu'un village sans chef est un village mort ce n'est plus un simple langage imagé. Nous comprenons alors pourquoi, suivant les Noirs, l'un ou l'autre parvenu, un protégé ou un candidat des Blancs, ne peut posséder les qualités essentielles pour gouverner, c'est-à-dire "paternaliser", renforcer une région et les gens qui l'habitent... N'importe qui ne peut pas être un chaînon entre les ancêtres et les descendants.

C'est ainsi qu'on comprend pourquoi un chef muluba peut parler avec dédain du titre de noblesse, étranger et rachetable: Kazembe. Un titre pareil peut être acheté, dit-il, mais mon droit de chef me vient de la terre (bufumu bwa nsi); il impose de nombreux préceptes et d'interdits difficiles afin de "faire marcher" le peuple administré "avec vigueur", et afin de ne pas être une cause de diminution de la vie des subordonnés.

Il y a beaucoup d'applications et de preuves dans la "Philosophie bantu". L'hypothèse de la force de la vie ne donne-t-elle pas, incidemment, une explication raisonnable de la bénédiction et de la malédiction connues partout, de la "confessio parturientis", de la révocation d'une malédiction de la chasse, de l'éjection de salive en signe de l'évacuation de la mauvaise influence amoindrissante de vie, etc.? La notion du bien et du mal comme renforcement et destruction de la vie, ne paraît-elle pas à merveille applicable à toutes les règles de vie des Bantu? Et surtout, cette théorie ne donne-t-elle pas une explication raisonnable (du point de vue bantu) de cette réalité jusqu'à présent si mystérieuse qu'on appelle "magie"?

Renaissance? Ce terme reçoit une signification stable et claire. Chaque membre du clan est né sous l'influence de vie d'un ancêtre déterminé, comme je l'ai décrit. Toute autre application est abusive et ne cadre pas avec les comportements et les expressions bantu.

C'est la reconnaissance du rang de vie qui se trouve à la base du don des prémices au premier-né ou au chef du clan, et même à la base du soi-disant tribut ou "mulambu" donné au chef, ainsi que de la libation des prémices à Dieu, faite autrefois chez les Baluba. Car les Noirs prétendent devoir manger en dépendance comme ils vivent en dépendance. Manger indépendamment est manger d'une façon désordonnée et pareille action désordonnée pourrait agir d'une façon néfaste sur celui qui a perturbé ou violé l'ordre de la vie. Manger en dépendance c'est manger en étant béni; les enfants mangent pour ainsi dire ce que le premier-né leur laisse bénévolement.

Sur tout cela on aurait naturellement pu s'étendre abondamment, mais il était impossible de le faire dans un exposé succinct du système de pensée des primitifs. On aurait pu développer l'explication donnée par les Bantu eux-mêmes, suivant leur philosophie, tout ce qui est en rapport avec la mariage: les fiançailles, les relations entre fiancés, le titre du mariage ou la soi-disant "dot", l'introduction de la fiancée, le contrat du mariage et la vie matrimoniale.

Du point de vue ethnologique, une monographie sur ce sujet ne sera digne de foi qu'à condition de voir les choses à l'unique point de vue acceptable, celui des Noirs eux-mêmes.

Mais, une fois qu'on conçoit ces choses, avec les Noirs, comme l'union et la continuation de la force de la vie, on commence à y voir plus clair. C'est alors que toutes les prescriptions et tous les interdits du mariage deviennent significatifs, car on comprend ainsi que le lien matrimonial est une union de vie qui ne peut être rompue. Toute rupture de cette union de vie bouleverse ou diminue l'intensité de cette union de force et perturbe, suivant les principes de causalité des Bantu, l'influence de vie des parents sur les enfants.

Nous avons déjà préparé des notes sur d'autres sujets, comme par exemple sur la "notion de décence" et le "sentiment de décence" propres aux bantu, élucidés et expliqués comme "respect de la vie" [507]. On pourrait d'ailleurs démontrer comment la "politesse" et la complexité des relations cérémonieuses et protocolaires des Bantu ne sont, au fond, rien d'autre que la "reconnaissance extérieure du rang de vie".

Le kutuka ou nommer injurieusement les organes sexuels des autres, ou proférer ces termes injurieux, "impurs", c'est déprécier avec malveillance les "sources de la vie" du prochain. Il est avéré, ici chez les Baluba, que beaucoup de termes dont la signification nous restait imprécise, surtout les termes exprimant des conditions, des valeurs et des états de la vie, etc., recevaient une signification fondamentale précise à la lumière de la philosophie des forces de la vie. - On peut prévoir que dans beaucoup de dictionnaires déjà existants des langues bantu on sera obligé de nuancer pas mal de choses suivant la mentalité bantu.

Même la langue et les règles grammaticales ne sont pas indépendantes de l'influence de la philosophie bantu. Comment en serait-il autrement? Plus tard il sera clair que, en dernière instance, ce n'est pas ce qui est extérieur à l'homme, le lieu, l'état, la modalité des choses ou des actes, qui déterminent l'usage de certains termes, mais plutôt l'intention du muntu vivant, de celui qui parle [508].

C'est également dans la lumière des notions de la force et de l'influence de la vie qu'on peut trouver le vrai sens, l'explication exacte du matriarcat et du patriarcat. Déjà maintenant on peut dire que, suivant les Noirs eux-mêmes, le matriarcat donne plus de certitude concernant le véritable lien de la vie et aussi concernant une influence de vie des ancêtres sur la postérité plus assurée. Parfois des spécialistes déterminent le matriarcat comme l'organisation clanique de droit maternel. Mais dans ce cas on est confronté avec le problème de définir exactement le rôle du frère de la mère ou de l'oncle maternel. N'ont-ils pas des droits? Dans le matriarcat et dans le patriarcat les droits appartiennent à l'homme: la ligne de vie et la descendance passe, directement ou indirectement, par les membres masculins du clan. Les Noirs eux-mêmes me disaient que, dans le patriarcat, il est parfois très difficile de savoir qui est le premier descendant naturel et véritable, le successeur ayant droit d'un chef de clan donné. Pareils cas provoquent toujours des querelles et on n'est jamais totalement sûr que les enfants qui sont reconnus comme des descendants d'un chef de clan donné soient réellement mis au monde par lui. Mais il est absolument évident que par le sein maternel un enfant appartient à la tribu du frère du propre sang de la mère. Dans un tel droit de succession il est exclu que du sang totalement étranger viendrait s'interposer comme chef de clan entre les ancêtres et la postérité, et rompre ainsi la ligne de la vie.

Dans les limites d'un seul chapitre, ces indications générales de l'applicabilité de la théorie doivent suffire.

[Beaucoup de lecteurs n'ont pas besoin de cette argumentation. Pour ceux qui connaissent les Noirs, l'exposé même de l'hypothèse contient sa preuve. J'ai toutefois donné ces quelques indications, avec la promesse de développements ultérieurs sur des coutumes déterminées, afin de convaincre aussi les sceptiques de l'applicabilité de l'hypothèse et précisément parce que l'hypothèse paraît être riche et s'est avérée telle en de multiples applications pratiques pour l'éducation, la civilisation et l'évangélisation des Noires [509].




3. La troisième preuve : le témoignage des Européens [510]

Un nombre important de témoignages positifs d'ethnologues renommés, vivant et travaillant au milieu des primitifs ou semi-primitifs, inviterait évidemment à la réflexion. J'ai reçu des témoignages pareils. Mais le plus grand nombre de ces témoignages doivent encore être fait et s'annoncer. En effet, au début de la "Philosophie bantu" j'avais demandé au lecteur de réserver son jugement et sa critique jusqu'après l'exposé complet de l'hypothèse [511].

Cette troisième preuve doit donc être donnée par les autres. A présent, la parole est aux adversaires et... à ceux qui prennent la défense de notre thèse.

Dans ce contexte nous pouvons citer quelques lignes d'un compte rendu donné par le service d'information du Gouvernement du Congo belge au micro de la radiodiffusion du Congo belge: "Il est hors de doute, que les conseils d'un guide aussi expérimenté permettent d'éviter les tâtonnements et erreurs... Il est déjà certain que son oeuvre marque une étape importante dans le domaine des sciences congolaises".

Dans son livre pionnier: Eléments de droit coutumier nègre, E. Possoz écrivait déjà: "Le droit sacré des Nègres mérite surtout le nom de droit ontologique ou métaphysique..." [512].

Plus tard, il publia une note dans Lovania, sous le titre: L'âme clanique, où il écrit: "Les peuples claniques, même dans ce que nous en connaissons de plus primitif, ont possédé et possèdent une métaphysique... Pourquoi a-t-on appelé magie cette métaphysique? On peut rechercher le premier auteur qui le fit... La "magie" se passe selon des lois naturelles et logiques... Il eut fallu commencer ou finir, non par des monographies locales, ou la sciences des exceptions et des variations, mais par celle de ce qui est vraiment commun, essentiel, fondamental. Et là il eut fallu commencer par découvrir la métaphysique. Le proche avenir va nous l'apprendre" [513].

Par hasard, un livre allemand, apporté par un confrère retournant de Belgique en juillet 1945, m'est tombé entre les mains. J'étais surpris et en même temps heureux d'y lire un exposé succinct mais correct sur l'hypothèse des forces.Il s'agit du livre de Diedrich Westermann, intitulé: Der Afrikaner Heute und Morgen. On peut y lire: "Les Dieux, les hommes, les animaux et les choses possèdent une force différente? C'est elle qui est le véritable point central de toute pensée et volonté; elle est ce dont on doit tenir compte dans la vie... Elle est transmissible, on peut l'acquérir de telle façon qu'un homme n'est pas réduit aux forces qui lui sont confiées par la nature, mais qu'il peut les multiplier et sans cesse être agité par le souci d'entretenir et d'accroître cette force. Chaque chose possède de la force, parce que sans cette force elle ne serait pas devenue ce qu'elle est..." [514].

(Qu'on veuille bien remarquer ici comment l'auteur va même plus loin que la formule: chaque être a de la force, comme quelque chose d'accidentel à son essence. La force s'assemble à son être même. Par sa force, l'être est ce qu'il est).

"L'agir magique ayant pour but la production de la force est en partie une simple technique que chacun peut acquérir sans peine; mais il y a des spécialistes...

Demande-t-on à l'Africain quel est le bien suprême de l'homme, sa réponse sera: La vie. La vie pour sa personne, pour sa famille, pour sa tribu..." [515]

Il valait la peine de citer ces phrases pour montrer comment nous avons été conduits tous les deux exactement aux mêmes résultats par l'étude de tribus tout à fait différentes et cela en indépendance totale l'un de l'autre.

Dans son livre La religion des primitifs, Mgr Le Roy l'a également compris, bien qu'il n'ait pas trouvé la terminologie exacte. Il écrit: "Sa "manière", c'est-à-dire sa nature propre et distinctive, déterminée en chacun des êtres... par une certaine forme,... ou, si l'on préfère, une certaine âme, - âme inerte dans les choses inanimées, âme vivante déjà dans la plante, âme sensible dans l'animal, âme raisonnante dans l'homme, âme phénoménale - je m'excuse toujours des termes - dans les éléments cosmiques, âme terrestre dans la terre, céleste dans le ciel, universelle dans l'univers... Toutes les "âmes"... donnent aux êtres leur "manière", qui les spécifient, qui les font ce qu'ils sont..." [516].

"Aussi, lorsque le primitif va porter la main sur l'un ou l'autre des biens de la Nature, il se rappelle que ce produit, d'abord, a une vertu immanente qui peut se tourner contre lui..." [517].

"La Nature, dans les innombrables éléments qui la composent, est pleine d'influences secrètes, de forces immanentes, de vertus, de propriétés, de "manières" spécifiques, susceptibles de s'exercer pour ou contre l'homme et déterminées par ce que nous avons appelé les "âmes" des êtres" [518].

Cet auteur parle d'"âme", de "manière", de "vertu", qui font de chaque chose ce qu'elle est. Cette "âme" détermine la nature propre de chaque être, et cette "âme" semble bien devoir être conçue dynamiquement... comme "force".

Il y a sans doute encore d'autres auteurs qui ont ainsi saisi, pressenti et décrit la vérité. A côté de leur témoignage, mon étude ne serait alors qu'un témoignage de plus.]



4. La quatrième preuve: Le témoignage des Bantu eux-mêmes [519]

Personne ne doutera que seuls les Bantu eux-mêmes puissent donner le témoignage décisif et irréfutable de l'interprétation correcte de leurs pensées. Nous ne parlons pas ici du témoignage de l'individu, mais bien du témoignage de la masse des Bantu répandus sur toute leur aire résidentielle.

Puisqu'on ne peut pas s'attendre à recevoir de cette masse un exposé systématique, européen, de leur philosophie, leur témoignage devra plutôt être déduit de leur réaction sur l'exposé de leur philosophie par des Européens ou sur la façon adaptée, compréhensible de perler, d'enseigner, de prêcher..., de vivre des Européens.

Et dans ce sens il y a déjà quelques témoignages frappants... Comme nous l'avons déjà dit, la théorie des forces n'a pas été rédigée a priori comme une méthode ou une hypothèse de travail à soumettre à l'épreuve. Pendant des années nous avons essayé de faire accepter par les Noirs notre conception de la vie, notre idéal de la vie.. et nous avons toujours eu le sentiment de prêcher devant un mur. Nous n'arrivons même pas à nous faire comprendre; nos sermons n'atteignaient pas... l'âme de nos auditeurs. Et ils remarquaient que nous, les Européens, nous nous opposions injustement à tout ce que nous trouvions chez eux, et que nous ne comprenions pas leurs raisons et objections, que nous n'y prêtions même pas l'oreille.

Cependant, c'est une "conditio sine que non" à faire comprendre nos raisons et à les faire entrer dans leur coeur de comprendre les hommes au milieu desquels on vit. Après de nombreuses recherches et d'hésitations, on arrive enfin à parler avec les Noirs de telle façon qu'ils déclarent spontanément entre eux: "Maintenant il ne se trompe plus, maintenant il parle correctement..., il est bien grave que nous n'entendons plus dire nos propres chefs comment nous sommes et comment étaient nos ancêtres, et que nous devons l'apprendre et l'entendre du Père..."

Mais il sera sans doute mieux de donner la parole à d'autres Européens qui ont adapté leur enseignement, leur méthode d'éducation, leur enseignement religieux et leurs comportements au noyau sain qui persiste sous beaucoup d'erreurs dans la conception du monde des Bantu. A partir du moment où ils se sont adaptés à la mentalité bantu et à l'idéal bantu de force de la vie et de renforcement de la vie, les Noirs semblent s'éveiller tout à coup.

Le Père Symphorien De Fauw [520], directeur de l'Ecole normale de Luabo près de Kamina, écrit sur ses expériences chez les normalistes: des Baluba, Bacokwe, Babemba, Andembo et Balunda:

"Vous vous informez des "réactions" des Noirs sur mon enseignement religieux qui a pour idée centrale: "bumi", la "vie".
Un tel enseignement religieux:

1. fixe immédiatement l'attention et le tient fixée;

2. émeut les Noirs (et essayer une fois d'émouvoir les Noirs);

3. n'est pas oublié;

4. est suivi immédiatement de résultats pratiques dans le comportement;

5. le leur rend facile à converser avec les autres sur la doctrine chrétienne; ils prétendent que, proposée ainsi, cette doctrine est quelque chose de grand pour laquelle même les aînés auront du respect [521].

[Notez bien, tout cela se passe chez des élèves des classes supérieures, qui, depuis dix ans, doivent suivre le catéchisme.

Voici encore quelques exemples:

Je proposais les Commandements de Dieu comme règle et protection de la vie de l'homme par la Source de la vie (on dépend d'elle et on communie avec elle; le respect et la promotion de la vie des proches parents et des prochains). - La réaction: le résumé est immédiatement connu par tous. On est convaincu que ces commandements doivent être suivis par tout le monde, en tant que nécessité et règle de vie ainsi voulues par le Créateur; il ne s'agit plus d'un amas d'"interdictions" incompréhensibles; (Les commandements sont comme des voies de vie).

Les sacrements sont des gages de vie (en kiluba: kyeya; en cokwe: kapopo), des gages de la vie comme enfant de Dieu (la grâce). Ces gages ont été donnés par le Christ à l'Eglise et dans la réalisation des signes extérieurs de ce gage, Dieu donne la vie ou l'augmentation de la vie. - La réaction: on la connaît immédiatement; il en suit le respect pour les Sacrements, un intérêt pour la communion fréquente et une méfiance pour l'état dans lequel certains ont reçu jusqu'à présent le Baptême.

Quelques conférences sur le Christianisme, la doctrine de la vie, en fait, un résumé du catéchisme, le livre de la vie (mukanda wa bumi). - Réaction: une attention assidue. Les élèves étaient d'accord qu'avec cette doctrine ils pouvaient aller chez les aînés, qu'ils seraient compris et qu'ils obtiendraient le respect. (Leur langage ne sera plus tenu pour une propagande pour la doctrine des "Blancs", mais comme une propagande pour une réalisation élevée de ce qui constituait depuis toujours l'idéal bantu).

Une leçon sur les devoirs d'état: celui qui possède la vie d'enfant de Dieu en lui et qui remplit son devoir quotidien suivant les desseins de son Père céleste s'accroît comme enfant de Dieu, renforce en lui cette vie et vivra uni à Dieu dans l'éternité suivant la vigueur de la vie ainsi obtenue à la mort. - La réaction: "On n'a jamais entendu pareille chose! (Sans doute déjà entendue, mais jamais comprise). C'était pour eux un vrai soulagement de savoir que les "bonnes actions" signifiaient cela, et réalisait cela. Ainsi l'étude et le travail manuel sans surveillance étaient plus sérieux.

A un Boy-scout noir, je donnai l'explication d'une "Bonne action": "Quel nom donne-t-on chez vous à une plante, un animal ou un homme qui ne porte pas de fruits, qui n'engendre pas d'enfants (qui n'engendre pas d'autre vie)? - Un "mort", un mufu". Comment on t'appelera, quand, après avoir reçu la vie d'enfant de Dieu, tu n'essaies pas de la communiquer à d'autres? - Un choc traversa tout son être, ses yeux commencèrent à briller: "c'est bien, je l'ai compris...". Etc."

A. Rubbens [522], qui a traduit la "Philosophie bantu" en français, m'écrivit de Kabinda: "Je trouvais la traduction vraiment passionnante, parce que je comprenais ainsi plus profondément vos pensées. J'ai fait quelques sondages fructueux en mettant en pratique votre "théorie des forces" et j'en conviens que "l'oeuvre", mais surtout votre hypothèse jette une lumière vive sur de nombreuses réactions qui me sont apparues, dans le passé, comme incompréhensibles".

Au centre minier de Kipushi, le P. Célestin Lammens [523] prêcha sur le christianisme comme renforcement de la vie. Une première réaction: après quelques instants tout était calme dans l'église, là où d'ordinaire pendant le sermon du dimanche on est assez tumultueux; et les Noirs... écoutaient. Une deuxième réaction: après la messe quelques Noirs des plus âgés sont venus demander au P. Célestin s'il venait du Kasaï. Le Père qui habite à Kolwezi devait nier en leur demandant sur quoi était basée leur supposition. Les Noirs lui répondirent: "parce que vous parlez exactement comme nos ancêtres..."

Ce même Père m'écrivait plus tard sur ses expériences à Kolwezi même, aussi un centre minier, où, parmi les ouvriers, de nombreuses races bantu sont représentées. "Il ne se passe pas un dimanche que je ne prêche, d'une façon ou une autre, de la vie ou de la vigueur. Et à vrai dire, cette doctrine a pour les Noirs, quelque chose de fascinant. Il fixent leur attention dès qu'on commence d'en parler, ou plutôt ils vous regardent avec une lueur dans les yeux, comme s'ils entendaient, de votre bouche, le nom de leur mère.

Je constate aussi de plus en plus qu'elle s'adapte facilement à la mentalité des Noirs. On dirait: un habit à leur taille".

Le Père Camille Delait [524] qui travaille à Kafajumba chez les Cokwe m'écrit: "... j'en prêche, partout des visages tendus, surtout chez les aînés, qui marquent leur accord; des rires satisfais. Et la réaction: "Mon Père, vous étiez déjà l'un des nôtres, mais maintenant vous êtes un aîné et de plus en plus de nous".

Le Père Hilaire [525], Passionniste de Lodja chez les Batetela, écrit: "A plusieurs reprises j'ai prêché suivant la théorie des forces. Chaque fois je voyais les gens prêter toute leur attention. Jamais je n'ai fait autant d'impression. De cette façon les vérités éternelles semblent être mieux comprises par eux. Quand on prêche ainsi, ils sont parfaitement silencieux. Je rassemble aussi un peu de matière pour pouvoir aider plus tard, mais... le catéchisme devra être adapté dans ce sens le plus tôt possible".

Et le P. Ambroise [526] de Kasaji chez les Cokwe: "Vous me demandez mon impression: à vrai dire, c'est remarquable. J'ai préparé les vingt-quatre homélies des dimanches après la Pentecôte en y appliquant vos théories. Pour le moment je prépare un baptême en brousse. J'ai parlé à ces braves gens de la brousse de sujets difficiles comme les Sacrements, la Communion et jamais je ne les ai vus écouter ainsi. Et je leur demandai: comprenez-vous ce que j'ai dit? Ils me répondirent: oui, oui! Et en sortant de l'église je les entendis dire: "Nous n'avons pas seulement écouté avec nos oreilles, mais également avec notre coeur". Et le catéchiste de venir en disant: "donnez-moi ce que vous avez prêché, afin que je puisse moi aussi le dire aux gens". Depuis j'ai écrit chaque fois brièvement mes leçons".

Ainsi j'ai reçu plusieurs témoignages d'Européens fondés sur les réactions des Bantu eux-mêmes. J'ai également reçu des objections d'Européens, mais aucune de ces objections n'était appuyée par les paroles ou les réactions des... Bantu.

Ces réactions spontanées des Bantu des différentes tribus ne peuvent être expliquées que par l'exactitude de l'hypothèse des forces... Ce n'était d'ailleurs pas une hypothèse, c'était en réalité une conclusion systématisée à partir d'une catéchèse qui s'est avérée adaptée.

Les Bantu peuvent comprendre et veulent accepter une civilisation et un christianisme conçus et proposés de cette façon; c'est ce qu'ils désirent et auquel ils aspirent même... depuis des temps immémoriales.


5. L'unique objection européenne qui doit recevoir une réponse

Parmi les différentes objections qui m'ont été adressées il y en a une seule qui, jusqu'à présent, semble être fondée et qui mérite d'être discutée.

Un premier m'écrit: "L'être est de la force?" Faut-il aller si loin? Un second: Est-il absolument nécessaire de dire: "suivant les Bantu l'être est de la force"? Suivant notre philosophie la force est quelque chose d'accidentel, ne peut pas être une substance. Ne serait-il pas suffisant de dire que, considérant l'être, les Bantu visent surtout la force de l'être, l'être qui a de la force? Votre présentation contient pour moi une difficulté insurmontable et aussi longtemps qu'elle n'est pas résolue je ne peux accepter votre thèse. Un troisième reprend: J'estime que les Bantu aient, en plus du concept de "force" aussi le concept d'"être". Qu'ils ne conçoivent pas la vie comme pure action, fonction..., mais comme quelque chose qui existe et a de la force.

Je ne sait pas si ces correspondants seraient d'accord que je publie leurs noms; il s'agit en fait d'ethnologues connus, de spécialistes renommés des Bantu.

Mon exposé n'était peut-être pas assez clair; j'ai simplement écrit comment je vois les choses et je ne pouvais pas prévoir toutes les objections? C'est pourquoi, après avoir rectifié les objections, je donnerai un exposé plus clair de mon point de vue.

Si la seconde intervention dit que la force est quelque chose d'accidentel dans l'être et ne peut donc être un terme pour (indiquer) l'être même, on parle naturellement en tant que philosophe européen. A priori nous devons donc déjà dire qu'une objection pareille, faite d'un point de vue européen, est incorrecte et qu'elle ne pourra jamais prouver que la théorie des forces est une représentation forcée, fausse de la mentalité des Bantu. Cette objection n'atteint même pas l'hypothèse; elle est peut-être une critique des lacunes et des contradictions internes aux conceptions mêmes des Bantu.

La troisième objection me fait naturellement trop dire en me faisant soutenir que les Bantu n'ont pas de concept de l'être [527], mais qu'ils ont uniquement un concept de fonction, d'action... Action est déjà tout autre chose que force, et l'on peut parler très correctement de la fonction ou de l'action d'une force, comme on peut parler de la force d'un être.

Après avoir remis les choses au point, il en reste tout de même quelque chose. Il ne suffit pas de se contenter de ce minimum dont j'ai parlé moi-même, c'est-à-dire que les Bantu conçoivent l'être comme ayant une force, de façon que la définition ban,tu de l'être serait: l'être est quelque chose qui a de la force.

J'ai cru devoir aller plus loin pour deux raisons:

1) à cause des réalités des conceptions bantu...

2) afin de faire ressortir le plus clairement possible, aux Européens pour qui j'écris, ce qui est spécifique de la notion bantu de l'être.

Il y a des exagérations qui montrent plus clairement la vérité. La thèse: pour les Noirs l'être est force, a l'heureuse conséquence que les lecteurs européens saisissent très correctement ce qui est spécifique de la philosophie bantu et qu'ils ont nommé, certains même en rigolant, la théorie des forces: la "forçologie" [528]. Cela ne serait peut-être pas arrivé, si j'avais seulement dit que pour les Bantu l'être a de la force, puisqu'on l'aurait compris spontanément suivant sa propre philosophie européenne, où la force reste quelque chose d'accidentel.

Mais, l'intégration de la force à la notion de l'être, l'identification même de la force à la notion de l'être est-elle, en tant qu'explicatif de la notion de l'être des Bantu, une exagération?

En disant: pour les Bantu l'être est quelque chose qui est force, je n'élimine pas pour autant la notion de l'être pour ne conserver que la notion de force.

Suivant les Bantu il existe quelque chose qui est force, l'être même est conçu comme de la force. Aussi les Bantu distinguent dans l'être l'accidentel de l'essentiel, suivant eux: l'apparition extérieure et l'essence [529] intérieure de l'être ou l'être même qui est identifié avec l'essence de sa force ou sa force même.

Suivant les Bantu, l'essence de la force détermine la nature intérieure, l'essence même d'un être. Cette force déterminée est cette nature déterminée de l'être. Suivant les Bantu, connaître la force d'un être ou connaître l'être est identique.

Ils n'ont pas une notion de l'être comme tel sans sa force et ensuite une notion à part de la force comme quelque chose qui serait distinguée de l'être même. Connaître la force c'est connaître l'essence [530] de l'être, la notion de force est la notion de l'être, toujours suivant les Bantu. Leur notion de l'être semble donc être différente de la nôtre, qu'est-ce qu'on peut faire? On n'élimine pas des faits.

Il ne tient pas debout de dire qu'avec une telle théorie on refuse aux bantu toute notion de l'être... comme s'ils n'ont que la notion d'action; j'essaie précisément de circonscrire la notion de l'être des bantu et jusqu'à présent je ne trouve pas de meilleurs termes européens pour la clarifier.

En effet, dans notre formulation de la notion bantu de l'être doivent être inclus ces termes-là qui le rendent possible de considérer l'augmentation de la force comme une augmentation intrinsèque, essentielle. C'est bien là la conception bantu. Et quand on dit uniquement "l'être a de la force", en considérant la force comme quelque chose d'accidentel à l'être, on ne peut pas parler, lors d'une augmentation de la force, d'une augmentation essentielle, intrinsèque d'un être. Dissocier la notion de force de la notion de l'être, c'est laisser inexprimé ce qui est spécifique à la notion de l'être des Bantu. Proposer comme notion de l'être des Bantu la notion de force, ou quelque chose qui est fort, qui est force, ce n'est pas du tout refuser aux bantu la notion de l'"être", c'est mettre à la place de notre notion de l'être cette autre notion de l'être qu'ont en réalité les bantu.

Qu'on pense aux expressions des ethnologues:

- de Mgr Le Roy: "Toutes les "âmes" donnent aux êtres leur "manière", qui les spécifient, qui les font ce qu'ils sont..."
[531]

- de Westermann: "Chaque chose possède de la force, parce que sans cette force, elle ne serait pas devenu ce qu'elle est..." [532]

- de E. Possoz: "L'existence est d'intensité variable... Droit et ontologie ne font qu'un pour lui (le Nègre)... Est plus vivant qui est plus légitime... l'individu injuste... est déjà en voie de perdition.. Tout acte juridique a pour faction de combattre le néant..." [533]

Il aurait été possible, même sans une étude plus approfondie des Bantu, de déduire de ces textes cités, la notion de l'être des Bantu que ces auteurs doivent accepter s'ils veulent être conséquents avec leurs propres affirmations. Leurs affirmations ne sont compréhensibles que par ma formulation de cette notion de l'être: l'être est force.]

Kamina, le 18/8/1945.

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Annexe

a) La notion de l'être [534]

 

Po (Ba)
Toute l'effort des Bantu va vers la puissance de vie. La force de la vie est la notion fondamentale de leur conception de l'être.






































































































































Dans notre philosophie nous essayons de nous former un concept universel des êtres. Après abstraction de tout l'accidentel, de tout ce qui n'est pas nécessaire pour retenir uniquement le concept d'être ou de chose, nous disons que la simple définition: "quelque chose qui est; ce qui existe", contient les éléments suffisants et nécessaires pour le concept transcendantal, universel et abstrait "être".











Il peut y avoir dans notre philosophie des divergences de vue concernant le concept "être" et concernant son applicabilité dans un sens univoque ou analogique à tous les êtres, Dieu compris.

Mais il est certain que notre concept abstrait "être" est un concept statique.






















Et c'est ici que se trouve la différence entre notre concept être et celui des Bantu et de tous les peuples non-civilisés./Là où ... minérales// (plus loin 4*)

















1*/Nous pouvons nous former un concept universel, transcendantal d'être, sans y inclure la notion de force, les Bantu, non.La force est pour eux un élément indispensable de l'être même, une notion inséparable du concept d'être. La force appartient à l'essence du concept de l'être. Sans idée de force, il n'y a pas d'idée d'être et sans élément de force il n'y a pas d'être existant concrètement.//Nous avons un concept statique des êtres, eux un concept dynamique.





















2*/Ce qui précède est le minimum qu'on doit admettre comme base de l'ontologie bantu: notamment que les Bantu lient le concept de force au concept d'être.

A tout le moins devons nous dire qu'ils ont de l'être un concept composé, double: l'être est quelque chose qui a de la force.//



3*/Mais je pense qu'il faut aller plus loin. Nos termes concernant la philosophie bantu doivent rendre d'aussi près que possible sa spécificité, ce qui n'arrive pas, semble-t-il, si nous voulons rendre le concept d'être des Bantu par la définition "un être est quelque chose qui a de la force".




















Car suivant les Bantu la force n'est pas une réalité accidentelle dans le concept complet de l'être. La force est le concept de l'être même. La force est l'être même; l'être est la force.//Eux pensent que chaque être a ou possède une force et je crois même que suivant leur philosophie chaque être est une force./Nous pouvons... concrètement// (plus haut 1*)/Ce qui précède... force// (plus haut 2*)



































*/Là où nous pensons à être, les Bantu pensent à force. Là où nous parlons d'êtres concrets, les Bantu parlent de forces concrètes. Nous disons que les êtres sont distingués par essence et nature. Les Bantu voient des forces, qui diffèrent par essence et nature.



Suivant eux, la force divine existe et ensuite des forces humaines, animales, végétales et purement matérielles et minérales.//
/Mais je pense... force// plus haut 3*






Que le lecteur lui-même juge de l'exactitude de cette hypothèse, à la fin de cette étude.


A l'encontre de notre définition: l'être est "quelque chose qui est", on devrait formuler la définition de l'être des Bantu comme suit; "l'être est de la force qui est, de la force qui existe". A proprement parler ils ne lieraient donc pas la notion de force comme élément nécessaire à la notion d'être, mais la notion de force remplacerait chez eux la notion d'être.






Ils auraient alors comme nous un concept simple, unique et transcendantal de l'être: nous "être", eux "force", nous "quelque chose qui existe", eux "de la force qui existe".

E
Nous avons vu que la propension naturelle de l'âme bantu va vers la puissance. La notion fondamentale du concept de l'être est pensée dans la catégorie des forces.

































La métaphysique étudie cette réalité, qui est existante dans toutes les choses, dans tous les êtres de l'univers. C'est par cette réalité que tous les êtres se ressemblent, et la définition de cette réalité est donc applicable à tout être existant.















































Pour arriver à cette réalité commune à tous les êtres, ou plutôt identique dans tous les êtres, il faut éliminer toute réalité qui n'appartiendrait qu'à une catégorie d'êtres.On ne gardera que les seuls éléments, mais aussi tous les éléments qui sont commun à tous les êtres. Ce sont ces éléments, qui formeront l'objet de la science métaphysique, c'est-à-dire de la science englobant tout le physique ou réel.La métaphysique ne s'occupe pas de l'abstrait ou de l'irréel, ce ne sont que ses notions, ses définitions, ses lois, qui sont abstraites et générales, comme le sont d'ailleurs les notions, les définitions, les lois de n'importe quelle science.
















La pensée chrétienne, ayant adopté les formules de la philosophie grecque, et peut-être sous l'influence de celle-ci a défini cette réalité commune à tous les êtres, ou si l'on veut, l'être tel quel: "la réalité qui est", "quelque chose qui existe", "ce qui est".


Sa métaphysique a été basée sur un concept fondamental plutôt statique de l'être.






















C'est ici qu'apparaît la différence fondamentale entre la pensée occidentale et celle des Bantu et primitifs. (Je ne compare que des systèmes ayant inspiré des vastes "civilisations").


















Nous pouvons concevoir la notion transcendantale "être", en la dégageant de l'attribut de sa force, non les Bantu: la force est dans leur pensée un élément nécessaire de la définition de l'être. Il n'y a pas (chez les Bantu) d'idée de l'être séparée de l'idée de force, et sans cet élément force aucun être n'est concevable.

Nous avons une conception statique de l'être, eux en ont une notion dynamique.















Ce qui précède doit être reçu comme base de l'ontologie bantu, notamment: le concept force et lié au concept d'être jusque dans la pensée la plus abstraite de la notion de l'être.A tout le moins faut-il dire, que les Bantu ont un concept double, composé de l'être, concept qui pourrait s'exprimer: "l'être est ce qui a la force".

Mais je pense, qu'il faut aller plus loin. Notre expression de la philosophie bantu doit serrer d'aussi près que possible ses caractères propres. Il me semble, que nous n'atteignons pas cette précision en formulant la notion de l'être dans la pensée bantu: l'être est ce qui possède la force.

Je crois rendre le plus fidèlement possible la pensée bantu en langage européen, en disant que les Bantu parlent, agissent, vivent, comme si pour eux les êtres étaient des forces.






La force n'est pas pour eux une réalité adventice accidentelle, la force est même plus qu'un attribut nécessaire de l'être: la force c'est l'être, l'être est la force.











































Là où nous pensons le concept être, eux se servent du concept énergie.
Là où nous voyons des êtres concrets, eux voient des forces concrètes. Quand nous dirons, que les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les Bantu diraient, que les forces diffèrent par leur essence ou nature.




Suivant eux il y a la force divine, et les forces célestes et terrestres, les forces humaines, animales, végétales et même les forces matérielles ou minérales.








Le lecteur jugera mieux à la fin de cette étude de la validité, voire de l'exactitude de cette hypothèse:“A l'encontre de notre définition de l'être, "ce qui est" ou "la chose en tant qu'elle est", la définition bantu se formulerait "ce qui est force", ou "la chose en tant que force" ou "la force existante". Insistons encore pour mettre en évidence que la "force" n'est pas pour eux un attribut nécessaire, irréductible de l'être, non, c'est la notion force qui tient chez eux la place de la notion être de notre philosophie.

Tout comme nous ils ont un concept transcendantal, élémentaire, simple: chez eux "force", comme chez nous "être"

<P> [A]
Tout l'effort des Bantu est orienté vers la puissance vitale. La notion fondamentale de leur conception de l'être est le concept de la force vitale.L'intelligence humaine tend à trouver le sens de notre être et des choses de l'univers et exprime les notions acquises en termes populaires, soit en définitions scientifiques.La conception des primitifs quant à l'essence des choses, aussi bien que les distinguo les plus poussés des savants professionnels, sont des connaissances intellectuelles qui ne sont pas essentiellement différentes. Toutes deux sont connaissance de l'être; elles sont métaphysiques [et le système de pensée qui est fondé sur une idée déterminée de l'être, est philosophie].La métaphysique considérée comme discipline méthodique et la sagesse humaine, que l'on désigne comme "conception du monde", considèrent ou embrassent les réalités qu'on retrouve dans tout être de l'univers.Pareilles réalités sont notamment l'origine, le devenir, le changement, la croissance, l'anéantissement ou l'achèvement des êtres, la causalité active et passive, et plus particulièrement la nature de l'être en soi, vecteur essentiel de ces phénomènes ou modes universels.Par ces réalités tous les êtres ont quelque chose de commun ou d'identique. Les notions et définitions de ces réalités s'appliquent donc à tout être existant. C'est pourquoi cette science ou connaissance est dite métaphysique. C'est la connaissance universelle des êtres, la métaphysique embrasse en effet la totalité du physique, tout ce qui a une existence réelle.[Pour atteindre la réalité qui est commune à tous les êtres existants, ou plutôt, qui est identique dans tous les êtres, nous devons graduellement éliminer toute réalité qui n'est propre qu'à l'une ou l'autre catégorie d'êtres. Nous devons garder uniquement ces éléments, mais aussi tous les éléments qui existent en chaque chose].









La métaphysique est donc bien la connaissance la plus universelle, non pas en ce sens qu'elle ne s'occupe que d'abstractions ou de spéculations sur l'irréel, mais en ce sens qu'elle embrasse tout être. La métaphysique n'est pas suspendue dans le vide. Son objet est la réalité intense qui existe en nous et autour de nous. Ses notions, ses définitions, ses lois formulées d'une façon abstraite et générale comme le sont les notions, définitions et lois de toute science.La pensée <occidentale> chrétienne, ayant adopté les formules de la philosophie grecque, et peut-être sous l'influence de celle-ci, définit le plus souvent cette réalité commune à tous les êtres, ou si l'on veut, l'être comme tel: "la réalité qui est", "quelque chose qui existe", "ce qui est". Sa métaphysique a été basée sur un concept fondamental plutôt statique de l'être.Ce concept de l'être le plus courant dans notre philosophie occidentale est statique en ce sens que la notion de force n'est pas incluse dans la notion première d'être. En général l'attribut de force apparaît comme un accessoire, un accident de l'être en soi. On appellera l'être le support de la force et des changements.C'est ici qu'apparaît la différence fondamentale entre la pensée occidentale et celle des Bantu et des primitifs. (Je ne compare que des systèmes ayant inspiré de vastes civilisations).<Dans l'interprétation de la même réalité la pensée primitive reçoit sa nuance propre de l'accent, qu'elle met sur l'aspect dynamique des êtres; tandis que la pensée scientifique de l'Occident semble mettre l'accent sur l'aspect statique des choses>.Nous, Occidentaux, voyons dans la force un attribut de l'être, et nous avons élaboré une notion de l'être dégagée de la notion de force.


Il semble que les primitifs n'ont pas interprété ainsi la réalité.


Leur notion de l'être est essentiellement dynamique. Ils parlent, vivent et agissent comme si, pour eux, la force était un élément nécessaire de l'être. La notion de force est donc liée essentiellement à toute notion d'être.La force est inséparablement liée à l'être et c'est pourquoi ces deux notions demeurent liées dans leur définition de l'être. <Ne pas confondre "force" et "action" add. en note Ms P.>


Ceci doit être reçu comme base de la philosophie bantu. C'est un minimum qu'il faut admettre, sous peine de ne pas comprendre les Bantu.


Ainsi les Bantu auraient une notion composée de l'être, que l'on pourrait formuler: l'être est ce qui possède la force.


Cette hypothèse minimale ne me paraît au demeurant pas suffisante, ni même absolument exacte. Elle ne rend pas suffisamment compte du caractère propre de la notion d'être du primitif. Je crois serrer de plus près la vérité si je définis la notion d'être du primitif comme: l'être EST force.
En effet, la formule européenne "avoir la force", nous la comprenons inconsciemment d'après notre philosophie. Si nous formulons le concept d'être du Muntu comme étant: "la chose qui possède la force", le lecteur en retiendra que la force est considérée comme un attribut de l'être.Or, pour les Bantu, la force n'est pas un accident, c'est même bien plus qu'un accident nécessaire, c'est l'essence même de l'être en soi.Pour lui la force vitale, c'est l'être même tel qu'il est, dans sa totalité réelle, actuellement réalisée et actuellement capable d'une réalisation plus intense.<Cette force se réalisant plus ou moins, l'être même se réalise plus ou moins. Les changements de l'être sont, pour eux, les réalisations variées, les degrés, les croissances ou les intensités ontologiques de l'être lui-même>.
Pour éviter toute confusion et afin que le lecteur européen se garde (en traitant de notions bantu) de considérer la force comme un accident, je préfère m'en tenir provisoirement à la formule: pour le Muntu l'être est la chose qui est force. L'être est force, la force est être. Notre notion d'être c'est "ce qui EST", la leur "la force qui est". Là où nous pensons le concept "être", eux se servent du concept "force".
Là où nous voyons des êtres concrets, eux voient des forces concrètes.


Là où nous dirions que les êtres se distinguent par leur essence ou nature, les Bantu diraient que les forces diffèrent par leur essence ou nature.


Suivant eux, il y a la force divine et les forces célestes et terrestres, les forces humaines, animales, végétales et même les forces matérielles ou minérales. <Et ils considèrent tous ces êtres comme des forces spécifiquement différentes et numériquement distinctes>.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


 

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Bibliographie

Les publications marquées d'un astérisque * sont citées par l'éditeur

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*TEMPELS, Pl.,Lettres de Noirs évolués, dans La Revue nouvelle 5 (1949) t.9, p.410-418; cfr Mélanges..., p.80-89.

*<TEMPELS, Pl.Mélanges de philosophie bantu. Textes recueillis et traduits par A.J. Smet. Wezembeek-Oppem, 2000 (pro manuscripto). Cité par l'abréviation: Mélanges...>

*TEMPELS, Pl.,Moeten we op zoek naar een Bantufilosofie? dans Aequatoria 7 (1944) p.143-151.

*TEMPELS, Pl.,Notre Rencontre, Limete-Léopoldville, Centre d'Etudes Pastorales, (1962), 207 p, et Notre Rencontre Volume II, pro manuscripto, Limete-Léopoldville, Centre d'Etudes Pastorales, (1962), 133 p., polyc.

*TEMPELS, Pl.,La philosophie bantu, traduction de E. POSSOZ, archives des Franciscains, Sint Truiden, 68 p. dact., (1944-1945), inédit.; cfr Pl. TEMPELS, La philosophie bantu, Traduction inédite de E. POSSOZ. Avant-propos de A.J. Smet, Wezembeek-Oppem, 2000, 71 p. (pro manuscripto).

*TEMPELS, Pl.,La philosophie bantoue. Traduit du néerlandais par A. RUBBENS. Elisabethville, Ed. Lovania, 1945, 152 p. (Préface de E. POSSOZ).

*<TEMPELS, Pl.Manuscrit comprenant une révision plus profonde de la traduction française sur un exemplaire de La Philosophie bantoue, trad. par Rubbens (E); imprimatur, Malines, le 27 juillet 1948.>

*TEMPELS, Pl.,La philosophie bantoue. Traduit du néerlandais pas A. RUBBENS. Paris, Présence africaine, (1949), 128 p.; 2 éd. (1961); 3e éd. (1965), 126 p. Introduction par Alioune DIOP (1947).

*TEMPELS, Pl.,Philosophie bantu. Introduction et révision de la traduction de A. RUBBENS sur le "Texte original" par A.J. SMET. (Cours et documents, 2). Kinshasa, FTCK, 1979, (26) + 182 p.

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*TEMPELS, Pl.,Plaidoyer pour la Philosophie bantu et Quelques autres textes. Préface et traduction par A.J. SMET, (Cours et documents, 6), Kinshasa, FTC, 1982, 100 p., en abrégé: Plaidoyer...

*TEMPELS, Pl.,Plaidoyer pour la philosophie bantu. La "Philosophie bantu" rend-elle fidèlement les pensées des Bantu? dans Plaidoyer..., p.57-86; = Ch. VIII de Philosophie Bantu.

*TEMPELS, Pl.,Science comparée des religions... ou science comparée des philosophies? Trad. par A.J. SMET, de Vergelijke godsdienstwetenschap... of vergelijkende wetenschap der filosofieën, dans Playdoyer..., p.46-56; cfr Mélanges..., p.66-72.µ

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*TEMPELS, Pl.,Le travail des prolétaires, dans L'Essor du Congo (7 févr. 1945), p.1, col.3-4 et p.2, col.1-2; cfr Mélanges..., p.35-40.

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[1] Sur l'oeuvre de Tempels, cfr SMET, A.J., Le Père Pla­cide Tempels et son oeuvre publiée, dans RAT 1 (1977) n.1, p.77-128; IDEM, L'oeu­vre inédite du Père Placide Tem­pels, ibidem 1 (1977) n.2, p.219-233, et revu et corrigé, dans Actes de la 2e Semaine philosophique de Kinshasa, 1977 (RPA, 2), Kinshasa, FTC, 1978, p.331-346; HANSEN, L., De Literaire nala­tens­chap van P. Pla­cied Tempels O.F.M., dans Fran­ciscana 38 (1983), p.147-214; 39 (1984), p.3-42; 40 (1985), p.41-83.

[2] Traduit en anglais: Bantu Philosophy, Paris, Présence afri­caine, 1959, reprinted 1969, 189 p. (cfr L. HANSEN, a.c., dans Fran­ciscana 38 (1983), p.204-205).

[3] Dans une lettre du 24 nov. 1947, le P. Tempels écrivait au P. Albert Perbal, OMI, que ce texte a bénéficié de quelques changements et notes du professeur de métaphysique de l'Université de Louvain, Albert Dondeyne. Ces notes ajoutées ne se distinguent pas du texte de Tempels. Cfr BON­TINCK, Fr., Aux origi­nes de La phi­loso­phie ban­toue. La cor­respon­dance Tem­pels-Huls­taert (1944-48). Kinsha­sa, Faculté de Théolo­gie Catho­lique, 1985, p.126, note 221. La traduction allemande fut faite sur ce "texte original" et revue par Tempels lui-même: Bantu-Philosophie, Ontologie und Ethik, Mit Nachworten von Ernst Damman, Hermann Friedmann, Alexander Rüstow und Janheinz Jahn, Heidel­berg, Rothe, 1956, 154 p. (cfr. L. HANSEN, a.c., dans Fran­ciscana 38 (1983), p.205).

[4] Cfr A.J. SMET, Bibliographie sélective de la philosophie africaine. Répertoire chronologique, dans Mélanges de philoso­phie africaine. (RPA, 3). Kinshasa, Faculté de Théologie Catholique, 1978, p.181-261. IDEM, Philoso­phie africaine, Bilan bibliographique, 1729-1995, (sous presse), avec 250 référen­ces qui se rapportent à Tempels.

[5] L. HANSEN, a.c., dans Franciscana 38 (1983), p.149.

[6] Cfr plus loin, p.11. Comme le remarque L. HANSEN: Philosophie bantu est en fait la synthèse et l'élaboration systématique de quelques dizaines de concepts et aussi de façons de pensée qu'on trouve déjà largement dans ses écrits antérieures de catéchèse (a.c., in Franciscana 40 (1985), p.57.

[7] Cfr T. TSHIBANGU, Le propos d'une théologie africaine. Kins­hasa, Presses Universitaires du Zaïre, 1974, troisième et dernier chapitre, cité par L. HANSEN, a.c., p.207, note 8. Sur la Jamaa, cfr notre étude: A.J. SMET, La Jamaa dans l'Oeuvre du Père Tempels, in Les mouvements syncrétiques. Ca­hiers des Reli­gions Africaines 11 (1977) n.21-22, p.249-264.

[8] Cfr Ecrits ethnographiques du P. Placide Tempels OFM (1935-1938) présen­tés par A.J. SMET, Wezembeek-Oppem, 2000, p.26 et A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Placide Tempels, in Philosophie et libéra­tion, a.c., p.337.

[9] Pl. TEMPELS, Notre Rencontre, Limete-Léopoldville, Centre d'E­tudes Pas­tora­les, (1962), 207 p, et Notre Rencon­tre Volume II, pro manuscripto, Limete-Léopold­ville, Centre d'E­tudes Pastora­les, (1962), 133 p., polyc.

[10] Cfr L. HANSEN, a.c., in Franciscana 38 (1983), p.176-184. Emile Possoz (1885-1969), Docteur en droit à Louvain (1911), partit au Congo le 24 février 1926 et rentra définitivement en Belgi­que en mars 1945. Du 11 au 14 nov. 1944 il avait traduit le ch.II de La philo­so­phie bantu et, à sa rentrée définitive, terminé la traduction jusqu'au ch. V com­pris (cfr Fr. BONTINCK, o.c., p.9-10 et p.44, note 58).

[11] Fr. BONTINCK, o.c., p.11. Il s'agit du livre de POSSOZ, E., Les Elé­ments de droit cou­tumier nègre. Pré­face de M.A. SOHIER, Eli­sabeth­ville, <chez l'auteur>, 1942, 238 p.

[12] Cfr L. HANSEN, a.c., in Franciscana 38 (1983), p.197.

[13] Fr. BONTINCK, o.c., p.42, note 54 et p.10. Vers la fin de 1940 Pos­soz s'a­dressa à Mgr de Hemp­tine en vue d'obte­nir l'im­prima­tur de son ouvrage: Elé­ments de Droit coutu­mier nègre, ce qui lui fut re­fusé le 4 fé­vrier 1941. En mai 1942 cet ouvrage parut à compte d'auteur, sans date ni nom d'édi­teur ou im­primeur. Mgr Jean-Félix de Hemptinne, OSB., était le premier Vi­caire aposto­lique du Katanga 1876-1958. Mgr Giovanni Dellepiane (Gènes 1889 - Vienne 1961) était Délégé apostolique du Vatican à Léopoldville de 1930-1949. Mgr. Joseph Car­dijn (1882-1967), fondateur de la Jeunesse Ouvrière Chrétienne (JOC), fut créé cardinal en 1965.

[14] Dans notre édition, les textes sans équivalent néerlandais ont été placés entre crochets [...]. Cfr par ex. le début du Ch.VI.

[15] Pl. TEMPELS, La philosophie bantu, Traduction inédite de E. POS­SOZ. Avant-propos de A.J. Smet, Wezembeek-Oppem, 2000, 71 p. (pro manuscripto).

[16] Antoine Rubbens (1909-2000), Docteur en Droit à l'Université de Louvain (1935), partit pour le Congo en 1936. Dès avril 1945, il se mit à traduire, chapitre par chapitre le texte néerlandais de La philosophie Bantoue (cfr Fr. Bontinck, o.c., p.41, note 50). Au dire du Père Ceuppens, cicm, rédac­teur de l'a­gence DIA (Kins­hasa), c'est en réalité l'épouse (franco­phone) de Rubbens, Godelieve Ryffranck, qui a traduit le livre de Tem­pels.

[17] Cfr les lettres de Tempels à Possoz du 18.9.1945 et du 9.10.1945 où il écrit: "je me réjouis énormément que celui qui lit Philosophie bantu, devra d'abord avaler votre texte. Au Parquet ils se sentiront naturellement menés par le bout du nez" (cité en néerlandais par L. HANSEN, a.c., in Franciscana 38 (1983), p.211, note 79).

[18] Ainsi, dans la traduction de Possoz, on peut lire:"Tant de ces libre-penseurs, de ces mangeures de curés, de ces railleurs, de ces blasés, de ces cyniques cherchent... la solution pratique" (Po, p.1), ce qui devient d'a­bord: "Combien de libre-penseurs, d'anti-cléricaux, de sceptiques et de cyniques ne reviennent-ils pas... chercher... la solution pratique" (Bu, p.123), et puis: "Beaucoup de sceptiques ne reviennent-ils pas... chercher... la solution pratique" (E, p.5), lecture qui rejoint toutefois celle de A.

[19] Cfr L. HANSEN, a.c., p.197-200 et aussi A. Storms, parlant de Tempels: "L'auteur avait mûrement pesé et discuté le choix de ses expressions. La manière un peu plus expéditive dont le traducteur s'y est pris ne l'a pas toujours pleinement satisfait" A. STORMS, La philosophie bantoue, in Bulletin des Missions 20 (1946), p.165.

[20] Lettre du 22.11.1944, citée par HANSEN, a.c., p.200.

[21] Lettre du 1.2.1947, citée par HANSEN, a.c., p.200.

[22] L. HANSEN, a.c., p.200.

[23] Cfr P. TEMPELS, Bantoe-Filosofie. (Oorspronkelijke tekst). Antwerpen, De Sikkel, 1946, p.V et note 2.

[24] L. DE SOUSBERGHE, A propos de La philosophie bantoue, dans Zaïre 5 (1951), p.821, et dans A.J. SMET, (éd.), Philosophie africaine, Textes choisis... Kinshasa, 1975, t.2, p. 289.

[25] Cfr l'imprimatur inscrit à la page VIII. Le Père Tem­pels nous a auto­risé de prendre une photocopie de cet exemplaire cor­rigé de La philosophie bantoue, 1945; nous le citons par l'a­bré­viation Ms. Cet exemplaire n'est que rapidement mentionné par HANSEN, a.c., p.203.

[26] Les pages 30-33 de E à comparer aux p.33-36 de P, plus loin, p.21-24, et Annexe, p.123-130. Cfr à ce sujet A.J. SMET, L'oeuvre inédite du Père Tempels, in Ethique et libéra­tion (RPA, 2). Kinsha­sa, FTCK, 1978, p.343.

[27] Ms p.6; éd. Présence Africaine, Paris (P), 1965, p.13. Cfr plus loin, p.1, note 5.

[28] Ce chapitre de Philosophie bantu est resté inédit. L'original néer­lan­dais a été con­servé en deux rédactions, l'une de 12 pages dactyl., du 18.8.1945, intitulée (en néerlandais) : Chap. VII, Plaidoyer pour l'hypo­thèse des forces, est-elle la reproduction fidèle du système de pensée des Bantu?; l'autre, incom­plète, huit pages dactyl., de 1947, dont nous gardons le titre: Plai­doyer pour la philo­so­phie bantu. La "Philosophie bantu" rend-elle fidèle­ment les pensées des Ban­tu?. Nous avons traduit ce texte, dans Pl. Tem­pels, Plai­doyer, p.57-86. Cfr L. HANSEN, a.c., dans Franciscana 39 (1984), p.8-10.

[29] Cfr L. HANSEN, a.c., dans Fran­ciscana 38 (1983), p.8.

[30] Cfr L. HANSEN, a.c., p.197 qui en estime autrement.

[31] Deux passages ont été consercés dans le texte entre cro­chets [...] avec justi­fi­cation en note, notamment p.18, note 21 et p.70, note 44.

[32] Cfr à ce sujet HANSEN, a.c., p.184ss.

[33] En 1945, A. Rubbens a attribué au P. Tempels (dans Dettes de guerre, Elisabethville, 1945, p.71-75), l'article Justice sociale (signé de l'initiale B), dans L'Essor du Congo du 25 fé­vrier 1945. Nous l'avons suivi dans Philoso­phie africaine, I, p.85-88. HANSEN en parle avec réserve (a.c., p.188). Grâce aux recherches du Prof. Fr. BONTINCK, ce texte "peut sans danger d'erreur être éliminé de la bibliographie de Tempels; que L. Ballegeer en soit l'auteur ne semble guère dou­teux" (Tem­pelsiana, a.c., p.72).

[34] Beaucoup de sceptiques E P (A): Tant de ces libre-penseurs, de ces man­geurs de curés, de ces railleurs, de ces blasés, de ces cyni­ques Po (Ae): Com­bien de libre-penseurs, d'anti-cléricaux, de sceptiques et de cyniques Bu.

[35] la sagesse chrétienne Ms P : la ligne séculaire de notre civilisation d'Europe Po (Ae A) : l'antique doctrine Bu E

[36] aux principes... chrétienne Ms P : à notre séculaire sagesse de vie et ligne de conduite vitale Po (Ae A) : à notre tradition­nelle sagesse Bu E : chrétienne add.E.

[37] leur attitude ancienne Ms P : leur ancienne ligne de conduite Po (Ae A) : leurs comportements anciens Bu E.

[38] sagesse traditionnelle Ms : antique sa­gesse de vie et attitude des vivants Po (Ae A) : dicté par leurs ata­vismes (Bu) : dicté par leur atavisme E P (ata­visme del.Ms).

[39] souffrance (Ae A) : vie Po Bu E P.

[40] de la ... "magiques" Ms P : pour leur traditionnelle, leur "magique ligne de conduite Po (Ae A) : de la fidélité à la "ma­gie" Bu E.

[41] attitude Po (Ae A) : réflexes Bu E P.

[42] philosophie Po (Ae A) : acceptation Bu E P.

[43] a pénétré Po (Ae A) : est imprimé Bu E P.

[44] mystères Po (Ae A) Ms P : systèmes Bu E.

[45] L. De Raeymaeker, professeur à l'Université de Lou­vain, président du Séminaire Léon XIII, m'écrit ce qui suit: "Il me semble assez évi­dent, qu'un élément intel­lectuel doit être pré­sent dans le comporte­ment quotidien de ces primitifs - comment les amener autrement à notre civilisation? En lisant votre ou­vrage j'avais la même impression agré­able comme chez celui du Dr T.S.G. MOELIA sur La pensée primitive dans la science moderne (Het primitieve denken in de moderne wetens­chap, Groningen, 1933), où il démontre clairement comment les tribus les plus sauvages, comme les Batakas de l'Inde néer­landaise (il en descend lui-même et ses ancêtres étaient des can­nibales!), sont au fond aussi "raisonnables" que nous: ils observent les faits, y réfléchis­sent, mais ils les interprè­tent souvent autrement... que nous" add. en note A.

[46] Au sujet de la religion des primitifs, la science mo­derne semble avoir conclu définitivement, à la lumière des métho­des de critique his­torique, que les croyances actuelles des primitifs et des semi-primitifs sont parties de notions simples, dégénérées aujourd'hui en conceptions complexes, et de prin­cipes exacts et pré­cis ayant évolué vers l'imprécision et l'inexactitude. Il est au­jourd'hui généralement admis que, (parmi les primi­tifs add.E), ce sont les peuples les plus primitifs qui ont gardé la notion la plus pure de l'Etre suprême, Créa­teur et Ordinateur de l'uni­vers. La foi des vérita­bles primi­tifs en l'Etre suprême est à la base de toutes les conceptions religieu­ses ayant cours parmi les se­mi-primitifs: animisme, dyna­misme, fétichisme et magie add. Bu E, del.Ms, om.P : Pour ce qui regarde la religion des primi­tifs, la science mo­derne, par la méthode de recherche histo­rique, est arrivée à la conclusion que la religion actuelle des [sauva­ges Po] <non-civilisés Ae A> et des demi-civilisés a évolué du simple au compliqué, du claire et juste aux divaga­tions et aux inexactitu­des. Il est maintenant admis <scientifiquement> en Europe que les peuples les plus pri­mitifs ont les idées les plus pures sur l'E­tre suprê­me, le Créa­teur et Régisseur de l'Univers. La croyance des vrais primitifs en un Etre suprême forme le fond de toutes les conceptions actuelles des mi-civilisés: ani­misme, dynamisme, féti­chisme et magie add.Po (Ae A). Cfr P. TEM­PELS, Science com­parée des reli­gions..., dans Mélan­ges..., p.71-72.

[47] Texte entre <...> (A) : principes de base et un système philosophique Bu E P : principes généraux profonds et même un système ontologique Po (Ae).

[48] constituant néamoins une ontologie add.Bu : dérivé d'une ontologie add.E P.

[49] Texte entre <...> (A) : ethnologie plus haute, par une étude systémati­que du droit Po (Ae) : étude poussée de l'ethnologie, un examen critique du droit Bu E P.

[50] Texte entre <...> Ms P : A nous, civilisés, avec notre pensée bien ordon­née, avec notre intellect discipliné, d'en dé­couvrir les éléments, de les ordon­ner, de les systéma­tiser Po (Ae A) : C'est à nous que re­vient la tâche d'en recher­cher les élé­ments, de les classifier, de les systématiser suivant la pensée ordon­née et les disciplines intellectuelles du civilisé Bu E, del.Ms.

[51] Raoul ALLIER, La psychologie de la conversion chez les peuples non civili­sés. Paris, Payot, 1927, p.138.

[52] Ibidem, p.140.

[53] Texte entre <...> Po (Ae A) : om.Bu E P.

[54] Cfr P. TEMPELS, La philosophie de la rébellion, dans L'Essor du Congo (31 août 1944), p.1, col.4-5 et p.2, col.1-2; A.J. SMET, (éd.), Philoso­phie africaine, Kinshasa, 1975, I, p.81-85, et Mé­lan­ges..., p.3-26.

[55] Texte entre <...> Po (Ae A) : ou si l'on préfère, la tête de pont, par laquelle les indi­gènes pour­ront accéder sans accros à ce que nous pouvons leur offrir de civilisation solide Bu E P.

[56] Ceci ne veut pas dire que nous devons conserver toute la philoso­phie des Bantu comme base de civilisa­tion bantu, et moins encore son incarnation concrète add. en note A.

[57] ni bien juger le droit add. Po. Cfr P. TEMPELS, L'adminis­tra­tion des indigènes (L'Essor du Congo, 7 févr. 1945); Mélanges..., p.41-46.

[58] Catéchèse Po (Ae A) : catéchisme Bu E P.

[59] indigènes Po (Ae A) : nègres Bu E P.

[60] Cfr P. TEMPELS, Catéchèse bantoue, dans Bulletin des mis­sions 22 (1948), p.258-279; dans la collection Les questions missionnaires, 2e série, n°6, Bruges, Abbaye de St-André, 1949, 22 p.; des extraits dans Zaïre 3 (1949), p.771-788.

[61] Texte entre <...> Ms P : que nous aurons laissé intacte (et non-chris­tianisé A) leur ontologie (Ae A) : que nous laissons leur ontologie sans y toucher Po : que nous n'aurons pas (saisi et corrigé E) leur onto­logie Bu E. "J'at­tire l'attention sur l'esprit dans lequel vous vous effor­cez de découvrir la pleine valeur humaine de la race noire. Le point de vue auquel vous vous placez à lui seul, appelle tou­tes mes félici­tations et je suis certain que, comme vous l'écri­vent tant de per­son­nalités distinguées, les fruits de votre tra­vail seront grande­ment profita­bles à la compréhen­sion, à l'estime et à la sympa­thie, qui selon la volonté de Dieu, doivent unir tous les pays, indépen­damment des races auxquel­les ils appartien­nent". Dom Pierre Célestin Lou Tseng-Tsiang, O.S.B. add. en note A Ms P.

[62] ne change-t-il pas Po (AE A) Ms P : n'évolue-t-il pas Bu E.

[63] onto­logie et sa théodicée séculai­res Po (Ae A) : fonds tra­ditionnel de théodicée et d'ontologie Bu E P.

[64] Texte entre <...> Ms P : n'a pas réussi à mettre Bu E, del.Ms : ne sait pas mettre Po (Ae A).

[65] de février 1944 Bu E P (A) : récente Po (Ae).

[66] Au manque d'enseignement de la part de l'Européen? add.Po.

[67] aveu sincère (A) : confession générale Po (Ae) Bu E P.

[68] "Je vous dirai simplement que vos pages don­nent raison à ceux qui, conscients de la diffi­culté d'atteindre l'âme des Bantous et d'en com­prendre le tréfonds, s'efforçaient d'at­teindre de trouver une base solide, qui servit à étayer leur méthode d'adapta­tion" Mgr Van Schin­gen, Vicaire Apostoli­que du Kwango (Congo Bel­ge) add. en note A Ms P.

[69] Il apparaîtra plus tard qu'en définitive le moyen efficace de combattre la magie ne consiste pas à étouf­fer chez les Bantu toutes ces conceptions, mais à lui faire voir que les pratiques magiques le mettent en con­tradiction avec les principes sains de sa propre philo­sophie add. en note (A) Ms P.

[70] des coloniaux add.Po.

[71] Texte entre <...> Po (Ae A) : om.Bu E P.

[72] Texte entre <...> (A) : de l'absurdité de leur appréciation en leur faisant voir comment cet homme est tombé malade et de quoi il est mort, c'est-à-dire, en leur montrant les causes physiques de la mort et de la maladie Bu E P (Ae Po).

[73] n'ont jamais pu être profondes et add.Po.

[74] l'origine Po (Ae A) : om.Bu E P. Cfr TEMPELS, Science comparée des reli­gions..., dans Mélanges..., p.66-71.

[75] Peu après la Libération (en juillet 1945 Ms A), un confrère m'ap­porta d'Europe l'ouvrage de D. WESTER­MANN, Der Afrikaner Heute und Morgen. 2e éd. (Es­sener Verlaganstalt, 1942). J'eus l'a­gréable surprise d'y trouver formulés les prin­cipes fondamen­taux de ma théorie des forces add. en note Ms P (A). C'est déjà une preuve du bien fondé de l'hypothèse quand deux hommes, si totalement indépendant l'un de l'autre, arrivent iden­tiquement aux mêmes con­clusions add. en outre (A). Cfr l'extrait d'une lettre de Tempels, L'idée fondamenta­le de l'ontologie bantu, dans Mélan­ges..., p.1-2.

[76] Le P. G. Hulstaert, M.S.C., Coquilhatville, m'écri­t: "Cette question de catéchèse-ontologie est prati­quement neuve... et pourtant de la plus haute importance" add. en note Po (A) Ms.

[77] présentations Ms P : conceptions E.

[78] Texte entre <...> Ms : om P.

[79] Texte entre <...> Po Bu (Ae A) : comme nous le ferons appa­raî­tre plus loin, un maître des forces E P

[80] La réponse existe add.Po (Ae) : Elles ne sont pourtant pas vouées à demeurer sans réponse add.Bu E P.

[81] Texte entre <...> (Ae A) : même concept de la nature ou de la consis­tance intime des êtres en général, sur le fondement de leur propre ontologie Po : principe unique, la reconnaissance de la Na­ture Intime des êtres, c'est-à-dire sur le principe de leur Onto­logie Bu E P.

[82] Texte entre <...> Po : car c'est bien de ce terme phi­lo­so­phi­que qu'il y a lieu de dési­gner leur con­nais­sance de l'ê­tre, de l'exis­tence des cho­ses Bu E P, où le traducteur n'a pas compris le texte néerlandais : 'Is nu de eerste notie, het eer­ste vers­tan­delijk begrip over het wezen, het zijn en de werke­lijk bestaande din­gen, iets anders dan ontolo­gie of we­zens­kennis' Ae A. Notons que Tempels n'u­ti­lise le terme 'zijn' que deux fois, i­ci et au ch.2, 4 b (note 57), qu'il devient difficile de traduire si l'on a uitlisé couram­ment le terme 'être' pour traduire 'wezen' (l'étant, l'être concret). Mgr Roe­lens, ancien Vi­caire Aposto­lique du Haut-Congo, m'é­crit: "Que les Noirs, au moins ceux que je connais, ont une philo­sophie, est certain pour moi: et que, parmi leurs pen­sées et usages il y en a qui sont bons, qui peu­vent être conservés et chris­tianisés, est égale­ment certain" add. en note A.

[83] Peut-on... bantu Ms P : Les Bantu, entre autre, ont-ils une philoso­phie Po (Ae A) : Peut-on prêter à la pensée bantu un "système philosophique" Bu E.

[84] Texte entre <...> Po (Ae A) : om.Bu E P.

[85] dont les déductions suc­ces­sives ont mené à faus­ser le sys­tè­me add.E : del.Ms : om.P Bu Po (Ae A).

[86] pour ne faire que de l'eth­nolo­gie Ms P : om. (Ae A ) Po.

[87] Texte entre <...> Po (Ae A) Ms P : om.Bu E.

[88] Texte entre <...> Po (Ae A) : Avant d'enseigner aux Noirs no­tre pensée phi­loso­phique, tâchons de pénétrer la leur Bu E P.

[89] Notre formation intellectuelle permet d'en faire le déve­loppement sys­té­matique Ms P : C'est à nous qu'il appar­tient d'en faire le développement sys­tématique Bu E : Un essai d'ontologie bantu systéma­tique explici­tée doit venir de nous Po (Ae A).

[90] Nous Ms Po (Ae A) : C'est nous qui Bu E P.

[91] quel est le contenu de Ms P : quelle est Bu E.

[92] tu nous connais à présent complètement Bu E P (Ae A) : om.­Po.

[93] Texte entre <...> (A) : que la mise en ordre des concepts philosophi­ques des Bantu était déjà faite, ainsi que l'adaptation de nos idées religieu­ses, de notre catéchèse à leur philosophie Po (Ae) : et après la construction de la syn­thèse de leur philosophie et de son applica­tion à nos doctri­nes reli­gieu­ses et à l'en­seigne­ment du catéchisme Bu E P : l'analyse et l'in­duc­tion nous ont amenés à reconnaître leur onto­logie add. Bu E Po (Ae A), del.Ms, om.P. Cfr P. TEM­PELS, Le concept fonda­men­tal de l'onto­lo­gie ban­tu, texte inédit, cfr Mé­langes de philo­so­phie afri­caine, Kins­hasa, FTC, 1978, p.149-180 et Mélanges de Philo­sophie bantu, p.3-26.

[94] Maint colonial vivant en contact avec le Noir m'a assuré que je n'avais écrit rien de neuf mais mis de l'ordre dans l'im­précis de ses constatations, dans sa connaissance pratique du Noir add. en note P.

[95] Le professeur Melville Y. Herskovits, de la North­western Univer­sity, Evanston, Illinois, U.S.A., écrit: "I am interested that so many of the ideas that Father Tem­pels exposes as coming from the Belgian Congo are so close to those that I have found among the Sudanese peo­ples of the Guinea coasts area. They are also the same ideas that we have found in such areas as Haiti and Bra­zil and Suriname in the New World" add. en note A P. Jean Capart, l'égypto­logue écrit: "J'ai parlé de La philosophie bantoue autour de moi et j'ai fait lire, à mes collaborateurs, le petit livre du Père Tempels. Je me promets de re­lire la philo­sophie et Les Eléments de droit coutumier nègre (de E.Pos­soz), car j'ai eu l'im­pression dès le premier contact, d'y trou­ver la clef de beau­coup de phénomènes égyptiens. C'est sou­vent une er­reur d'aborder l'é­tude des vieilles civilisations en remontant des nôtres et en voulant les mesurer avec un étalon qui ne leur convient pas. La conception de la VIE permet seule de donner à la religion égyptienne toute sa valeur et de la dégager des ex­crois­sances parasi­taires qui nous impressionnent défavorablement et détermi­nent nos jugements péjo­ratifs" add. en note P. Kamina, 6-6-1944 add.Ae.

[96] une philosophie bantu Po (Ba A) : la philosophie bantu E P.

[97] ainsi qu'elle m'est apparue add.E, del.Ms, om.P : telle qu'elle se présente ou me paraît être add.Po (Ba A).

[98] systématisation (Ba A) : exposé Po : hypothèse E P.

[99] Texte entre <...> Ms P : montrer la cohésion de la théo­rie propo­sée, et cependant prouver sa validité et son application aux réalités de la vie bantu E : développer la théorie et démontrer qu'elle est tirée de la pensée bantu et s'y applique aussi bien qu'à la manière de parler, de faire ou de laisser, disons à toute la vie bantu Po (Ba A).

[100] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P : sans entremêler les éléments add.Po (Ba).

[101] Texte entre <...> (A) : om. (Ba) Po E P.

[102] La conception ... Il Ms P : le comportement des Bantu. Il E : l'at­ti­tude de vie des Bantu. Elle Po (Ba A).

[103] attentivement (Ba A) : om.Po E P.

[104] La vigueur de la vie (levenssterkte) (Ba A) : la force de la vie Po : la force vitale E P. (Note du traduc­teur A.J. Smet): Le Père Tempels utilise trois termes néerlan­dais pour indiquer le concept fonda­mental de la philoso­phie ban­tu, que nous traduisons comme suit: le­venskracht: force de la vie, levenss­terkte: vigueur de la vie, le­vens­macht: puissance de la vie. Au ch II, E les rend presque indis­tinc­tement par 'force vitale', par­fois par 'puis­sance vita­le' ou 'éner­gie vitale' (E p.27, 29, 30, 37); Po par 'force de (la) vie' (15 fois), 'puissance de (la) vie' (14 fois) ou 'force vita­le' (25 fois). Pour Tem­pels, les termes bumi et bokumu expriment la pléni­tude de la vie qui est l'as­pi­ration fonda­mentale des Bantu et qu'il rend par: la vie, la vie intense, la vie pleine, la vie for­te, la vie totale, l'inten­sité dans l'être (Notre Ren­con­tre, p.38); 'force de (la) vie' exprime mieux la place centrale de la vie que l'expres­sion 'force vitale', qui évoque pour certains le "vita­lisme".

[105] humaines Ms : om.P.

[106] la vie Ms P : om.Po E (Ba A).

[107] La vigueur, vivre...vie (de sterkte, sterk leven, levenss­terkte Ba A) : la force, vivre fortement, force de la vie Po : la force, vivre fort ou force vitale E P.

[108] acquérir la force de vie: (kiluba): kumona bumi; (lomongo, otetela): kundeya bolo, nkundya wolu add. en note Po.

[109] la force de vie, la vie: bumi; la force: wolu bolo add. en note Po.

[110] renforcer la vie: (kiluba): kukomeja bumi; (ote­te­la): koko­mya lumu add. en note Po.

[111] perpétuer la vie: (kiluba): kutundula bumi add. en note Po.

[112] être sauvé: (kiluba): kupanda; (lomongo, otetela): mbika; (kilamba, kikemba): kupola add. en note Po.

[113] se protéger contre une influence nocive, une action nuisible à l'être: (kiluba) kukinga add. en note Po.

[114] La vigueur, vivre... vie (sterkte, sterk leven, levens­sterk­te Ba A) : force, vie puissante, énergie vitale Po : la force, la vie puissante, l'éner­gie vitale E P.

[115] la vie: (kiluba): bumi; (kikasai): moyo; (otetela): lumu add. en note Po.

[116] Texte entre [...] E P : om.A Ba Po.

[117] Texte entre <...> Ms P : om.Po (Ba A) E.

[118] "donne moi la force" E : "laissez-moi allez en force" Po (Ae A).

[119] "en quoi seraient-elles méchantes?" E : "Comment pouraient-ils être mauvais?" Po (Ba A)

[120] la puissance de vie: (kiluba): bukomo; (kikasai): bukole; (otetela): wolu add. en note Po.

[121] Vous avec force, vous êtes fort: (kiluba): wakoma po; (ki­bemba): mwako­seni; (otetela): we la wolu. Vous avez (forte) vie: (kikasai): moyo; (linga­la): mbote: mbote mingi! (kiswaheli): ayambo, yambo! (kikutu des Mongo): o bwak'elime! add. en note Po.

[122] Texte entre <...> Ms P : Ceci explique que l'on a pu dire que E : et ainsi il devient tout à fait clair Po (Ba A).

[123] La Rev. Soeur Carmela, des Soeurs Missionnaires de N.D. d'Afri­que, fait ces constata­tions significatives à Bunia, dans l'Ituri (Con­go belge): "Ici le Noir ne parle jamais de "force vitale". Lors­qu'on lui en parle il dit: "Oui, c'est bien comme cela chez nous"; et il a un sou­rire de satisfaction. Ils disent entre eux: "Elle nous connaît!". Mais entre eux cela est telle­ment ainsi, que tout le monde le sent et qu'on ne doit pas l'ex­pri­mer. Par exem­ple, disent-ils, nous ne dirons jamais "la force de la vie", car pour nous vie et force c'est la même chose. Si on vit, c'est qu'on est fort; si on est fort, c'est qu'on vit. Si on est moins fort, on ne parle pas de vie. On ne dit pas non plus que la vie "devient plus forte"; on le sent, on en a l'im­pression. Et, si les biens extérieurs vous rendent plus fort, on dira qu'on a la puis­sance... Il est évident que la force vi­tale est la grande chose importante pour les Noirs. N'ont-ils pas aussi une petite idée de l'être, mais comme chose tout à fait supérieure? Par exemple la ré­flexion de telle femme devant l'in­justice de la part d'un plus fort: "Dieu est". Elle ne dit pas: "Dieu vit". Dès que les Noirs n'arrivent pas à obtenir justice, ils disent: "Dieu est". <Les Babiras,> les Bahemias, les Alurs et les Walen­dus ont tous la même philosophie que les Ban­tous. Les formes de reli­gion changent, oui, mais le fond est exac­te­ment le même" add. en note Ms P. (Le Père Tempels avait obtenu cette information de la Soeur Blan­che Carmela (Jeanne-Marie de Cuyper) par l'intermédiaire de la Soeur CONSTANCE-MARIE, qui a écrit: Essai d'Adapta­tion: I. Babira; II. L'âme noire, Namur, s.d. (1948), cité par F. BONTINCK, Aux origi­nes..., p.161, note 267.

[124] "La principale valeur de votre livre consiste à mes yeux dans la dé­mons­tration que vous faites de la diffé­rence qui existe entre les Noirs et les Blancs, dans la manière de concevoir l'ê­tre. Il y a là une belle décou­verte, fruit de votre patiente et soigneuse analyse, qui mérite tous les éloges et une donnée dont nous devons tenir compte pour mieux entrer dans la pensée des Noirs et pour mieux les compren­dre. Sur ce point votre thèse me paraît s'impo­ser d'une façon indiscu­table" Achille Card. LIÉNARD add. en note P.

[125] (Note de A.J. SMET): le P. Tempels lui-même a revue cette partie de son livre, intitulée: a) La notion de l'être. Le Ms bare toute cette partie du texte de P, mais il ne contient plus le texte reproduit par P. Nous repro­nons donc ici le texte de P (A), par­fois com­plété par A. Afin de permet­tre au lec­teur d'éva­luer l'im­por­tance de ces révi­sions, nous repre­nons, en Annexe, les trois versions en parallè­les: Po (traduc­tion de Pos­soz) avec comme témoin Ba (pre­mier texte néerlan­dais), E (tra­duc­tion de Rub­bens) et P, révision de Tempels avec comme témoin A.

[126] Texte entre <...> add.­(A) : om.(Ba) Po E P.

[127] Texte entre <...> (A) : om.(Ba) Po E P.

[128] Texte entre <...> P: om.(Ba A) Po.

[129] Ne pas confondre "force" et "action" add. en note P.

[130] accessoire à l'être, surajoutée; ce n'est même pas un élé­ment essentiel add.Po.

[131] Il n'y a pas lieu de faire l'objection que les Bantu n'ont pas de concept de l'être puisqu'ils n'arri­vent que jusqu'au con­cept de force, et que la force n'est qu'un accident de l'être; c'est une ob­jection faite du point de vue de la philosophie euro­péenne, à une philosophie qui a un autre concept d'être. Qui y changera quelque chose que les Bantu interprètent la réalité comme si la force n'est pas un accident, mais appartient à la nature de l'être comme tel? En effet, ils ont un concept de l'ê­tre, aussi bien que nous, mais leur concept de l'être inclut déjà le concept force, est déjà dynamique parce qu'ils voient la réa­lité comme dy­namique.

Mgr Cleire, Vicaire Apostolique du Kivu, a propo­sée la pre­mière critique positive à propos de ce point central de la philo­sophie bantu, quand il m'é­crit: "...je dirais: là où nous cher­chons dans l'être (ens) l'essence et où nous classons tout d'a­près le genre et l'espèce (vue statique), les Bantu ne voient que la na­ture de l'"ens", c'est-à-dire, ils considèrent l'"ens" ex­clu­sivement comme principe d'activité (vue dynamique). Remarquez que je ne dis pas: ils ne consi­dèrent que l'activité de l'"ens", ce qui est quelque chose d'acci­den­tel. Et ils classent les choses d'après ce principe".

Les Bantu considèrent l'être exclusivement comme principe d'activité. Ce terme est en effet plus philoso­phique que mon terme 'force'. Il reste toutefois certain que les Bantu possèdent très clai­rement le concept d'ê­tre, le concept de la réalité exis­tante. C'est un fait que ce concept est différent du nôtre, l'i­dée de force est déjà contenue dans le concept d'être, comme il est, d'après eux, dans la nature de l'être d'être de la force add. en note A.

L'on pourrait dire que les Bantu considèrent l'ê­tre exclusi­ve­ment ou essentiellement comme un "principe d'activité". Ce terme est emprunté à notre terminologie scientifique et dès lors plus philoso­phique. Encore fau­dra-t-il se garder de comprendre ce terme à travers nos conceptions statiques de l'ê­tre. Il de­vrait être compris selon la pensée bantu, qui considèrera ce prin­cipe même comme se réalisant plus ou moins en soi add. en note P.

[132] Texte entre <...> P: om.(A). Dans la suite P reprend le texte de E, barré jusqu'au sous-titre: "Toute force..." dans Ms; nous suivons ici P, comparé à (A), avec en italiques les variantes de P par rapport à E.

[133] pensent...concrètement Po (Ba A) : sont bien sus­cep­tibles d'une abs­trac­tion philosophique, mais qui ne s'expriment qu'en ter­mes concrets E P.

[134] nature...nommée P : qualité intime de ces choses E.

[135] Un missionnaire de l'Ubangi (Congo Belge) m'écrit: "Mes consta­tations dans le domaine linguistique me con­firment combien votre étude est universel­lement africai­ne. Chez nos Ngbaka le "substantif" ne désigne pas tant la chose comme étant "cela", mais plutôt comme étant "ainsi". Nous envisageons l'être de la chose, eux consi­dèrent la force de cette chose. Etre plus ou moins force vitale, voilà ce qui consti­tue pour eux "l'être" de la chose" add. en note P.

[136] Texte entre <...> (A) : comme si l'u­nivers était animé d'une force univer­selle, une sorte de puissance magique (unique add.E.) en­globant toute exis­tence E P (Ba).

[137] "elima" ou "megbe" add.P (om.Ba A Po E).

[138] prenait...exacte P : recourait à ces mots dans leur acception scolas­tique E : veut prendre ces notions dans leur sens philosophique propre Po (Ba A).

[139] Texte entre <...> P : la distinction qu'ils font entre le contingent, le phénomène apparent de l'être ou de la force, et la nature intrinsèque, invisible de cette force (le noumène, note du trad.) E : la différence... entre l'accessoire, visible de l'être ou de la force et la nature extérieure­ment intrinsèque, invisble de la force et être Po : distingue ... entre l'ac­ciden­tel, le visible extérieurement de l'être, et la force ou la na­ture in­trinsèque, invisible de cet être (Ba A).

[140] Lorque ... séparés <fractionnés E> E P : Nous distinguerons par exemple dans l'homme son âme et son corps, et après que l'homme aura été ainsi partagé en deux par­ties, n'exprimerons bien­tôt plus <sans formation philosophique add.A> où est resté l'homme même Po (Ba A) : Er­reur fré­quente chez ces faux disci­ples de la philo­sophie scolastique qui tombent dans l'analyse sans jamais plus s'en relever dans la synthèse vivante, ni concepti­ble add. en note Po.

[141] Texte entre <...> P : mais qui est périsable et ne rend nullement ce que nous entendons par l'âme, notamment, ce E (Po Ba A).

[142] Après ces aspects extérieurs ils connaissent uni­que­ment l'invisi­ble: la chose ou la force elle-même add.(A).

[143] distinct Po (A) : indiquant une fraction de l'homme E P (Ba).

[144] Homunculus add.Po.

[145] Texte entre <...> P : signifierait donc cette force douée d'intelli­gence et de volonte E Po (Ba A).

[146] Texte entre <...> P : om.(Ba A) Po E.

[147] accidents (Ba A) : accessoi­res Po : qualités E P.

[148] par.. propres Ms P : radicalement E : en oppostion exacte Po (Ba A).

[149] Texte entre <...> Po (Ba A) : est E P.

[150] révélées Ms P : surnaturelles Po (Ba A) E.

[151] James Georges FRAZER, Le Rameau d'or. Paris, Paul Geuthner, 1927; tra­duction partielle de l'anglais The Golden Bough, 3 vol. Londres, 1900; 3e édition en 12 vol. Londres, 1901-1913; n.éd. française, Paris, Laffont, 1981.

[152] E. POSSOZ, o.c., p.27.

[153] Texte entre <...> Po (Ba A) : Il nous faut parler ici de l'existence des choses ou des forces E P - Notons que c'est la deuxième et der­nière fois (cfr ch.1, note 49) que Tempels utilise le terme zijn (exis­tence, être). D'or­dinaire, dans la Philosophie Bantu, il utilise le terme "wezen" ('ens', l'é­tant ou l'être concret). Nuance diffi­cile à rendre en français, si l'on tra­duit les deux termes: 'wezen' et 'zijn' par être. Cfr Mélan­ges..., p.9-10.

[154] anga en lomongo add.Po.

[155] créant la vie add.E P : du foetus... quant à son être même, quant à "lui-même" add. Po.

[156] Nous reconnaissons P Po (Ba A) : Réalistes et idéalistes se ren­con­trent pour reconnaître E.

[157] de dépendance Po (Ba A) : causale E P.

[158] Texte entre <...> Po (Ba A) : Une force renforcera ou déforcera une autre force. Cette causa­lité n'est nullement surnaturelle, en ce sens, qu'elle dépasserait l'attribut propre de la nature créée; c'est au contraire une action causale métaphysique qui dé­coule de la nature même de la créature. La connais­sance générale de ces in­fluen­ces (in­fluences Ms P : activités E) de­meure dans le domaine des connais­sa­nes naturel­les et constitue proprement la 'philo­sophie'. L'observa­tion de l'ac­tion de ces forces dans ses applications spécifi­ques en concrètes consti­tue­rait la 'science naturelle bantu' E P.

[159] Texte entre <...> Po (Ba A) : la pensée E P.

[160] Texte entre <...> Po (Ba A) : créatures E P.

[161] Texte entre <...> (Ba A) : morts reste sans objet Po : mâ­nes n'y change rien E P.

[162] pour les Bantu Po (Ba A) : en logique bantu E : en ontolo­gie bantu Ms P.

[163] Le language des Bantu pourrait faire croire qu'ils identi­fient les fondateurs de clan avec Dieu lui-même. Il arrive qu'ils appellent ceux-ci du même nom que Dieu. Cependant il n'y a là aucune identification, mais une simple comparaison. C'est une pratique analogue à celle qui veut que le délé­gué du chef soit traité comme le chef lui-même, puisqu'il est l'apparition sensi­ble de ce dernier, et que sa parole n'est que celle de celui qui l'a envoyé. Tant de fois nous entendons des indigènes s'adresser ainsi à un bien­faiteur: "Tu es mon père et ma mère, tu es mon chef supprême, tu es mon Dieu". Souvent les Noirs m'appelaient "Syakapanga" (Créateur). Ils exprimaient ainsi leur convic­tion, que j'étais pour eux son porte-parole, son messager add. en note Ms P.

[164] organiques Po (Ba A) : inorganiques E P.

[165] politique add.E P.

[166] Texte entre <...> (Ba A) Ms P cf Po : om.E.

[167] Texte entre <...> (A).

[168] Il en va de même de leur force supérieure due à l'aînesse qui ne peut s'appliquer qu'à raffermir la vie de leur progéniture demeurée vivante add. E P : om. (Ba A) Po.

[169] survivre en poursuivant Ms P : exercer Po : poursuivre E : perpétuer (Ba A).

[170] Texte entre <...> (Ba A) : d'être à être des "causalités de vie" que des "causalités d'êtres" Po : de créature à créature, des "causalités de vie" plutôt que des "causalités d'être", ou de force comme nous les avions dési­gnées provisoi­rement E P.

[171] Texte entre <...> Po (Ba A) : phénomène nouveau surgissant dans le monde ban­tu, ne pou­vait être aperçu que sui­vant les caté­gories de la phi­lo­sophie tradition­nelle des Bantu E P.

[172] sa place... univers bantu (Ba A) : sa place exacte dans la force de l'univers tel que les Bantu se le représentaient Po : la place qui lui reve­nait suivant la logique du système antolo­gique bantu E P.

[173] Texte entre <...> Po(Ba A) : om.E P.

[174] Texte entre <...> Po (Ba A) : Il y a sans doute des influen­ces de force agissant de façon imprévue, mais cette constatation ne permet pas de conclure qu'elle agit de façon scientifiquement imprévisible, de façon totalement irrationnelle E P.

[175] par la nature de ce que doit être un moteur add.E P.

[176] par action directe add.Po.

[177] A priori add.E : del.Ms

[178] Texte entre <...> Ms P Po (Ba A) : om.E.

[179] Texte entre <...> Ms P : om. (Ba A) Po E.

[180] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[181] Texte entre <...> Po Ms P (Ba A) : om.E.

[182] vraie sagesse dans la connaissance des êtres add.Po.

[183] créateur Ms P : moteur E, del.Ms : plus fort Po : qui a fait (Ba A).

[184] raison Po (Ba A): cause E P.

[185] celui-ci, lors­qu'il est sûr de son innocence Po (Ba A) : dému­ni de preu­ves, celui-ci E P.

[186] sait son innocence add.E P.

[187] Texte entre <...> Ms P : qui ne croient pas à ces inductions d'é­nergie vitale (que les Occiden­taux désignent communément comme magie) E (barré dans Ms) Po (Ba A).

[188] en sont deux add.Po.

[189] Texte entre <...> Po (Ba A) : J'ai énoncé la primauté des ancêtres, des aînés E P.

[190] de leur histoire, add.Po.

[191] Texte entre <...> (Ba A) : om.Po E P.

[192] selon notre mode Ms : selon le mode P : depuis notre point de vue d' E.

[193] La doctrine... Bantu (Ba A) : La science des êtres est uni­verselle, pour les Bantu Po : La métaphysique ou science des forces est à la portée de tout Bantu E P

[194] philosophie de la vie Po (Ba A) : conception de la vie E P : une Wel­tans­chauung. Il est possible add.E, del.Ms.

[195] pénètre profondément Ms P : informe étroitement E

[196] omet d'orienter sa vie suivant E.

[197] de sous-homme E P.

[198] la nature dynamique Ms P : des forces dans les êtres E : des êtres comme des forces Po (Ba A).

[199] Texte entre <...> Ms P : Dans notre moderne "civilisation occidentale", nous en sommes arrivés, après avoir sapé les fondements mêmes de l'esprit humain, à devoir poser la question: "Qu'est-ce-que la Vérité?"; comme s'il fallait s'étonner de traiter une matière aussi étrange. Il est en effet inouï que l'on doive se remettre en campagne pour faire accepter par des hommes de la race blanche que la philosophie chrétienne, et ses fondements, la loi naturelle et la philosophie universellement humaine, se trouvent à la base de la culture occidentale; il est inouï, encore, qu'il soit nécessaire de leur rappeler que les atteintes portées à ces fondations mettent en péril l'édifice tant vanté de leur Civilisation pour laquelle ils prétendent faire la guerre. Chez les Bantu nous trouvons une situation complètement renversée. Chez nous, il n'est qu'un système de philoso­phie complète, fournissant une explica­tion satis­fai­sante et adéquate à tous les problè­mes de la vie; c'est la philo­so­phie chrétien­ne. A côté de ce monument nous retraçons des éléments épars et peut-être des résidus d'une philo­sophie "magi­que" perimée; chez les Bantu con­tempo­rains nous trouvons une philo­sophie magique dominant la pensée, et prati­que­ment reçue univer­selle­ment, et à côté de ce bloc nous trouvons quelques élé­ments épars d'une philo­sophie aniérieure, plus sai­ne et plus vraie, qui ne connaît pas les influen­ces des influences ontologiques E (A Ba Po), del.Ms..

[200] A. LE ROY, La religion des primitifs. Paris, Beauchesne, 1925, p.73.

[201] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[202] ou logiques Ms

[203] con­naissances philosophiques Ms P : disciplines philosophiques E : la philosophie Po (Ba A).

[204] Texte entre <...> (A) : om.Po (Ba) : des êtres E P.

[205] connaissance expérimentale Po (Ba A) : rigueur de l'expé­rience scienti­fique E P.

[206] conception ridicule du monde Po (Ba A) : stupidité E P.

[207] scientifique add. E P.

[208] ont élaboré (Ba A) : ont formé Po : possédaient E P.

[209] est une considération universelle Po (Ba A) : se dégage de la médi­ta­tion intellectuelle sur des don­nées générales E P.

[210] Texte entre <...> Ms P : de l'existence de l'âme spiri­tuel­le (Ba A) E, del.Ms : de l'existence de l'âme Po : Ce n'et pas le bistouri, mais l'es­prit qui décou­vre l'âme add.Po (Ba A).

[211] Texte entre <...> (A Ba) : les expériences des sciences naturelles, comme d'ail­leurs les observa­tions générales du philosophe, doivent être faites avec discernement, métho­de, et analysées d'après une logique saine E P : la réalité spirituelle et transcendantale atteint l'esprit et seulement l'esprit, par raisonnement sur l'expérience ou enco­re, sur l'évidence extrin­sèque d'un argument d'auto­rité Po.

[212] quoiqu'il faille dire justifiée la recherche des bases sur lesquelles se fonde pareille connaissance add.Po.

[213] Texte entre <...> add.Ms : om.P.

[214] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[215] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[216] ou cette manifestation particulière add.E P.

[217] qu'il faut la localiser add.E : del.Ms : om.(Ba A) Po P.

[218] signifie et matérialise Ms P Po (Ba A) : lui fournit le lien matéria­lisé E, del.Ms.

[219] Texte entre <...> Ms P Po (Ba A) : om.E.

[220] Texte entre <...> Ms P : om.E : Un autre principe peut faire connaître la force de certains êtres Po (Ba A).

[221] W.F.P. BURTON, L'âme luba. Elisabethville, Ed. Re­vue juridi­que du Congo belge, 1939, p.

[222] de la science particulière où l'on tâtonne dans le relatif add.E P.

[223] texte entre <...> Po (Ba A) : l'être en soi E P.

[224] subjectif. Leur métaphysique comme la nôtre n'énonce que des lois uni­verselles, immuables add.E P (om.Po Ba A).

[225] dans les applications et la matière add.Po.

[226] de la divination Po.

[227] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[228] par nature, et ne peut être obtenue que par révéla­tion lui faite par une force supérieure, une connais­sance supérieure add. Po.

[229] Texte entre <...> Po (A) : om.Ba E P : Mais pour cela pas encore tou­jours add.Po.

[230] il peut lui enseigner les moyens de se mettre dans les dis­positions voulues pour atteindre la force et la science add.E P.

[231] Il existe une théorie générale des initiations, que nous rencontrons ailleurs. Cfr R.P. POLIS, Dictionnaire kikongo: "tuuntukankisi, pour tumba ntu nksi, le féti­cheur souvent met le fétiche sur la tête du candidat, le signe de possession par le fétiche est la "transe" du candidat. Il a comme une crise d'épi­lepsie, avec perte de connaissance, convulsions, etc., il sera alors consa­cré ntu nkisi pour sa lignée, fundi nkisi" add. en note Po.

[232] Cfr <VEDDER, H., e.a.,> Native Tribes of South-West Africa, 1928, p.64: Dieu seul donne pou­voir aux hommes de l'art add. en note Po.

[233] R. ALLIER, Le non-civilisé, et nous. Paris, Payot, 1927, p.37.

[234] ils abandonneraient Ms P (Ba A) : on observe qu'ils abando­nnent E : ils laisserait là Po.

[235] qui agit de la sorte add.E, del.Ms, om.P.

[236] texte entre <...> Ms P(qui ommet 'et d'agir') : Celui qui veut faire une pirogue ne croira pas pouvoir réussir sans faire P, del.Ms : celui qui creuse une pirogue ne le fera pas sans que ... n'y intervienne Po (Ba A).

[237] L'empirique simple aussi bien que l'abus magi­que est péné­tré de cette conception dynami­que des êtres. Cette conception est autre chose que de la magie et celle-ci n'est qu'un abus, qui existe pareillement, chez ceux qui ont une conception plus stati­que des êtres, et chez ceux dont la philoso­phie est plutôt dyna­mique add.P : om.Po E (Ba A) Ms.

[238] de l'être qu'ils travaillent Po (Ba A) : de la "terre" qu'ils préten­dent ainsi transformer en métal E P.

[239] critériologie de la add.E P.

[240] connaissances critiques Po (Ba A) : raisonnements d'une philosophie critique rationnelle E P.

[241] par les Européens add. Po.

[242] critique : à base de critériologie Po.

[243] la nôtre : nos systèmes occidentaux E P.

[244] Mais alors la logique serrée de leur système devient un miracle inex­plicable! add.E P, om.Po (Ba A).

[245] le produit de la pensée add.E P.

[246] une seule... philosophie : un seul système de philosophie, et il ne pourrait être to­léré que des systèmes de pensée hétéro­gènes se trouvent encore désignés par le vocable de philosophie E P.

[247] n'ont-ils... science : sont-ils étrangers à toute science E P.

[248] les principes de causalité de add.E P.

[249] et... vie om.E P.

[250] force... comme : vertu n'agira dans pas autrement que E P.

[251] l'influence de vie : la force vitale E P.

[252] Texte entre <...> (A) E P : om.(Ba) Po.

[253] est...forces : fût-elle expériementale E P.

[254] critériologie E, del.Ms.

[255] êtres : forces E : Kamina, le 20.11.44 add.Po.

[256] un exposé...des Bantu : un exposé de la conception du monde des Bantu de leur ontologie et de leur critériologie E P : l'analyse de la conception du monde ou ontologie et de la théo­rie de la connaissance ou logique des Bantu Po.

[257] des actes...droit : du comportement humain, dans leur éthi­que et dans leur philosophie du droit E P.

[258] phi­losophie : système général de pensée E P.

[259] langues...imagination : dialectes bantu aux notions âme, esprit, volonté E P.

[260] Cfr Stephano KAOZE, La psychologie des Bantu, Idem une note sur l'on­tologie, du même, idem, année 1908 add. en note Po. <Publi­cation par A. Ver­meersch, dans La Revue Congolaise 1 (1910), p.406<-437; 2 (1911), p.55-63 Cfr réédition de KAOZE, par A.J. SMET, dans la collection Cours et documents, 1, Kinshasa, FTC, 1979>.

[261] pétendre... faite : nier l'existence de cette psychologie propre E P.

[262] d'ana­lyser et de systématiser : d'écouter et d'analyser E P.

[263] divise... même : tiennent tant, n'auront pas leurs corres­pondants dans la pensée nègre Po E : tiennent tant, n'ont pas d'é­quivalents dans la pensée bantu P.

[264] base...ultérieurement : prolègomènes aux recherches ulté­rieures plus poussées, dans le domaine de la psychologie bantu E P.

[265] Texte entre <...> A Ba Po: om.E P.

[266] C'est pourquoi l'ontologie a dû précéder, avant de décou­vrir celui-ci et d'atteindre enfin le droit coutumier (E. POSSOZ, Eléments de droit coutu­mier nègre, p.27, 32 et ss.) add.Po.

[267] Texte entre <...> om E P.

[268] la force... haute : l'être créé supérieur E P.

[269] On voudrait leur réclamer une définition positive; on voudrait savoir en quel principe réside cette supé­riorité, cette magnitude vitale. add.E P.

[270] et contingent add.E, del.Ms.

[271] la cause...de vie : le causateur, le sustentateur des for­ces contingen­tes E P.

[272] Le "Muntu"... cause vivante Po (Ba A) : Suivant la pensée bantu, il est donc logique que le "muntu" puisse croître ontolo­gique­ment, qu'il devienne plus grand, plus fort, et également qu'il puisse, en tant que "muntu", décroî­tre, perdre sa force vitale, pour aboutir à l'évanescence complète de son essence même, qui est la paralysie de la force vitale, qui lui ôte la puis­sance d'être une force active, une cause vitale E P.

[273] Cfr POSSOZ, Eléments de droit coutumier nègre. Elisabethville, 1942; IDEM, Les épreu­ves superstitieuses dans l'Equateur, dans Aequatoria (1938), n.6 add. en note Po.

[274] il est dans une relation ontologique similaire add.E P.

[275] intérieurement... débilité : atteint dans son essence hu­maine à cause de son défaut de puissance E P.

[276] texte entre <...> Ms P Po (Ba A) : om.E.

[277] D'homme... inférieur Po (Ba A) : Ce n'est pas par une nomi­nation ni par une désignation, que l'on ajoute au simple humain la qualité de "mfumu". Par l'investiture on devient et on est "mfumu", on est force vitale nouvelle, supérieure, susceptible de renforcer et de maintenir tout ce qui tombe ontolo­giquement sous sa hiérarchie E P.

[278] profondé­ment...son être : qui s'opère E P.

[279] Ainsi appa­raît...du "Muntu" : si la circoncision a ce ca­ractère profond qui en fait, outre l'opération chirurgicale, un acte rituel (acte magique) pour le renforcement de l'être. En effet, l'accomplissement de ce rite se trouve, suivant la concep­tion bantu, en rapport étroit avec l'accroissement de la puis­sance de procréation, et constituant de puissance vitale E P.

[280] Comme... l'entoure : Tout comme l'ontologie bantu, rebelle au concept (européen add.P) de la chose individuée, existant en elle même, (et isolée des autres add.Ms), la psychologie bantu ne peut concevoir l'homme en tant qu'in­dividu, force existant en elle-même, en dehors de ses relations ontologiques avec les au­tres êtres vivants, en dehors de son rapport avec les forces ani­mées ou inanimées qui l'entourent E P.

[281] pour qu'il ne soit point néces­saire d'en revoir l'applica­tion parti­culière sous la présente rubrique add.E P.

[282] de l'intériorité d'autrui : de la force vivante, qui est l'homme en soi E P : de cet homme lui-même, l'intime, de cette force déterminée, concrète vivante, qu'est votre semblable Po.

[283] la nature individuelle : le caractère individuel E : l'in­dividualité propre Po (Ba A).

[284] une réalité : la réalité même de l'individu E P : réaliste Po.

[285] européen...nommé Po (Ba A) : chrétien est quelque chose d'adventice, d'étran­ger, d'européen. C'est pourquoi on peut ré­pon­dre comme parle­raient les européens: se nomme-t-il Jo­seph? Oui, il se nomme Joseph E P.

[286] en dehors de la métaphysique. Il nous faudra pourtant faire saisir la réalité surnaturelle, sur cette base, sur l'onto­logie même add.Po.

[287] celui..."man­ga" : sorcier reçu à l'initiation E P.

[288] entre : rattaché par le haut à l'enchaîne­ment de E P.

[289] une véritable régénéra­tion : la métempsychose, au sens strict de ce mot E P.

[290] régénerétion... sens : métempsychose dans le sens dans le­quel l'euro­péen désigne communément cette croyance E P.

[291] véritable régé­nération : métepsychose dans le sens classi­que que nous donnons à ce mot E P.

[292] dont nous éprouvons une fois de plus l'hypothèse E P.

[293] Texte entre <...> Po (Ba A) : un individu membre du clan Ms : om. E P.

[294] (cette...extérieure om.E P.

[295] Déjà les Baluba à l'exemple des juges européens commencent à parler de "témoins" (batem­wa), qui ont vu ou entendu la chose même, toute la chose dont le juge européen tient compte. Chacun voit bien que jadis ils consta­taient la causalité "ontologique" d'une autre manière (d'une autre manière om.P), et cela par l'in­terprétation des critères de l'influence vitale add. en note A Ms P.

[296] et tutti quanti, autant de choses qui n'existent pas dans la pensée des Bantu add.Po.

[297] de vie,... philosophie : susceptible de croissance ou d'é­vanescen­ce, force exerçant une influence directe sur d'autres forces. Ceci tient à l'es­sence E P.

[298] de preuves comme il a été dit ci-dessus add.Po.

[299] Kamina, le 5 janvier 1945 add.Po.

[300] pour les Bantu add.Po.

[301] pour eux add.Po.

[302] soi : lui-même, comme pour quelques Européens Po.

[303] il y a : Leur vue n'est pas si basse. Il existe pour eux Po.

[304] non...à faire om.E P : Et d'aucuns l'ont appelé leur "fatalisme" add.Po.

[305] d'entre nous : de coloniaux E P.

[306] pour les Bantu...infinies : les Noirs n'ont qu'une vague idée de l'Etre suprème, qu'ils sont convaincus que les créatures n'ont pas audiance chez Lui, que Lui-même garde d'ailleurs ses disatances E P.

[307] Texte entre <...> Ms P, qui donne début (Certains... autre chose: Certains concèdent cependant qu'il y a chez les Bantu le souci de maintenir l'ordre social ou la paix clanique; mais ce souci serait vide de concept moraux et étranger à des normes éthiques universellement admises P) : Ou bien il est dit encore que pour les Noirs la seule norme du bien et du mal dans les actes humains c'est l'ordre social, la paix dans la commu­nauté. Ordre social, qui alors, dans l'idée de certains "civili­sés" modernes n'a rien à voir avec une morale. Mais cela ne nous avance en rien de construire une morale pour Bantu ou primi­tifs, selon des con­cep­tions, vraies ou faus­ses, qui ne sont que nô­tres; il s'agit d'expri­mer leur morale, s'ils en ont une, et de leur propre point de vue. Et cela demande une sérieuse enquête Po (Ba A), mais Nous y tra­vaillons depuis dix ans, au milieu d'eux et dans leur langue add.Po : Certains concè­dent qu'il y a, en fait de normes de l'éthi­que nègre, le souci de main­tien de l'or­dre so­cial, la paix clanique. On pour­rait obser­ver ici que, sui­vant cer­taines opi­nions moder­nes, l'or­dre social est constitu­tif d'une catégo­rie différente de celle de l'impé­ra­tif moral. Mais il s'agit bien moins de savoir, si nous recon­nais­sons dans le com­portement indi­gène le contrôle et la fidélité à un faisceau de canons de mora­le, que de voir si eux-mêmes, et de leur point de vue bantu, possèdent une morale et en quoi elle consiste E.

[308] et le quod plerumque fit add.Po.

[309] Texte entre <...> A : om.Ba E P : Il nous faut plus de finesse d'ob­servation Po.

[310] de cet étonnement qui fait découvrir les choses simples add.Po.

[311] et de conscience aiguë A : om.E P : et avec une telle con­science de ce qui est , qu'on constate rarement chez un civi­lisé Po (Ba).

[312] la malice de quelque chose (A) : le mal d'une chose, d'un acte Po (Ba) : plutôt qu'ils ne savaient la distinction du bien et du mal E P.

[313] divers usages pourtant fort répandus, tels que add.E P.

[314] e.a. de la polygamie add.A. Cfr à ce sujet P. TEMPELS, Le mariage indigène et la loi, dans Kongo-Overzee 10-11 (1944-1945), p.265-282; repris dans Mélanges..., p.47-64.

[315] pour... pas : ne dira-t-il pas une formule se rappro­chant de celle en usage chez les Baluba E P.

[316] Et...dérive : Et la nostalgie des vieux qui se plaisent à dire que "tous les bons et vieux principes vont à la dérive" n'est-elle pas symptomati­que? E P.

[317] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P : on en a fait un calcul exact add.Po.

[318] par la force des choses add.Po : par la nature même de la création add.E P.

[319] E. POSSOZ, Eléments de droit nè­gre. Elisabethville, p.30.

[320] Texte entre <...> (Ba A) Po : ce principe E P.

[321] de la hiérarchie bantu add.E P.

[322] solides...haute : inébranlables de sa philosophie et sur la conception qu'il a de l'humanité, conditionnent également le caractère sacré et la haute E P.

[323] morale, de la culpabilité add.(A).

[324] le plus...am­bian­ce : par une contamination ontologique add.Po : C'est une putréfaction dont émanent des spores portant la contagion destructrice dans toute son am­biance par une sorte de contagion ontologique E P.

[325] de vie du vi­vant...de vie : vitale pervertie (voulant la mort add.Ms) suffit à sortir ces effets destructeurs; en elle-même cette force corrosive peut être directement annihilante E P.

[326] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[327] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[328] qui provoque l'annihilation de l'être add.Po (Ba) E P: om.(A).

[329] ou...sain om.E P.

[330] ou juridique... humaine : et par conséquent ils ne peuvent pas avoir de ca­ractère juri­diquement criminel. Ces attitudes, ces sentiments humains E P.

[331] Texte entre <...> (A) : om.Po (Ba) E P.

[332] irréfléchie om.E P.
[333] cette différence se marque notamment par ceci que add.Po.

[334] La conclusion est donc l'inverse de ce qu'elle serait pour une volonté entendue au sens européen add.Po.

[335] attitude Ms P : volonté Po (Ba A) : influence E, del.Ms.

[336] sont mauvais, ils add.P.

[337] Texte entre <...> Ms P: om.Po E (Ba A).

[338] volonté...salive : influence néfaste volontaire est fournie en éjectant la salive P.

[339] ou l'aveu...l'accouche­ment om.E P.

[340] d'application add.E P.

[341] documentation vivante add.Po (Ba) : illustrations vivantes add.E P.

[342] d'instruments de preuve add.Po.

[343] Texte entre [...] Po (A Ba) E P, del.Ms avec renvoi à la marge où le texte manque.

[344] perturbation... forces : autonome, mais aura, comme toute force une influence vitale, cette influence vitale sera logiquement monstrueuse. On sentira le besoin de se défendre contre elle P.

[345] malgré...démolie : est convaincu d'avoir suivi la théorie à la lettre, qui se souvient nullemeny d'une fausse manoeuvre, mais qui devant les plaies et les bosses et une machine démolie n'osera pourtant point nier être l'auteur de l'accident E P.

[346] influence... commu­nauté : atteintes à l'ordre vital E P.

[347] Texte entre <...> Ms P : le grandit dans sa qualité de son être E (Po Ba A).

[348] culpabilité (schuld) : dette Po : responsabilité E P et ainsi de suite.

[349] Kamina, le 7.2.45 add.Po.

[350] réparation, de punition Ms P : compensation, indemnité, peine Po : compo­sition, de punition E.

[351] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[352] faites... vie : idéalement connues comme propagatrices de vie E P.

[353] mal, c'est-à-dire négation, c'est-à-dire un add.E P.

[354] Le... il om.E P: La justice existe-t-elle add.Po.

[355] Texte entre <...> Ms P (Po Ba A) : om.E.

[356] dont il peut frapper les peuples add.E P.

[357] contre...destructive om.E P : contre la volonté malveil­lante de nuire et de détruire Po.

[358] pour...l'ordre de vie (Ba A) : om.Po E P.

[359] Texte entre <...> Ms P (Po Ba A) : om.E.

[360] Texte entre <...> om.E P.

[361] et au...ou de : om.E P.

[362] une atteinte à la force vitale add.E P.

[363] perturbation : violation Po : attentat E P.

[364] en rap­port...lui : paternalise son influence vitale, à tout ce qui est ontologiquement subordonné : progéniture, terre, possessions, bétail et tout autre bien E P.

[365] Texte entre <...> Ms P (Po Ba A), om.E.

[366] l'intégrité d'être, à l'intensité de add.E P.

[367] est un mal aussi grand que la vie elle-même est grande add.Po.

[368] (à sa puissance vitale paternalisant personnes et biens sous sa dépendance) add.E P.

[369] réparation : composition E.

[370] E. POSSOZ, Eléments du droit nègre. Elisabethville, 1943.

[371] de la force vitale add.Po (Ba A) E, del.Ms P.

[372] ou...prison om.E P.

[373] Il y a quinze jours Po (Ba).

[374] dans cette "histoire nègre" add.E P.

[375] Il est pro­bable que si Kapundwe avait eu la certitude que c'é­tait bien son chien qui avait tué la brebis, il n'aurait même pas songé à me faire la complainte de son malheur add.(Po) E P (om.Ba A).

[376] Texte entre <...> Ms P (A en note), om.Po (Ba).

[377] sérénité de sa vie : plénitude de sa force vitale E P.

[378] (de son droit) add.E P.

[379] ontologiquement pur add.E P.

[380] texte entre <...> Ms P Po (Ba A) : om.E.

[381] en premier...la vie : en premier lieu une réparation de la vie Po : le caractère d'une restauration de la force vitale E P.

[382] comme...fortes : en leurs effets de diminution de la force des êtres E : une diminution de ces êtres P.

[383] Les Baluba qualifieront ce comportement de "kibengo", mot ordinaire­ment traduit par "orgueil". Cependant, pour dire que quelqu'un est du même âge ou du rang vital semblable, l'on dit: "nous avons "kibengo" l'un pour l'au­tre". La véritable signi­fica­tion est donc "traiter comme égale", ce qui évi­demment est un désordre et une insulte quand on le fait envers une personne de rang supé­rieur add. en note P.

[384] de vie proprement...diminuée : du dommage causé, en tant que répara­tion de la réduction apportée à la force vitale E P.

[385] Sur terre Dieu peut montrer sa puissance par "bipupo", dans l'au-delà par un malheur éternel add.Po: Le mal envers des supé­rieurs est donc propre­ment une per­turbation et une diminution de sa propre force de vie, et la restaura­tion de ce mal est une réintégration de sa propre force de vie dans sa pureté et son ordre ontologi­que add. en note (A).

[386] pour justifier leur réaction devant de semblables cala­mités add.E P.

[387] synallagmatique. Je m'explique add.E P.

[388] contrac­tuel...ne sont pas : sont totalement étrangers à cette notion d'un contrat avec Dieu ou avec les ancêtres E P.

[389] Qu'on ne pense pas que les Bantu identifient les pères des clans avec Dieu. Un représentant officiel du chef est traité comme le chef lui-même. Il est, en absence du chef, comme l'ima­ge, l'apparition visible de son maître, et sa parole n'est pas différente de celle de celui qui l'a envoyé. Ainsi, les Noirs m'appellent "Syakapanga" (un nom de Dieu). Ne suis-je pas devenu, pour les hommes, le représentant de Dieu? add. en note (A).

[390] Texte entre <...> Ms P (Po Ba A) : om.E.

[391] devoir... C'est : intrinsèque, un devoir ontologique de la conserva­tion du clan, un devoir envers la force qui leur est supérieure, ou une néces­sité vitale de leur propre conservation. Dans son action vitale sur ses subor­donnés, c'est l'ancêtre ou E P.

[392] descendance... de vie : clan, et dans leurs devoirs de renforcement du clan ils sont nécessairement "irréprochables" E P : Ils sont en quelque sorte "béatifiés" add.E, del.Ms : Les ancêtres, pour cela, sont déclarés saints add.Po (Ba A).

[393] avec... indépendance : s'imaginera-t-il de faire un contrat avec les ancêtres; pareil comportement équivaudrait à une rupture de dépendance natu­relle, il aurait le caractère d'une révolte E P.

[394] Texte entre <...> Ms P (A) : om.Po (Ba) E.

[395] et elles... malheurs Po (Ba A) : om.E P.

[396] d'une... ou Po (Ba A) : om.E P.

[397] la révocation...moyen d' Po (Ba A) om.E P.

[398] montrée...extérieures : accompagnée de cérémonies exté­rieures qui la montrent et la prouvent E P.

[399] Texte entre <...> Po (A Ba) : om.E P.

[400] Texte entre <...> Po (Ba A [comme à l'égard de Dieu om.A : om.E P.

[401] comme... vivants : Entre ces défunts E P.

[402] applications...plus (A) : applications "magiques" plus Po (Ba) : cas d'application "magique" toujours plus factices E P.

[403] factices et add.E P.

[404] contrac­tuel : d'obligations contractueles réciproques E P.

[405] Texte entre <...> (A) : om.Po (Ba) E P.

[406] ne peut... redressé Ms P : ne peut être amélioré Po (Ba A) : ne veut point réparer son action annihi­lante E, del Ms.

[407] destructeur... la crémation Po (Ba A): par essence force destruc­trice, doit être paralysé par tous moyens dans son action malfai­sante. Ce malfaiteur doit être éliminé par la mise à mort, et même au-delà, par l'inci­nération E P.

[408] Il... étrangers (A) : ni claniques, ni interclaniques Po (Ba) : ni droit clanique, ni droit des gens E P.

[409] mais... autrui : mais de laquelle cependant sortent des effets mal­faisants E P.

[410] Texte entre <...> (A) : om.(Ba) Po E P.

[411] un semblable arrangement à l'amiable ne se fait jamais sans l'inten­tion expresse add.E P.

[412] Texte entre <...> Po (Ba A) : om.E P.

[413] Texte entre <...> (Ba A) : om.Po E P.

[414] les torts involontaires que peut cau­ser add.E P.

[415] Le Christ a dû redresser chez ses contemporains plusieurs de ces déduc­tions erronées de la philosophie primitive add. en. note P.

[416] neutra­lisants... entier : des interdits, des ablutions E P.

[417] de la vie et la mort om.E P.

[418] l'atteinte...réparation : et rétablit, s'il le faut, par la force et la démonstration de sa "puissance" son rang de vie suprême, sa primordialité Po (Ba A) : il peut restaurer l'atteinte portée à son rang vital éminent en montrant sa force E, del.Ms.

[419] allégeance : attachement à la hiérarchie des forces E P.

[420] Kamina, 1.3.45 add.Po; fin de la traductionde Possoz.

[421] Texte entre <...> (A Ba) E : om.P

[422] "Les analyses si profondes et si suggestives du R.P. Tempels, renou­vel­lent de la façon la plus heureuse les points de vue fon­damentaux de l'eth­nolo­gie, et me semblent aussi apporter de pré­cieuses lumières sur l'esprit dans lequel les missionnaires pour­raient approcher l'âme des 'primitifs'", Jacques MARI­TAIN, <cité en note, par A. STORMS, La philosophie bantoue,> dans le Bulletin des missions 20 (1946), n°3, p.170 add. en note P.

[423] Cfr Ezéchiel, 37,1-10.

[424] Je n'ai pas l'intention d'opposer comme équivalente la sagesse païenne et la sagesse chrétienne. Je veux bien dire qu'en face de nous, qui reconnais­sons notre sagesse comme la vraie sagesse, se posa toute une race d'hommes avec des conceptions propres, dont ils estiment qu'elles sont vraies et fon­dées. D'au­tre part, on ne peut pas dire de la sagesse des peuples de la natu­re, qu'elle n'est rien d'autre que "bêtise essentielle et totale, erreur et mensonge" add. en note (A).

[425] parlé de : déjà été bousculés par des E P.

[426] Cfr P. TEMPELS, Science comparée des religions... ou scie­nce comparée des philosophies, dans Mélanges..., p.71-76.

[427] conclusions (Ba A) : déviations E P.

[428] que nous avons signalées dans le corps de cet ouvrage add.E P.

[429] que ce... tard : précisément parmi les tribus les plus conservatrices E P.

[430] impression... nous : fâcheuse impression pour E P.

[431] Par la découverte... sens : La décou­verte de la Philoso­phie bantu exer­ce sur ceux, qui se soucient de l'éduca­tion des Noirs, un effet troublant. Nous nous po­sions trop sou­vent en face d'eux comme le tout devant le néant. Dans notre mission édu­ca­trice et civili­sa­trice, nous avi­ons l'impres­sion de partir de la table rase, nous pensions avoir tout au plus à dé­blayer des non-va­leurs, pour poser de saines fondations sur un sol nu; nous étions convaincus qu'il fallait faire bon marché de stupides coutumes, de vaines croyances par­faitement ridiculs essentielle­ment mauvai­ses et dénuées de tout sens E P.

[432] englobante : universelle E P.

[433] réceptifs à toutes les impulsions add.E P.

[434] Quand... lumière de : lorsqu'on se remet du choc que provo­que E.

[435] conception du monde : philosophie E P.

[436] aux Bantu om.E.

[437] Texte entre <...> (A) : om.(Ba) E P.

[438] le texte entre <...> qui suit Ms P(partiellement) : om.(Ba A) E.

[439] d'avoir touché au fond om.P.

[440] de positif...chris­tia­nisé : à ennoblir P.

[441] Texte entre <...> (Ba A) : om.E P.

[442] en évitant : sans nous croire obligés E P.

[443] des sauvages add.(Ba) E P.

[444] et la sagesse... ou même om.E P.

[445] sans... humaine om.(Ba A) : sans se plier à cette exi­gence E.

[446] Texte entre <...> (A) : et à la civilisation (Ba) : et à la civilisa­tion de ces "pri­mitifs" E P.

[447] oeuvre : mission E P.

[448] CARREL, A., L'Homme, cet inconnu, Paris, Plon, 1935.

[449] Cfr P. TEMPELS, Le travail des prolétaires (L'Essor du Congo, 7 févr. 1945), dans Mélanges..., p.35-40.

[450] au sujet de ses fins et de s'en imprégner add.E P.

[451] civilisateur (Ba A) : colonisateur E : éducateur P.

[452] "Le Christianisme... (n'est pas) le monopole d'une forme particulière de civilisation. Il s'adapte aisément à toutes, il les purifie toutes, il leur donne à toutes le fini de leur carac­tère propre, en les orientant vers Dieu, vers l'autre vie, l'é­ternelle, et, par le fait même, il les perfectionne toutes selon le sens du véritable et sain humanisme" (PIE XII, dans une Allo­cution aux journalistes grecs, le 24 avril 1948) add. en note Ms P.

[453] de leur patrimoine propre add.E P : de l'héritage qui seul leur assure leur qualité humaine add.E (Ba A).

[454] leur vie : l'essence même de leur être E P.

[455] obligation... ancienne : responsabilité d'examiner, d'ap­précier et de juger cette primitive philosophie E P.

[456] la sagesse de vie : le bien commun d'une masse imposante E P.

[457] Texte entre <...> (Ba A) : Que ne les a-t-on aidés à recon­naître la véri­table sagesse bantu à travers ses déviations ac­tuelles? Que ne les a-t-on éduqués à découvrir et à respecter les antiques éléments de vérité toujours valables dans leurs propres traditions? Pourquoi n'a-t-on pas conduit leur évolution depuis cette base sainement bantu? E P.

[458] Jusque dans les pratiques magiques, elle adresse ses in­vocations à Dieu, pour que ces moyens soient efficaces add.P : om.Ms

[459] Nous constatons l'existence simultanée de ces divers re­mèdes nuancés de l'empirique au magique add.P: om.Ms.

[460] Ce doute s'exprime même dans leurs proverbes add.P: om.Ms.

[461] Dans ses pires déviations et dégénérescences pratiques, l'ontologie ou la pensée la plus seine des bantu se retrace ce­pendant toujours aisément add. et del.Ms.

[462] Pour leur pleine valeur humaine add.P: om.Ms. Cfr P. TEM­PELS, La philo­sophie de la rébellion (L'Essor du Congo, 31 août 1944), dans Mélan­ges..., p.27-31.

[463] ou aigris add.P: om.Ms.

[464] Le texte entre <...> (p.96-97) Ms P : Ce désir ardent de l'âme bantu vers un ren­force­ment de la force de la vie était originellement soumis à la di­rection divine du monde, et recourrait aux forces mises par Dieu à la dispo­sition de l'humanité. Il a poussé les Noirs à recher­cher d'autres et de plus amples moyens de renforcement de la vie. Il ne leur était pas difficile de faire le pas du concept fonda­men­tal de leur conception de l'être aux conclu­sions erro­nées; c'est ainsi qu'ils en sont arrivés à l'influence de vie d'un être créé sur un autre, à l'influence di­recte d'un vivant sur un au­tre. De là leur notion actuelle de père (le père comme celui qui renforce la vie) et les "manga" ou moyens de raffermisse­ment ac­tuellement innombrables, bref de tout ce que l'on a dési­gné jus­qu'à présent comme "magie". Mais même dans la dégéné­res­cence et les déviations de leur ontologie originellement plus pure, leur foi séculaire se fonde encore tou­jours sur la vie, que toute vie et tout raf­fermissement de vie vient de Dieu, qu'il n'y a qu'une seule réa­lité très élevée qui vaille la peine d'être re­cherchée de toutes ses forces, qu'il n'y a qu'une seule norme possible dans la com­munauté bantu: la force intense de la vie (A Ba) E.

[465] du point de vue... exception­nelle : de leur seul point de vue possi­ble, celui de leur philosophie bantu. Ils nous ont inté­grés dans la hierarchie des êtres forces à un échelon fort élevé; ils estimaient que nous devions être des forces puissantes E P.

[466] Texte entre <...> Ms : om.P (Ba A E).

[467] le désir... vie : cette nostalgie de participer à notre force vitale E P.

[468] ne réalisons... secrètement : n'employons pas le tru­chemrnt des formes de la pensée bantu pour propager la vérité, la philosophie bantu se retranche­ra sur elle-même E P.

[469] sans vrai... pire : négations de civilisés. Nous en fe­rons des vaga­bonds moraux et intellectuels, qui ne peuvent être, malgré eux, que des élé­ments de désordre E P.

[470] "Votre livre vient à point pour nous permettre de faire un sérieux examen de conscience sur notre attitude envers les Noirs. Les uns et les autres nous nous rendons compte que nous avons plus ou moins perdu le contact avec les indigènes, que nous allons entrer dans une crise... Votre livre aidera largement tous les hommes de bonne volonté - ici à la colonie - tant missionnai­res que laïcs à se rapprocher de l'indigène, en saisissant mieux les points de contact qui existent réellement entre lui et nous. Ce n'est que dans la mesure où l'on se comprend, qu'on finit par s'aimer. Après la "loi de la crainte", qui régissait, semble-t-il, jusqu'à présent la colonie, vous vous faites l'annonciateur des temps nouveaux de la "loi de la charité" (Lettre de Mgr Pie­rard, Vic. Ap. de Beni (Congo belge) en avril 1946) add. en note P.

[471] si clair... abasourdis om.E P.

[472] la réalisation... principes : les règles d'applica­tion prati­que E P.

[473] dans le sens noble du mot add.E P.

[474] assez... futur : de serieux indices permettant de coclure ue l'essai vaut s'être tenté E P : "Pénétrer si profondément l'âme de l'indigène que l'on a ins­truit, qu'on arrive à envisager les choses, non selon la tour­nure d'es­prit de sa race à soi, mais, en empruntant les sentiers qu'ils ont tracés, aboutir à ces vérités qu'ils ne connaissant pas encore, les voir par les yeux de leur es­prit, sous un angle nouveau, les leur présenter comme comblant merveilleuse­ment, en les dépassant infiniment, leurs aspirations les plus intimes" (Soeur CONSTANCE MARIE, L'âme noire. Essai d'adaptation. Namur, Ed. Grands Lacs, 1948, vol.II, p.5) add. en note P.

[475] la...belge : une région encore fort peuplée de la colo­nie E P.

[476] qu'après... décennies : que l'expérience de plusieurs lustres d'évan­gélisation prouvait que E P.

[477] comme... sinon : dans son oeuvre missionnaire. Accordons à ces mes­sieurs de n'avoir pas tenté de proposer une méthode différente et meilleure pour civiliser les Bantu, à moins de considérer comme telle les sugestions, E P.

[478] affirmé... attendait : constaté que les efforts d'évangé­lisation chez les Bantu n'ont pas été couronnés d'un plein succès E P.

[479] qu'il... rentre : il n'est qu'un conseil, c'est d'élimi­ner systémati­quement les Bantu, ou plus prudemment, de boucler ses malles pour rentrer E P.

[480] "It is quite clear, if Father P.T. is right, that the Bantu system of thought is not silly, childish or incoherent, though liable to corruption by magical pratics; and ought to be taken seriously" (A.D. RITCHIE, Prof. de philosophie à l'univer­sité d'Edinburgh, The Approach of the Bantu, dans Inter­national Review of Mis­sions 36 (July 1947), p.396-398. "Cette méta­physique n'est pas isolée. Nous en trouvons les amor­ces, à la fois dans la philo­sophie grec­que et dans la philo­sophie chinoise, et même dans les der­niers développe­ment de la phi­loso­phie européen­ne... Il n'y a pas à s'étonner ni encore moins à se scandali­ser de voir [voir : voix P] <la philo­so­phie bantoue asso­ciée, malgré des diver­gences> profon­des, à des types de métaphy­si­que reconnus <comme tels dans l'histoire de la pensée humaine>" (R.P. CHARLES, S.J., Note relative à l'ou­vrage du R.P. Tempels, dans Bulletin des Séances de l'Institut royal colo­nial belge 17 (1946), n.2, p.524-532), add. en note P (en ommettant les pas­sages entre <...>). Comme notre révision de la traduction s'é­carte sensi­blement du texte de Rubbens, nous les mettons ici en parallèles.

[481] ontologique Ms P : profane E : naturelle (A).

[482] Texte entre <...> (A) : om.Ba E P.

[483] qui... inas­souvies add.Ms, om.P.

[484] sa forme... spiritualisée (Ba) E P : l'unique vraie Eglise catho­lique (A).

[485] Mais... indispensa­ble : Il suffit E.

[486] apparaître... proposons : Les resourcees pour opérer la christianisa­tion et la civilisation bantu E.

[487] Chacun pourra s'en convaincre que notre hypothèse et no­tre attitude vis-à-vis des primitifs se trouve diamétralement opposée a) au prélogisme de Lévy Bruhl, b) au ségrégationnisme qui veut garder les primitifs dans leur idéologie et leur ma­nière de vie, c) radicalement opposée à l'ennemi d'une évangéli­sation plus profonde: à la mé­thode d'as­similation, qui veut euro­péani­ser d'a­bord les primitifs avant de les christianiser add. en note (A). - Cfr P. TEMPELS, La christia­nisation des philosophies païennes. Anvers, Soeurs mis­sionnaires de N.D. d'Afrique, 1949, 40 p.

[488] Texte entre <...> (Ba A) : om.E P.

[489] au matériel (Ba A) : à l'immédiat E P.

[490] essentielle : nécessaire E, del.Ms.

[491] "accessible"...haut (Ba A) : om.E P.

[492] que... Bantu (Ba A) : aujourd'hui ignorante de sa vraie destination E P.

[493] pris... "kulan­ga" : obsédé par des "pensées" ("ku­lan­ga"), ou pris de "nostal­gie" ("bulanda") E P.

[494] mais s'étend à l'être tout entier add.E P.

[495] par teurs auteurs add.E P.

[496] même... tromperie : et le mensonge E P.

[497] Que... supérieur : Leur haute conception de la force vi­tale E P.

[498] dans leurs palabres add.E P.

[499] de leur... surtout om.E P.

[500] l'exactitude... théorie : ces théories dans diver­ses tribus E P.

[501] eux, les Bantu : après tout, eux, les Bantu des diverses tribus E P.

[502] Kamina, Juin 1944 - juin 1945 add.Ms P : Si notre hypothèse couvre la réalité, <si nos investigations sur la philosophie bantu add. et del.Ms> notre exposé de la philosophie bantu nous fait toucher le fond de l'âme primi­tive, nous nous verrons forcés... add.Ms.

[503] (Note de A.J. Smet): Ce dernier chapitre de Philosophie bantu est resté inédit. L'original néer­landais a été con­servé en deux rédactions, l'une de 12 pages dactyl., du 18.8.1945, l'autre, incom­plète, de huit pages dac­tyl., de 1947, dont nous gardons le titre: Plai­doyer pour la philo­so­phie bantu. La "Philoso­phie bantu" rend-elle fidèle­ment les pensées des Ban­tu? Dans une lettre du 10.11.1947, le P. Tem­pels écrivit à E. Possoz: "C'était ce chapi­tre dont la traduc­tion par Rubbens n'était pas terminée, le jour de l'entrée du manus­crit à l'imprime­rie. Le même que j'ai envoyé plus tard ici <en Belgi­que> à Malines et qui m'a été re­tourné sans Imprimatur" (cfr L. HANSEN, o.c., Franciscana 38 (1983), p.8, qui ajoute (p.10) que, jusqu'à présent, on n'a pas reissi de ­trouver ce texte dans sa forme définitive). Notons que le Prof. H.L. Van Breda OFM, le "cen­sor" de l'ordre des Franciscains pour ce texte, avait fait quel­ques réser­ves concernant la der­nière partie, les pages 8 à 12 notam­ment, d'où il res­sort que, à un moment où un examen en est entammé à Rome, le Père Tem­pels lui-même et les autres confrères utili­sent, pour la catéchèse, une théo­rie qui est attaquée du point de vue théolo­gique et qui n'a pas encore été suffi­samment exami­née sur sa valeur en tant que systè­me (Cfr L. HAN­SEN, ibi­dem, p.12). - Nous avons traduit ce chapi­tre dans Pl. Tem­pels, Plai­doyer, p.57-86. Les par­ties du texte entre [...] sont propres à la pre­mière ré­dac­tion, celles en italiques entre <...> à la seconde.

[504] (Note de A.J. Smet): par les expressions entre guillemets Tem­pels ren­voie sans doute aux conceptions de Mgr de Hemptinne, concernant la "coutume dépourvue de tout système de pensée", cité par A.J. SMET, Les débuts de la contro­ver­se..., dans Revue Afr. de Théol. 5 (1981), n.10, p.172; cfr aussi Fr. BON­TINCK, Aux origines..., p.139, note 244.

[505] Philosophie première rédaction.

[506] (Note du traducteur) c'est l'unique endroit où le terme néerlandais "zijn" (être) est utilisé dans ce texte de Tempels; ailleurs, il utilise toujours le terme "wezen" (être).

[507] Cfr Pl. TEMPELS, La décence chez les "non-civilisés", dans Mélanges..., p.65-70.

[508] Cfr L'étude des langues bantu, dans Mélanges..., p.77-82.

[509] C'est très important que le plus de personnes possibles ap­pliquent la théorie à leur tâche civilisatrice (texte ajouté au crayon).

[510] Dans la deuxième rédaction manque la page de cette troi­sième preuve.

[511] Allusion au ch.2.2 de Philosophie bantu.

[512] E. POSSOZ, Eléments de droit coutumier nègre, (Elisabeth­vil­le, 1942).

[513] E. POSSOZ, L'âme clanique, in Lovania 5 (1944-45), p.211-214; E. Possoz vise ici la Philosophie bantu, qui commençait à paraî­tre.

[514] D. WESTERMANN, Der Afrikaner Heute und Morgen. Zweite verän­derte Aufla­ge, Essener Verlanganstalt, 1942.

[515] Ibidem.

[516] A. LE ROY, La religion des primitifs. Paris, Beauchesne, 1925, p.83.

[517] Ibidem, p.86.

[518] Ibidem, p.89.

[519] Reprise de la deuxième rédaction.

[520] P. Symphorien De Fauw

[521] Fin de la deuxième rédaction incomplète.

[522] Antoine RUBBENS (1909-2000), Dr en Droit. Il était au Congo de 1935 à 1968, successivement fonc­tion­naire (1935-45), avocat (1945-60), profes­seur à Lovanium (1960-68); pro­fes­seur émérite de UFSAL (Bruxelles).

[523] P. Célestin Lammens.

[524] P. Camille, OFM: Nicolas DELAIT (Veldwezelt, 1907 - Leuven, 1982), missionnaire dans le diocèse de Kamina de 1934 à 1967.

[525] P. Hilaire, CP: Alfons DAMS (Paal, 1910 - Heusden, 1997), missionnaire au Sankuru (Kasaï oriental) de 1937 à 1964, à Kinshasa de 1964 à 1982).

[526] P. Ambroise: Alfons DELILLE (Boorsem 1892-Kamina 1969), cfr Fr. BON­TINCK, Aux origines..., p.125 et 133.

[527] En néerlandais: 'wezen', terme que Tempels utilise toujours pour indi­quer l'être. Cfr plus haut note 3.

[528] En néerlandais: krachtologie.

[529] Dans tout ce passage nous rendons par 'essence' le terme néerlandais 'aard'.

[530] En néerlandais: 'essentie'.

[531] A. LE ROY, o.c., p.83.

[532] D. WESTERMANN, o.c., p.

[533] E. POSSOZ, Eléments..., o.c., p.27.

[534] Cette Annexe reprend, en trois colonnes parallèles, les versions de: a) La notion de l'être (cfr plus haut p.18-21): 1e colonne: Po (la traduction de Possoz, éd.2000, p.15-17) avec comme témoin Ba, 2e colonne: E (la traduction de Rubbens, éd.1945, p.30-33), et 3e colonne: P (éd.1949, p.33-36), comparée à A; nous plaçons entre [...] les textes propres à A et entre <...> ceux propres à P. Afin de faciliter la comparaison, la suite du texte de Ba-Po et de A a été conformée au texte de E et P.